L’aménagement linguistique, évolution et perspectives

AutorJacques Maurais
CargoEx-coordinateur de la Recherche et de l’Évaluation à l’Office québécois de la langue française
Páginas95-124

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1. Introduction

Permettez-moi de dire à quel point je suis honoré de pouvoir être avec vous pour célébrer le 25e anniversaire de la Revista de Llengua i Dret. C’est une revue à laquelle j’ai collaboré depuis 1986 et dont j’attends avec impatience chaque parution. Cette revue est très importante au plan juridique puisqu’elle offre des informations à jour sur la législation linguistique et sur la jurisprudence non seulement sur ce qui se passe en Espagne mais aussi ailleurs dans le monde. Et ce qui m’apparaît comme une de ses caractéristiques les plus remarquables, c’est qu’elle s’ouvre à d’autres dimensions, en particulier aux problèmes du langage administratif et aux aspects sociologiques et sociolinguistiques des politiques linguistiques.

Cette revue est aussi très importante au plan international puisqu’elle est la seule avec Language Problems and Language Planning à couvrir le champ de l’aménagement linguistique mais elle le fait, me semble-t-il, avec plus de profondeur et plus d’amplitude. Je ne vous cacherai pas que je déplore la décision de l’Office québécois de la langue française de cesser la publication de La revue d’aménagement linguistique (qui avait succédé à Terminogramme) ; je faisais partie du comité de rédaction de cette revue et la décision malheureuse de l’Office est intervenue au moment où nous avions réussi à hisser la revue à un niveau très élevé. Je rappellerai que nous avions publié un numéro sur l’amé-Page 96nagement linguistique dans les pays de langue catalane et un autre constitué par les actes d’un colloque Québec-Catalogne.

La Revista de Llengua i Dret occupe donc une niche toute spéciale, et même unique, dans le paysage des sciences humaines et je ne peux que lui souhaiter longue vie. Je l’engage à continuer à s’intéresser à l’aménagement linguistique ailleurs dans le monde car je crois que cette discipline ne peut croître que grâce à une orientation comparative. La comparaison, voire la confrontation, des expériences québécoise, catalane, basque, balte, etc., ne peut être que fructueuse. Même l’étude des situations des pays «du Sud», pour reprendre une expression courante dans les organismes de la Francophonie, apporte un éclairage particulier et permet de relativiser les positions que nous serions tentés d’adopter spontanément, comme j’aurai l’occasion de l’illustrer dans la dernière partie de ma conférence.

Dans cette conférence, je vous livrerai l’état actuel de mes réflexions. Peutêtre certaines susciteront-elles chez vous des réserves, voire des objections. Je tiens donc à vous dire d’entrée de jeu que je suis ouvert à la discussion et même à la remise en question. Je n’ai pas une vision dogmatique de l’aménagement linguistique et les réflexions que je vous proposerai doivent être considérées plus comme des propositions que comme des affirmations définitives. Cela dit, mes réflexions sont forcément tributaires de mon expérience : comme enseignant, pendant un temps, d’un cours de grammaire comparée des langues indo-européennes dans une université québécoise, comme terminologue à l’Office de la langue française, comme chercheur au Conseil de la langue française, comme coordonnateur du réseau Sociolinguistique et dynamique des langues de l’Agence universitaire de la Francophonie et, finalement, comme coordonnateur de la recherche et de l’évaluation à l’Office québécois de la langue française et, à ce dernier titre, responsable du bilan de la situation linguistique qui a été présenté au gouvernement du Québec en mars 2008.

Je commencerai par des considérations terminologiques qui m’amèneront à discuter du nouveau paradigme qui s’est imposé depuis une dizaine d’années en aménagement linguistique, celui de l’écologie. Par voie de conséquence, je serai amené à traiter de la diversité culturelle et linguistique. Puis je terminerai en évoquant les perspectives d’avenir de l’aménagement linguistique.

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2. Court historique terminologique de l’aménagement linguistique

Si je commence par des considérations terminologiques, c’est que j’imagine que vous aurez été frappé par la différence entre le titre catalan et le titre français de ma conférence : d’un côté le mot planificació, de l’autre le mot aménagement. Cette différence n’est pas anodine, elle me semble au contraire centrale à la réflexion qui doit être faite sur l’aménagement linguistique. En 1986, Glyn Williams1 émettait l’opinion que le niveau de conceptualisation de l’aménagement linguistique – ou plutôt du language planning, car ici tous les termes ont leur valeur et sont loin d’être anodins – était relativement bas. À l’époque, je notais2 que le flou terminologique et la profusion synonymique régnant dans la discipline tendaient à lui donner raison. On peut se demander s’il en est de même aujourd’hui. Une chose me semble sûre, c’est que la dénomination même de la discipline tant en anglais qu’en français a été soumise à des effets de mode. Il est donc tout à fait opportun de procéder à une discussion terminologique.

Le terme de language planning est apparu à la fin des années 1950 dans la foulée du social planning qui a suivi la fin de la 2e Guerre mondiale.

C’est Einar Haugen qui, se basant sur un texte de Uriel Weinreich3, a proposé en 1959 le terme de language planning pour désigner «l’élaboration d’une orthographe normative, d’une grammaire et d’un dictionnaire pour guider l’usage écrit et oral dans une communauté linguistique non homogène4»Page 98 (traduction). Comme on le voit, la définition de Haugen laisse de côté tout ce qui a trait au statut de la langue. Elle se situe dans la tradition des Académies de langue qui remonte à la fondation de l’Académie française5 en 1634 et aussi dans celle, plus moderne, de la Sprachkultur – «culture de la langue» – héritée de l’époque classique du Cercle linguistique de Prague6. Elle a, en revanche, l’avantage d’insister sur un aspect très moderne, celui de la variation linguistique puisqu’elle précise que l’aménagement linguistique s’applique à une «communauté linguistique non homogène». Malheureusement, cette définition fait l’impasse sur les contacts entre langues – ce qui est quand même surprenant quand on songe que le terme de language planning a été inspiré à Haugen par la lecture d’un texte de Uriel Weinreich, le grand instigateur des études de «linguistique de contact». Bref, la définition de Haugen s’inscrit, au fond, dans un très ancien courant, celui du prescriptivisme7.

Il y a un point important à souligner ici : quand dans le monde anglophone s’est popularisée l’expression de language planning, en l’élargissant aux rapport entre langues plutôt qu’en la confinant à l’intervention sur le code linguistique lui-même, c’est que l’on voyait avant tout les langues comme des sources de problèmes, problèmes que des experts pouvaient aider à résoudre tout comme, dans le social planning, les sociologues étaient appelés en renfort. Dans les publications de langue anglaise on voyait des titres où revenait sans cesse l’expression language problems, comme par exemple Language Problems of Developing Nations ou la revue bien connue Language Problems and Language Planning ou bien encore le titre du colloque auquel j’ai pu participer en 1998 à l’Université de Hartford , Language Problems of the 21st Century.

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Dans le monde francophone, on a commencé par traduire littéralement language planning en planification linguistique. Mais plusieurs sentaient un malaise face à une appellation qui pouvait véhiculer une connotation péjorative d’interventionnisme et de dirigisme étatique. Ce malaise était senti particulièrement au Québec qui devait légitimer sa politique linguistique face à une opinion anglophone réticente, voire hostile. Cette légitimation s’est faite en partie par la création d’une nouvelle dénomination, aménagement linguistique. Ici encore, on constate un effet de la mode : la création du terme s’est faite dans un contexte où l’aménagement du territoire opéré par l’État était une réalité présente dans la vie de tous les jours. Il faut savoir que, dans les années 1970, le gouvernement du Québec, dans sa politique d’aménagement du territoire, avait décidé de fermer un certain nombre de villages et que cela avait entraîné une forte réaction populaire avec, à sa tête, ceux que l’on a appelé les «curés rouges» dans le cadre d’une série d’actions baptisées «Opérations Dignité»8.

L’aménagement du territoire consiste à mettre en valeur et à gérer de façon rationnelle les ressources d’une région donnée. La notion de ressources est ici importante puisqu’elle a été appliquée à la gestion des langues : dans cette perspective, les langues ne sont plus considérées comme des problèmes ou des sources de problèmes à résoudre mais comme des ressources que l’on doit exploiter de façon rationnelle dans le cadre d’une économie de marché. Tout comme l’aménagement du territoire, l’aménagement linguistique suppose une planification à moyen et à long terme pour exploiter les ressources que sont les langues, y compris, bien évidemment, la langue que l’on veut établir comme langue commune des relations entre les citoyens et dont les ressources ne sont pas seulement à exploiter mais souvent à développer (comme la terminologie française au Québec ou le langage administratif en catalan et en basque). Ne cachons pas que, malgré le changement d’appellation, il s’agit toujours de dirigisme mais de nature plus consensuelle puisqu’il réclame l’adhésion et la participation des citoyens pour orienter l’évolution linguistique de la société.

