Les droits des minorités: la question linguistique et l'éventuelle accession du québec a la souveraineté

AutorJosé Woehrling
CargoProfessor de Dret public de la Universitat de Montréal
Páginas96-153

    Document de travail préparé à la demande du Secrétariat des Commissions sur le processus de détermination de l'avenir politique et constitutionnel du Québec. Présenté le 16 décembre 1991 devant la Commission d'étude des questions afférentes à l'accession du Québec à la souveraineté. Les opinions exprimées dans ce texte n'engagent que l'auteur.

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Introduction générale

Les facteurs à prendre en considération pour définir les droits qui devraient être reconnus aux minorités linguistiques et culturelles dans la Constitution d'un Québec souverain.

Le présent mémoire est destiné à présenter les divers régimes constitutionnels de protection des minorités linguistiques et culturelles susceptibles d'être mis en vigueur dans un Québec souverain. Il reviendra à la population du Québec, directement ou par l'intermédiaire de ses représentants élus, de choisir entre ces diverses solutions. Ce choix devra cependant tenir compte de certains facteurs, dont les plus importants sont à notre avis les suivants:

a) Idéalement, les droits dont jouissent traditionnellement les minorités du Québec ne devraient pas être diminués ou abolis

Cette considération se justifie pour des raisons à la fois éthiques et politiques. Il est inutile d'insister sur les premières, qui paraissent évidentes. Quant aux secondes, il faut réaliser que le Québec provoquerait beaucoup de ressentiment au Canada anglais et ternirait son image dans l'opinion publique internationale si, en accédant à la souveraineté, il décidait de diminuer ou d'abolir les droits constitutionnels dont bénéficient tradi-

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tionnellement ses minorités. Or, peu importe que les futurs changements de statut politique du Québec se fassent à l'intérieur ou à l'extérieur du cadre constitutionnel actuel, les Québécois et les Canadiens devront négocier ensemble: soit avant les changements en cause, en vue de mettre en oeuvre la procédure de modification constitutionnelle; soit après une éventuelle sécession unilatérale du Québec, afin de régulariser la situation et de régler les problèmes relatifs à la succession d'États. En outre, le succès d'une éventuelle sécession unilatérale du Québec dépendrait, au niveau des relations internationales, de la reconnaissance de l'indépendance québécoise par un nombre suffisamment élevé d'États tiers. L'attitude de ces derniers serait dictée en bonne partie par la pression de leur opinion publique, qui serait d'autant plus favorable au Québec que celui-ci serait vu comme faisant preuve de générosité à l'égard de ses minorités.

Ajoutons que cette première considération n'a cependant pas une portée absolue et qu'elle ne signifie pas que les droits traditionnellement reconnus aux minorités ne pourraient être qu'intégralement maintenus -voire augmentés- dans un Québec souverain. Néanmoins, toute diminution de ces droits devrait être solidement justifiée.

b) Le régime de protection des minorités mis en oeuvre dans un Québec souverain devrait respecter les standards du droit international

En devenant souverain, le Québec voudra adhérer aux principales conventions internationales sur la protection des droits de la personne. Signalons d'ailleurs que le Québec a déjà ratifié, le 21 avril 1976, en tant que province canadienne, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques,1 dont l'article 27 constitue actuellement la principale garantie internationale en faveur des minorités ethniques, religieuses et linguistiques. Le gouvernement d'un Québec souverain décidera probablement d'adhérer également à d'autres conventions, qui n'ont pas encore été ratifiées par le Canada, comme la Convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l'enseignement adoptée sous l'égide de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO).2

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Par ailleurs, il faut souligner que les tribunaux québécois et canadiens ont pris l'habitude d'interpréter la Charte canadienne des droits et libertés3 et la Charte des droits et libertés de la personne du Québec4 à la lumière des règles du droit international, y compris de celles qui sont contenues dans certaines conventions auxquelles le Canada n'est pas partie, comme la Convention européenne des droits de l'Homme5. Il n'y a pas de raisons de penser que le comportement judiciaire serait différent à l'égard de la Constitution d'un Québec souverain. Cette attitude tient au fait que les juges perçoivent les normes internationales relatives aux droits et libertés, notamment celles qui portent sur la protection des minorités, comme un «standard minimum» qu'un État doit respecter pour pouvoir être considéré comme formant «une société libre et démocratique».

Enfin, il va sans dire que la sympathie de l'opinion publique internationale envers la cause québécoise ne pourrait que diminuer si le Québec était perçu comme ne respectant pas, à l'égard de ses minorités, les normes du droit international.

Pour toutes ces raisons, les droits garantis aux minorités dans un Québec souverain ne sauraient rester en deçà de la protection prévue par le droit international. On peut noter dès maintenant que les garanties dont bénéficie actuellement la minorité anglophone du Québec, en vertu de la Constitution canadienne, vont clairement au delà de ce standard international. Celui-ci ne deviendrait donc pertinent que s'il était jugé nécessaire de diminuer ces droits dans un Québec souverain. Par contre, les droits reconnus aux autres minorités linguistiques et culturelles par la Charte canadienne et la Charte québécoise sont nettement plus limités et il ne sera pas inutile de se demander s'ils correspondent aux standards du droit international.

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c) Les droits linguistiques reconnus aux minorités du Québec devraient être compatibles avec la politique destinée à préserver et à renforcer le statut de la langue française

On sait qu'à l'origine de la politique linguistique québécoise actuelle l'on trouve les rapports de deux commissions d'enquête, la Commission royale sur le bilinguisme et le biculturalisme (ou «Commission b.b.»), créée en 1963 par le gouvernement fédéral, et la Commission d'enquête sur la situation de la langue française et sur les droits linguistiques (ou Commission Gendron), nommée en 1969 par le gouvernement québécois. Ces commissions avaient constaté deux réalités fort inquiétantes pour les Québécois francophones: d'une part, la désaffection des immigrants allophones à l'égard de l'école française et leur intégration massive à la communauté anglophone et, d'autre part, l'infériorité du français par rapport à l'anglais dans la vie économique, au Québec même. A partir de là, les deux objectifs principaux de la politique linguistique s'imposaient en quelque sorte d'eux-mêmes. Le premier sera d'amener les immigrants à fréquenter l'école française plutôt que l'école anglaise. Le deuxième consistera à rehausser le prestige de la langue française, et, surtout, son utilité dans la vie économique, de façon à permettre aux francophones de travailler en français et d'inciter les non-francophones à apprendre la langue de la majorité. Ces deux objectifs n'ont jamais été remis en cause. Ils ont été poursuivis de façon systématique et cohérente par tous les gouvernements qui se sont succédés au Québec depuis 1970: le gouvernement libéral, qui a fait adopter en 1974 la Loi sur la langue officielle (ou «loi 22»);6 le gouvernement du Parti québécois, qui a fait voter en 1977 la Charte de la langue française (ou «loi 101»).7 De la loi 22 à la loi 101, les buts son restés les mêmes; seuls les moyens et les modalités ont changé: la loi 101 est plus sévère, plus coercitive et plus «englobante» que la Loi 22.8

Pour atteindre les objectifs de la politique linguistique québécoise, on a considéré qu'il fallait parfois limiter les droits traditionnels des anglophones. En effet, dans la mesure où les deux langues sont en situation de concurrence, on estime que, pour avantager l'une, il faut quelque peu désavantager l'autre. En outre, comme la force d'attraction, l'utilité économique et le prestige de l'anglais sont supérieurs à ceux du français, le

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renforcement de cette dernière langue suppose qu'on lui confère, par le biais de la loi, certains «avantages comparatifs» sur sa rivale, en lui reconnaissant un rôle prépondérant -voire exclusif- dans certains domaines. Ces quelques principes sociolinguistiques constituent le fondement de la politique québécoise en matière de statut des langues.

Par conséquent, la reconnaissance de certains droits aux minorités linguistiques, notamment à la minorité anglophone, est susceptible d'entrer en conflit avec les objectifs de la politique linguistique du Québec. Si l'anglais possède un statut juridique plus ou moins comparable à celui du français, et qu'au demeurant son utilité économique et son prestige restent supérieurs, il sera fort difficile de convaincre les immigrants de s'intégrer à la communauté francophone. Au contraire, le statut prépondérant du français -voire son usage exclusif en certains domaines- contribuent à persuader l'immigrant qu'une telle intégration est dans son intérêt.

Pour savoir dans quelle mesure les droits linguistiques actuellement reconnus dans la Constitution du Canada devraient être conservés dans un Québec souverain, ou même faire l'objet d'un élargissement, il y a donc lieu de se demander s'ils supposent ou non à l'accomplissement des principaux objectifs de la politique linguistique du Québec. À cette fin, il faudra évidemment se fonder sur l'expérience des années passées. Cependant, on devra également garder à l'esprit que la situation sociolin-guistique s'améliorerait probablement en faveur du français si le Québec devenait souverain. En effet, les immigrants considéreraient alors les francophones comme une véritable majorité, plutôt que comme une minorité au niveau pan-canadien, comme il en va à l'heure actuelle. Leur stratégie d'intégration et de réussite sociale s'en trouverait sans doute modifiée. Autrement dit, le prestige et l'utilité sociale du français seraient en augmentation dans un Québec souverain et, dès lors, il deviendrait moins nécessaire de restreindre le statut de l'anglais dans certains domaines. Tout cela revient à l'idée, fort répandue, qu'il serait moins risqué pour le Québec de reconnaître certains droits à ses minorités une fois devenu souverain qu'en tant que seule province majoritairement francophone d'une fédération où l'anglais domine de façon écrasante dans les neuf autres provinces.

Après avoir défini les principes qui, d'après nous, devraient être pris en considération pour la détermination d'un régime de protection des minorités linguistiques et culturelles, il faut à présent examiner les différen-

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tes catégories de droits susceptibles d'être reconnus dans la Constitution d'un Québec souverain. Nous le ferons en traitant d'abord des droits de la minorité anglophone, puis de ceux des autres minorités linguistiques et culturelles. En effet, les droits actuellement reconnus par la Constitution du Canada à la minorité anglo-québécoise (et aux minorités francophones des autres provinces, ou de certaines d'entre elles) sont considérablement supérieurs aux droits dont bénéficient les autres minorités, ce qui se justifie pour des raisons historiques et, dans le cas de la minorité anglophone du Québec, à cause de son importance numérique.

I Les droits de la minorité anglophone du Québec

La Charte des droits et libertés de la personne du Québec ne contient actuellement aucune disposition destinée à reconnaître des droits linguistiques explicites à la minorité anglophone, ce qui s'explique par le fait que ces droits sont inscrits dans la Constitution fédérale. Si le Québec devenait souverain, la Constitution canadienne cessant dès lors de s'appliquer à lui, il faudrait donc se demander s'il convient de «relocaliser» les droits linguistiques de la minorité anglophone, en tout ou en partie, dans une nouvelle Constitution québécoise.

Les droits linguistiques spécifiques déjà reconnus dans la Constitution canadienne à la minorité anglophone du Québec se rangent en deux catégories: d'une part, les droits relatifs à la langue de la législation, de la réglementation et de la justice, prévus à l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867;9 d'autre part, les droits en matière d'éducation, prévus à l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, laquelle forme la Partie I (articles 1 à 34) de la Loi constitutionnelle de 1982. Par ailleurs, une certaine «liberté linguistique» découle implicitement des libertés fondamentales et du droit à l'égalité en ce qui concerne l'usage des langues dans le domaine des relations privées, notamment en matière économique et commerciale. Enfin, les organismes représentatifs de la collectivité anglo-québécoise réclament également la reconnaissance du droit des anglophones d'être adéquatement représentés dans la fonction publique provinciale.

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A) Les droits de la minorité anglophone relatifs à la langue de la législation et de la réglementation, de la justice et de l'administration

L'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui ne s'applique qu'au Québec et à l'État central canadien, permet que l'anglais et le français soient utilisés, à volonté, dans les débats du Parlement fédéral et de la législature du Québec; il permet de la même façon que les deux langues soient utilisées, là encore à volonté, dans les procédures écrites et dans les plaidoiries orales devant les tribunaux fédéraux et les tribunaux du Québec. En outre, l'article 133 impose l'usage du français et de l'anglais dans la rédaction des documents parlementaires et des lois, au Québec et au niveau fédéral.10 Par conséquent, l'article 133 garantit un certain bilinguisme officiel, dont il faut cependant souligner qu'il ne porte pas sur les services administratifs. En outre, des dispositions semblables ou similaires s'appliquent également au Manitoba, depuis 1870, en vertu de l'article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba,11 et au Nouveau-Brunswick, despuis 1982, en vertu des articles 17(2) à 19(2) de la Charte canadienne des droits et libertés. Par ailleurs, l'article 20 de la Charte, qui ne s'applique qu'à l'État central canadien et à la province du Nouveau-Brunswick, prévoit également un certain bilinguisme des services administratifs. L'Ontario a refusé en 1982 de s'assujettir aux dispositions de la Constitution en matière de bilinguisme. Cependant, on y a adopté la Loi de 1986 sur les services en français12 qui est entrée en vigueur en 1988 et qui instaure une certaine mesure de bilinguisme, au profit de la langue française, dans les domaines législatif, judiciaire et administratif.

Après avoir souligné l'interprétation donnée par la Cour suprême du Canada à l'article 133 et aux dispositions équivalentes, nous rappellerons le contenu des articles de la Charte de la langue française qui portent sur

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la langue de la législation, de la justice et de l'administration. Nous proposerons ensuite quelques solutions en ce qui concerne les dispositions susceptibles d'être insérées dans une future Constitution québécoise.

