Systeme de tarification de la Securite Sociale et incitations a la prevention des risques professionnels : bonus-bonus et bonus-malus en France

AutorLucie Jubert - Alexis Larose - Lou Thomas
CargoUniversité Paris Ouest, IRERP
Páginas6-25
IUSLabor 3/2015
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SYSTEME DE TARIFICATION DE LA SECURITE SOCIALE ET
INCITATIONS A LA PREVENTION DES RISQUES PROFESSIONNELS :
BONUS-BONUS ET BONUS-MALUS EN FRANCE
Lucie Jubert, Alexis Larose et Lou Thomas
Université Paris Ouest, IRERP
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1. Introduction
La santé des travailleurs n’est pas une préoccupation nouvelle. Les premières lois
sociales à la fin du 19ème siècle, limitant le travail des enfants ou des femmes, furent
adoptées pour s’assurer d’un état de santé suffisant de la main d’œuvre, qui devait rester
apte au travail (et au service militaire). La prise de conscience progressive des risques
liés au travail, au gré des grandes affaires médiatisées, inspira la construction d’une
législation propre à l’activité salariée : de la catastrophe des mines de Courrières (plus
de mille morts) en 1906, qui a directement conduit à la création du Ministère du Travail,
au scandale de l’amiante, qui près d’un siècle plus tard ’en finit pas de bouleverser le
droit du travail et de la sécurité sociale.
1.1. La prévention, nouveau centre de gravité de la santé au travail en droit social
Si la question de la santé n’est pas nouvelle, son appréhension connaît un profond
renouvellement depuis près de trente ans. D’un édifice législatif orienté vers la
réparation des risques, combiné à un foisonnement de normes techniques, le centre de
gravité se déplace progressivement vers la prévention des risques professionnels et la
promotion d’une véritable politique de santé dans l’entreprise. La structuration du droit
s’en trouve changée. Désormais, le code du travail combine des obligations générales de
prévention et de préservation de la santé avec nombre de déclinaisons plus spécifiques.
L’obligation générale de sécurité de résultat joue un rôle moteur dans la construction
d’une législation exigeante de prévention des risques sur le lieu de travail.
Associé au développement de la prévention, le champ de la protection s’étend
également. De l’hygiène et de la sécurité, le vocable s'est progressivement déplacé vers
celui, plus large, de la santé et de la sécurité au travail. La notion de santé mentale a
ainsi été intégrée au code du travail depuis 20022. Ces évolutions législatives font écho
à l’évolution des risques constatée dans les milieux de travail. En effet, si les incidences
des contraintes physiques sont stabilisées, si l’exposition aux agents chimiques et
1 Nous remercions Elsa Peskine pour sa relecture et ses précieux conseils, ai nsi que Dounia Benrebai pour
sa contribution.
2 Loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002.
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cancérogènes déjà identifiés est en baisse, l’exposition aux risques psychosociaux
(charge et intensité du travail, perte d’autonomie) est, elle, en nette augmentation
3. Le
développement de la prévention dans l’entreprise, que l’on prenne en considération
l’extension de son champ ou le changement de paradigme qu’il impose, implique
nécessairement une réactualisation des questionnements concernant le système de
réparation des risques professionnels de la Sécurité sociale.
1.2. Le compromis originel de la br anche AT-MP : une réparation a utomatique mais
forfaitaire
Dans la seconde moitié du 19ème siècle la dangerosité du travail devint un problème
social et non plus seulement individuel. A l’origine, les atteintes à la sécurité pouvaient
être réparées sur le fondement de la responsabilité civile, nécessitant donc la preuve
d’une faute de l’employeur. Devant les difficultés de preuve la jurisprudence établit
d'abord une responsabilité objective de l’employeur du fait des choses4, ouvrant la voie
à une réparation facilitée des accidents dus aux machines. Restait cependant un double
problème : une réparation toujours difficile pour les victimes et la charge
potentiellement importante que celle-ci pouvait faire peser sur les employeurs. Aussi,
après près de 18 ans de débats parlementaires, la loi du 9 avril 1898 créa un régime
particulier de réparation des accidents du travail fondé sur le risque et non sur la faute.
Le compromis qui préside à l’adoption de cette loi reste aujourd'hui pleinement
d’actualité : la réparation des accidents du travail, des maladies professionnelles et des
accidents de trajet est automatique (sans démonstration d’une faute de l’employeur),
mais forfaitaire ; l’employeur dispose d’une immunité civile pour ces risques, mais en
contrepartie il prend en charge le financement du système par le biais d’une assurance
obligatoire. Des mécanismes de responsabilité civile réapparaissent en cas de faute
inexcusable de l’employeur, permettant de majorer la réparation et d’en faire supporter
la charge par le seul employeur responsable.
Ce compromis, et particulièrement la réparation forfaitaire, est aujourd’hui fortement
critiqué. Par définition la réparation n’est pas intégrale, et laisse sans réparation de
nombreux préjudices. L’amélioration de la rente et la réparation de certains préjudices
en cas de faute inexcusable ne sont pas non plus pleinement satisfaisantes lorsque l’on
3 L’évolution des risques professionnels dans le secteur privé entre 1994 et 2010 : premiers r ésultats de
l’enquête SUMER, DARES Analyses, mars 2012, n°23.
4 Cass. civ, 16 juin 1896, Teffaine.

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