Pour donner trois derniers exemples de l’importance du contexte socio-historico-politique et des effets de mode dans la dénomination de l’intervention humaine sur les langues et sur les relations entre les langues, je rappellerai simplement que, dans l’Union soviétique occupée à bâtir de socialisme, l’ex-Page 100pression utilisée en russe était «qÁûêîvoe stpoèteëüctâo», littéralement «construction linguistique». Je mentionnerai aussi le fait que des collègues canadiens-anglais, lors d’une réunion en 1986, avaient traduit aménagement linguistique en language management, qu’ils trouvaient une expression vraiment extraordinaire. Or, cela coïncidait avec la vogue, dans les universités canadiennes, des cours de gestion (management). Enfin, en Catalogne, la normalisation linguistique est évidemment liée à la normalisation de la vie politique dans le contexte post-franquiste.

Ces réflexions sur la préhistoire, en quelque sorte, de la notion de language planning aident à comprendre l’importance de la révolution épistémologique introduite dans ce champ de l’activité humaine par la distinction statut-corpus proposée en 1969 par Heinz Kloss9 – distinction très peu mise en valeur et presque dissimulée dans une courte publication proposant un programme de recherches centrées autour de la question du bilinguisme de masse. Kloss propose de parler de «planification du corpus», corpus planning, quand «un organisme, une personne ou des groupes de personnes visent un changement au niveau de la forme ou de la langue elle-même en proposant ou en imposant soit l’utilisation de nouveaux termes techniques, soit des changements en matière d’orthographe, soit encore un nouvel alphabet10» (traduction); ainsi que Kloss le fait lui-même remarquer, ce type d’intervention touche la nature même d’une langue. Par opposition, la «planification du statut», status planning, est une intervention humaine qui porte sur l’aspect social de la langue, sur la position d’une langue par rapport aux autres langues11.

On peut donc dire que, depuis l’opuscule de Kloss de 1969, l’histoire de l’aménagement linguistique a complètement changé : avant 1969 prévalait ce que l’on pourrait appeler le «modèle des académies de langue» et après cette date s’impose un modèle prenant de plus en plus son inspiration dans lesPage 101 sciences sociales12. Juan Cobarrubias décrit ainsi l’opposition entre ces deux modèles :

The language academy paradigm operates on the assumption that a single simple model is sufficient to solve practically all language planning problems. Whereas the social science paradigm operates on a multi-theoretical and multidisciplinary approach to problem solving, which takes into consideration extralinguistic variables and social forces that affect language change and attempts to formulate testable hypotheses in order to predict the future chain of events13.

Quant à la dichotomie status planning – corpus planning, elle a été rendue en français, un peu trop littéralement selon nous, par les expressions «planification ou aménagement du statut» et «planification ou aménagement du corpus» ou «aménagement de la langue (elle-même)». En fait, l’aménagement du statut relève de la politique entendue au sens large et on pourrait très bien rendre language status planning par «politique linguistique». En ce qui concerne la traduction de corpus planning, on ne voit pas très bien comment l’expression «aménagement de la langue», censée désigner une des deux parties de l’aménagement linguistique, se distingue de l’aménagement linguistique lui-même puisque «linguistique» est l’adjectif dérivé de «langue» : à l’observateur ordinaire, «aménagement de la langue» et «aménagement linguistique» apparaissent plutôt comme des synonymes. Quant au terme «aménagement du corpus», il présente un autre inconvénient, celui d’utiliser le mot «corpus» dans un sens jusque-là inhabituel en linguistique : en effet, «corpus» est, selon le Petit Robert, l’«ensemble limité des éléments (énoncés) sur lesquels se base l’étude d’un phénomène linguistique». Le Dictionnaire de linguistique de la maison Larousse ajoute la précision suivante : «Le corpus luimême ne peut pas être considéré comme constituant la langue [...], mais seulement comme un échantillon de la langue». Nous proposons donc de délaisser l’expression «aménagement du corpus» au profit d’«aménagement du code» mais, pour ne pas trop chambarder les usages, nous maintiendrons l’ap-Page 102pellation «aménagement du statut» même si le terme «politique linguistique» pourrait tout aussi bien faire l’affaire.

Ce que l’on entend par «aménagement du code» est probablement plus clair que l’expression «aménagement du statut». Nous avons d’ailleurs déjà donné les définitions de Heinz Kloss. Nous nous contenterons donc d’ajouter simplement le schéma suivant basé sur le modèle proposé par Einar Haugen en 198314.

Aménagement du code

  1. Sélection : choix de la norme

  2. Codification de la norme

  3. Implantation de la norme

  4. Élaboration : modernisation de la langue, adaptation à de nouveaux contextes

Quant à l’«aménagement du statut», il désigne essentiellement ce que l’on est convenu d’appeler la gestion de la répartition fonctionnelle des langues. Pour préciser ce point, nous citerons la liste des dix fonctions que donne Juan Cobarrubias15 et qui, selon lui, sont suffisantes pour qu’un programme d’aménagement linguistique soit efficace :

F1 Usage juridique et officiel

F2 Éducation

F3 Administration publique

F4 Industrie et commerce (monde du travail)

F5 Médias

F6 Religion et usage cérémoniel

F7 Sécurité publique

F8 Santé publique

F9 Loisirs

F10 Famille et relations interpersonnelles

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Je reviendrai plus loin, lorsqu’il sera question des perspectives d’avenir, sur cette gestion de la répartition fonctionnelle des langues.

Depuis une quinzaine d’années on a vu apparaître en aménagement linguistique un nouveau paradigme, celui de l’écologie des langues. Il faut bien avouer que, dans la mesure où l’on gère les langues d’abord comme des ressources, on ne peut plus faire l’impasse sur l’écologie.

3. L’écologie des langues dans la perspective de l’aménagement linguistique

Dans un premier temps, je dirai qu’il convient d’être prudent dans les métaphores que nous empruntons à la biologie. Car ne risquons-nous pas d’être victimes de ces métaphores ?

Rappelons qu’au XIXesiècle, la linguistique a emprunté à la biologie, dans la foulée des travaux de Charles Darwin16 .

C’est ainsi qu’à l’arbre généalogique des espèces a correspondu l’arbre généalogique des langues indo-européennes de August Schleicher (Compendium der vergleichenden Grammatik der indogermanischen Sprachen, 1861-1862). Ce dernier adopte le principe qu’une langue se comporte comme tout être vivant et il reprend à August von Schlegel sa typologie tripartite des langues, le type analytique (comme le chinois), le type synthétique (latin ou grec), le type agglutinant (inuktitut). La hiérarchisation implicite des langues qu’implique cette tripartition est encore plus manifeste dans son avatar guillaumien, où l’on parle de langues primes, secondes et tierces. On est ainsi conduit insensiblement à la notion de langues supérieures, quand ce n’est pas de races supérieures. On sait tous les dérapages que cette conception a entraînés lorsqu’elle a été récupérée par des idéologues.

Le recours aux métaphores biologiques connaît de nos jours une recrudescence, en particulier, je dirais, depuis la publication, en 1981, du livre de Nancy Dorian, Language Death : The Life Cycle of a Scottish Gaelic Dialect.

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Récemment, Daniel Nettle a introduit le concept de «language pool» comme on parle de «gene pool». Dixon a, pour sa part, emprunté à la biologie évolutionniste le concept de «higly-punctuated equilibrium». David Crystal a ajouté, lui aussi, une métaphore à notre stock lexical : language suicide. La linguistique et la biologie sont maintenant si intimement liées pour certains que des auteurs comme Nettle et Romaine utilisent l’expression «biodiversité linguistique» — linguistic biodiversity ; quant à lui, le groupe Terralingua utilise l’expression biocultural diversity (ce qui inclut la langue). La variation linguistique se trouve ainsi assimilée à la variation génétique.

Deux questions doivent être posées ici : au delà d’intuitions vagues, la diversité linguistique est-elle de même nature que la biodiversité ? Et quel lien existe-t-il entre biodiversité et diversité linguistique ? Il se peut que le lien ainsi établi soit irrationnel17. En effet, dans un système écologique, un changement en entraîne normalement d’autres; la disparition d’une espèce bouleverse un écosystème, mais la disparition du dalmate (végliote) au XIXesiècle n’a pas produit de déséquilibre mettant en danger le croate, entraînant la disparition d’autres langues romanes ou la disparition de la faculté langagière des personnes habitant la région18.

À part le fait que les langues, la faune et la flore disparaissent à un rythme accéléré, qu’ont-elles d’autre en commun ? Peut-on mettre sur le même pied la couche d’ozone, les bébés phoques et les langues19, le projet de déclaration universelle des droits linguistiques et le Protocole de Kyoto ? Pour Daniel Nettle et Suzanne Romaine, les langues autochtones sont associées à la diversité biologique — tout comme pour Tove Skutnabb-Kangas20. La disparition des langues est-elle vraiment un symptôme d’une crise écologique mondiale?