  1. L'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et son interprétation par la Cour suprême du Canada

    La Cour suprême du Canada a donné à l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et à ses dispositions jumelles des interprétations divergentes, très larges dans certains cas et fort restrictives dans d'autres.

    Concernant la portée de l'article 133, la question a été soulevée dans les deux affaires Blaikie13 de savoir si cette disposition s'applique uniquement aux lois proprement dites ou si elle s'étend également à la législation déléguée, c'est-à-dire aux actes de nature réglementaire adoptés par une autorité gouvernementale ou administrative en application d'une loi et par autorisation de celle-ci. De même, on se demandait si l'article 133 impose le bilinguisme aux seuls tribunaux judiciaires ou si ses prescriptions s'étendent également au fonctionnement des nombreux «tribunaux administratifs» qui sont apparus postérieurement à la confédération. L'importance de la législation déléguée était loin d'être aussi grande en 1867 qu'aujourd'hui. Quant aux tribunaux administratifs, ils étaient inconnus à cette époque et l'utilisation du terme «Court» dans le texte anglais (qui est le seul officiel) semble clairement les exclure, puisqu'il désigne uniquement les tribunaux judiciaires proprement dits. Cependant, la Cour suprême, suivant en cela la Cour supérieure14 et la Cour d'appel du Québec15 a décidé que l'article 133 devait s'étandre à la législation déléguée et s'appliquer aux tribunaux administratifs. Pour justifier cette conclusion, elle a fait appel au principe en vertu duquel il convient de donner une interprétation «large et généreuse», donc évolutive, au texte constitutionnel. En fait, l'interprétation retenue dans la première affaire Blaikie était sans doute trop extensive, puisque, dans la deuxième affaire Blaikie, la Cour suprême a quelque peu limité l'étendue du bilinguisme obligatoire de la législation déléguée en venant préciser que l'article 133 ne s'applique qu'aux règlements adoptés par le gouvernement lui-même, par un groupe de ministres ou par un ministre, ainsi qu'aux règlements des organismes

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    administratifs dont l'entrée en vigueur est sujette à l'approbation du gouvernement, d'un groupe de ministres ou d'un ministre. Par contre, l'article 133 ne s'applique pas aux règlements municipaux ni à ceux des organismes scolaires, pas plus qu'aux simples règles ou directives de régie interne. Quant aux «tribunaux administratifs», la Cour a précisé que l'article 133 visait ceux qui ont le pouvoir de rendre la justice.

    Par ailleurs, toujours dans cette même veine large et libérale, la Cour suprême a également statué, dans les affaires Blaikie, que, même s'il n'en était pas question dans l'article 133, les «règles de pratique» des tribunaux visés par cette disposition devaient être adoptées en anglais et en français. De plus, bien que l'article 133 n'impose expressément que l'impression et la publication des lois dans les deux langues, la Cour en est venue à la conclusion qu'il exige implicitement l'adoption simultanée des projets de loi en français et en anglais.

    Cependant, bien que les affaires Blaikie ait donné lieu, de façon générale, à une interprétation large et libérale de l'article 133, on y trouve également l'amorce d'une approche plus restrictive en ce qui concerne certains aspects du bilinguisme judiciaire. En effet, dans la première affaire Blaikie, en obiter, la Cour suprême a interprété l'article 133 comme signifiant que le droit de choisir entre l'anglais et le français appartient non seulement aux parties, aux témoins et à leurs avocats, mais également aux officiers de justice et aux juges. Ces derniers ne sont donc pas tenus de respecter le choix linguistique des justiciables et peuvent s'adresser à ces derniers et leur répondre dans l'autre langue. En outre, il n'est pas nécessaire que les documents émanant des tribunaux ou émis sous leur autorité, y compris les jugements et ordonnances, soient rédigés dans la langue choisie par le justiciable. Ainsi, un juge d'un tribunal du Québec pourra rendre jugement en anglais seulement, même si toutes les parties et leurs avocats ont choisi de plaider en français (et inversement).

    Cette tendance jurisprudentielle restrictive a été confirmée dans diverses décisions subséquentes, dans lesquelles la Cour suprême du Canada a été amenée une nouvelle fois à interpréter la portée, en matière judiciaire, de l'article 133,16 ainsi que celle de l'article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba17 et de l'article 19(2) de la Charte canadienne des droits et libertés, qui s'applique au Nouveau-Brunswick.18

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    Dans les affaires MacDonald19 et Bilodeau,20 la Cour suprême a statué que le droit du justiciable de choisir -entre l'anglais et le français- la langue dans laquelle il veut plaider devant les tribunaux n'entraîne pas qu'une sommation émise contre lui doive être rédigée dans la langue de son choix, ou être bilingue, ou même être assortie d'une traduction.

    Dans ces deux affaires, la Cour a notamment justifié sa solution par les termes explicites des articles 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba, lesquels, il est vrai, confèrent le libre choix entre l'anglais et le français, non seulement aux justiciables qui plaident devant les tribunaux, mais également au personnel judiciaire et aux fonctionnaires des tribunaux. On peut cependant souligner l'opinion dissidente de Madame la juge Wilson dans l'affaire MacDonald,21 selon laquelle le droit conféré à un justiciable d'utiliser sa propre langue au cours des procédures judiciaires impose une obligation correspondante à l'État de respecter ce droit et d'y donner suite. Pour remplir cette obligation, l'Etat doit traiter avec le justiciable dans la langue que celui-ci comprend. Une telle interprétation paraît plus conforme à la finalité du droit garanti, dans la mesure où elle permet une véritable communication, plutôt qu'une simple expression qui risque de rester sans réponse.

    Dans l'affaire Société des Acadiens,22 une majorité de la Cour a décidé que le même droit du justiciable ne lui donne pas le droit d'être compris par le tribunal auquel il s'adresse.23 Les juges majoritaires ont notamment justifié cette solution surprenante en soulignant que les droits linguistiques enchâssés dans la Charte sont fondés sur un «compromis politique» et que les tribunaux doivent hésiter à servir d'instrument de changement dans ce domaine. Ils ont cependant considéré que le droit à un procès équitable, qui en plus d'être garanti par la Charte découle de la common law, inclut le droit des parties, quelque soit leur langue, de comprendre ce qui se passe dans le prétoire et d'y être comprises (par le biais d'un interprète). Ce droit bénéficie par conséquent également aux justiciables qui ne parlent ni le français, ni l'anglais.24

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    L'arrêt Société des Acaâïens signifie donc que les dispositions constitutionnelles qui permettent aux justiciables de s'adresser au tribunal en français ou en anglais ne leur donnent pas le droit d'être directement compris par les membres du tribunal et n'obligent pas ceux-ci à être bilingues. Au Québec, cette décision n'entraîne pas d'inconvénients pour les anglophones, dans la mesure où pratiquement tous les juges comprennent les deux langues. Par contre, au Manitoba et au Nouveau-Brunswick, il ne semble pas y avoir suffisamment de juges qui comprennent la langue française, si bien que les droits des francophones dans ces deux provinces risquent de rester largement illusoires. Autrement dit, l'interprétation restrictive donnée par la Cour suprême au droit du justiciable de choisir l'anglais ou le français entraîne des conséquences différentes selon que l'on est au Québec ou dans Tune des deux provinces anglophones où existe ce même droit.

    On constate donc que la Cour suprême du Canada a interprété l'article 133 de la Loi constitutionelle de 1867 d'une façon qui, en matière législative, le fait aller au-delà de ce qui était voulu par les Pères de la Confédération, et, en matière judiciaire, lui enlève une grande partie de son utilité réelle. Par conséquent, si l'on décidait d'insérer dans une future Constitution québécoise une disposition similaire, il faudrait la rédiger de façon qu'elle ne puisse recevoir le même genre d'interprétation peu cohérente.

    Pour terminer cette brève analyse de l'interprétation donnée par les tribunaux à l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, mentionnons encore que la Cour suprême a jugé que cette disposition, même si elle autorise les membres du Parlement fédéral et de la législature du Québec à s'exprimer en anglais ou en français, n'exige pas pour autant la mise en place d'un service d'interprètes.25

  2. Les dispositions de la Charte de la langue française relatives à la langue de la législation et de la réglementation, de la justice et de l'administration

    L'idée qui avait prévalu lors de l'adoption de la Charte de la langue française était de faire du français la langue principale -ou parfois la seule langue- de la législation, de la justice et de l'administration publique, afin d'amener les anglophones et les immigrants à apprendre et à parler la langue française. Pour atteindre ce but, on avait restreint -sans le

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    supprimer complètement- le bilinguisme qui existait traditionnellement dans les institutions publiques québécoises. Ainsi, la loi 101 prévoyait que les lois et les règlements ne seraient plus adoptés qu'en français, l'administration fournissant une traduction anglaise non officielle. En matière judiciaire, la loi prévoyait que les pièces de procédure expédiées par les avocats ou émanant des tribunaux et des organismes judiciaires ou quasi-judiciaires devaient être rédigées en français, sauf si la personne physique à laquelle elles étaient destinées consentait expressément à ce qu'elles soient rédigées dans une autre langue; quant aux personnes morales, elles ne pouvaient plaider en anglais que si toutes les parties à l'instance y consentaient. Enfin, la loi prévoyait également que les jugements rendus au Québec devaient être rédigés en français ou être accompagnés d'une version française dûment authentifiée et que seule la version française du jugement serait officielle.26

    Ces dispositions, qui formaient le Chapitre III de la Charte de la langue française, ont été déclarées inconstitutionnelles par la Cour suprême du Canada en 1979, dans la première affaire Blaikie,27 comme allant à l'encontre de l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867.

    Les parties encore en vigueur de la loi 101, pour ce qui est de la langue des institutions publiques, concernent l'Administration et forment le Chapitre IV. Sur le plan interne, les rapports des ministères et des organismes qui en dépendent se font en français seulement. Sur le plan externe, l'Administration s'adresse aux personnes morales en français uniquement, mais peut s'adresser aux personnes physiques à la fois en français et dans une autre langue. Pour être nommé ou promu à une fonction dans l'Administration, il faut avoir une connaissance du français appropriée à cette fonction. Les organismes municipaux, les services sociaux et les services de santé qui fournissent leurs services à des personnes qui sont en majorité d'une langue autre que le français, et qui sont reconnus comme tels par l'Office de la langue française, doivent fournir leurs services en français et peuvent également les fournir dans la langue qui est celle de la majorité de leur clientèle, notamment l'anglais. En outre, ils peuvent utiliser cette autre langue, à côté du français, dans leur dénomination ain-

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    si que dans l'affichage, les communications internes et les communications entre eux. Il faut souligner que, dans la mesure où ces dispositions permettent aux organismes en cause d'utiliser l'anglais (ou une autre langue) sans les y obliger, il n'en résulte aucun droit pour les individus qui bénéficient de leurs services d'obtenir ceux-ci dans une langue autre que le français.

    Par ailleurs, la législature du Québec a modifié en 1986 la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour prévoir que toute personne d'expression anglaise a le droit de recevoir en langue anglaise des services de santé et des services sociaux» (nous soulignons) dans les établissements désignés à cette fin par le gouvernement, parmi ceux qui sont reconnus par l'Office de la langue française comme fournissant leurs services à des personnes en majorité d'expression anglaise.28 Les établissements ainsi désignés doivent par conséquent fournir leurs services dans les deux langues.

    Pour les fins de la comparaison, mentionnons que l'article 20(1) de la Charte canadienne des droits et libertés prévoit que le public a droit à l'emploi du français ou de l'anglais pour communiquer avec les administrations fédérales, au siège de celles-ci, ainsi que là où, selon le cas, «l'emploi du français ou de l'anglais fait l'objet d'une demande importante», ou «se justifie par la vocation du bureau». L'article 20(2), qui s'applique au Nouveau-Brunswick, ne pose pas les mêmes exigences concernant l'usage des deux langues officielles pour les communications avec l'administration provinciale, puisqu'il dispose que «[l]e public a, au Nouveau-Brunswick, droit à l'emploi du français ou de l'anglais pour communiquer avec tout bureau des institutions de la législature ou du gouvernement ou pour en recevoir les services».

  3. Les droits relatifs à la langue de la législation et de la réglementation, de la justice et de l'administration susceptibles d'être reconnus dans un Québec souverain

    Plusieurs attitudes sont en théorie possibles, principalement les trois suivantes: a) l'insertion dans la Constitution d'un Québec souverain de dispositions ayant la même portée que celles qui sont actuellement contenues dans la Constitution du Canada; b) la remise en vigueur des dispositions du Chapitre III de la Charte de la langue française qui ont été invalidées en 1979 par la Cour suprême du Canada; c) une solution intermédiaire

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    entre les deux précédentes. En appliquant les différents critères que nous avons définis dans l'Introduction de cette étude, nous explorerons succinctement ces diverses possibilités.

    a) La langue de la législation et de la réglementation

    L'insertion dans la Constitution d'un Québec souverain d'une disposition ayant la même portée que l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 présenterait l'avantage de maintenir des droits dont la minorité anglophone du Québec bénéficie depuis fort longtemps. En outre, le fait qu'un Québec souverain conserve le bilinguisme législatif et réglementaire actuel constituerait probablement une incitation pour le Canada anglais à en faire autant, au niveau fédéral et dans les provinces où un tel régime existe. Or, dans la mesure où l'accession du Québec à la souveraineté s'accompagnerait probablement d'une association économique et d'une union monétaire avec le reste du Canada, il serait bénéfique pour les Québécois que les lois et les textes réglementaires canadiens continuent d'être adoptés et de faire foi en anglais et en français. Il va sans dire que le maintien du bilinguisme des lois et des règlements au niveau fédéral et dans certaines provinces anglophones serait encore beaucoup plus souhaitable pour les minorités francophones hors Québec. Par ailleurs, dans la mesure où le bilinguisme législatif et réglementaire est déjà en vigueur au Québec depuis longtemps, son maintien n'entraînerait ni complications nouvelles, ni coûts supplémentaires.

