Les propositions de règlement de 2011 sur les régimes matrimoniaux et les effets patrimoniaux des partenariats enregistrés. Comment améliorer la coordination avec les autres instruments européens et réduire les cas d'application de la loi étrangère

AutorAndrea Bonomi
Cargo del AutorProfesseur à l'Université de Lausanne. Vice-doyen de la Faculté de droit et des sciences criminelles
Páginas243-256

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1. Introduction

Avec les deux propositions de règlement de mars 20111la Commission européenne s’attaque aux aspects de droit international privé des rela-

* Professeur à l’Université de Lausanne ; Vice-doyen de la Faculté de droit et des sciences criminelles.

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tions patrimoniales entre époux et partenaires enregistrés.

Comme d’autres textes récents du droit international privé européen2, les futurs instruments se veulent large et ambitieux quant à leur objet, étant destinés à couvrir non seulement les conflits de juridictions (compétence internationale, litispendance, reconnaissance et exécution des décisions) mais également la question de la loi applicable. Ils visent à s’intégrer aux règlements en vigueur concernant les conflits de juridictions et de lois en matière de séparation et divorce (Bruxelles II-bis3, Rome III4) et en matière d’obligations alimentaires (Règlement Aliments5), ainsi qu’en matière de successions (Règlement successions6).

Par cette brève contribution nous n’entendons pas analyser en dé-tail le contenu des textes proposés. Notre intention est plus modestement d’examiner l’adéquation de ceux-ci avec deux objectifs qui devraient, à notre avis, jouer un rôle crucial dans la construction du système européen de droit international privé : ces objectifs sont, d’une part, la coordination et la cohérence entre les textes réglant les différentes matières et, d’autre part, le souci

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de faire coïncider, tant que faire se peut, la compétence et la loi applicable afin de limiter les difficultés liées à l’application d’une loi étrangère.

Certes, ces buts ne sont pas les seuls que le législateur européen est censé poursuivre. Un système de règle uniformes de conflits de lois et de juridictions doit essayer de composer avec une pluralité d’intérêts, parmi lesquels on mentionnera le souci de proximité, la protection des attentes légitimes des personnes concernées, la prévisibilité et la sécurité juridique, l’uniformité internationale, et bien d’autres. Néanmoins, la coordination entre, d’une part, les règles applicables dans les différentes matières et, d’autre part, la compétence et la loi applicable revêt une importance particulière. Quelques mots suffiront à clarifier nos propos.

2. L’importance de la coordination
2.1. La coordinations entre les instruments régissant différentes matières connexes

Le système de droit international privé européen se construit, pour l’instant, par l’assemblage de plusieurs pièces d’un puzzle complexe. Cette manière de procéder s’impose compte tenu de la complexité de la matière et des difficultés liées à la prise de décisions politiques au sein de l’Union européenne ; celles-ci rendent pour l’instant irréaliste l’adoption en bloc d’un code européen de droit international privé comparable à ceux qui sont de plus en plus fréquemment introduit au plan national7.

Dans ce contexte, une attention particulière doit être portée à la cohérence de l’ensemble. La réglementation des relations patrimoniales au sein du couple entretient des relations très étroites avec d’autres matières,

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telles que le divorce et la séparation de corps, les obligations alimentaires entres conjoints et les successions. L’adoption de règles peu cohérentes entre ces différents ensembles législatifs (que ce soit au plan matériel ou au plan du droit international privé) comporte plusieurs risques.

Cela est vrai, en premier lieu, en ce qui concerne la compétence des autorités.

Ainsi, la désunion du couple porte presque invariablement avec soi un contentieux sur les aspects patrimoniaux. Il est dès lors très important que la juridiction saisie d’une demande en divorce8puisse également connaître des conséquences patrimoniales de celui-ci, notamment les obligations alimentaires et la dissolution du régime. Certes, une scission entre le divorce et ces conséquences n’est pas absolument inenvisageable mais elle alors doit s’appuyer sur des motifs impérieux : ainsi, la dérogation à la compétence du juge du divorce pour les questions relatives à l’autorité parentale et à la garde des enfants est imposée par l’intérêt prépondérant de l’enfant à être soumis aux autorités de l’Etat de sa résidence habituelle. Or, aucun intérêt d’importance comparable n’entre en ligne de compte en matière patrimoniale.