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Pour David Harmon, il y a coïncidence dans la richesse endémique des espèces et celle des langues21. Mais soulignons-le : il s’agit d’une intuition, non d’une démonstration scientifique.

En d’autres termes, tout comme il y a eu des dérives lorsque la linguistique s’est trop inspirée de la biologie — dérives qui ne sont pas tellement le fait des linguistes eux-mêmes mais d’idéologues racistes qui ont «récupéré» leurs travaux —, on doit se demander s’il y a des risques de dérapage dans la mode actuelle voulant que la linguistique emprunte des concepts à l’écologie.

Par ailleurs, il faut s’attarder un peu sur la notion même de diversité linguistique, que j’envisagerai sous deux angles : d’une part, la crainte d’une perte de la diversité linguistique par suite de la disparition prévue de plusieurs langues au cours du présent siècle ; d’autre part, et ce point n’est pour ainsi dire jamais soulevé, la possibilité d’une évolution vers une homogénéisation entre les langues.

4. La crainte d’une diminution de la diversité linguistique

L’un des deux thèmes du Congrès international des linguistes tenu à Québec en août 1992 a été les langues menacées de disparition. Deux publications majeures ont précédé le congrès : un état des lieux préparé sous l’autorité du Comité international permanent des linguistes22 et une série d’articles dans la revue américaine Language. Tout le monde connaît les prévisions qui ont alors été faites : plus de 90 % des langues parlées dans le monde risquent de disparaître sur une période d’un siècle.

Cette prévision n’a d’ailleurs rien pour surprendre puisque nous sommes en plein processus de mondialisation. Rappelons ce qu’écrivait Meillet il y a près d’un siècle : «L’unité de civilisation tend à exiger l’unité de langue»23.

(Je ne vous cacherai pas que j’aime beaucoup le livre de Meillet Les langues dans l’Europe nouvelle, écrit au lendemain de la 1re Guerre mondiale, car ilPage 106 m’apparaît être le premier ouvrage de réflexion sur ce que nous appelons maintenant l’aménagement linguistique.)

Et c’est, bien évidemment, la langue de la mondialisation qui cause le plus de dégâts, comme plusieurs se plaisent à le rappeler24. On doit toutefois se demander si la thanatophobie actuelle ne cache pas en réalité une anglophobie25.

Je suis perplexe quand j’entends utiliser cette crainte de la disparition des langues dans la défense du français. Car le français – comme le castillan et d’autres langues – n’a jamais été autant parlé qu’à l’heure actuelle. J’irai même plus loin : en France même, le français n’a jamais été autant parlé qu’à l’heure actuelle, tant en nombre qu’en proportion. Au Québec, les dernières données indiquent que 81,8 % de la population a le français comme langue d’usage à la maison et, en 2006, la connaissance du français atteignait 94,3 %26 : malgré les inquiétudes légitimes que suscite la situation linguistique de la région de Montréal, il faut donc raison garder. Quand on parle de déclin du français, il s’agit dans la plupart des cas d’une diminution de son usage comme langue internationale au profit de l’anglais.

Par ailleurs, l’on ne s’entend pas sur l’ampleur de la diversité linguistique actuelle. Des estimations, que je qualifierai de conservatrices, font état de l’existence de 4 000 langues27. La plupart des estimations varient entre 5 000 et 7 000. Mais pour David Dalby, la diversité linguistique serait plus grande que ce qu’imaginent les linguistes : il y aurait actuellement 10 000 langues et le taux de disparition serait moindre que ce que l’on a estimé28. Malgré tout le crédit qu’on leur accorde dans certains milieux, les chiffres du Summer Institute of Linguistics, qui sont eux aussi très élevés, me semblent sujets à cau-Page 107tion. Mais, quoi qu’il en soit, les évaluations de la diversité des langues vont du simple au double.

Y a-t-il vraiment des avantages à maintenir la diversité linguistique actuelle?

Rares sont les linguistes qui ont essayé de montrer que l’assimilation linguistique – la substitution – pouvait être une bonne chose — après tout, il est difficile de souhaiter la disparition de son objet d’étude. On peut toutefois citer le cas de Peter Ladefoged, qui se refuse à condamner les parents qui ne transmettent pas leur langue ancestrale à leurs enfants29.

Dans son livre Le marché aux langues, les effets linguistiques de la mondialisation, Louis-Jean Calvet exprime une opinion qui va dans le même sens :

Si des locuteurs ou des communautés linguistiques se plient à la loi du marché, si certains abandonnent leur langue, ne la transmettent plus, ce n’est pas nécessairement le couteau sous la gorge mais plutôt parce qu’ils considèrent que là est leur intérêt ou celui de leurs enfants30.

Pour la quasi totalité des linguistes cependant, c’est une vérité de foi que la diminution du nombre de langues parlées sur la terre est en soi une chose mauvaise. Mais pourquoi est-ce mauvais ?

Si la diversité est utilisée comme argument dans la défense des langues, jusqu’à quel point l’utilisation de pareil argument est-elle justifiée dans la défense du français, la plus germanique des langues romanes, face à l’anglais, la plus romane des langues germaniques? Du point de vue de la diversité toujours, comment justifier le combat pour la survie du rhéto-romanche ou de l’occitan? Après tout, la disparition de l’une de ces langues ne signifierait qu’une langue romane de moins et on voit mal en quoi la diversité linguistique profonde de l’humanité en serait affectée. L’argument de la diversité a pour conséquence extrême la défense prioritaire des langues les plus «exotiques», c’est-à-dire des langues qui s’éloignent typologiquement le plus des langues les plus répandues. Pour pousser l’argument à l’extrême,Page 108 on devrait dire que la sauvegarde du dyirbal, langue australienne à l’ergativité si envahissante qu’elle affecte même sa syntaxe, devrait passer avant la sauvegarde du basque, langue elle aussi ergative (je suis conscient de faire de la provocation). À ce compte, les langues qu’il faudrait sauver à tout prix seraient la plupart du temps celles qui comptent le moins de locuteurs. Pour ce faire, on ne peut tout de même pas envisager de transformer les locuteurs de ces langues en réserves linguistiques ambulantes, on ne peut songer à établir l’équivalent humain des réserves fauniques (même si l’histoire nous en a fourni des exemples : les «réductions» des jésuites au XVIIIe siècle illustrées dans le film Mission, les réserves indiennes et, naguère encore, les bantoustans).

(On peut cependant envisager tout à fait raisonnablement une dévolution plus systématique et plus universelle de certains pouvoirs, notamment en matière culturelle et en matière de gestion des ressources naturelles, à des autorités locales ou régionales.)

Je ferai plus loin une proposition de plaidoyer en faveur de la diversité linguistique qui tient compte de ce genre d’objections.

5. L’homogénéisation entre les langues

Je vais tenter de montrer dans cette partie que les langues tentent de plus en plus à se ressembler les unes les autres. Cela n’est pas évident pour le commun des mortels.

De nos jours, en effet, l’évolution, avec ou sans intervention consciente, me semble plutôt aller dans le sens de l’homogénéisation. Pour le montrer, il faut avoir recours à ce que l’on appelait jadis la grammaire comparée et c’est ce qui explique pourquoi je me référerai aux travaux d’Antoine Meillet sur l’évolution des langues indo-européennes.

Le plaidoyer pour le maintien de la diversité linguistique ne peut aller à l’encontre de l’évolution naturelle des langues ni de leur modernisation, cette dernière impliquant une intervention humaine consciente.

L’évolution naturelle des langues fait en sorte que certaines structures, qui ajoutent à la diversité, tendent à disparaître. Je rappellerai l’exemple maintes fois présenté par Antoine Meillet de la disparition, au cours de l’évolution des langues indo-européennes, de catégories linguistiques comme le duel et le triel. Ces catégories morphologiques étaient jugées par lui archaïques, et leurPage 109 disparition était interprétée comme une manifestation de l’intellectualisation31 de la langue, donc un progrès pour l’esprit humain.

On pourra faire valoir que de nouvelles langues apparaissent. On pense d’abord à l’apparition de nouvelles langues «par élaboration» — «Ausbausprachen» pour reprendre la terminologie de Heinz Kloss. Meillet, à la fin de la Première Guerre mondiale, affirmait que la langue slovène était une création artificielle de l’administration autrichienne pour diviser les populations slaves. L’administration soviétique a voulu faire du moldave une langue différente du roumain et séparer le tadjik du persan. On a créé à partir de 1945 la «langue macédonienne»32. On a aussi des exemples tout récents : la séparation du tchèque et du slovaque, du serbe, du croate et du bosniaque. Cette séparation est due avant tout à l’esprit de clocher dans le cas du tchèque, du slovaque, du serbe et du croate alors que dans le cas du bosniaque, il faudrait sans doute plutôt parler de l’esprit de minaret.

L’évolution naturelle peut aussi faire apparaître de nouvelles langues. Alors que les langues disparaissent par dizaines voire par centaines, c’est un fait que peu de nouvelles langues apparaissent, car la genèse d’une langue est un processus lent. Les cas les plus clairs de nouvelles langues sont les créoles et les pidgins. Mais qu’apportent-ils vraiment à la diversité linguistique puisqu’ils constituent un croisement entre des langues qui existent déjà et sont bien décrites dans la plupart des cas ? On peut donc légitimement se demander si cela accroît vraiment la diversité linguistique. Je citerai un cas qui a été mis en lumière par Lynn Drapeau, celui du montagnais33, qui serait en train de vivre le même processus le relexification du vocabulaire nominal qui a produit le mitchif (créole franco-cri de l’Ouest canadien). Les emprunts massifs au français dans les jeunes générations de Montagnais ont comme ré-Page 110sultats une réduction marquée des compétences lexicales, le recours à l’hyperonymie, la réanalyse de la sémantique lexicale et la dérive lexicale34. D’un côté, il s’agit donc d’un cas typique de langue en voie de disparition où on voit les symptômes de l’atrophie linguistique. D’un autre côté, mais j’avoue que cette interprétation est peu vraisemblable dans les conditions socio-économiques qui sont celles du montagnais, ce pourrait être l’apparition d’une nouvelle langue, d’une langue hybride ; on ne peut manquer ici de faire le parallèle avec l’histoire de l’anglais après la Conquête anglo-normande. Je ne poursuivrai pas avec l’exemple montagnais car cela m’amènerait à sortir des limites de ma conférence mais je me contenterai de noter que l’évolution actuelle de la langue chez les jeunes générations de locuteurs démontre une diminution de l’originalité de la langue, donc une déperdition du point de vue de la diversité linguistique.

Rien dans ce que nous avons vu jusqu’à présent ne contribue donc à une plus grande diversification du patrimoine linguistique de l’humanité.

Les considérations que je vais maintenant développer s’inscrivent dans le thème de la modernisation des langues, ou de la réforme des langues pour reprendre le titre de la série de volumes publiés par István Fodor et Claude Hagège. Cette modernisation, il faut bien en être conscient, peut être bien plus qu’une simple adaptation lexicale. Mais je me contenterai d’illustrer mon propos à partir du phénomène de l’emprunt des formes linguistiques.

Disons tout de suite que je ne compte pas insister beaucoup sur les emprunts lexicaux proprement dits. Dans une perspective historique, les emprunts lexicaux massifs ne touchent guère la structure de la langue35. À titre d’exemple, Meillet disait de l’arménien : «L’importance de l’élément iranien, dans le vocabulaire, est telle qu’on a pris longtemps l’arménien pour un dialecte iranien36.» Au Québec, l’anglicisation massive du vocabulaire de la langue de travail n’a pas empêché en 1972 la commission Gendron de conclure quand même qu’une majorité de Québécois travaillaient en français – constatation qui, évidemment, a suscité un tollé (je vous annonce tout de suite que je par-Page 111lerai en conclusion de l’importance de tenir compte, en aménagement linguistique, de ce genre de réactions).

Je n’insisterai pas non plus sur les emprunts sémantiques, me contentant d’en offrir un exemple et de rappeler que le phénomène est très répandu : en informatique, angl. mouse, fr. souris, cat. ratolí, etc. À cela j’ajouterai que la première étape de la francisation des entreprises au Québec s’est accompagnée d’un recours massif à la traduction37. J’ai déjà montré le lien qui existait entre la disparition des anglicismes lexicaux et la hausse des emprunts sémantiques38 :

[GRAPHIQUES NE SONT PAS INCLUS]

Plus intéressants m’apparaissent les emprunts phraséologiques : prendre part se traduit littéralement en anglais to take part, en allemand teilnehmen, en russe «prunumatü uhactue», en hongrois részt venni; et le français contemporain offre de multiples exemples de calques de l’anglais: ce n’est pas ma tasse de thé, garder un profil bas, etc.

J’insisterai davantage sur les calques proprement dits parce qu’ils sont plus difficiles à détecter et parce qu’ils ont joué un rôle essentiel dans l’élaboration39 des langues européennes :

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lat. qualitas

Autre exemple :

(fr., angl.) inter-nation-al

(hgr.) nemzet-köz-i (= nation + entre + suffixe adjectival)

(r.) me"äó-íàpoä-íûé (= entre + nation + suffixe adjectival)

Ces exemples aident à comprendre les réticences de Meillet devant l’apparition de nouvelles langues standard en Europe, de nouvelles «langues de culture» comme on disait à l’époque, parce qu’elles étaient, selon lui, vouées à devenir le calque des langues standard qui existaient déjà, en d’autres termes parce qu’elles n’enrichissaient pas la diversité linguistique de l’humanité, se contentant de se copier les unes les autres.

Il n’y a jamais eu plus de langues écrites différentes qu’au début du XXesiècle; et il n’y a jamais eu moins d’originalité linguistique. Avec des mots différents et des formes grammaticales différentes, toutes ces langues sont les calques les unes des autres. On n’a pas enrichi le trésor intellectuel de l’humanité; on a multiplié des manières banales de dire les mêmes choses40.

Les langues modernes, qui servent pour une même civilisation, se traduisent de plus en plus exactement les unes les autres : on retrouve partout des tours semblables et équivalents, et le profit intellectuel qu’un Européen occidental trouve à étudier la langue de ses voisins diminue au fur et à mesure que cette langue se borne davantage à exprimer la civilisation actuelle41.

Les commentaires de Meillet sur les nouvelles langues standard de l’Europe, en particulier sur le hongrois, lui ont valu une réplique cinglante de la part de l’un des plus grands écrivains hongrois, Dezso´´Kosztolányi. Il faudrait citer au complet la lettre ouverte de Kosztolányi parce que cet auteur est sans doute le premier à avoir exprimé aussi clairement beaucoup d’arguments que nous entendons maintenant dans le débat sur la diversité linguistique et la mondialisation. Je ne retiendrai que cette citation : «[...] la vie ou la mort [des peuples et des langues] ne dépend pas des linguistes rationalistes, soucieux du bonheur de l’humanité, mais de forces irrationnelles, plus miséricordieuses.42» (EnPage 113 conclusion, j’aurai l’occasion de revenir sur les réactions que suscite ce que Monica Heller appelle le savoir expert.)

Par ailleurs, j’ajouterai que, si la faculté de langage est innée, comme le veut Chomsky, s’il existe une grammaire universelle et si, en définitive, les langues du monde proviennent toutes de la même langue-mère, comme le veut la thèse monophylogénétique de Merritt Ruhlen43, cela n’invite-t-il pas à relativiser la notion de diversité linguistique44 ?

Cela étant, je crois qu’il faut aussi trouver des bases autres que linguistiques ou écologiques pour appuyer le plaidoyer en faveur de la diversité linguistique.

6. Quels plaidoyers pour promouvoir la diversité linguistique ?

Même si ce n’est pas le mien, je crois qu’il faut respecter le point vue philosophique de ceux qui croient que la préservation de la diversité linguistique n’est ni nécessaire ni désirable. Cela implique que l’on doit respecter le choix de ceux qui décident de ne pas transmettre leur langue à leurs enfants ou qui décident dans leur vie adulte de changer de langue.

Une fois ce principe posé (mais qui est lourd de conséquences pour les politiques linguistiques), je me demande si le plaidoyer le plus valable en faveur de la diversité linguistique n’est pas un plaidoyer d’ordre éthique, qui pourrait se formuler plus ou moins dans les termes suivants :

La survie des langues minoritaires contribue à redonner aux populations locales des choix, des outils de contrôle, des espoirs et un sens de la vie dont elles seraient privées si les forces majoritaires détruisaient complètement leur langue. Il n’est que juste que les unités sociales de base (familles, voisinages, écoles, associations, etc.) cherchent à fonctionner dans la langue que préfère la majorité de leurs membres, fût-ce une langue très minoritaire.

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À ceux qui se demandent s’il est vraiment important de préserver son identité d’origine, que le rejet de sa culture et de cette identité peut être dû à un manque de confiance en soi provoqué par la toute-puissance apparente de la majorité environnante, on peut objecter que l’acceptation de ce que l’on est peut ouvrir la porte à l’acceptation des autres cultures, alors que le rejet de son identité propre, aggravé par la perte de sa langue ancestrale, risque de mener tout droit à l’étroitesse d’esprit et à l’intolérance envers les autres. Sans compter l’apparition, bien documentée, de problèmes psycho-sociaux (chez les autochtones du Canada45, par exemple).

Présentée sous cet angle, la diversité ethnique et linguistique est donc beaucoup plus souhaitable que l’homogénéité culturelle.

On peut penser aussi à un plaidoyer basé sur la rentabilité économique : il est plus rentable pour les entreprises que leurs employés travaillent dans leur langue parce que cela accroît la productivité, la créativité et la satisfaction retirée du travail46, éléments clés dans une économie de plus en plus axée sur le savoir.

Il ne faut pas non plus oublier qu’on peut construire un plaidoyer basé sur le respect des droits des consommateurs. Évidemment, l’impact de ce plaidoyer est directement proportionnel au nombre de locuteurs, ce qui le rend moins attrayant dans le cas des langues qui sont peu parlées et qui sont, par conséquent, les plus menacées.

7. Les enjeux actuels

Dans cette partie, je voudrais aborder quelques thèmes d’actualité qui, me semble-t-il, continueront de s’imposer dans les années à venir. Je les aborderai à la fois d’un point de vue québécois et du point de vue de l’ancien coordonnateur du réseau Sociolinguistique et dynamique des langues de l’Agence universitaire de la Francophonie. Même si je prends soin de situer, d’entrée de jeu, mon «lieu de parole», je crois qu’avec les adaptations nécessaires mes remarques sont valables pour d’autres situations d’aménagement linguistique.

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7.1. Défense de la diversité linguistique et culturelle

Le thème de la défense de la diversité linguistique et culturelle continuera de s’imposer. Je sais bien que cette défense peut être perçue comme une manœuvre de la France pour tenter de conserver un prestige que sa langue et sa culture risquent de perdre ou sont en voie de perdre. Aussi faut-il clarifier la question par un rappel historique qui nous aidera à comprendre les enjeux véritables de la défense de la diversité culturelle. La France a été très active dans cette défense, particulièrement depuis l’Uruguay Round et lors des négociations de l’AMI (Accord multilatéral sur les investissements) ; dans ce dernier cas, la France et quelques pays de l’Europe se sont rendu compte que les produits culturels se retrouvaient à la même table de négociation que les autres biens et services et ils ont essayé d’inclure dans le projet d’accord des dispositions d’exemption pour protéger et subventionner le secteur culturel de chacun. À la suite de ces négociations et de la signature de l’accord de l’UNESCO sur la diversité culturelle, plusieurs croient aujourd’hui que la défense de la diversité culturelle résulte d’abord d’une initiative française. Mais il faut rappeler que la défense de l’exception culturelle n’est pas une invention française. C’est une invention canadienne. Et il faut l’avouer : non pas une invention des Canadiens francophones mais des Canadiens anglophones. Les premiers se croyaient à l’abri des pressions de la culture américaine à cause de leur langue, ce qui n’était évidemment pas le cas des seconds lorsque ont été négociés des accords de libre-échange avec les États-Unis d’Amérique (entrés en vigueur le 1er janvier 1989). L’accord de libre-échange nord-américain (ALENA), qui inclut le Mexique, prévoit lui aussi la protection du secteur des arts et de la culture.

L’exemple canadien montre bien que la défense de la diversité culturelle, puisqu’elle s’opère aussi à l’intérieur du monde anglophone, n’est pas du tout un autre épisode de ce que certains veulent appeler la guerre des langues.

Il faut aussi clarifier la portée de l’accord de l’UNESCO sur la diversité culturelle – accord à la signature duquel beaucoup d’efforts ont été consentis par le Québec, le Canada, la France et, depuis le Sommet de Beyrouth en 2002, toute la Francophonie. Cet accord pourrait malheureusement se révéler une victoire à la Pyrrhus dans la mesure où des ententes bilatérales conclues par les États-Unis pourraient en venir atténuer la portée. De plus, il faut prendre conscience des limites des actions actuellement menées en faveur de la diversité culturelle :

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— ces actions ne concernent pas toute la culture, mais uniquement une partie des industries culturelles ;

— elles ne touchent pas directement aux langues.

Je viens de mentionner que les Canadiens francophones étaient beaucoup plus en faveur des accords de libre-échange avec les États-Unis que les Canadiens anglophones parce qu’ils se sentaient protégés du seul fait qu’ils parlent une langue différente. C’est un point qui mérite considération. En effet, la langue constitue une barrière du point de vue économique ; en termes techniques, on parle de barrière non tarifaire. Et l’objectif des accords de libre-échange et de la mondialisation en général est de faire disparaître les barrières, qu’elles soient tarifaires ou non.

Ce n’est pas à un parterre de juristes que je vais expliquer une problématique aussi complexe puisqu’elle comporte de nombreux aspects juridiques. D’autant plus que vous savez tous que l’Union Européenne a apporté plusieurs exemples de jurisprudence où des cours de justice ont déclaré que les langues pouvaient être des barrières non tarifaires. Je me contenterai de conclure à l’importance de pouvoir disposer d’instruments juridiques internationaux pour protéger la diversité linguistique, quand ce ne serait que dans le but de protéger les consommateurs de biens économiques et culturels.

7.2. Langue et développement

Langue et développement ont partie liée et cette évidence devient criante dans les pays du Sud («pays du Sud» étant à entendre dans le sens qu’on lui donne dans les organisations internationales francophones).

Les travaux auxquels j’ai participé à titre de membre puis de coordonnateur du comité scientifique du réseau Sociolinguistique et dynamique des langues de l’Agence universitaire de la Francophonie ont en bonne partie porté sur les liens entre la langue et le développement. Nous avons considéré la gestion des langues comme des ressources dans la perspective des suites à donner aux états généraux sur l’enseignement du français en Afrique subsaharienne où les langues ont été présentées comme agents dans le développement durable.

Les Journées scientifiques des réseaux de langue de l’AUF et le colloque sur le développement durable, deux événements qui se sont tenus à Ouagadougou en 2004, ont abouti aux constatations suivantes :

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  1. Les langues sont la base du développement durable;

  2. On ne peut travailler isolément sur une seule langue, car aucune langue, aucune culture, aucune civilisation ne se suffit à elle-même;

  3. Par sa défense et sa promotion de la diversité linguistique, la Francophonie peut aider au développement;

  4. Le développement passe par l’éducation. Et l’éducation passe par l’aménagement linguistique.

Évidemment, la question que l’on doit se poser à la suite de ces constatations générales est la suivante : en quelle langue le développement peut-il, doit-il se faire ? Dans le cas de l’Afrique, dans une langue locale ou dans une langue internationale comme le français ou l’anglais ? En anglais, comme semble l’indiquer le Rwanda qui vient de décider de passer à l’anglais comme langue d’enseignement, plutôt qu’en français ? Sans répondre directement à ces questions, dont la réponse revient d’abord et avant tout aux populations locales, j’apporterai, dans les pages qui vont suivre, quelques éléments à considérer.

7.3. Le point de vue du citoyen

On commence à demander de considérer la langue du point de vue du locuteur-citoyen. Dans son livre La langue et le citoyen, le linguiste belge Jean-Marie Klinkenberg47 fait valoir que ce n’est pas l’usager qui doit respect à la langue, comme on le croit trop facilement au moins dans la tradition française ; au contraire, ce sont ceux qui la parlent qui doivent être l’objet de nos soins. Il y a là un changement de paradigme qu’on ne saurait sous-estimer et qui pourrait gagner en légitimité dans les années à venir.

Le point de vue des langues à sauvegarder – à sauvegarder à tout prix, pour certains – peut donc entrer en conflit avec la volonté de promotion sociale des locuteurs qui peuvent vouloir changer de langue : dans ces conditions, peuton sauvegarder les langues malgré la désaffection de leurs locuteurs, malgré la désaffection des parents qui ne procèdent plus à la transmission intergénéra-Page 118tionnelle de la langue, préférant, dans le meilleur des cas, en confier la responsabilité à l’école ?

7.4. Les jeunes générations

Les relations que les nouvelles générations entretiennent avec la langue qu’ils ont reçue en héritage sont en voie de mutation. Les jeunes, en effet, et cela est évident au Québec, n’ont plus la même motivation à lutter pour la langue que leurs parents et grands-parents. De plus en plus bilingues, surtout dans la région de Montréal, ils ont moins tendance à insister pour que, dans les commerces, on les serve en français.

Autre exemple, l’attitude normative traditionnelle des Québécois francophones se caractérisait par le rejet des anglicismes lexicaux. Cette attitude de rejet est devenue minoritaire chez les nouvelles générations48.

[GRAPHIQUES NE SONT PAS INCLUS]

Ces nouvelles attitudes qui se manifestent chez les jeunes ne sont évidemment pas dissociables du contexte actuel de mondialisation.

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7.5. Les relations avec l’anglais : une diglossie à gérer

Les rapports des langues avec l’anglais sont un élément incontournable d’une réflexion sur l’aménagement linguistique.