    Toutefois, comme on l'a mentionné précédemment, il n'est pas impossible de considérer que le bilinguisme des lois et des règlements entre en conflit avec l'efficacité de la politique linguistique québécoise. En effet, un tel bilinguisme place le français et l'anglais sur le même pied, alors qu'il est nécessaire de rehausser le prestige et l'utilité sociale de la langue française par rapport à la langue anglaise. L'unilinguisme aurait donc ici une valeur symbolique et constituerait un «message» destiné à convaincre les non-francophones qu'ils doivent apprendre le français pour s'intégrer au groupe majoritaire. On peut cependant penser que le Québec, une fois souverain, aurait la possibilité d'utiliser de nombreux autres symboles nationaux, dont il ne dispose pas en tant que province canadienne, et que le symbolisme associé au bilinguisme ou, au contraire, à l'unilinguisme législatif et réglementaire serait par conséquent fort relativisé.

    Soulignons également que le maintien du bilinguisme législatif et réglementaire actuel n'empêcherait pas de conserver au français le statut de seule langue officielle. D'ailleurs, l'article 1 de la Charte de la langue

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    française, qui dispose que «[le] français est la langue officielle du Québec», est toujours en vigueur. Pour souligner davantage ce statut, le législateur québécois pourrait donner préséance au texte français des lois. C'est d'ailleurs ce qu'il a déjà tenté de faire, en énonçant à l'article 40.1 de la Loi d'interprétation29 qu'«[e]n cas de divergence entre les textes français et anglais, le texte français prévaut». Cependant, cette disposition est actuellement inconstitutionnelle, la Cour suprême ayant jugé invalide une disposition manitobaine similaire30. Une telle préséance pourrait en revanche être reconnue au français dans la Constitution d'un Québec souverain.

    Par ailleurs, si l'on voulait revenir à la solution que prévoyaient les articles 7 à 10 de la Charte de la langue française, c'est-à-dire la publication d'une simple traduction anglaise des lois et des règlements, seul le texte français étant officiel, on pourrait trouver des précédents en droit comparé, notamment dans la Constitution du canton bilingue de Fribourg et dans les lois linguistiques du canton trilingue des Grisons, en Suisse.

    La Constitution du canton de Fribourg énonce à son article 12 que, si les lois, décrets et arrêtés doivent être publiés dans les langues française et allemande, «le texte français est déclaré être le texte original». Le rapprochement entre la situation du Québec et celle du canton de Fribourg nous semble particulièrement approprié dans la mesure où il existe entre elles des similitudes sociolinguistiques frappantes. En effet, la majorité de langue française du canton fait simultanément partie de la minorité linguistique sur le plan fédéral. Alors que les francophones représentent les deux tiers de la population dans le canton et la ville de Fribourg, ils ne forment que 20 % de la population au niveau de la Suisse toute entière. Inversement, les germanophones représentent 70 % de la population suisse, tout en formant le tiers de la population fribourgeoise. Les auteurs suisses semblent généralement expliquer la primauté conférée à la langue française, par rapport à l'allemand, par le fait que les francophones du canton de Fribourg, tout majoritaires qu'ils soient au niveau local, se sentent en situation de faiblesse à cause de leur situation minoritaire au niveau de la fédération et, par conséquent, s'estiment menacés par la germanisation.31

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    L'article 46 de la Constitution du canton des Grisons prévoit que [L]es trois langues du canton [l'allemand, l'italien et le romanche] sont garanties comme langues nationales». Cependant, seul le texte allemand fait foi.32 Soulignons que les locuteurs du romanche constituent 22 % de la population cantonale et les italophones 13,5 %, les germanophones en formant le reste.

    Pour ce qui est des normes du droit international applicables dans ce domaine, elles seront examinées dans la deuxième partie de ce mémoire, consacrée aux droits susceptibles d'être reconnus aux minorités autres que la minorité anglophone.

    b) La langue de la justice

    Comme on l'a constaté précédemment, l'interprétation que la Cour suprême a donnée à l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 en matière de bilinguisme judiciaire n'est guère satisfaisante, ni pour la majorité francophone, ni pour la minorité anglophone. Il ne serait donc pas approprié de conserver, dans un Québec souverain, le droit canadien actuel en ce domaine.

    La solution la plus généreuse pour la minorité anglophone consisterait à maintenir le droit actuel de tout justiciable -qu'il s'agisse d'une personne physique ou morale- d'utiliser l'anglais ou le français dans les procédures et plaidoiries écrites et orales, tout en y ajoutant le droit d'être compris par le tribunal dans la langue choisie, ainsi que le droit de recevoir, dans cette même langue, les pièces de procédure et ordonnances émanant du tribunal, y compris les jugements. Évidemment, étant donné que les diverses parties ne choisiraient pas nécessairement la même langue, cela supposerait dans beaucoup de cas que ces pièces et ordonnances soient émises dans les deux langues. Un tel système entraînerait également l'obligation pour les juges (ou, du moins, pour une certaine proportion d'entre eux) d'être bilingues, afin de pouvoir s'ajuster au choix linguistique opéré par les justiciables. Par ailleurs, sans qu'il s'agisse d'une obligation juridi-

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    que, il serait en pratique nécessaire pour les avocats de comprendre les deux langues.

    Une autre solution, moins généreuse pour la minorité anglophone, serait la remise en vigueur des articles 11 à 13 de la Charte de la langue française, invalidés par la Cour suprême dans la première affaire Blaikie. Comme on l'a vu précédemment, cela signifierait que les procédures écrites émanant des tribunaux ou expédiées par les avocats doivent être en français et peuvent être rédigées en anglais, si la personne physique à laquelle elles sont destinées y consent expressément. Quant aux personnes morales, elles ne pourraient plaider en anglais que si toutes les parties à l'instance y consentaient. Enfin, les jugements rendus au Québec devraient être rédigés en français ou être accompagnés d'une version française dûment authentifiée, seule la version française du jugement étant officielle.

    Plusieurs solutions intermédiaires entre les deux précédentes peuvent être imaginées, comme de conférer aux seules personnes physiques le droit de s'adresser en anglais ou en français aux tribunaux et de recevoir, dans la langue ainsi choisie, ou dans les deux langues, les ordonnances et pièces de procédure émises par ces derniers, y compris les jugements. Une autre possibilité, plus restrictive, serait de ne reconnaître un tel droit aux personnes physiques qu'en matière pénale et criminelle, et de remettre en vigueur, en matière civile, les dispositions de la Charte de la langue française.

    Enfin, quelle que soit la solution choisie, les droits relatifs à l'usage de la langue anglaise en matière judiciaire pourraient erre «territorialisés», c'est-à-dire ne s'appliquer que devant les tribunaux situés sur les parties du territoire québécois où la minorité anglaise forme un pourcentage donné de la population. Il s'agirait là d'une solution analogue à celle qui existe dans certains cantons suisses et en Belgique, pour la région de Bruxelles-Capitale.33

    Pour ce qui est du pourcentage de la population minoritaire qui justifie l'existence du bilinguisme judiciaire, l'examen du droit comparé montre que les solutions sont fort variables. Ainsi, à Bruxelles-Capitale, qui compte environ 85 % de francophones et 15 % de néerlandophones, la procédure judiciaire peut être indifféremment menée en français ou en

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    néerlandais, au choix des parties.34 En Suisse, le Tribunal fédéral (qui joue le rôle de Cour constitutionnelle)35 a décidé, dans une affaire concernant le canton bilingue de Fribourg, que les germanophones ne pouvaient réclamer le droit d'être entendus dans leur propre langue par les tribunaux cantonaux que dans les districts où la minorité de langue allemande constitue au-moins 30 % de la population.36

    Le choix entre ces diverses solutions devra se faire en fonction des critères mentionnés dans l'Introduction, c'est-à-dire principalement la nécessité de respecter autant que possible les droits historiques de la minorité anglophone et celle de tenir compte des objectifs de la politique linguistique destinée à préserver et à renforcer le statut du français.37

    c) La langue de l'Administration

    Comme on l'a vu auparavant, la Constitution canadienne ne confère actuellement à la minorité anglophone du Québec aucun droit linguisti-

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    que dans ses rapports avec l'Administration québécoise, étant donné que l'article 20 de la Charte canadienne, qui régit cette question, ne s'applique qu'à l'Etat central et à la seule province du Nouveau-Brunswick,

    On a également noté que, dans l'ordre juridique québécois actuel, les seuls droits reconnus aux anglophones en matière de services publics découlent de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, qui prévoit en leur faveur le droit de recevoir de tels services en langue anglaise dans les établissements désignés par le gouvernement. Quant à la Charte de la langue française, elle prévoit que l'Administration peut s'adresser aux personnes physiques à la fois en français et dans une autre langue, et que le organismes municipaux, les services sociaux et les services de santé qui fournissent leurs services à des personnes qui sont en majorité d'une langue autre que le français peuvent les fournir dans cette langue, en plus de devoir les fournir en français. On a déjà souligné que, dans la mesure où ces dispositions permettent aux organismes en cause d'utiliser l'anglais (ou une autre langue) sans les y obliger, il n'en résulte aucun droit pour les individus qui bénéficient de leurs services d'obtenir ceux-ci dans une langue autre que le français.

    Dans un Québec souverain, la solution la plus généreuse pour la minorité anglophone consisterait à lui reconnaître des garanties analogues à celles qui sont actuellement prévues par l'article 20(2) de la Charte canadienne au profit de la minorité francophone du Nouveau-Brunswick, c'est-à-dire le droit «à l'emploi du français ou de l'anglais pour communiquer avec tout bureau des institutions de la législature ou du gouvernement ou pour en recevoir les services». Evidemment, un tel système exigerait, soit que les fonctionnaires et autres agents publics qui entrent en contact avec les administrés soient bilingues, soit que l'on mette en place, dans la fonction publique, deux «rôles» linguistiques, comme c'est le cas en Belgique.

    Comme en matière judiciaire, un tel droit pourrait être «territoriali-sé», c'est-à-dire n'être reconnu que dans les régions où la minorité constitue un certain pourcentage de la population. C'est la solution qui a été adoptée dans certains cantons suisses et en Belgique, pour la région de Bruxelles-Capitale, ainsi que pour certaines communes, dites «à facilités», qui sont situées sur la frontière entre la région francophone et la région néerlandophone.

    Un système de bilinguisme administratif plus restreint consisterait à limiter celui-ci à certains services publics seulement, comme c'est d'ailleurs le cas à l'heure actuelle. Tout en maintenant en vigueur les dispositions de la Loi sur les services de santé et les services sociaux qui garantissent

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    le droit des anglophones de recevoir ces services dans leur langue à l'intérieur de certains établissements, il serait possible de modifier les dispositions pertinentes de la Charte de la langue française afin de prévoir que les organismes municipaux qui fournissent leurs services à des personnes qui sont en majorité d'expression anglaise ont l'obligation (plutôt que la simple faculté) de les fournir à la fois en anglais et en français. Une solution encore plus favorable à la minorité serait de prévoir la même obligation pour les organismes dont la clientèle anglophone, sans être majoritaire, constitue un pourcentage significatif de la clientèle totale. De telles dispositions pourraient être adoptées dans une loi ordinaire, mais il va de soi que la minorité anglophone serait davantage rassurée si elles étaient «enchâssées» dans une future constitution québécoise.38

    1. Les droits de la minorité anglophone relatifs à la langue de l'éducation

    Après avoir rappelé les dispositions respectives de la Charte canadienne des droits et libertés et de la Charte de la langue française dans le domaine de l'éducation, on examinera les droits susceptibles d'être reconnus en cette matière par la Constitution d'un Québec souverain.

  4. L'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés

    Les deux premiers paragraphes de l'article 23 sont destinés à établir les critères d'admissibilité aux droits à l'instruction dans la langue de la minorité, alors que le troisième précise la portée de ceux-ci.

    Un premier critère, contenu à l'alinéa 23(l)(a), a pour effet d'accorder ce droit à tous les citoyens canadiens dont la «première langue apprise et encore comprise» est l'anglais ou le français, selon le cas. Cette disposition est parfois appelée «clause universelle» dans la mesure où elle bénéficie aux personnes venant du monde entier, une fois qu'elles ont acquis la citoyenneté canadienne. La clause universelle s'applique déjà aux neuf provinces anglophones, mais n'entrera en vigueur pour le Québec qu'après autorisation de son assemblée législative ou de son gouvernement.39 Cette particularité résulte d'une tentative infructueuse du gouvernement fédé-

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    ral de l'époque de satisfaire, au moins partiellement, les griefs du gouvernement québécois contre le projet de «rapatriement» de ia Constitution.

    Le deuxième critère d'admissibilité, contenu à l'alinéa 23(l)(b), souvent appelé «clause Canada», consiste à reconnaître le droit à l'éducation dans la langue de la minorité (donc, à l'éducation en anglais au Québec) aux enfants dont l'un des deux parents a reçu son éducation primaire dans cette langue au Canada. Cette disposition permet donc aux Canadiens des autres provinces qui s'établissent au Québec d'envoyer leurs enfants à l'école publique anglaise. C'est dans cette mesure que l'article 23 de la Charte canadienne entrait en conflit avec l'article 73 de la Charte de la langue française (la «clause Québec»), qui réservait aux parents ayant reçu l'enseignement primaire en anglais au Québec, le droit d'envoyer leurs enfants à l'école publique anglophone.