Il en est de même en cas de décès. Le règlement d’une succession comporte, en effet, la détermination des droits patrimoniaux du conjoint ou partenaire survivant ; il est dès lors malheureux que l’autorité en charge de la succession ne puisse pas s’occuper de ces questions.

En ce qui concerne la loi applicable, la coordination n’est probablement pas si fondamentale, mais elle reste néanmoins importante.

Certes, il est tout à fait concevable, et assez fréquent dans les systèmes nationaux de droit international privé, que des lois différentes régissent, d’une part, le divorce et, d’autre part, l’une ou l’autre de ses conséquences patrimoniales. Tel est d’ores et déjà le cas, dans le système européen, pour le divorce et les obligations alimentaires: pour les époux qui ne sont pas (ou plus) résidents dans le même Etat au moment de la demande, le Règlement

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Rome III soumet le divorce à la loi de leur dernière résidence habituelle (art. 8), alors que le Protocole de La Haye9(auquel renvoie, pour les Etats qui en sont parties, l’art. 15 du Règlement Aliments) prévoit, à son art. 3, l’application de la loi de la résidence habituelle du créancier d’aliment10. De même, il est assez fréquent dans les systèmes nationaux qu’une dissociation se produise entre la loi régissant la succession et celle applicable au régime matrimonial11.

Cependant, il faut bien reconnaître que l’application de plusieurs lois différentes à des questions intimement connexes est source de nombreuses complications.

Ce dépeçage produit, d’une part, des complexes problèmes de qualification. Certes, les notions utilisées dans les textes européens font généralement l’objet d’une interprétation autonome et uniforme. Cependant, des sérieuses difficultés surgissent lorsqu’on se trouve confrontés avec des institutions nationales qui ne correspondent pas entièrement aux catégories adoptées par une règle de conflit européenne. Ainsi, puisque la distinction entre les obligations alimentaires et le régime matrimoniaux est inconnue dans la plupart des systèmes issus de la common law, la qualification du pouvoir d’un juge anglo-saxon d’attribuer des sommes et/ou des biens à l’un ou l’autre des conjoints divorcés par le biais d’ancillary orders (ou procédant à une equitable distribution) s’avère très délicate12. Il en va de même pour les règles et institutions nationales qui se trouvent « à cheval » entre le droit des régimes ma-

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trimoniaux et le droit des successions (tel le fameux par. 1371 du Code civil allemand, qui prévoit une sorte de liquidation par voie successorale du régime matrimonial légale, ou les avantages matrimoniaux consentis par contrat de mariage, ou encore la révocation du testament que le droit anglais rattache de plein droit à un mariage subséquent). Dans tous ces cas, l’application de lois différentes à des questions connexes (aliments et régime, ou régime et succession) complique la tâche de l’autorité saisie, multipliant le contentieux et les coûts pour les justiciables.

D’autre part, la fragmentation des lois applicables porte en soi le germe de solutions contradictoires. Ainsi, il est bien connu que l’application combinée d’une loi qui protège le conjoint survivant au plan du régime matrimonial et d’une autre qui le protège au plan successoral peut aboutir, suivant les cas, à des excès ou à des lacunes de protection13. Certes, ces incohérences peuvent être corrigées par l’adaptation (Anpassung) mais aux risques de dénaturer les règles de l’un ou l’autre des droits applicables.

Ces considérations montrent bien l’intérêt d’assurer la coordination entre les différents instrument afin d’éviter une fragmentation des compétences et des lois applicables. La coïncidence entre forum et jus est à nos yeux tout aussi importante.

2.2. La coordination entre la compétence juridictionnelle et la loi applicable

Les problèmes posés par l’accès et le traitement du droit étranger sont bien connus et se trouvent aujourd’hui au centre des...

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