L’importance qu’a prise l’anglais comme langue de communication internationale, comme lingua franca, a amené plusieurs à affirmer qu’il s’agit d’une variété de langue à part, sans relation avec le prestige d’un groupe particulier (ou de groupes particuliers) de locuteurs natifs. Il s’agirait donc d’une langue n’appartenant à aucune nation puisqu’elle appartiendrait à tous ses usagers. Tous seraient égaux devant elle puisqu’il n’existerait pas de groupe idéal ou privilégié de locuteurs. Cette argumentation est aussi celle que l’on fait valoir dans la promotion de l’espéranto mais j’ai de la difficulté à en admettre la validité pour l’anglais. Quoi que l’on pense de ces arguments, il demeure que l’aménagement linguistique doit proposer des solutions pour gérer les rapports avec l’anglais.

Le linguiste mexicain Rainer Enrique Hamel49 a proposé un modèle de gestion de la diglossie adapté aux langues de la science. On sait que l’un des enjeux du monopole exercé par l’anglais comme langue de publication en sciences est la déperdition des moyens d’expression (pas seulement du point de vue de la terminologie, faut-il le noter) que cette situation peut entraîner pour d’autres langues.

Le Québec, dans ses lois linguistiques, a déjà, lui aussi, proposé une façon de gérer les rapports entre l’anglais et la langue nationale.

Je crois pour ma part qu’il faut poursuivre la réflexion sur cette lancée et l’étendre à d’autres domaines. Il faudra aussi bien préciser les objectifs à atteindre : beaucoup trop souvent on vise une compétence de locuteur natif alors que qu’une compétence de métier en anglais (une compétence adaptée aux exigences de son travail) pourrait suffire.

La gestion de la diglossie nécessitera la mobilisation d’acteurs sociaux autres que gouvernementaux. Je pense ici, entre autres, aux universités50 (pour ce quiPage 120 est de la langue des sciences) et aux syndicats. Ces derniers ont été très pro-actifs au Québec et, depuis quelques années, leur action a commencé à se faire sentir dans un pays comme la France (cf. arrêt GEMS de 2006).

7.6. Les problèmes posés par le politiquement correct

Je voudrais aussi mentionner un phénomène qui n’a peut-être pas touché encore la Catalogne mais qui s’est manifesté à plusieurs reprises au Québec ces dernières années : les tabous produits par la vague du politiquement correct, qui ont atteint certains organismes de l’État et qui ont une influence sur les travaux des chercheurs en aménagement linguistique (plus particulièrement sur les chercheurs qui ont comme mission de faire la collecte de données sociolinguistiques et démographiques). C’est ainsi qu’on a remis en cause la légitimité de recueillir des données sur des variables comme la langue maternelle et la langue parlée à la maison sous prétexte que l’État n’a pas à intervenir dans des domaines qui regardent la vie privée. Pour l’instant, ce nouveau tabou ne touche que la langue, car on ne pousse pas la logique jusqu’au bout en demandant d’abandonner la collecte de données sur le tabagisme ou sur le nombre d’avortements51. Pour les tenants de cette position, les seules données que l’on peut légitimement collecter concerneraient la langue d’usage public. L’ancien président du Conseil des relations interculturelles a demandé que l’on cesse de collecter des données sur la langue maternelle et la langue parlée à la maison. Même le Conseil supérieur de la langue française a flirté avec cette idée pendant une dizaine d’années mais il a récemment fait marche arrière.

Le premier objectif d’une démarche d’aménagement linguistique devrait être d’assurer la transmission intergénérationnelle de la langue et, pour s’en assurer, il est essentiel de disposer de statistiques sur la langue maternelle et la langue parlée à la maison. Or, on remet en cause la légitimité du travail des chercheurs qui veulent suivre l’évolution de la situation linguistique en les empêchant de poser des questions sur certaines situations de parole.

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7.7. Norme et identité locale

Le dernier point que je voudrais soulever avant de conclure est celui de la norme, plus exactement la légitimation d’une norme locale ou nationale par opposition à une norme de type international ou suprarégionale. On sait que le processus actuel de mondialisation s’accompagne d’une revalorisation des identités locales. Je ne parlerai de cette question que du point de vue du Québec. Et, comme vous le constaterez, cela amène à poser la question de la diversité linguistique sous un autre angle.

Il y a quelques mois une proposition a été présentée aux instances d’un parti politique pour faire de «la langue québécoise standard parlée et écrite» la norme de la langue qui devrait être enseignée dans les écoles. Cette proposition, qui recueille l’adhésion d’un certain nombre de linguistes, particulièrement de linguistes ayant une certaine influence dans les officines gouvernementales, a été décriée dans les médias et le parti en question a fait marche arrière. On a alors fait valoir que l’imposition d’une norme proprement québécoise pouvait être une mesure de discrimination à l’encontre des anglophones et des allophones puisque si, maintenant, la majorité des immigrants ont dès avant leur arrivée une connaissance du français, il s’agit de la variété dite, faute de mieux, «internationale» du français et non du vernaculaire québécois52.

Je ne jetterai pas le manteau de Noé sur un certain nombre de questions que les Québécois hésitent à traiter devant des étrangers :

— Les séries télévisées québécoises achetées par la France sont souvent doublées ou sous-titrées en partie quand on ne procède pas à un nouveau tournage53 ; je vous avouerai que moi-même, pourtant locuteur natif de la variété québécoise, n’ai pas compris la moitié d’un film québécois récent54.

— Une étude de l’Office québécois de la langue française a montré que les fu-Page 122turs enseignants, y compris les futurs enseignants de français, sont loin d’être des modèles de langue parlée55.

— Les problèmes de compréhension de la variété québécoise par les autres francophones sont maintenant documentés par les résultats des travaux d’une équipe de recherche dirigée par Marie-Louise Moreau (Université de Mons-Hainaut)56 ; la figure suivante illustre un des résultats de cette recherche :


1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Aud
Bel Bel Fra Sui Sui Bel Fra Qué Tun Sén Qué
Fra Bel Sui Fra Sui Fra Sén Bel Tun Qué Qué
Sui Sui Bel Fra Sui Fra Bel Sén Qué Tun Qué
Qué Qué Bel Fra Sui Qué Sui Bel Fra Tun Sén
Sén Sén Sui Bel Fra Fra Qué Bel Sui Tun Qué

Notes . Question posée : «Dans quelle mesure estimez-vous que le langage de ces personnes est compréhensible ?» Les lignes indiquent le classement accordé par les «juges» ou auditeurs de chacun des pays de l’enquête aux enregistrements qu’on leur faisait écouter. En caractères italiques, les personnes enregistrées sont titulaires d’un doctorat (scolarité longue) ; en caractères romains, les personnes enregistrées ont poursuivi leurs études jusqu’en 2esecondaire (scolarité courte) : les locuteurs québécois à scolarité longue sont signalés par les caractères italiques et gras. Aud = auditeurs ; Bel = Belgique ; Fra = France ; Sui = Suisse ; Qué = Québec ; Sén = Sénégal ; Tun = Tunisie.

La question du choix d’une norme locale ou d’une norme plus internationale dépasse le cadre du français et du Québec puisqu’elle est d’actualité dans d’autres aires linguistiques.

Dans une communication récente qu’il faisait à Québec57, David Graddol constatait, après bien d’autres, l’apparition de normes locales de l’anglais, lesPage 123 «new Englishes». Mais il faudrait voir jusqu’à quel point ces variétés locales sont en voie de se stabiliser. J’ai des doutes, à partir d’un enregistrement que Graddol lui-même a fait entendre : il s’agissait d’une femme travaillant dans un centre d’appels (call centre), en Inde ou aux Philippines, et qui déclarait vouloir «neutraliser» son accent. Il y aurait donc un idéal normatif qui transcenderait les normes locales de l’anglais.

Dans un ouvrage récent58, Raúl Ávila, du Colegio de Méjico, analyse les procédés mis en œuvre dans les telenovelas et dans les émissions des chaînes d’informations télévisées à vocation internationale pour produire un espagnol59 d’audience universelle, ce qu’il appelle «el español del futuro, una lengua sin fronteras dialectales60». Je ne peux que constater qu’au Québec, cette préoccupation n’a pas encore rejoint les auteurs de téléromans et de films.

8. Conclusion

En terminant, je voudrais mentionner un dernier point : les réactions du grand public à ce que Monica Heller appelle le «savoir expert». Je donnerai quelques exemples de ces réactions.

Il y a d’abord la réaction, déjà mentionnée, de l’écrivain hongrois Dezso´´ Kosztolányi aux opinions savantes émises par Meillet sur l’opportunité d’un plus grand nombre de langues standard en Europe.

Il y a, au Québec, les réactions des parents montagnais insatisfaits du programme de bilinguisme transitionnel dans les écoles primaires (enseignement uniquement en montagnais pour commencer puis introduction progressive du français qui devient la langue principale d’enseignement à la fin du cours primaire). Ces parents, ignorants des avantages cognitifs et pédagogiques de l’enseignement dans la langue maternelle, ont demandé l’instauration d’une année de francisation avant l’entrée au primaire. Ce qui, évidemment, peut remettre en cause la survie de la langue ancestrale.

Comme autre exemple, je citerai les réactions d’incrédulité et de rejet face aux conclusions du rapport de la Commission Gendron sur la langue de travail auPage 124 Québec en 1972. Mais je pourrais aussi mentionner l’inefficacité de l’enseignement de l’anglais au Québec, le gouvernement ayant cédé aux demandes des parents d’un enseignement précoce de l’anglais, avec comme résultat un saupoudrage de quelques heures d’anglais à toutes les années du primaire plutôt qu’un enseignement plus intensif à la fin du primaire comme le recommandaient les spécialistes.

Je déduis de tout cela que la vulgarisation, le transfert des connaissances des spécialistes vers le grand public, est un aspect qui n’a peut-être pas encore été pris suffisamment en compte en aménagement linguistique. Mais peut-être mon diagnostic ne vaut-il que pour le Québec. À vous d’en juger.

Moltes gràcies.

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[1] Glyn WILLIAMS, «Language Planning or Language Expropriation ?», Journal of Multilingual and Multicultural Development 7/6, pp. 509-518.

[2] Denise DAOUST et Jacques MAURAIS, «L’aménagement linguistique», dans Jacques MAURAIS, dir., Politique et aménagement linguistiques, Québec et Paris, Conseil de la langue française et Éditions Le Robert, 1987, p. 39.

[3] Uriel WEINREICH, «Is a Structural Dialectology Possible ?», Word 14, pp. 388-400, repris dans J. FISHMAN (ed.), Readings in the Sociology of Language, La Haye, Mouton, pp. 305-319. Notons que c’est Weinreich qui aurait, pour la première fois, utilisé le terme language planning, dans l’intitulé d’un séminaire à l’université Columbia (selon A. K. SRIVASTAVA, «Language Planning in Multilingual Contexts : Educational and Psychological Implications», in E. ANNAMALAI, Björn H. JERNUDD, Joan RUBIN (eds.), Language Planning, Proceedings of an Institute, Manasagangotri et Honolulu, Central Institute of Indian Languages, Institute of Culture and Communication, 1986, p. 43).

[4] Einar HAUGEN, «Language Planning in Modern Norway», Anthropological Linguistics 1/3, pp. 8-21; repris dans J. FISHMAN, op. cit., pp. 673-687 : «By language planning I understand the activity of preparing a normative orthography, grammar, and dictionary for the guidance of writers and speakers in a non-homogeneous speech community» (p. 673).

[5] Qui demeure la plus célèbre quoiqu’elle n’ait pas été la première historiquement parlant : en effet, l’Académie de la Crusca a été fondée en 1582.

[6] Voir, par exemple, l’article de Paul GARVIN, «Le rôle des linguistes de l’École de Prague dans le développement de la norme linguistique tchèque» in É. BÉDARD et J. MAURAIS (ed.), La norme linguistique, Québec et Paris, Conseil de la langue française et Éditions Robert, 1983, pp. 152 et, dans ce dernier ouvrage, la traduction des textes des linguistes pragois Bohuslav Havránek et Vilém Mathesius. Pour être complet, ajoutons que la notion de «culture de la langue» avait été proposée auparavant, dans les années 1920, par des linguistes soviétiques, cf. par exemple l’ouvrage de G. O. VINOKUR, Kól;mura qzyka (cité par Claude HAGÈGE, «Voies et destins de l’action humaine sur les langues», dans I. FODOR et Cl. HAGÈGE, Language Reform, Sprachreform, La réforme des langues, Hambourg, Buske Verlag, 1983, t. 1, p. 21).

[7] Voir, à ce sujet, la critique de Juan COBARRUBIAS, «Language Planning Paradigms, Modes and Models of Language Construction and Reconstruction», dans C. PHILIPPONNEAU (ed.), Vers un aménagement linguistique de l’Acadie du Nouveau-Brunswick. Actes du symposium de Moncton, 3, 4 et 5 mai 1990, Moncton, Université de Moncton, Centre de recherche en linguistique appliquée, 1991, spéc. p. 106-108.

[8] Sur cet épisode, voir Charles BANVILLE, Les Opérations Dignité, Québec, Le Fonds de recherches forestières de l’Université Laval, 1977.

[9] Heinz KLOSS, Research Possibilities on Group Bilingualism : A Report, Québec, Centre international de recherche sur le bilinguisme, 1969.

[10] «Planning with regard to language is usually understood to mean that some agency, person, or persons are trying to change the shape or the corpus of a language by proposing or prescribing the introduction of new technical terms, changes in spelling, or the adoption of a new script. Occasionally (as in the case of Norwegian Bokmal) even changes in morphology may be initiated, new endings prescribed and a new gender admitted. These innovations have one thing in common, that they modify the nature of the language itself, changing its corpus as it were. We may thus speak of language corpus planning» (Heinz KLOSS, op. cit., p. 81).

[11] «There exists, however, another dimension of planning where one busies oneself not with the structure and form of language but with its standing alongside other languages or vis-à-vis a national government. [...] Here we can speak of language status planning» (Heinz KLOSS, loc. cit.).

[12] Cette distinction est inspirée d’un article de Juan Cobarrubias (voir note 7) dans lequel il oppose «language academy paradigm» et «social science paradigm» en aménagement linguistique. Cobarrubias précise : «The social science paradigm and the language academy paradigm are not entirely competing ones. In many respects, they are complementary» (p. 118). Précisons que Cobarrubias ajoute deux autres modèles, peu pertinents pour notre propos et que nous laisserons donc de côté : «internationalist paradigm» (création d’une langue universelle) et «logicistic-formalistic paradigm» (construction de langages comme dans la logique symbolique).

[13] Juan COBARRUBIAS, op. cit., p. 118.

[14] Einar HAUGEN, «The Implementation of Corpus Planning : Theory and Practice» dans J. COBARRUBIAS & J. FISHMAN (eds.), Progress in Language Planning : International Perspectives, La Haye, Mouton, 1983, pp. 269-289.

[15] Op. cit., pp. 119-120.

[16] «[...] comparing species and languages [...] has a venerable history. In biology, it goes back at least to Charles Darwin, whose enthusiasm is evident both in the Origin of Species and The Descent of Man, as well as in his praise of Sir Charles Lyell’s chapter comparing species and languages in the great geologist’s Antiquity of Man» (David HARMON, «Sameness and silence : Language extinctions and the dawning of a biocultural approach to diversity», Global Biodiversity (Canadian Museum of Nature) 8/3 (1998), p. 3).

[17] Comme le croit Peter Ladefoged : «Statements such as just as the extinction of any animal species diminishes our world, so does the extinction of any language [...] are appeals to our emotions, not to our reason. [...] We may also note that human societies are not like the animal species. The world is remarkably resilient in the preservation of diversity; different cultures are always dying while new ones arise.». Peter LADEFOGED, «Another view of endangered languages», Language 68/4 (1992), p. 810.

[18] Comme le constate Douglas A. KIBBEE, «Les géostratégies des langues et la théorie linguistique» dans Jacques MAURAIS et Michael A. MORRIS, Géostratégies des langues, Terminogramme 99-100 (automne 2001), pp. 69-80.

[19] Pour reprendre la formule de Louis-Jean CALVET, Le marché aux langues, les effets linguistiques de la mondialisation, Paris, Plon, 2002, p. 95.

[20] «Some Philosophical and Ethical Aspects of Ecologically Based Language Planning», dans : Annette BOUDREAU, Lise DUBOIS, Jacques MAURAIS et Grant McCONNELL, L’écologie des langues, Ecology of Languages, Mélanges William Mackey, Homage to William Mackey, Paris, L’Harmattan, 2002, pp. 69-102.

[21] «Endemism and richness in species and languages coincide on a national scale and this is strongly suggestive of a substantive relationship between the two.». David HARMON, «Sameness and silence : Language extinctions and the dawning of a biocultural approach to diversity», Global Biodiversity (Canadian Museum of Nature) 8/3 (1998), p. 7.

[22] R. H. ROBINS et E. M. UHLENBECK, Endangered Languages, Oxford et New York, Berg Publishers Ltd., coll. «Diogenes Library».

[23] Antoine MEILLET, Les langues dans l’Europe nouvelle, Paris, Payot, 1918, p. 332.

[24] Par exemple : «The United States and Canada are not far behind Australia in the language death stakes. Only three out of Canada’s 51 aboriginal languages are considered viable. Even the former Soviet Union — despite World War II and Stalinism — has a better language survival record than these three English-speaking leaders of the struggle for liberal democracy and human rights». John HAJEK, «Beware the encroaching sounds of silence», 12 février 2001, adresse URL: http://www.theage.com.au/books/2001/02/12/FFXV5Y213JC.html.

[25] C’est la question que pose Louis-Jean CALVET, Le marché aux langues. Les effets linguistiques de la mondialisation, Paris, Plon, 2002, p. 117.

[26] Office québécois de la langue française, Rapport sur l’évolution de la situation linguistique au Québec 2002-2007, Gouvernement du Québec, 2008, pp. 26 et 28.

[27] Bernard COMRIE, The World’s Major Languages, Oxford University Press, 1990, p. 2, qualifie ce chiffre de conservateur.

[28] British Council, Global English Newsletter 5 (1999), The English Company (UK) Limited.

[29] «It is paternalistic of linguists to assume that they know what is best for the community. One can be a responsible linguist and yet regard the loss of a particular language, or even of a whole group of languages, as far from a ‘catastrophic destruction’» (Peter LADEFOGED, «Another view of endangered languages», Language 68/4 (1992), p. 810).

[30] Louis-Jean CALVET, Le marché aux langues, les effets linguistiques de la mondialisation, Paris, Plon, 2002, p. 212.

[31] Ajoutons que les linguistes du Cercle linguistique de Prague, en particulier Bohuslav Havránek, ont utilisé la notion d’intellectualisation dans leur théorie des langues standard, mais dans un sens différent, celui de rationalisation; pour eux, l’intellectualisation touche le lexique et la syntaxe beaucoup plus que la morphologie.— Pour une présentation générale, voir Paul L. GARVIN, «Le rôle des linguistes de l’École de Prague dans le développement de la norme linguistique tchèque» dans É. BÉDARD et J. MAURAIS, La norme linguistique, Québec et Paris, Conseil de la langue française et Éditions Le Robert, 1983, pp. 141-152.

[32] Paul GARDE, Vie et mort de la Yougoslavie, Paris, Fayard, 1992, p. 89.

[33] Voir, par exemple, «Bilinguisme et érosion lexicale dans une communauté montagnaise», dans Pierre MARTEL et Jacques MAURAIS, Langues et sociétés en contact, Tübingen, Niemeyer, 1994, pp. 363-376.– Ajoutons que la tendance actuelle est plutôt d’utiliser l’auto-ethnonyme innu plutôt que montagnais.

[34] Lynn DRAPEAU, op. cit., p. 373.

[35] Dans l’exemple arménien qui va suivre, Meillet attribue l’absence du genre en arménien à un substrat caucasien. Il faut donc distinguer les conséquences du substrat des conséquences de l’emprunt. Mais ce dernier peut néanmoins modifier le système linguistique sur certains points (par exemple, en introduisant de nouveaux phonèmes).

[36] Antoie MEILLET, Esquisse d’une grammaire comparée de l’arménien classique, Vienne, Imprimerie des PP. Mékitaristes, 1936, p. 12.

[37] Robert DUBUC et Jacques MAURAIS, «Document d’orientation préparatoire au colloque ‘Traduction et qualité de langue’», Actes du colloque Traduction et qualité de langue, Québec, Conseil de la langue française, 1984, p. 219.

[38] Jacques MAURAIS, La langue de la publicité des chaînes d’alimentation, étude sur la qualité de la langue et sur l’implantation terminologique, Québec, Conseil de la langue française, 1984, p. 71.

[39] Dans le sens où Aurélien Sauvageot entendait ce mot : Aurélien SAUVAGEOT, L’élaboration de la langue finnoise, Société de linguistique de Paris, 1973.

[40] Antoine MEILLET, Les langues dans l’Europe nouvelle, Paris, Payot, 1918, pp. 275-276.

[41] Antoine MEILLET, op.cit., p. 302.

[42] Dezso´´ KOSZTOLÁNYI, «A magyar nyelv helye a földgolyón». Traduction française : «La place de la langue hongroise sur la planète», dans Éva TÓTH, Ma. Aujourd’hui. Anthologie de la littérature hongroise contemporaine, Budapest, Corvina, 1987, p. 38.

[43] Merritt RUHLEN, L’origine des langues, Paris, Belin, 1996.

[44] Mais cf. la remarque savoureuse de Gavin McNett : «Even if you believe, as Noam Chomsky does, that the ability to learn and use language is innate, it’s quite a different thing to say that languages themselves can be ‘ecological.’ It’s like saying that since sex is innate and natural, so are strip joints and S/M clubs: The basic impulses behind them might be present in all of us, but the forms in which they’re expressed depend on all sorts of complex cultural forces.» Compte rendu de Daniel NETTLE et Suzanne ROMAINE, Vanishing Voices : The Extinction of the World’s Languages, dans : http://www.salon.com/books/review/2000/08/17/nettles_romaine/.

[45] Cf. Jacques MAURAIS, «The Situation of the Aboriginal Languages in the Americas», in Jacques MAURAIS (ed.), Quebec’s Aboriginal Languages. History, Planning, Development, Clevedon (UK) et Philadelphie, Multilingual Matters Ltd., 1996, pp. 21-30.

[46] C’est ce qu’a tenté de démontrer le groupe Econosult, Étude sur les avantages et les coûts de la francisation, Montréal, Office de la langue française, 1981.

[47] Jean-Marie KLINKENBERG, La langue et le citoyen, Paris, Presses universitaires de France, coll. «La politique éclatée», 2001. Klinkenberg parle en fait en faveur du citoyen et contre la pression normative. Mais ce point de vue pourrait facilement être étendu au libre choix d’une langue par rapport à une autre.

[48] Jacques MAURAIS, Les Québécois et la norme. L’évaluation par les Québécois de leurs usages linguistiques, Office québécois de la langue française, 2008, pp. 40-42.

[49] Rainer Enrique HAMEL, «Les langues de la science : vers un modèle de diglossie gérable», dans J. MAURAIS et al., L’Avenir du français, Paris, Agence universitaire de la Francophonie et Éditions des Archives contemporaines, 2008, pp. 87-94. Pour une présentation en castillan : «El español como lengua de las ciencias frente a la globalización del inglés. Diagnóstico y propuestas de acción para una política iberoamericana del lenguaje en las ciencias», Congreso internacional sobre las lenguas neolatinas en la comunicación especializada, Unión Latina y El Colegio de México, México, D. F., 28-29 de noviembre de 2002.

[50] Un phénomène, peut-être inquiétant, se manifeste depuis plusieurs années : la multiplication, en Europe, de filières d’enseignement en anglais. Pour un état de la question, un peu vieilli malheureusement car la situation paraît évoluer rapidement : Ulrich AMMON et Grant McCONNELL, English as an Academic Language in Europe: A Survey of its Use in Teaching, Duisburger Arbeiten zur Sprach- und Kulturwissenschaft 48, Frankfurt am Main, Peter Lang, 2000.

[51] Depuis une invalidation prononcée par la Cour suprême, il n’y a plus de loi encadrant l’avortement au Canada.

[52] Sur cette question, voir ma lettre ouverte «Le français correct plutôt que le français québécois», http://www.cyberpresse.ca/le-soleil/opinions/points-de-vue/200810/30/01-34451-le-francais-correct-plutot-que-le-francais-quebecois.php.

[53] Précisons que, dans certains cas, l’adaptation peut se justifier par la différence des référents sociaux plutôt que par les différences proprement linguistiques. Pourtant, la réciproque n’existe pas : peut-être parce que les référents sociaux de France sont mieux connus ou imposés par le poids politique et démographique de ce pays dans la Francophonie.

[54] J’en vois la cause principale dans le relâchement articulatoire des interprètes.

[55] Luc OSTIGUY et al., Le français oral soutenu chez les étudiants québécois en formation pour l’enseignement au secondaire, Office québécois de la langue française, coll. «Suivi de la situation linguistique» étude 4, 2005.

[56] Marie-Louise MOREAU et al., «Le bon parler français dans la francophonie : une question d’échelle et de clocher», La langue française dans sa diversité, Québec, Secrétariat à la politique linguistique, 2008, pp. 115-128.

[57] Au colloque «La langue française dans sa diversité», 21-23 septembre 2008. La communication de David Graddol n’est malheureusement pas publiée dans les actes.

[58] Raúl ÁVILA, De la imprenta a la internet : la lengua española y los medios de comunicación masiva, México, El Colegio de México, col. «Jornadas» 148, 2006.

[59] J’écris bien espagnol et non castillan pour respecter l’idée de l’auteur selon laquelle la variété castillane est seulement l’une des trois variétés de prestige en concurrence dans le monde hispanophone.

[60] Raúl ÁVILA, op. cit., p. 54.

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