    Enfin, l'article 23(2) prévoit que les citoyens canadiens dont un enfant «a reçu ou reçoit» son instruction, au niveau primaire ou secondaire, en français ou en anglais au Canada, ont le droit de faire instruire dans cette langue tous leurs autres enfants. Cette disposition doit faire en sorte que tous les enfants d'une même famille puissent recevoir l'instruction dans la même langue, si leurs parents le désirent (critère de «l'unité linguistique» des familles). De ce point de vue, elle est inspirée de l'article 73 de la Charte de la langue française.40 Cependant, alors que les alinéas 73(c) et(d) de celle-ci ont un caractère transitoire, le paragraphe 23(2) de la Charte constitutionnelle est d'application permanente. En outre, l'usage de l'indicatif présent «reçoit» dans cette disposition pourrait avoir des conséquences inattendues et fâcheuses pour le Québec. En effet, en interprétant l'article 23(2) à la lettre, on pourrait par exemple considérer qu'il permet à un immigrant naturalisé, quelle que soit sa langue maternelle ou sa langue d'usage, d'envoyer de façon provisoire l'un de ses enfants à l'école dans une des provinces anglaises (ou, au Québec, à l'école anglaise privée, laquelle est exclue de l'application de la Charte de la langue française) pour obtenir simultanément le droit d'envoyer tous ses enfants, de façon permanente, à l'école publique anglaise du Québec. Il est vrai que les tribunaux pourraient sans doute refuser d'adopter une interprétation aussi large de l'article 23(2) en s'appuyant sur l'intention du Constituant, qui ne semble pas avoir été de permettre qu'on obtienne par le biais de

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    cette disposition des résultats qui iraient à l'encontre de l'esprit de la «clause Canada» de l'alinéa 23(l)b).

    Concernant le contenu et la portée des droits garantis en matière d'instruction dans la langue de la minorité, l'article 23(3) de la Charte canadienne énonce:

    (3) Le droit reconnu aux citoyens canadiens par les paragraphes (1) et (2) de faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de la minorité francophone ou anglophone d'une province:

    a) s'exerce partout dans la province où le nombre des enfants des citoyens qui ont ce droit est suffisant pour justifier à leur endroit la prestation, sur les fonds publics, de l'instruction dans la langue de la minorité;

    »b) comprend, lorsque le nombre de ces enfants le justifie, le droit de les faire instruire dans des établissements d'enseignement de la minorité linguistique financés sur les fonds publics.»

    Cette disposition soulève de multiples problèmes, que la Cour suprême n'a fait que commencer à élucider. Dans l'arrêt Mahé41 elle a jugé que l'article 23 garantit des droits dont le contenu varie en fonction du nombre des enfants de la minorité: au minimum, le droit pour les parents de faire instruire leurs enfants dans leur langue; au mieux, le droit à la création d'un conseil scolaire distinct et autonome, contrôlé par la minorité. Un degré intermédiaire pourra consister en la représentation des parents minoritaires au sein d'un conseil scolaire de la majorité. Dans ce dernier cas, la loi provinciale devra accorder aux représentants de la minorité le pouvoir exclusif de prendre des décisions quant à l'affectation des sommes prévues pour l'instruction dans la langue de la minorité, la désignation des administrateurs scolaires, l'établissement du programme, le recrutement du personnel, etc. La Cour a ajouté, dans l'arrêt Mahé, que l'enseignement offert à la minorité doit être de même qualité que celui dont bénéficie la majorité.

    Concernant l'appréciation des conditions relatives au «nombre suffisant» des enfants minoritaires, prévues à l'article 23(3), la Cour suprême a refusé, dans l'affaire Mahé, de donner des indications trop précises. Elle a cependant affirmé qu'il fallait se baser sur une évaluation tenant compte à la fois du nombre d'enfants susceptibles d'être immédiatement inscrits à l'enseignement dans la langue de la minorité et du nombre de ceux qui pourraient exercer ce droit potentiellement, après une campagne de

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    publicité et certains efforts de recrutement. Par ailleurs, la Cour a souligné que les tribunaux devraient également tenir compte d'autres facteurs pour appliquer le critère du «nombre suffisant», comme les exigences pédagogiques et les coûts financiers des services scolaires réclamés par la minorité.

  5. Les dispositions de la Charte de la langue française relatives à la langue de l'éducation

    Dans le domaine de l'enseignement, l'objectif de la Charte de la langue française est d'amener les immigrants (et les francophones eux-mêmes) à envoyer leur enfants à l'école française, l'accès à l'école publique anglaise étant réservé aux enfants de la minorité anglophone du Québec. Pour parvenir à ce résultat, on avait inscrit dans la loi une règle communément appelée la «clause Québec», en vertu de laquelle n'étaient admissibles à l'école publique anglaise (primaire et secondaire) que les enfants dont l'un des parents avait lui même reçu, au Québec, son enseignement primaire en anglais (ainsi que les frères et s-urs cadets de ces enfants). Ainsi, l'article 73 de la loi disposait notamment:

    [..,] peuvent recevoir l'enseignement en anglais, à la demande de leur père et de leur mère, à) les enfants dont le père ou la mère a reçu, au Québec, l'enseignement primaire en anglais, [...] c) les enfants qui, lors de leur dernière année de scolarité au Québec avant le 26 août 1977, recevaient légalement l'enseignement en anglais dans une classe maternelle publique ou à l'école primaire ou secondaire, d) les frères et s-urs cadets des enfants visés au paragraphe c

    .

    On remarquera que cette disposition est plus généreuse que l'article 23 de la Charte canadienne à deux points de vue: d'une part, elle n'exige pas qu'une personne ait la citoyenneté canadienne pour se voir reconnaître le droit d'envoyer ses enfants dans une école où l'enseignement se donne dans la langue de la minorité anglophone; d'autre part, elle n'assujettit pas ce droit à une quelconque condition de «nombre suffisant».

    Par ailleurs, l'article 73 de la Charte de la langue française avait pour effet d'exclure trois catégories de personnes de l'école publique anglaise; a) les immigrants d'où qu'ils viennent (y compris les immigrants dont la langue maternelle ou usuelle est l'anglais); b) les francophones eux-mêmes (à une certaine époque, un nombre non négligeable de francophones envoyaient leurs enfants à l'école anglaise); c) les Canadiens des autres pro-

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    vinces venant s'établir au Québec, à moins qu'une entente de réciprocité n'ait été conclue entre le Québec et leur province d'origine ou que celle-ci n'offre des services comparables aux francophones qui y résident.42

    Cette dernière conséquence a immédiatement été considérée comme inacceptable par les autorités fédérales. Cependant, à l'époque où la Charte de la langue française a été adoptée, rien dans la Loi constitutionnelle de 1867 ne s'opposait à ce genre de législation, puisque l'article 133 ne porte pas sur la langue de l'éducation. Comme le gouvernement fédéral ne pouvait s'appuyer sur la Constitution existante pour faire invalider la «clause Québec» de la loi 101, il fit adopter l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés qui contient à son alinéa (l)(b) une disposition incompatible avec la réglementation québécoise. Deux ans plus tard, dans l'affaire Québec Protestant School Boards, la Cour suprême déclarait celle-ci inopérante.43 Cependant, cela n'a rien changé au fait que les immigrants et les francophones eux-mêmes doivent fréquenter l'école française. De ce point de vue, la loi 101 continue d'atteindre son but. Par ailleurs, on commence à se rendre compte que l'école française ne suffit pas pour franciser durablement les immigrants. Ceux-ci s'assimilent malgré tout aux anglophones, surtout par le biais de la vie économique, qui continue en grande partie de se dérouler en anglais.

  6. Les droits relatifs à la langue de l'éducation susceptibles d'être reconnus dans un Québec souverain

    a) Le contenu des droits garantis

    Si l'on tient compte des dispositions de la Charte de la langue française relatives à l'éducation et des autres lois québécoises régissant le système scolaire, on constate que la minorité anglophone du Québec dispose actuellement (et traditionnellement) de droits qui vont considérablement au-delà de ceux qui sont garantis par l'article 23 de la Charte canadienne, fût-ce dans son interprétation la plus favorable. En effet, les anglophones disposent d'un réseau éducatif complet, allant de la maternelle à l'université, où l'enseignement se donne entièrement en anglais, qui est financé par l'État provincial en totalité ou en partie et qui est géré et administré

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    de façon autonome par les représentants de la collectivité anglophone elle-même.

    Dans un Québec souverain, il ne serait donc pas nécessaire de reconnaître à la minorité anglophone de nouveaux droits en matière scolaire. Par contre, il y aurait sans doute lieu de comtitutionnaliser ces droits, en tout ou en partie, étant donné qu'Us découlent à l'heure actuelle de lois ordinaires qui peuvent être modifiées très facilement.44

    Cependant, pour éviter que le Québec ne s'impose de cette façon des obligations susceptibles de devenir excessives, on pourrait songer, tout en constitutionnalisant les droits scolaires de la minorité anglophone, à les assujettir à des conditions de «nombre suffisant» semblables à celles qui sont contenues dans l'article 23 de la Charte canadienne. Pour en interpréter la portée, les tribunaux québécois pourraient d'ailleurs s'inspirer de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada relative à l'article 23, telle qu'elle existe et telle qu'elle évoluera à l'avenir. De cette façon, sans même qu'il existe un accord de réciprocité sur le traitement respectif de la minorité anglo-québécoise et des minorités francophones du Canada anglais, leurs situations évolueraient de façon parallèle. Le Québec pourrait trouver là un certain moyen d'influencer, dans un sens positif, le traitement des minorités francophones hors Québec.

    b) Les critères d'admissibilité au bénéfice des droits garantis

    Si le Québec devenait souverain, il faudrait décider s'il convient de maintenir en vigueur la «clause Canada», de revenir à la «clause Québec», ou encore, d'instaurer la «clause universelle». Par contre, il semble exclu de retourner au «libre choix» qui existait antérieurement à 1974, comme le réclament certains représentants de la minorité anglophone du Québec. En effet, ainsi que l'ont démontré les rapports de la Commission sur le bilinguisme et le biculturalisme et de la Commission Gendron, et comme le montrent encore les statistiques récentes,45 une telle solution finirait

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    par aboutir, dans le contexte sociolinguistique de Montréal, à la mise en minorité des francophones.

    En ce qui concerne le choix entre la «clause Canada», la «clause Québec» et la «clause universelle», différents facteurs devront ou pourront être pris en considération, dont certains ont déjà été mentionnés dans l'Introduction du présent mémoire.

    En premier lieu, des recherches statistiques devront déterminer aussi précisément que possible l'impact de chacune des modalités sur l'efficacité de la politique linguistique du Québec. Les chiffres actuellement disponibles montrent qu'au cours des six dernières années, entre 1983 et 1989, le nombre d'élèves admissibles à l'école anglaise a diminué beaucoup plus rapidement que l'ensemble des effectifs scolaires (15,8 % contre 1,0 %). Cette baisse ne touche cependant pas tous les groupes linguistiques de la même façon. Si, chez les francophones et les anglophones, la proportion d'élèves admissibles à l'enseignement en anglais ne varie pratiquement pas dans l'ensemble du Québec, le groupe allophone voit en revanche fondre la proportion de ses effectifs qui peuvent fréquenter l'école anglaise puisque, de 48,1% en 1983-1984, elle tombe à 27,4% en 1989-1990, ce qui correspond à une chute du nombre d'élèves de plus de 1 sur 3. C'est dans la région du Grand-Montréal que se produit la plus grande partie des diminutions pour tous les groupes linguistiques. Cette chute du nombre d'élèves admissibles à l'école anglaise s'explique fort probablement par l'application de la loi 101 aux nouveaux immigrants.46

    Ces chiffres semblent démontrer que l'application de la «clause Canada», à la place de la «clause Québec», n'a pas entraîné d'effets négatifs sur la fréquentation de l'école française par les immigrants. Évidemment, l'on pourrait toujours considérer qu'en continuant d'appliquer la «clause Québec», un nombre encore plus considérable d'immigrants auraient fréquenté l'école française et que la fréquentation de l'école anglaise aurait encore davantage diminué. Cependant, il est évident qu'une pareille di-

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    minution menace à terme de réduire la portée des droits scolaires de la minorité anglophone, dans la mesure où certains types de services ne seront plus justifiés en dessous d'un certain seuil de fréquentation de l'école anglaise. Si l'on estime que ces droits méritent d'être protégés, il faut logiquement prendre les moyens nécessaires pour stopper ou, du moins, freiner la diminution de la clientèle scolaire anglophone.

    On peut également signaler que des études faites par le Conseil de la langue française tendent à montrer que, si la «clause universelle» s'appliquait au Québec, «les ayants droit à l'enseignement en anglais garderaient sensiblement la même importance en 1992 qu'en 1986».47

    Par conséquent, il semble permis de conclure qu'en l'état actuel de la situation sociolinguistique, ni l'application de la «clause Canada» ni même celle de la «clause universelle» ne menaceraient l'efficacité de la politique linguistique québécoise dans un Québec souverain.

    Plutôt que d'appliquer unilatéralement et inconditionnellement la «clause Canada» ou la «clause universelle», un Québec souverain pourrait également décider de subordonner la mise en -uvre de ces régimes à la condition que les diverses provinces du Canada anglais offrent à leur propre minorité des services d'enseignement en français comparables à ceux offerts en anglais à la minorité anglo-québécoise.48 Une pareille politique, qui est déjà prévue dans la Charte de la langue française,49 pourrait résulter d'accords conclus avec chaque province anglo-canadienne ou être mise en -uvre unilatéralement par le Québec. Elle permettrait peut-être d'influencer les politiques linguistiques du Canada anglais dans un sens favorable aux minorités francophones, ce dont celles-ci auraient grand besoin. En effet, sauf dans certaines régions de l'Ontario et du Nouveau-Bruns-wick, les francophones partent presque de zéro. L'enseignement en fran-

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    çais qui se fait déjà au Canada anglais est essentiellement un enseignement d'immersion, destiné aux enfants anglophones qui veulent apprendre le français comme deuxième langue. Or il est démontré que, lorsque les enfants francophones fréquentent ces écoles, cela accélère leur assimilation linguistique. Depuis 1982, les francophones ont donc commencé à revendiquer, en se fondant sur l'article 23 de la Charte canadienne, la création d'écoles françaises véritables, administrées par eux. Jusqu'à présent, ils ont connu de nombreuses déceptions. Beaucoup de gouvernements provinciaux résistent pied à pied aux revendications des francophones; celles-ci finissent presque toujours par aboutir devant les tribunaux. Le 27 février 1989, le Commissariat aux langues officielles dévoilait les résultats d'une étude selon laquelle un francophone sur deux, en dehors du Québec, n'obtenait pas l'enseignement en français que lui garantit l'article 23 de la Charte canadienne.50

    Par ailleurs, il faut mentionner que, si un Québec souverain voulait remettre en vigueur la «clause Québec» de la loi 101, il pourrait justifier une telle attitude par des arguments tirés du droit comparé, en s'appuyant notamment sur les exemples de la Suisse et de la Belgique, deux pays de démocratie libérale qui ont une bonne réputation en matière de respect des droits de la personne, ainsi que sur celui de Puerto Rico, un État associé aux États Unis.

    Ainsi, en 1965, le Tribunal Fédéral suisse a jugé que le principe constitutionnel de liberté de la langue (Sprachenfreiheit), qui découle implicitement de la Constitution helvétique, ne s'oppose pas à ce que le canton de Zurich interdise aux enfants suisses de langue maternelle française s'éta-blissant à Zurich la fréquentation d'une école privée francophone et les oblige à fréquenter l'école allemande. Soulignons que les germanophones sont largement majoritaires dans le canton et la ville de Zurich et que leur langue, si elle est concurrencée par le français, n'est nullement menacée par celui-ci. Le tribunal a fondé son arrêt sur le principe de la «territorialité linguistique», qui permet aux autorités cantonales de prendre les dispositions nécessaires pour assurer le maintien de l'équilibre démolinguistique sur leur territoire, de façon à empêcher toute modification importante dans la proportion des groupes linguistiques en présence.51 Ce

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    principe garantit à chacune des langues nationales de la Suisse une ou plusieurs «aires de sécurité linguistique», c'est-à-dire un territoire sur lequel elle est protégée contre la concurrence d'autres langues plus prestigieuses ou plus attractives. Il suppose que les «immigrants linguistiques» venant d'autres régions du pays s'adaptent à leur nouvel environnement et fassent acquérir par leurs enfants la langue de la région où ils s'établissent, en les envoyant dans une école où l'enseignement se donne dans cette langue.

    Selon de très nombreux spécialistes des questions sociolinguistiques, c'est la solution «territoriale» qui assure le mieux la stabilité et la sécurité des communautés linguistiques. C'est cette solution territoriale que le Québec avait adopté avec la «clause Québec» de la loi 101, mais de façon beaucoup moins rigoureuse qu'en Suisse ou en Belgique, puisque le droit à l'enseignement dans leur propre langue a été intégralement maintenu pour les membres de la minorité anglophone de souche.

    À l'inverse, la solution «personnelle» fait primer les droits de l'individu sur ceux de la collectivité en permettant la liberté du comportement linguistique. Le principe de «personnalité» exige le bilinguisme institutionnel et maintient donc le contact et la concurrence entre les langues en présence. Par conséquent, la langue qui a le plus de prestige et d'utilité économique pourra se développer au détriment de celle qui possède une force d'attraction moindre. Cette solution «personnelle» a été adoptée par le gouvernement fédéral et par le Nouveau-Brunswick. Évidemment, elle n'entraîne aucune menace pour la langue anglaise, qui est dominante partout en Amérique du Nord.

    Dans V'Affaire linguistique belge, la Cour européenne des droits de l'Homme a déclaré conforme à la Convention européenne des droits de l'Homme, sauf sur un point mineur, la législation linguistique belge qui met en -uvre, en matière scolaire, un système qui est également fondé sur le «principe de territorialité».52 En effet, sauf dans la région officiellement bilingue de Bruxelles-Capitale et dans certaines communes situées le long de la frontière linguistique, la seule langue utilisée dans l'enseignement public et dans l'enseignement privé subventionné est la langue officielle de la région dans laquelle l'école est située: le néerlandais dans la partie néerlandophone et le français dans la partie francophone de la Belgique. Les citoyens belges qui déménagent leur domicile d'une région linguistique à l'autre doivent donc accepter que le régime scolaire de leurs enfants

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    change en conséquence, ou alors se résoudre à leur faire fréquenter une école privée non subventionnée.53

    Enfin, sans prétendre épuiser les exemples d'application du principe de territorialité, signalons que celui-ci a également été mis en vigueur, en matière scolaire, à Puerto Rico. En effet, depuis 1947, les autorités fédérales américaines ons accepté que les autorités portoricaines fassent de l'espagnol la seule langue d'enseignement dans les écoles publiques de ce territoire associé aux États-Unis.54 Par conséquent, les citoyens américains d'expression anglaise qui s'établissent à Puerto Rico doivent envoyer leurs enfants à l'école hispanophone ou, s'ils veulent les faire édu-quer en anglais, dans une école privée de langue anglaise.55

    Avant de clore ces développements consacrés aux droits de la minorité anglophone relativement à la langue de l'éducation, il faut encore souligner deux points.

    D'aucuns avancent parfois l'argument selon lequel le principe d'égalité exigerait, dans la mesure où il existe des écoles publiques anglophones, que celles-ci puissent être fréquentées par tous ceux qui le désirent, quelle que soit leur affiliation linguistique. Une pareille prétention est manifestement erronée dans le contexte constitutionnel actuel, où l'article 23 de la Charte canadienne restreint lui-même, de façon expresse, le droit à l'instruction dans la langue de la minorité aux personnes qui satisfont l'un

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    des critères qu'il énumère. Par ailleurs, comme on le verra plus loin, dans la deuxième partie de ce mémoire, le droit international public n'exige pas davantage que les membres de la majorité soient traités comme ceux de la minorité, ni que toutes les minorités vivant dans un État soient traitées de la même façon.

    Enfin, il faut souligner que les anglophones du Québec réclament non seulement le droit d'être éduqués dans leur propre langue, ce qui leur est reconnu, mais également de meilleurs moyens pour apprendre le français dans les écoles publiques anglaises.56 Selon M. Peter Blaikie, ancien président d'Alliance-Québec, il s'agit même là de «la question la plus importante» et malheureusement, «toujours négligée».57 Il est vrai que cette préoccupation est légitime, puisque la Charte de la langue française exige une connaissance suffisante du français pour être admis dans la fonction publique, exercer certaines professions, et ainsi de suite. Cependant, à cet égard, la minorité anglophone ne devrait pas se voir reconnaître plus (ou moins) de droits que n'importe quelle autre minorité linguistique établie au Québec. C'est pourquoi cette question sera examinée dans la deuxième partie de ce mémoire, consacrée aux droits dont devraient bénéficier toutes les minorités.

    1. Les droits de la minorité anglophone relatifs à la langue de la vie économique

  7. La portée linguistique implicite des droits fondamentaux et du droit à l'égalité (la «liberté linguistique» dans le domaine privé)

    On fait une distinction généralement entre l'usage privé et l'usage officiel des langues. L'usage officiel concerne l'exercice des fonctions étatiques et les relations de l'Etat avec les citoyens; il porte par conséquent sur des domaines comme la langue des tribunaux, celle des lois et règlements, celle de l'instruction publique et des services administratifs. Concernant cet usage officiel, aucun droit de choisir la langue n'est garanti en vertu des libertés fondamentales ou du droit à l'égalité. Au contraire, dans ce domaine, les citoyens peuvent se voir imposer l'usage d'une lan-

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    gue déterminée. S'il en allait autrement, cela signifierait que l'État doit offrir ses services dans toutes les langues parlées sur son territoire, ce qui serait manifestement absurde. En outre, pour que les individus puissent exercer un libre choix linguistique dans le cadre de leurs rapports avec l'Etat, il faut que celui-ci mette à leur disposition des services bilingues ou multilingues, c'est-à-dire qu'il crée les conditions nécessaires à l'exercice d'un tel droit. Or les libertés fondamentales et le droit à l'égalité sont traditionnellement analysés comme des droits «négatifs», qui exigent seulement que l'État s'abstienne de créer des inégalités ou d'empêcher les individus d'agir librement, mais qui ne l'obligent pas à leur fournir les moyens matériels de ce faire ou à faire disparaître les inégalités existantes.

    Cela n'exclut nullement, bien sûr, qu'un certain droit de choisir la langue dans les rapports des individus avec l'État soit garanti par des dispositions particulières et expresses d'une constitution, lesquelles contiennent alors des «droits linguistiques» spécifiques, comme c'est le cas au Canada en ce qui concerne l'usage des langues française et anglaise. Cependant, cette liberté de choisir la langue dans les rapports avec l'État (dans l'usage officiel) doit être expressément prévue; elle ne saurait être considérée comme découlant implicitement des libertés fondamentales ou du droit à l'égalité.

    Il en va différemment en ce qui concerne l'usage privé des langues, lequel porte sur les rapports mutuels des particuliers, qu'il s'agisse de personnes physiques ou morales. L'usage privé regroupe en fait tous les cas où la langue n'est pas employée officiellement. Il peut se faire dans le cercle intime ou devant un public, peu importe. La publication de livres et de journaux, les représentations théâtrales et cinématographiques, les conférences et les réunions politiques, la vie commerciale et économique constituent dans cette optique autant d'usages privés de la langue. Dans ce vaste domaine de l'usage privé, l'individu doit être libre d'employer la langue de son choix: cette liberté linguistique découle logiquement et implicitement des libertés fondamentales, notamment la liberté d'expression, et du droit à l'égalité; il n'est donc pas nécessaire de la garantir expressément dans une disposition constitutionnelle particulière. En d'autres termes, le libre choix de la langue dans l'usage privé constitue une dimension nécessaire des libertés fondamentales et du droit à l'égalité, une condition essentielle de leur réalisation.58 Soulignons également que l'exer-

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    cice de leur liberté linguistique par les individus dans le domaine privé ne nécessite aucune prestation particulière de la part de l'Etat, mais exige seulement que celui-ci s'abstienne de contrecarrer leurs comportements spontanés. Enfin, il va sans dire que cette «liberté linguistique» qui découle implicitement des libertés fondamentales et du droit à l'égalité ne profite pas seulement aux membres des minorités, mais également à ceux de la majorité. Ces derniers peuvent donc choisir de s'exprimer, dans le domaine de l'usage privé, dans la langue de leur choix.

    Cette portée linguistique implicite des libertés fondamentales et du droit à l'égalité est de plus en plus reconnue par les tribunaux, tant au niveau interne qu'au niveau international. Au Canada, dans l'affaire Ford de 1988, les jugements concordants de la Cour supérieure et de la Cour d'appel du Québec, ainsi que de la Cour suprême du Canada, s'inscrivent dans ce mouvement. On se rappellera que ces tribunaux ont déclaré inopérants les anciens articles 58 et 69 de la Charte de la langue française, dans la mesure où ils prescrivaient runilinguisme dans l'affichage public et les raisons sociales, comme allant à l'encontre de la liberté d'expression garantie par la Charte canadienne des droits et libertés et par la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, et comme étant également incompatibles avec le droit à l'égalité garanti par cette dernière.59 On sait aussi que la législature du Québec a dû adopter une loi dans laquelle elle dérogeait expressément aux deux chartes pour renverser les effets de ce jugement et restaurer la validité des dispositions en cause de la loi 101, sous une forme quelque peu modifiée.60

    L'affaire Ford démontre donc que les droits des minorités relatifs à l'usage de leur langue dans le domaine privé, et en particulier dans la vie économique, sont protégés par le biais des libertés fondamentales et du droit à l'égalité. Cette affaire illustre également comment la politique linguistique du Québec peut être attaquée avec succès sur la base de certains droits et libertés qui devront inévitablement être «enchâssés» dans la Constitution d'un Québec souverain. Il est vrai que les éléments de cette politique qui seraient considérés comme incompatibles avec l'un ou

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    l'autre de ces droits pourraient être défendus comme «raisonnables» et «justifiables» sur la base d'une disposition limitative comme celle contenue dans l'actuelle Charte québécoise. Cependant, là encore, l'affaire Ford montre que les résultats d'une telle entreprise sont fort incertains, dans la mesure où ils dépendent d'une appréciation judiciaire qui peut varier en fonction de nombreux facteurs. Par conséquent, la protection de la politique linguistique du Québec contre les invalidations fondées sur les libertés fondamentales et le droit à l'égalité soulève la problématique du maintien et de la réforme du pouvoir du Parlement d'un Québec souverain de déroger aux droits et libertés.

  8. La problématique du pouvoir du Parlement de déroger aux droits et libertés

    A l'heure actuelle, la Charte canadienne des droits et libertés et la Charte des droits et libertés de la personne du Québec contiennent l'une et l'autre, la première à son article 33,61 la seconde à son article 52,62 une disposition permettant au législateur de déroger par déclaration expresse aux droits et libertés que ces deux chartes garantissent. Il faut cependant réaliser que le rôle de cette «clause dérogatoire» est bien différent pour chacune des deux chartes. Dans le cas de la Charte canadienne, qui est «enchâssée» par le biais d'une procédure spéciale de modification constitutionnelle, l'existence d'un pouvoir de dérogation affaiblit évidemment la protection des droits et libertés. Par contre, l'exigence de dérogation expresse contenue dans la Charte québécoise, laquelle peut être modifiée selon la procédure législative ordinaire, confère à cette loi une suprématie qu'elle n'aurait pas autrement. Cette suprématie découle précisément du fait qu'il est nécessaire de recourir à une disposition expresse pour déroger à la Charte québécoise, alors que normalement une loi plus récente modifie ou écarte une loi plus ancienne dans la mesure de leur incompatibilité.63

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    Par conséquent, tant que la Charte québécoise continuera de pouvoir être modifiée ou abrogée comme une loi ordinaire, l'existence de la clause dérogatoire aura pour effet, non pas d'affaiblir, mais bien de renforcer la protection des droits et libertés qu'elle garantit.

    Dans un Québec souverain, se poserait donc la question de savoir s'il convient de conserver à la Charte québécoise son statut actuel on s'il faut véritablement P«enchâsser» dans la Constitution, en exigeant pour sa modification une procédure spéciale, comme par exemple un vote des deux tiers des membres de l'Assemblée nationale, ou encore l'accord du peuple par voie de référendum. Il est très probable que l'on choisirait la solution de l'«enchâssement».

    Cela ne signifie cependant pas nécessairement que le pouvoir du Parlement québécois de déroger aux droits garantis par la nouvelle Constitution, ou à certains d'entre eux, devrait complètement disparaître. En effet, P«enchâssement» d'une Charte et le pouvoir d'y déroger ne sont pas forcément incompatibles, comme le démontre la Constitution canadienne actuelle. Or, au-delà des motifs politiques conjoncturels, la raison profonde de l'existence du pouvoir de déroger à la Charte canadienne réside dans une tentative de concilier le modèle anglo-canadien traditionnel de la souveraineté du Parlement avec le modèle américain de la suprématie des tribunaux.

    En effet, il faut bien voir qu'il existe, entre le principe démocratique et celui du contrôle judiciaire, une indéniable contradiction. Les règles contenues dans la Constitution, principalement celles qui portent sur les droits et libertés, sont très souvent vagues à souhait. Dès lors, c'est aux juges qu'il revient de les préciser. Il est donc inévitable qu'ils infusent, à l'intérieur de concepts aussi flous que, par exemple, «l'égalité devant la loi» ou la «liberté d'expression», leurs propres conceptions philosophiques et, à l'occassion, leurs préjugés. Cependant, comment admettre qu'ils puissent alors en arriver, sur cette base, à invalider les décisions prises par le Parlement, c'est-à-dire par les représentants élus du peuple? N'ou-

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    blions pas que les juges, nommés par le gouvernement et pratiquement inamovibles, n'ont aucune légitimité démocratique, ni responsabilité devant l'électorat. Si le contrôle judiciaire ne consistait qu'à faire respecter par le législateur une constitutionnalité «objective», aucun problème ne se poserait. Mais il s'agit là d'une fiction, que les juges eux-mêmes ne défendent plus. Etant donné que la Constitution est vague, le contrôle judiciaire revient à confier aux tribunaux le pouvoir de définir eux-mêmes le contenu des principes qui limitent la liberté d'action du Parlement. Surgit alors la menace du «gouvernement des juges», c'est-à-dire d'un empiétement des tribunaux dans le champ politique, II y a là une contradiction, un «paradoxe» qu'il est impossible d'ignorer.

    Les rédacteurs de la Charte canadienne ont donc voulu éviter que l'adoption de celle-ci ne transfère aux tribunaux le pouvoir de trancher de façon ultime certaines questions sociales, morales et politiques pour lesquelles ils ont estimé que le dernier mot doit revenir aux représentants élus du peuple. À notre avis, de tels motifs seraient tout aussi valables dans un Québec souverain que dans l'actuelle fédération canadienne. Par conséquent, nous pensons que le pouvoir du Parlement québécois de déroger aux droits garantis dans la Constitution, ou à certains d'entre eux, devrait être maintenu dans l'éventualité de l'accession du Québec à la souveraineté.64 Un tel pouvoir permettrait notamment de protéger les éléments considérés comme essentiels de la politique linguistique québécoise contre des décisions judiciaires par lesquelles les tribunaux trouveraient cette politique incompatible avec les libertés fondamentales ou le droit à l'égalité.

    Cependant, si le pouvoir de dérogation doit être conservé, il faut également rendre sa mise en -uvre plus difficile, afin d'établir un meilleur équilibre entre le contrôle judiciaire et le processus démocratique.

    Sous sa forme actuelle, le pouvoir de déroger aux Chartes canadienne et québécoise peut être exercé de façon «préventive». En effet, les Parlements sont en mesure d'insérer une déclaration de dérogation dans leurs lois avant même que celles-ci ne soient contestées, ce qui a pour effet d'empêcher toute vérification par les tribunaux de leur conformité aux dispositions des chartes qui font l'objet de la dérogation. Le gouvernement qui fait adopter une déclaration de dérogation se trouve dispensé

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    de démontrer que ses politiques sont raisonnables et justifiables dans le cadre d'une société libre et démocratique. La possibilité du contrôle judiciaire serait par contre maintenue si l'utilisation du pouvoir de déroger était limitée aux cas où une disposition législative a déjà été invalidée. Si le parlement qui l'a adoptée la considère véritablement essentielle, il pourra alors la réadopter avec une déclaration de dérogation, en prenant la responsabilité de ce geste devant l'opinion publique et l'électorat.

    L'adoption d'une déclaration de dérogation ne devrait cependant pas être trop aisée, ce qui est le cas à l'heure actuelle, dans la mesure où elle ne nécessite qu'une majorité simple des votes. Cela signifie qu'en situation normale de gouvernement majoritaire, le parti au pouvoir peut déroger aux chartes avec l'appui de ses seuls députés, lesquels sont soumis à la discipline de parti. Nous pensons qu'une dérogation aux chartes devrait exiger une majorité renforcée des deux tiers, c'est-à-dire -dans la plupart des cas- l'accord d'une partie au moins des députés d'opposition. Une autre solution consisterait à recourir au mécanisme du référendum, de façon à soumettre la question directement aux électeurs. De telles exigences rendraient en pratique le recours au pouvoir dérogatoire aussi difficile qu'une modification formelle de la Constitution.

    Il faut également souligner que, contrairement à l'article 33 de la Charte canadienne, qui limite l'application d'une disposition dérogatoire à une durée maximâle de cinq ans, laquelle est renouvelable, l'article 52 de la Charte québécoise ne contient aucune exigence semblable. On pourrait donc songer à prévoir une limitation de la durée des dispositions dérogatoires susceptibles d'être adoptées par le Parlement d'un Québec souverain.

    Enfin, dans un Québec souverain, il serait sans doute nécessaire de prévoir que certains droits garantis par la Charte québécoise ne puissent pas faire l'objet de dérogations, comme c'est actuellement le cas avec les articles 3 à 6, 16 à 20 et 23 de la Charte canadienne. L'«intangibilité» de certains droits est également prévue dans les conventions internationales relatives aux droits de la personne, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques auquel le Québec a déjà adhéré en 1976, en tant que province canadienne, et qu'il s'empresserait certainement de ratifier à nouveau en tant qu'Etat souverain.

    L'examen systématique, article par article, du contenu de la Charte québécoise pour déterminer quels droits et libertés devraient être soustraits au pouvoir dérogatoire du Parlement dépasse largement le cadre de la présente étude. Il faudrait s'inspirer des conventions internationales qui régissent cette question. J'ajouterai seulement qu'à mon avis, les droits linguistiques des minorités dans l'usage officiel, c'est-à-dire dans les rap-

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    ports avec l'État, devraient figurer parmi les droits entièrement soustraits au pouvoir de déroger. Pour deux raisons. En premier lieu, contrairement aux libertés fondamentales, ces droits linguistiques seraient énoncés de façon relativement précise et détaillée. Ils seraient par conséquent beaucoup moins susceptibles de donner lieu à une interprétation «abusive» par les tribunaux que les droits et libertés énoncés de façon floue, comme par exemple la liberté d'expression. Or c'est précisément pour neutraliser les interprétations judiciaires considérées comme abusives et non souhaitables que le pouvoir dérogatoire est utile. En second lieu, les droits des minorités devraient être protégés contre les errements et les débordements de la volonté de la population majoritaire et des ses représentants élus. Cela ne serait pas le cas si ces droits pouvaient faire l'objet d'une dérogation décidée par le Parlement, fût-ce par une majorité renforcée, ou par la population s'exprimant par un référendum. Il me semble donc que les droits minoritaires ne devraient pouvoir être restreints que dans les cas où les autorités politiques réussissent à démontrer devant un tribunal que la restriction en cause est raisonnable et justifiable, c'est-à-dire qu'elle constitue un moyen rationnel et proportionné d'atteindre un objectif social important. A l'inverse, je pense que la liberté linguistique qui existe dans le domaine des relations privées, et qui découle implicitement des libertés fondamentales et du droit à l'égalité, devrait continuer à être soumise au pouvoir dérogatoire. D'une part, il s'agit là de droits qui bénéficient à tous, autant les membres de la majorité que ceux des minorités. Par conséquent, les représentants de la majorité accepteront moins facilement de les limiter par une mesure dérogatoire. D'autre part, dans la mesure où elle découle de droits et de libertés exprimés de façon vague et indéterminée, la liberté linguistique dans les relations privées pourrait facilement donner lieu à des débordements jurisprudentiels. C'est en tout cas ce que laissent penser certaines décisions en matière de liberté d'expression, dans lesquelles les tribunaux canadiens ont étendu la protection de cette liberté aux comportements les plus inattendus.

    1. Les droits des membres de la minorité anglophone d'être adéquatement représentés dans la fonction publique du Québec

    Pour terminer cette première partie consacrée aux droits de la minorité anglophone du Québec, il faut mentionner que les anglophones se plaignent également de ne pas être suffisamment représentés au sein de la fonction publique québécoise, ce qui est exact et est également vrai pour

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    les autres minorités ethniques du Québec, ainsi que pour les minorités «visibles». De ce point de vue, la situation de toutes les minorités semble donc être comparable et leurs droits devraient également être les mêmes, à savoir le droit de pas subir de discrimination et, le cas échéant, celui de bénéficier d'un programme d'accès à l'égalité dans les cas où une situation de discrimination systémique aurait été constatée. Soulignons que la Charte québécoise offre dans ce domaine aux minorités une meilleure protection que la Charte canadienne. En effet, alors que l'article 15(2) de celle-ci ne fait qu'autoriser les programmes d'accès à l'égalité, sans les imposer, la Partie III (articles 86 et suivants) de la Charte québécoise contient des dispositions qui permettent aux tribunaux d'imposer l'implantation d'un programme d'accès à l'égalité dans les cas où une situation de discrimination a été constatée, notamment en matière d'emploi. Par conséquent, si ces dispositions étaient maintenues dans un Québec souverain, il ne serait pas nécessaire de prévoir une protection supplémentaire. Dans la mesure où les droits de toutes les minorités, anglophone ou autres, devraient être les mêmes dans ce domaine, nous ne soulèverons pas cette question à nouveau dans la deuxième partie du mémoire, consacrée aux droits des minorités autres que la minorité anglophone.

II Les droits des autres minorités du Québec

Introduction: L'article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l'article 43 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec

Advenant son accession à la souveraineté, le Québec ne serait tenu de respecter, à l'égard de toutes ses minorités, y compris la minorité anglophone, que les seules garanties découlant du droit international coutu-mier ou contenues dans les traités auxquels il deviendrait partie. Comme on le verra, ces normes internationales n'offrent qu'une protection relativement limitée en ce qui concerne l'usage public des langues minoritaires. Évidemment, rien n'empêcherait le Québec de reconnaître, dans sa Constitution ou dans un accord de réciprocité signé avec le Canada anglais, des garanties supplémentaires au profit de sa minorité anglophone. Cependant, s'il n'en était rien, cette minorité serait placée dans la même

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situation que toutes les autres minorités vivant au Québec, c'est-à-dire qu'elle ne pourrait invoquer que la protection des normes du droit international.

Par ailleurs, le Québec pourrait également reconnaître dans son droit interne, aux minorités autres que la minorité anglophone, des garanties plus généreuses que celles du droit international. Néanmoins, il est fort probable qu'un Québec souverain conférera des droits plus considérables, en matière d'usage public des langues, à sa minorité anglophone qu'à ses autres minorités linguistiques et culturelles. Cette «inégalité» ne devrait cependant pas être considérée comme incompatible avec le droit international. Celui-ci n'interdit pas toutes les distinctions fondées sur la langue, mais uniquement celles qui ne sont pas justifiables et raisonnables et qui n'ont pas de fondement objectif. Or, le rôle historique des anglophones au Québec, leur contribution au développement de la société québécoise ainsi que leur importance numérique justifient manifestement que des droits plus importants leur soient reconnus qu'à d'autres collectivités, qui se sont installées au Québec de façon plus tardive ou dont l'importance numérique est moindre. Pour clore ce point, il suffira de rappeler que de très nombreux États dans le monde -dont le Canada- reconnaissent un statut juridique privilégié, en matière d'usage public, à une ou plusieurs langues minoritaires sur leur territoire, mais évidemment pas à toutes les langues qui y sont parlées. Si le droit international devait être considéré comme interdisant ce genre d'«inégalités», il faudrait en conclure que tous ces États, y compris le Canada, violent leurs obligations.

L'on entend parfois l'argument selon lequel il serait inutile de conférer des droits particuliers aux minorités, celles-ci étant déjà suffisamment protégées par la mise en -uvre des droits et libertés de la personne qui bénéficient à l'ensemble de la population, notamment le droit à l'égalité et l'interdiction de la discrimination. À cela il convient de répondre que la majorité et les minorités ne se trouvent évidemment pas dans des situations comparables et qu'un même traitement appliqué à deux situations différentes produit l'inégalité plutôt que l'égalité. C'est l'idée qu'exprimait, dans un célèbre avis consultatif de 1935, la Cour permanente de justice internationale65 en soulignant que deux conditions doivent être remplies pour qu'une minorité puisse coexister de façon pacifique avec la population majoritaire, tout en conservant ce qui fait sa spécificité.

La première de ces conditions consiste à placer les membres de la mi-

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norité sur un pied de parfaite égalité avec la majorité. Elle est remplie s'il n'existe pas de discrimination dirigée contre les membres de la minorité à cause de leur appartenance à celle-ci. Dans le cadre de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, ce sont les articles 10 à 20 qui devraient assurer qu'il en soit ainsi. En particulier, l'article 10 énonce:

Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l'utilisation d'un moyen pour pallier ce handicap.

II y a discrimination lorsqu'une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de comprometre ce droit.»

Il faut remarquer que la Charte québécoise est la seule au Canada, tant au niveau provincial que fédéral, qui prohibe expressément la discrimination fondée sur la langue.

Cependant, si l'on en restait là, l'égalité entre la minorité et le reste de la population risquerait de n'être que formelle. Bien pire, une égalité purement abstraite impliquerait que les membres d'une minorité ethnique soient servis par les mêmes institutions culturelles et éducatives que la majorité, ce qui signifierait fort probablement la disparition plus ou moins rapide de tout ce qui fait le caractère spécifique de la minorité et, par conséquent, son assimilation à la majorité. C'est la raison pour laquelle la Cour Permanente ajoutait une deuxième condition pour que les droits de la minorité soient respectés, à savoir que celle-ci doit avoir les moyens de conserver et de perpétuer ses traditions et ses caractéristiques propres. Concrètement, cela signifie qu'elle doit pouvoir disposer de certaines institutions culturelles ou autres, propres à lui permettre d'atteindre ce but.66

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La Cour Permanente avait posé ces deux principes à propos du système de protection internationale des minorités qui s'appliquait dans le cadre des traités de paix conclus après la Première Guerre mondiale, Aujourd'hui, ce même droit des minorités de réclamer tout à la fols la pleine égalité avec la majorité et la préservation de leur identité propre découle du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont les articles 2(1) et 26 établissent les principes d'égalité et de non-discrimination67 et dont l'article 21 énonce:

Dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d'avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d'employer leur propre langue.

Le Canada a ratifié le Pacte en 1976 et le Québec en a fait autant, au même moment, en tant que province canadienne. S'il accédait à l'indépendance, le Québec renouvellerait très certainement cette adhésion en tant qu'État souverain. Il se trouverait donc lié par l'obligation de mettre son ordre juridique interne en conformité avec les normes contenues dans cet instrument international. Concernant les articles du Pacte relatifs à l'égalité et à la non-discrimination, on a déjà vu qu'ils trouvent leur contrepartie dans l'article 10 de la Charte québécoise. Quant à l'article 27 du Pacte, relatif aux droits des minorités, il a manifestement inspiré la rédaction de l'article 43 de la Charte québécoise, qui énonce:

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Les personnes appartenant à des minorités ethniques ont le droit de maintenir et de faire progresser leur propre vie culturelle avec les autres membres de leur groupe.

Il faut donc se demander si le contenu de la Charte québécoise, notamment son article 43, assure la conformité du droit interne du Québec aux obligations prévues par le Pacte international en matière de protection des minorités ethniques et culturelles. Pour répondre, il faudra déterminer quels sont les droits qui découlent pour ces minorités de l'article 21 du Pacte et voir ensuite dans quelle mesure ces mêmes droits sont également garantis par la Charte québécoise68. Dans cette démarche, nous examinerons successivement les différentes questions qui ont déjà retenu notre attention dans la première partie de ce mémoire. Cependant, il convient auparavant de faire deux remarques générales concernant, l'une, le contenu, l'autre, le statut de l'article 43 de la Charte québécoise.

Le texte de l'article 43 de la Charte québécoise apparaît moins précis et moins complet que celui de l'article 21 du Pacte. Celui-ci mentionne le droit des membres des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, en commun avec les autres membres de leur groupe, d'avoir leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur progre religion, ou d'employer leur propre langue. Par contre, l'article 43 de la Charte n'énonce que le droit des personnes appartenant à des minorités ethniques de maintenir et de faire progresser leur vie culturelle avec les autres membres de leur groupe. Le droit de professer et de pratiquer la religion minoritaire et celui d'employer la langue de la minorité n'apparaissent donc pas expressément dans la disposition québécoise. Cependant, on peut prétendre qu'ils sont inclus de façon implicite dans le droit de maintenir et de faire progresser la vie culturelle, étant donné que la culture inclut sans doute la religion et sûrement la langue. Dans le cadre de l'application de l'article 21 de

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la Charte canadienne, qui porte sur le «patrimoine multiculturel», les tribunaux ont jugé que la «culture» comprend la langue et la religion.69 Mentionnons également que, dans son étude concernant la mise en -uvre de l'article 27 du Pacte,70 le Professeur Capotorti, rapporteur spécial à la Sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités de l'Organisation des Nations-Unies, adopte la définition très large du concept de culture donnée par Michel Leiris:

[L]a culture comprend tout ce qui est socialement hérité ou transmis, son domaine englobe les ordres de faits les plus différents: croyances, connaissance, sentiments, littérature [...] sont des éléments culturels, de même que le langage ou tout autre système de symboles [...] qui est leur véhicule...

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Concernant son statut, il faut faire remarquer que l'article 43 fait partie du Chapitre IV de la Charte québécoise (articles 39 à 48) qui contient les droits économiques et sociaux. Or ces derniers ne font l'objet d'aucune primauté sur la législation ordinaire, dans la mesure où l'article 52 de la Charte québécoise (la clause de primauté) ne s'applique qu'aux articles 1 à 38. Par conséquent, les droits économiques et sociaux ne sont pas sanctionnables par les tribunaux à l'encontre du législateur et ne peuvent donc pas servir à rendre inopérante une loi qui serait considérée comme incompatible avec ces droits. Ils peuvent cependant servir à interpréter les lois, comme l'énonce l'article 53 de la Charte québécoise:

Si un doute surgit dans l'interprétation d'une disposition de la loi, il est tranché dans le sens indiqué par la Charte.

Mais en présence d'une loi incompatible rédigée sans ambiguïté, l'article 43 de la Charte québécoise sera dépourvu de toute utilité.

On comprend aisément que cette situation n'est pas satisfaisante actuellement et qu'elle le serait encore moins dans un Québec souverain, eu égard aux obligations internationales qui découlent de l'article 27 du Pacte. Advenant l'accession du Québec à la souveraineté, il faudrait donc que l'article 43 de la Charte obtienne la primauté sur les lois ordinaires

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et puisse servir à contester celles qui seraient considérées comme incompatibles avec ses dispositions.

Pour en revenir à l'article 27 du Pacte international, il faut mentionner que celui-ci ne définit pas le concept de «minorité». La définition suivante a été proposée par le Professeur Capotorti dans l'étude concernant la mise en -uvre de l'article 27 du Pacte qu'il a préparée en tant que rapporteur spécial à la Sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités de l'Organisation des Nations-Unies:

Un groupe numériquement inférieur au reste de la population d'un Etat, en position non dominante, dont les membres -ressortissants de l'État- possèdent du point de vue ethnique, religieux ou linguistique des caractéristiques qui diffèrent de celles du reste de la population et manifestent même de façon implicite un sentiment de solidarité, à l'effet de préserver leur culture, leurs traditions, leur religion ou leur langue.

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Il faut également souligner que la portée exacte des obligations qui s'imposent aux États signataires en vertu de l'article 27 du Pacte international fait l'objet d'une certaine controverse entre ceux qui considèrent que cette disposition ne fait que prohiber les interventions de l'État qui empêcheraient les minorités d'avoir leur vie culturelle, de pratiquer leur religion ou d'employer leur langue, et ceux qui, au contraire, estiment que l'article 21 oblige l'État à favoriser activement ces comportements en prenant des mesures positives impliquant, par exemple, des interventions administratives et un soutien financier. L'opinion la plus connue est sans doute celle du Professeur Capotorti qui, en tant que rapporteur spécial à la Sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités de l'Organisation des Nations-Unies, a préparé une étude concernant la mise en -uvre de l'article 27 du Pacte.73 Selon lui, cette disposition garantit d'abord aux minorités le droit de préserver et de développer leur religion, leur langue et leur culture en mettant en -uvre leurs propres ressources, l'État se voyant donc imposer l'obligation de ne pas s'opposer aux efforts que les minorités elles-mêmes sont suscepti-

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blés de faire dans ce sens. II est vrai que, dans la même étude, le Professeur Capotorti affirme également que les États parties ont l'obligation, dans la limite de leurs ressources, de venir en aide aux minorités, en mettant à leur disposition les moyens matériels nécessaires pour la préservation et le développement de la religion, de la culture et de la langue minoritaries74.

A) Les droits des minorités relatifs à la langue de la législation et de la réglementation, de la justice et de l'administration

Le Professeur Capotorti interprète l'article 27 du Pacte international comme n'imposant pas aux États signataires de reconnaître un statut officiel aux langues minoritaires, même si cette solution est considérée comme souhaitable. Il s'exprime notamment ainsi:

Une solution uniforme est difficile à appliquer dans ces domaines. Néanmoins, il semble pleinement justifié de penser que, dans tous les cas où une langue minoritaire n'a pas de statut officiel, des facilités adéquates doivent être mises à la disposition des membres du groupe linguistique minoritaire pour qu'ils ne soient pas désavantagés simplement parce qu'ils parlent une langue différente de celle de la majorité. Dans les procédures judiciaires et dans les rapports avec les autorités, par exemple, un système de traduction doit être prévu, à la charge de l'État.75

Par ailleurs, l'article 14(3) du Pacte international prévoit, de façon plus spécifique, que «Toute personne accusée d'une infraction pénale a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes: a) À être informée, dans le plus court délai, dans une langue qu'elle comprend et de façon détaillée, de la nature et des motifs de l'accusation portée contre elle; [...] f) À se faire assister gratuitement d'un interprète si elle ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience».

Ces droits judiciaires à incidence linguistique garantis par le Pacte ont leur contrepartie dans la Charte québécoise, qui reconnaît le droit de toute personne arrêtée ou détenue d'être promptement informée, dans une

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langue qu'elle comprend, des motifs de son arrestation ou de sa détention (article 28) et le droit de tout accusé d'être assisté gratuitement d'un interprète s'il ne comprend pas la langue employée à l'audience ou s'il est atteint de surdité (article 36).

Quant à la Convention européenne des droits de l'Homme, qui ne s'applique pas au Canada, mais que les tribunaux canadiens et québécois utilisent parfois pour interpréter le droit interne, les organismes chargés de sa mise en -uvre ont refusé jusqu'à présent d'en faire découler un droit quelconque des membres des minorités d'utiliser leur langue dans les rapports avec l'administration publique, c'est-à-dire dans l'usage officiel (par opposition à l'usage privé) des langues.76

Pour en revenir à l'article 43 de la Charte québécoise, est-il possible d'en faire découler un droit quelconque des minorités d'utiliser leur langue dans les rapports avec les autorités publiques ou de recevoir certains documents officiels dans cette langue? Cela semble difficile, d'autant plus qu'il faut tenir compte de l'existence de la Charte de la langue française qui réglemente de façon précise et détaillée l'usage officiel des langues. Il ne semble donc pas possible de prétendre que la Charte québécoise des droits et libertés, qui est une loi beaucoup plus générale, confère aux minorités des droits linguistiques plus considérables que la loi 101. Il n'en reste pas moins que l'on pourrait peut-être combiner l'article 43 et l'article 10, qui prohibe la discrimination fondée sur la langue, pour tenter de reconnaître aux minorités le droit d'obtenir la traduction, dans leur langue, de certains documents administratifs, comme par exemple les formulaires de demande de prestations sociales. Il serait également possible d'invoquer, en plus des articles 10 et 43, d'autres dispositions de la Charte. Ainsi, l'article 22, qui garantit le droit de vote, combiné avec les articles 10 et 43, pourrait peut-être fonder le droit de recevoir certains documents électoraux dans la langue de la minorité.

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B) Les droits des minorités relatifs à l'éducation

II faut distinguer les droits des minorités à l'enseignement dans leur langue et à l'apprentissage de celle-ci, les droits relatifs à l'apprentissage de la langue majoritaire et, enfin, le droit que les minorités sont susceptibles de revendiquer de choisir entre l'enseignement en français et l'enseignement en anglais.

  1. L'enseignement dans la langue minoritaire et l'apprentissage de la langue minoritaire

    Le Professeur Capotorti s'exprime comme suit concernant l'emploi des langues des groupes minoritaires dans l'enseignement:

    La langue étant un élément indispensable de la culture, la capacité de survie d'une minorité en tant que groupe culturel se trouve compromise si aucun enseignement n'est dispensé dans cette langue. Il est donc permis de douter de l'efficacité de mesures prises en faveur de la vie culturelle d'un groupe qui est privé d'instruction dans sa propre langue.

    77

    Si cela signifie que l'auteur interprète l'article 27 comme obligeant les États signataires à mettre sur pied un système d'éducation publique dans lequel l'enseignement se donne dans la langue de chaque minorité vivant sur leur territoire, il faut conclure que la pratique de la très grande majorité des Etats ne respecte manifestement pas cette obligation du Pacte. En fait, pareille interprétation mettrait à la charge des Etats signataires des obligations financières que même les plus riches d'entre eux auraient de la difficulté à assumer, si l'on songe au multilinguisme croissant qui existe aujourd'hui dans la plupart des pays du monde à la suite des migrations économiques et de la multiplication des réfugiés.

    L'article 5(l)(c) de la Convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l'enseignement, conclue sous l'égide de Tunesco, que le Canada n'a pas ratifiée, comporte des obligations beaucoup plus précises et plus spécifiques que l'article 27 du Pacte international en ce qui concerne les droits des minorités en matière d'éducation. Pourtant, cette disposition est très généralement interprétée comme ne mettant à la charge des États signataires que l'obligation négative de ne pas empêcher les minorités de mettre sur pied des écoles à leurs propres frais. Les articles 5.1.c) et 5.2 énoncent:

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    1. Les États parties à la présente convention conviennent:

    c) Qu'il importe de reconnaître aux membres des minorités nationales de droit d'exercer des activités éducatives qui leur soient propres, y compris la gestion d'écoles et, selon la politique de chaque État en matière d'éducation, l'emploi ou l'enseignement de leur propre langue, à condition toutefois:

    i) Que ce droit ne soit pas exercé d'une manière qui empêche les membres des minorités de comprendre la culture et la langue de l'ensemble de la collectivité et de prendre part à ses activités, ou qui compromette la souveraineté nationale; ii) Que le niveau de l'enseignement dans ces écoles ne soit pas inférieur au niveau général prescrit ou approuvé par les autorités compétentes; et iii) Que la fréquentation de ces écoles soit facultative.

    »2. Les États parties à la présente convention s'engagent à prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer l'application des principes énoncés au paragraphe 1 du présent article.»

    Un auteur éminent, pourtant très sympathique à la cause des minorités, commente de la façon suivante la portée de l'article 5(l)(c):

    Even tbough the matter is not expticitiy resolved in Article 5(l)(c), ii stands ta reason that, as a ru le, each minority must maintain its schools at ils own expense. Needless to say, a State is not barred front subsidizing such schools if it wishes to. But tbere does not seem to be any gênerai obligation incumbent on the State, under international law, to finance schools that préserve the minority's traditions.

    78

    On constate par conséquent qu'il n'y a pas de consensus concernant l'obligation des Etats, en droit international, de mettre sur pied un enseignement dam la langue ou de la langue de la minorité.

    Qu'en est-il de l'article 43 de la Charte québécoise? Il paraît évidemment exclu de faire découler de cette disposition un droit de toutes les minorités à l'enseignement dans leur langue qui serait comparable à celui qui est prévu, au profit de la seule minorité anglophone, par la Charte de la langue française. Par contre, il n'est peut-être pas impossible de pré-

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    tendre que, de la combinaison des articles 43 et 10, puissent éventuellement découler, au profit des «autres» minorités, certains droits moins élaborés que ceux dont bénéficie la minorité anglophone. En matière d'éducation, les minorités québécoises pourraient par exemple réclamer l'organisation d'un enseignement de leur langue et de leur culture d'origine. De tels programmes existent d'ailleurs déjà au Québec, sous le nom de «Projet d'enseignement des langues d'origine» (pelo) et de «Programme des langues ethniques» (ple). Une revendication plus audacieuse consisterait à demander la mise sur pied, durant les premières années de la scolarité, d'un enseignement bilingue et biculturel dans lequel certaines matières seraient enseignées dans la langue de la minorité, de façon à assurer une intégration plus harmonieuse des enfants minoritaires dans le groupe majoritaire. De telles revendications pourraient s'appuyer sur le droit des enfants de la minorité à l'égalité de traitement avec ceux de la majorité, ce droit étant interprété et appliqué à la lumière de l'article 43 de la Charte québécoise.79 Cependant, il ne s'agit là que d'hypothèses qui, jusqu'à présent, n'ont pas été vérifiées devant les tribunaux et dont il est très difficile, par conséquent, d'évaluer la vraisemblance.

  2. L'apprentissage de la langue de la majorité

    Tout aussi important que le droit de conserver leur propre langue d'origine est le droit des membres d'une minorité d'apprendre correctement la langue de la majorité. En effet, la maîtrise de la langue majoritaire conditionne normalement les chances de réussite économique et d'épanouissement social des personnes appartenant à une minorité linguistique. Rappelons à cet égard que la Charte de la langue française exige une «connaissance appropriée» de la langue française notamment pour l'accès aux postes de la fonction publique et à certaines professions.

    Par ailleurs, le droit -ou l'obligation- de fréquenter les écoles de la majorité ne suffit pas toujours à permettre aux enfants minoritaires d'acquérir une connaissance satisfaisante de la langue majoritaire. Dans

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    la mesure où ils n'ont pas les mêmes habilités linguistiques de départ que les enfants de la majorité, ceux des minorités sont susceptibles de développer des difficultés d'apprentissage si l'enseignement n'est pas adapté à leur situation particulière. En combinant l'article 10 de la Charte québécoise, qui interdît la discrimination fondée sur la langue, avec l'article 40, qui reconnaît le droit à l'instruction publique gratuite, les membres des minorités linguistiques, y compris la minorité anglophone, pourraient donc réclamer la mise sur pied de cours spéciaux de langue française destinés à permettre à leurs enfants de combler l'écart qui les sépare des enfants de la majorité. II ne serait évidemment pas nécessaire, à cette fin, d'invoquer l'article 43 de la Charte, qui vise la conservation des cultures et des langues d'origine des minorités, et non pas l'acquisition de la langue majoritaire. Ajoutons que des revendications du même genre pourraient être présentées pour obtenir des cours de langue française destinés aux membres adultes des groupes minoritaires. Il n'existe pas, à notre connaissance, de jurisprudence permettant d'évaluer les chances de succès de pareilles revendications.

  3. La revendication par les membres des minorités autres que la minorité anglophone du droit de choisir entre l'enseignement en français et l'enseignement en anglais

    A l'heure actuelle, la Charte de la langue française permet aux membres de la minorité anglophone du Québec, qui ont le droit de fréquenter l'école publique anglaise, de choisir entre cette école et l'école publique française. Le même droit n'appartient ni aux membres des autres minorités, ni à ceux de la majorité francophone, qui sont obligés de fréquenter l'école publique française. Il n'est pas douteux qu'une telle distinction pourrait être contestée en vertu de l'article 10 de la Charte québécoise et des articles 2(1) et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, toutes dispositions qui interdisent expressément la discrimination fondée sur la langue. Il nous semble cependant que cette restriction du droit à l'égalité pourrait être justifiée. Son but, qui est d'amener les immigrants -et les francophones eux-mêmes- à fréquenter l'école de la majorité francophone paraît clairement légitime et les moyens utilisés ne semblent pas disproportionnés. Ajoutons cependant qu'un tel régime serait plus facile à défendre si la «clause universelle» s'appliquait au Québec, car la distinction opérée serait alors plus logique et davantage conforme à l'ordre des choses. En effet, dans ce cas, tous ceux dont l'anglais est la lan-

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    gue maternelle auraient le droit d'inscrire leurs enfants à l'école anglophone, les autres devant les envoyer à l'école francophone.

    Pour clore ce point, rappelons que la Constitution canadienne actuelle contient le même genre de distinction que la loi 101, puisque l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés permet aux membres des minorités anglophone et francophone, et à eux seuls, de choisir entre l'école de la minorité (là où elle existe) et l'école de la majorité. À notre connaissance, l'article 23 de la Charte canadienne n'a jamais été contesté comme incompatible avec l'interdiction de la discrimination fondée sur la langue contenue dans les articles 2(1) et 26 du Pacte international.

C) Les droits des minorités relatifs à la langue de la vie économique

Comme on l'a vu auparavant, la «liberté linguistique» dans l'usage privé des langues, y compris en matière commerciale et économique, découle implicitement des libertés fondamentales et du droit à l'égalité. Elle bénéficie autant aux membres de la majorité qu'à ceux des minorités. Par ailleurs, on peut prétendre que les minorités pourraient s'appuyer en plus sur l'article 21 du Pacte international et sur l'article 43 de la Charte québécoise pour revendiquer le droit d'utiliser leur langue dans la vie économique. Cela paraît évident pour la première de ces dispositions, qui prévoit expressément le droit des membres des minorités linguistiques d'employer leur propre langue. Dans le cas de l'article 43 de la Charte québécoise, qui énonce le droit des membres des minorités de maintenir et de faire progresser leur propre vie culturelle, on peut sans doute considérer que les relations économiques font partie de la «culture» au sens sociologique large du terme.

Par conséquent, il est peu douteux que l'on puisse, en s'appuyant sur les dispositions du Pacte international qui garantissent le droit à l'égalité, la liberté d'expression et les droits des minorités, contester les dispositions de la Charte de la langue française qui prohibent ou limitent l'usage d'une langue autre que le français dans la vie économique, ou encore qui, tout en autorisant l'usage d'une ou de plusieurs autres langues, imposent la prédominance du français.

Dans un tel cas, les responsables de la politique linguistique québécoise devront essayer de justifier ces mesures en démontrant qu'elles poursuivent un objectif légitime, à savoir le redressement et le renforcement du statut du français qui est une langue vulnérable et menacée sur le continent nord-américain, et que les moyens utilisés ne sont pas dispropor-

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tionnés ou déraisonnables. À cette fin, ils pourront s'appuyer sur l'exemple de nombreux autres pays libres et démocratiques qui ont adopté des mesures semblables ou comparables, parce qu'Us connaissent une situation sociolinguistique similaire.

Si certaines mesures de la politique linguistique du Québec étaient malgré tout considérées comme non compatibles avec le Pacte, les représentants élus de la collectivité québécoise -ou cette dernière elle-même, par référendum- devraient décider ce qui leur importe le plus: rétablir la conformité du droit québécois avec le droit international en abolissant les dispositions jugées non conformes ou maintenir celles-ci malgré la réprobation éventuelle de l'opinion publique internationale, si elles étaient considérées comme essentielles à la sauvegarde de la langue française. Le même dilemme risque d'ailleurs de se poser en ce qui concerne l'existence du pouvoir de déroger à la Charte québécoise (et à la Charte canadienne), qui est également très susceptible d'être considéré comme incompatible avec le Pacte international. Cependant, c'est précisément pour avoir le privilège d'exercer ce genre de choix, fort difficiles, que le Québec accéderait à la souveraineté!

D) Les droits des minorités relatifs à l'expression et à la diffusion de la culture minoritaire

Un autre domaine dans lequel les droits d'une minorité ethnique et culturelle nécessitent d'êtres protégés est celui de l'expression et de la diffusion de la culture minoritaire. A ce sujet, l'étude des Nations-Unies portant sur les droits qui découlent de l'article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques contient notamment les observations et recommandations suivantes:

II va sans dire que l'initiative des membres des groupes minoritaires est la condition préalable de tout progrès dans ce domaine [i.e. le domaine artistique], mais elle doit être encouragée et soutenue par les pouvoirs publics. [...] Il est généralment admis qu'une politique culturelle, pour être efficace, doit offrir des possibilités variées de diffusion de la culture en cause. Les moyens et les méthodes de propagation de la culture dont dispose aujourd'hui le monde moderne doivent être exploités à fond.

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Autrement dit, l'article 27 du Pacte obligerait les États parties à garantir à leurs minorités un certain accès aux équipements qui permettent la création, l'expression et la diffusion de la culture.

De ce point de vue de l'accès aux moyens de création et de diffusion de la culture, la Charte québécoise met toutes les collectivités culturelles sur le même pied: aucune disposition ne garantit expressément de droits aux minorités dans ce domaine, qu'il s'agisse de la minorité anglophone ou des autres. L'article 43 ne possède, à cet égard, qu'une signification au mieux implicite et potentielle.81 Son éventuelle importance dans ce domaine est d'ailleurs limitée par le fait qu'en Amérique du Nord, une grande partie des moyens de communication et des équipements culturels relève du secteur privé, auquel cet article ne s'applique apparemment pas, du moins pas directement. En ce qui concerne le secteur étatisé, par contre, il n'est pas impossible qu'une jurisprudence inventive et généreuse combine différentes dispositions de la Charte québécoise, notamment les articles 10 et 43, afin de reconnaître certains droits aux minorités pour l'accès aux équipements culturels. Cependant, là encore, il ne s'agit que d'hypothèses qui restent à vérifier.

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[1] Pacte international relatif aux droit; civils et politiques, (1976) 999 rtnu 107; [1976] rt Can. n. 47 (entré en vigueur le 23 mars 1976)

[2] Convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l'enseignement adoptée par la Conférence générale de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture, le 14 décembre 1960 (entrée en vigueur le 22 mai 1962).

[3] