La production de textes juridiques en diverses langues officielles par les institutions des communautés Européennes

AutorHélène Bauer-Bernet Bruxelles
Páginas15-28

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A Généralités

Nous constatons dans de nombreux pays d'Europe une double évolution, à la fois divergente et convergente, des ordres juridiques.

La régionalisation, que connaissent entre autres la Belgique et l'Espagne, est un exemple de diversification.

Parmi les convergences organisées par une charte et des institutions, nous trouvons au premier plan la Communauté européenne créée voici plus de trente ans par six États fondateurs.1

Le droit communautaire doit être compris de tous ses ressortissants, quelles que soient leur langue et leur nationalité, et compris de la même manière. Les normes doivent être exprimées dans toutes les langues. Un métalangage juridique commun doit donc être élaboré, qui comportera au moins des notions communes exprimables dans toutes les langues communautaires.

Le droit communautaire n'est pas élaboré et mis en oeuvre dans un vacuum juridique, mais compte tenu des droits nationaux; par exemple,Page 16certaines dispositions (les directives) nécessitent des mesures nationales d'exécution; le droit communautaire est appliqué par les juridictions nationales, fortes de leurs traditions; la Cour de justice des Communautées européennes s'inspire des principes généraux issus des droits nationaux.

La pluralité des droits et des langues dans l'espace communautaire européen est à la fois une richesse culturelle et un défi à la communication.

Ce défi a conduit à prendre en considération les aides automatisées multilingues à l'information, pour la mise en oeuvre des principes de sécurité juridique et d'égalité de tous devant la loi.

Nous esquisserons ciaprès quelques aspects du droit communautaire:

— l'ordre juridique communautaire en général,

— le multilinguisme du droit communautaire, — l'élaboration du droit dérivé,

— la documentation y relative.

B L'ordre juridique communautaire
1. Généralités

Le droit communautaire a été créé à la suite d'un accord entre États souverains afin de constituer une «communauté» à une époque où le droit économique ne faisait que ses débuts sur la scène internationale et où l'avenir politique devait être réservé. Un tel droit, un plein développement, devait nécessairement rester adaptable et cette vertu s'est révélée d'autant plus précieuse que se manifestait la difficulté de modifier les traités.

Les traités contiennent dès lots de nombreuses dispositions-cadres, qui nécessitent une mise en oeuvre détaillée par les institutions communautaires. Ces dernières ont, en une génération, édicté dans toutes les langues communautaires plus de cent mille actes de nature législative ou administrative, qui constituent le «droit dérivé». Plus de dix mille sont actuellement en vigueur.

Une cour de justice a été créée pour assurer l'interprétation et l'application uniformes du droit communautaire. Elle a émis presque 3000 arrêts (2480 au 31 décembre 1987), dont plus de mille concernent des procédures préjudicielles et un très petit nombre a pour objet le multilinguisme. Les organes législatifs et juridictionnels nationaux sont également impliqués dans la mise en oeuvre et l'application du droit communautaire.

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2. Les traités constitutifs

La nature des dispositions des traités instituant les Communautés européennes est complexe et leur terminologie présente des traits particuliers.

2.1. Nature des dispositions

Ayant pour objet la construction d'un ordre interne au moyen de techniques juridiques dont ils sont la base, les traités européens se caractérisent par la juxtaposition de quatre types de dispositions.

• Dotant les Communautés de la personnalité internationale, des dispositions de droit international leur conférent expressément la compétence pour conclure des accords avec des États tiers ou des organisations internationales.

• Définissant l'organisation et les compétences des organes par lesquels s'exprime la personne morale de droit public qu'est chaque Communauté, les traités européens établissent des règles de droit constitutionnel. L'ensemble de ces dispositions forme la Constitution des Communautés.

• Décrivant le fonctionnement des organes exécutifs, qui comporte l'élaboration des actes administratifs soumise au principe de légalité, les traités européens formulent des règles de droit administratif.

• Un certain nombre de dispositions régissent le droit substantiel. Il s'agit notamment des «quatre libertés» et de politiques sectorielles telles que les transports, les règles de concurrence ou encore de problèmes spécifiques très divers.

Mais les traités constitutifs ne pouvaient prétendre contenir des règles complètes, définitives, immuables, ne laissant place qu'à des mesures d'exécution. Parmi les règles de fond, certaines sont exprimées en termes très généraux et constituent des dispositions-cadres.

2.2. Aspects terminologiques

Les traités constitutifs, notamment les articles liminaires et les dispositions-cadres, sont particulièrement riches en notions indeterminées.2 L'on peut en citer quelques exemples:

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• les articles liminaires du Traité CECA:

art. 3 b) ...conditions comparables...

  1. ...possibilités normales de rémunération...

  2. ...exploitation rationnelle des ressources naturelles...

  3. ...égalisation dans le progrès...

• l'article 39 du Traité CEE, qui pose les buts de la politique agricole commune;

• en matière de concurrence: non seulement cette notion mais celles de «structure de marché», «subvention», «aide», sont indéterminées.

Ces notions laissent une marge pour l'application administrative au cas d'espèce. Les notions indéterminées peuvent poser des problèmes de traduction, car l'indétermination n'est pas toujours «transportable» et l'absence éventuelle de correspondance n'est pas toujours apparente.

3. Le droit dérivé

Les traités constitutifs, source fondamentale, sont complétés et précisés par tout un ensemble de règles de droit qu'adoptent les organes des Communautés. Ces règles de droit, fondées sur les traités, constituent le «droit dérivé», source secondaire de la législation communautaire.

Plus de cent mille actes de droit dérivé émanent des organes exécutifs —Conseil de Ministres et Commission— qui sont des institutions dotées d'un pouvoir quasi législatif et ont à leur disposition pour l'exercer différentes formes d'actes juridiques.

3.1. Les actes à force contraignante

Dans le cadre des traités CEE et CEEA (Traités de Rome),3 les institutions peuvent émettre trois formes d'actes à force contraignante: règlement, directive, décision.

• Le règlement a une «portée générale», est «obligatoire en tous ses éléments» et «directement applicable dans tout État membre».

• La directive «lie tout État membre destinataire quant au résultat», mais laisse aux instances nationales le choix de la forme et des moyens pour l'atteindre.

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• La décision est «obligatoire dans tous ses éléments pour les distinataires qu'elle désigne». N'obligeant que ses destinataires, la décision est donc un acte de portée individuelle. Comme il est cependant fréquent qu'une décision ait pour destinataires les États membres en général, on distingue ce type de décision dite «générale» et les. décisions «individuelles» stricto sensu adressées à une persone physique ou morale.

3.2. Les actes dépourvus de force contraignante

Outre ces actes obligatoires; le Conseil et la Commission élaborent des avis et des recommandations dans le cadre des traités cee (art. 189) et CEEA (art. 161).4

4. La jurisprudence relative au droit communautaire
4.1. L'application uniforme du droit communautaire

Nous avons déjà constaté que le droit communautaire doit être compris de tous ses ressortissants, indépendamment de leurs langue et nationalité, et compris de la même manière. Il est donc important de veiller non seulement à l'expression multilingue du droit communautaire, mais aussi à son application uniforme.

L'action jurisprudentielle pour une application uniforme du droit communautaire s'exerce par deux voies en vertu des articles 170-179 cee et de leurs homologues ceca et ceea:

• la Cour de justice interprète le droit communautaire et vérifie sa légalité en utilisant ie fonds commun, qu'elle révèle et enrichit;

• les juridictions nationales appliquent le droit communautaire.

Les deux actions se rejoignent en ce sens que, en vertu de l'article 177 du traité cee (et de ses homologues ceea et ceca), toute juridiction nationale peut (et une juridiction de dernière instance doit) saisir en cas de doute la cjce en interprétation d'une disposition communautaire évoquée devant elle.

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4.2. La jurisprudence de la cjce

Dès ses débuts, la Cour de justice des ce s'est distinguée des jurisdictions internationales et affirmée juge interne de la Communauté.

Comme tout juge interne, la Cour fait appel aux principes généraux pour guider ses décisions.

Elle a puisé les principes généraux dans le droit international; plus encore, dans le droit interne des États membres; et de plus en plus, il a déduit de tels principes de la nature et de l'objet même des Comnunautés européennes.5

La Cour a conçu de manière large son contrôle sur la mise en oeuvre des traités. Elle s'est laissée guider par des principes plus pragmatiques ou téléologiques, tenant à la protection des intérêts légitimes des justiciables et à l'effet attendu des traités selon leur économie particulière. Elle applique ces principes en cas de divergence entre des versions linguistiques du droit communautaire.

5. Les mesures nationales d'exécution

Le droit communautaire est un ordre juridique autonome, mais il se prolonge dans douze ordres juridiques nationaux.

L'exécution des traités est normalement assurée par une série de décisions hiérarchisées qui ont pour fondement les traités euxmêmes. Dans cette exécution interviennent les organes communautaires mais également les États qui constituent ainsi le dernier degré de la hiérarchie. Il leur appartient en effet d'exécuter les décisions des organes communautaires (art. 5, alinéa 1er du Traité cee).

Si la majorité des actes de droit communautaire, les règlements et les décisions, sont immédiatement applicables dans les ordres juridiques nationaux, la notion de mesures nationales d'exécution prend toute sa signification au niveau de l'application des directives.

C Le multilinguisme du droit communautaire
  1. En matière de multilinguisme, le droit de la Communauté européenne diffère à la fois d'un droit international classique et d'un droit national.

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    D'une part, alors que le contenu du droit international classique doit généralement être transposé dans l'ordre juridique national pour être applicable aux individus, une grande partie du droit communautaire leur est applicable de manière directe et immédiate.

    D'autre part, comme pour le droit national d'un Etat plurilingue, les différentes versions linguistiques du droit communautaire se rapportent à un unique ordre juridique. Ceci est vrai pour le droit communautaire au sens strict, notamment:

    — les traités constitutifs,

    — les accords avec les pays tiers,

    — le droit dérivé des traités

    (actes de la Commission et du Conseil).

    Mais ce n'est pas vrai pour ses prolongements nationaux, qui s'insèrent dans l'ordre juridique des États membres et sont exprimés dans la langue nationale:

    — mesures nationales d'exécution des directives communautaires,

    — jurisprudence nationale appliquant le droit communautaire.

  2. Le droit communautaire au sens strict constitue un ordre juridique autonome. Le problème du multîlinguisme se pose donc à cert égard comme dans un contexte national multilingue tel celui de la Belgique, de la Suisse, du Canada, de l'Espagne, à quelques différences près:

    • il y a neuf langues communautaires depuis l'adhésion de l'Espagne et du Portugal:

    allemand, anglais, danois, français, grec, italien, néerlandais, espagnol., portugais; en outre, le gaélique est langue de travail.

    • le droit communautaire se prolonge dans douze ordres juridiques nationaux:

    Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, France, Grande-Bretagne, Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal.

    Du fait de ces prolongements multiples dans ordres autonomes, la matière à reglementer ou harmoniser est très complexes; mais cette complexité est «gérable» pour au moins deux raisons:

    • d'une part, il s'agit d'un droit essentiellement économique; il ne touche que par le biais de l'économie les domaines qui justement sont le plus imprégnés par l'esprit national, qui ont la plus grande charge culturelle, où la divergence entre Common Law et droit continental se fait le plus sentir:

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    — le droit des personnes et de la famille (travailleurs migrants, sécurité sociale, égalité de rémunération entre hommes et femmes, etc.),

    — le droit des obligations (contrats d'exclusivité...),

    — le droit des biens (matières fissiles),

    — ou le droit pénal (droit pénal économique);

    • d'autre part, la complexité de la tâche est «décentralisée»:

    — par l'usage de directives communautaires, qui lient les États membres quant aux objectifs mais non quant aux moyens;

    — et par la jurisprudence de la Cour de justice, qui conduit à harmoniser sans légiférer.6

  3. En ce qui concerne le droit communautaire au sens strict, la majeure partie du droit de force contraignante est valable dans les neuf versions linguistiques, en vertu du règlement n.° 1 de la cee,7 et ceci sans cloisonnement par langue; c'est-à-dire qu'un ressortissant communautaire peut, indépendamment de sa nationalité ou de son régime linguistique, invoquer à son profit toute version d'un règlement ou d'une décision correspondant à la ratio legis. Cette règle a été exprimée pour la première fois dans l'arrêt Stauder, du 12 novembre 1969.8 Le principe a été confirmé plusieurs fois, notamment dans l'arrêt Mecke du 16 octobre 19809 et dans l'arrêt Commission des C.ER. c/ Royaume uni du 28 mars 1985.10 Il s'agit de l'expression multiple d'une même disposition et de son contenu notionnel défini par rapport à un unique ordre juridique, l'ordre communautaire.

    Dans l'arrêt Stauder, la version française exigeait un bon «individualisé» pour l'attribution de beurre à prix réduit. La version allemande exigeait un bon «nominatif», La Cour a dit pour droit que l'exigence de l'individualisation suffisait et correspondait de ce fait à la ratio legis. Il n'est fait aucun recours à l'idée d'une langue originale ou non, ou du nombre de versions correspondant à l'une ou l'autre notion.

    Le principe a été réitéré dans les termes suivants:

    — (1980) «Lorsqu'il apparaît, d'un rapprochement entre les diverses versions linguistiques de certaines positions du tarif douanier commun, que les difficultés d'interprétation soulevées devant une juridiction nationale ont leur source principale dans les particularités d'une de cesPage 23versions, il importe de considérer ces positions simultanément dans toutes les langues officielles en utilisant, au surplus, les indications résultant des notes explicatives du Conseil de coopération douanière».

    — (1985) «En cas de divergence entre les différentes versions linguistiques d'un texte communautaire, la disposition en cause doit être interprétée en fonction de l'économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément».

  4. Le multilinguisme communautaire a pu être considéré comme une solution fort lourde. Elle l'est en effet. Mais il ne peut être envisagé de renoncer à ce principe. Telle est la conclusion à laquelle s'est ralliée le Parlement européen pour ses débats, dans sa résolution du 14 octobre 1982, après avoir examiné la possibilité d'adopter des «systèmes restreints» ou «asymétriques» plus économiques. On peut encore moins y renoncer pour l'expression de la législation communautaire, qui est directement applicable au citoyen et doit par conséquent lui être accessible dans sa langue. Renoncer à la réalisation de versions officielles conduirait à encourager les «traductions» officieuses, sources d'insécurité juridique pour de multiples raisons: éloignement géographique des traducteurs, obstacle à la concertation; connaissance insuffisante du droit communautaire, impossibilité d'amender le texte-source, etc.11

    Toute l'organisation des Communautés européennes, depuis les mécanismes institutionnels de base jusqu' à la révision rédactionnelle, tend au contraire à assurer l'équivalence quant au fond des versions linguistiques, par une mise au point en parallèle des textes normatifs dont toutes les versions linguistiques font foi (traités, règlements, directives et décisions générales).

    Il existe des «traductions» uniquement pour certains types d'actes dont seule une version fait foi: notamment certains accords, les arrêts (langue du requérant) les décisions individuelles ou administratives (langue du destinataire), etc.

  5. Nous examinerons de manière plus détaillée le corps d'actes où le problème du multilinguisme se manifeste de la manière la plus sensible, en raison de son volume considérable: le droit dérivé,

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D L'élaboration du droit derivé
1. Mécanismes de base

Toute l'élaboration des actes normatifs dérivés, dès l'analyse de la situation et la décision de légiférer, se fait dans un contexte multilingue, avec la coopération d'organes où sont représentés les intérêts nationaux.

Les actes du Conseil de Ministres sont pris sur proposition de la Commission. Les propositions sont envoyées au Conseil dans toutes les langues communautaires. Avant d'être envoyées, elles sont:

— soumises à un comité consultatif d'experts nationaux,

— approuvées à divers échelons internes qui, pris ensemble, sont «pluralistes»,

— et révisées par un groupe de juristes-réviseurs dont nous parlerons.

Avant de devenir acte du Conseil, elle sera examinée le cas échéant par le Comité économique et social et par le Parlement européen, directement élu.

Au Conseil de Ministres sont représentés tous les États membres en tant que tels. Les débats se déroulent dans toutes les langues en parallèle.

Cette procédure de décision sur base de consultation et concertation n'est pas légère et elle a une incidence sur le coût et les délais, mais elle a le mérite d'assurer à la fois l'ancrage culturel et la création progressive d'un «fonds commun» à laquelle participent directement les agents économiques. Ce fonds commun, ce «vécu» collectif est le seul garant de la possibilité d'exprimer un même contenu dans plusieurs langues.

2. Groupes d'experts juristes-linguistes

Les institutions qui se partagent l'essentiel de l'activité législative des' Communautés européennes, le Conseil de ministres et la Commission des Communautés européennes, ont chacune créé un groupe chargé d'assurer la conformité juridique des différentes versions linguistiques.

Prenons pour exemple le groupe des juristes-réviseurs qui fonctionne au sein du Service juridique de la Commission et qui depuis l'adhésion de l'Espagne et du Portugal comporte vingt membres.

Les juristes-réviseurs reçoivent des textes déjà traduits et révisés par le service de traduction. Ils doivent en assurer l'équivalence quant au contenu juridique. La révision juridique est effectuée selon les principes suivants:

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• Égalité des versions linguistiques:

Il ne s'agit pas de rapprocher d'un texte «original» les autres versions: linguistiques, mais d'assurer de manière symétrique l'équivalence de toutes les versions; toute version peut donc être modifiée pour mieux exprimer la ratio legis, notamment en ce qui concerne les dispositions constitutives de droit (par ex. suppression de la référence à «enfant reconnu», qui n'est: pas une notion commune aux droits des États membres);

• Aide des experts:

Les services responsables quant au fond doivent assister les juristes-réviseurs;

• Cohérence dans le temps:

Les précédents sont étudiés pour éviter les variations injustifiées;

• Distance par rapport aux notions purement nationales:

Il est courant de voir un terme dans une langue communautaire recevoir en droit communautaire (notamment par interprétation de la Cour de justice) une acception différente de l'acception en droit national: par-exemple; «salaire», «entreprise», «détournement de pouvoir».

Pour éviter le risque de confusion entre l'acception nationale et l'acception communautaire d'un même vocable, il est admis de créer une ter-terminologie communautaire (p. ex. «praticien de l'art dentaire» pour «dentiste»).

Toutefois, cette latitude est utilisée avec discrétion et en outre elle-est tempérée par le respect des particularités linguistiques ou juridiques: on peut renoncer à l'équivalence mot-à-mot dans l'intérêt de la clarté; ainsi certaines versions se comprennent mieux par l'emploi d'une catégorie abstraite (p. ex. en français «sociétés civiles et commerciales») et d'autres par-une énumération casuistique (p. ex. énumération de toutes les formes de-sociétés civiles ou commerciales en anglais). Cette latitude est utilisée surtout pour les dispositions exemplatives (p. ex. «interdiction de participer au capital» illustrée par plusieurs formes dont l'une est propre à un seul État membre).

Dans des cas extrêmes, il est renoncé à toute traduction et les formes-sont, dans toutes les versions linguistiques, citées en langue originale pour chacun des États membres.12

La révision juridique ainsi entendue (c'est-à-dire les problèmes de-langue courante et de culture étant résolus par une instance antérieure) rencontre plusieurs types de problèmes, outre souvent l'urgence:

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• Il existe des ambiguités inhérentes à la terminologie, lorsque les langues ne connaissent pas le même niveau de généralité pour certains concepts juridiques (p. ex. le concept général «decision» en français, auquel correspondent plusieurs concepts plus spécifiques en allemand (Entschei-dung, Beschluss) et en néerlandais (Beschikking, Besluit, Beslissing);

• Certaines versions linguistiques peuvent, en pratique, être orientées vers un droit national qui a fortement influencé la réflexion communautaire (p. ex. le droit allemand pour la concurrence, le droit français pour le droit administratif); ces versions sont ainsi plus «égales» que les autres...;

• Il existe de nombreux «faux amis», termes qui font référence à des notions nationales homologues mais s'insérant dans des mécanismes juridiques différents (p. ex. vente, faillite).

Dans l'ensemble et malgré les obstacles, cette procédure fonctionne de manière satisfaisante. Elle dépiste et supprime au moins autant d'imperfections qu'elle n'en crée. Quelques cas de non-concordance ont été relevés, mais déjà le fait qu'on les cite de mémoire, alors que l'activité législative des Communautés à déjà produit plus de 100.000 actes, montre qu'il s'agit d'exceptions ponctuelles.

Mentionnons par exemple l'arrêt Stauder déjà cité concernant les termes «Nominativ» et «individualisé»; la non-correspondance dans les articles (85) (1) et 86 (d) entre les termes «prestations» et «obligations»; ou dans la directive sur le TVA entre les termes «syndicats» et «trade unions»; ou la non cohérence de termes dans le temps ou au sein d'un même règlement, par exemple le règlement antidumping.

3. Auxiliaires de la révision

Il existe des moyens de type traditionnel pour assister les rédacteurs et faciliter la révision, notamment des formulaires en différentes langues pour les actes du Conseil et pour ceux de la Commission (voir extrait annexé).

Ces formulaires se limitent nécessairement aux aspects formels et répétitifs des actes.

En ce qui concerne la terminologie, divers recueils phraséologiques ont été élaborés; d'abord manuellement puis par ordinateur. L'informatique fournit une aide croissante pour assurer la cohérence dans le temps et d'une langue à l'autre, notamment grâce au système de documentation automatisée pour le droit communautaire. Avant de l'examiner de plus près, mentionnons que la Cour de justice étudie la possibilité de rédigerPage 27les ordonnances les plus répétitives non plus par traitement de texte mais à l'aide d'un petit système expert.

E La documentation automatisée pour le Droit communautaire

L'informatique documentaire peut non seulement faciliter la recherche de précédents mais aussi, d'une manière générale, aider la communication dans un environnement multilingue.

Par exemple, la recherche systématique des précédents aide à assurer la cohérence des actes législatifs et jurisprudentiels quant au fond et quan à la forme. Réciproquement, la cohérence des textes (actes codifiés ou coordonnés, termonologie normalisée p. ex. pour les sommaires de jurisprudence) aide à systématiser la recherche, c'ést-à-dire à mieux retrouver les précédents. L'usage de l'informatique permet également d'élaborer des bulletins et répertoires multilingues et de contribuer à une meilleure connaissance du droit.

Ainsi les institutions communautaires ont-elles créé un système de documentation automatisée pour le droit communautaire, celex, qui tient compte des différents impératifs inhérents à cet ordre juridique.

Ce système permet l'accès à l'information par de nombreuses voies, y compris la nature des sources, l'auteur, la base juridique, la matière, la classification, les antécédents modifiés ou les actes modificateurs; et, pour les actes les plus importants, par tout terme du texte intégral. Ces moyens sont cumulables et combinables.

Le système est maintenant accesible dans sept des nef langues communautaires. Il sera à terme accessible dans toutes les langues.

Le texte intégral chargé dans les bases de données est repris de fichiers qui sont l'image magnétique des sources (Journal officiel des Communautés européennes et Recueil de la jurisprudence de la Cour de justice).

L'isomorphie des versions linguistiques et l'alimentation parallèle des bases de données permettent d'utiliser le système celex non seulement pour la recherche d'actes juridiques à partir de différents critères (y compris les mots du langage naturel), mais aussi comme banque de données terminologiques multilingue pour le droit communautaire. Les traducteurs le consultent pour assurer la cohérence terminologique dans le temps.

Une autre application pratique est la publication semestrielle d'un répertoire, dans toutes les langues, qui reprend le titre, les références et les modifications des actes en vigueur. Ce répertoire est un auxiliaire de la production d'actes législatifs, car il fait apparaître le nombre de modifications subies par chaque acte. Selon une décision de la Commission de juin 1986, ces actes ne peuvent pas être modifiés à nouveau mais doivent fairePage 28l'objet d'une codification constitutive avec abrogation explicite des actes anciens.

La possibilité de faire la liste des actes en vigueur a été également exploitée lors de l'adhésion des nouveaux États membres, de l'Espagne et du Portugal en particulier, pour la procédure d'authentification des actes de droit dérivé en vigueur lors de l'adhésion.

Conclusion

Nous avons vu que, pour des raisons pratiques et politiques, il n'est pas possible de renoncer à l'égal traitement des langues communautaires pour l'expression du droit, bien que cette égalité entraîne des charges économiques pour son élaboration et sa recherche et un ralentissement du processus de décision. L'«activité traduisante» qu'elle implique est accomplie de manière satisfaisante et contribue à la précision du langage de rédaction même si elle crée plus d'inélégances qu'elle n'en supprime.

Le multilinguisme communautaire doit donc être apprécié dans son aspect essentiel: un même droit pour tous, sans barrières linguistiques».

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[1] . Trois traités ont institué respectivament: — la Communauté européenne du Charbon et de l'Acier (Paris, 1951) — la Communatué économique européenne et la Communauté européenne de l'énergie atomique (Rome, 1957). Ces traités, conclus par les six États membres fondateurs (Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas) ont été modifiés notamment à l'occasion de l'adhésion des nouveaux États membres: le Danemark, la Grande-Bretagne et l'Irlande, le 1er juin 1973; la Grèce, le 1er janvier 1981; l'Espagne et le Portugal, le 1er janvier 1986.

[2] . Voir article «Les notions indéterminées en droit communautaire» dans Les notions à contenu variable en droit, Études publiées par Chaïm Perelman et Raymond Van der Elst; Bruylant Bruxelles 1984; p. 269-296.

[3] . Les actes fondés sut le Traité ceca sont différents.

[4] . Dans le cadre de la CECA, la Commission, substituée à la Haute Autorité, formule des «avis» (Traité cela, articles 14 et 15).

[5] . Les principes généraux appliqués par la Cour sont nombreux. Citons entre autres: la bonne foi, l'égalité des administrés, l'effet utile, la préférence et la solidarité communautaires; et des «standatds» tel le «délai raisonnable» pendant lequel un acte illégal est jugé révocable.

[6] . Voir arrêt Cassis de Dijon, affair 120/78, Rec. 1979 p. 649.

[7] . Article 4 modifié par les actes d'adhésion.

[8] . Affaire 29/69, Rec. vol. XV, p. 419.

[9] Affaire 816/79, Rec. 1980 p. 3029.

[10] . Affaire 100/84, Rec. 1985 p. 1169.

[11] . En ce qui concerne les autres aspects du multilinguisme communautaire, voir deux articles sur le thème «Élargissement et problèmes linguistiques»: — A. Ciancio, «La traduction», — R. Van Hof, «L'interprétation», dans les actes de la semaine de Bruges de 1978, Une communauté à Douze? L'impact du nouvel élargissement sur les Communautés européennes, édités par W. Wallace et I. Hatreman, Bruges, De Tempel, Collège d'Europe, 1978, pp. 113 s. et 126 ss.

[12] . Voir deuxième et quatrième directives du Conseil des Communautés européennes en matière de sociétés (JOCE n.° L. 26/1 du 31-1-1977 et JOCE n.° L 222/11 du 14-8-1978).

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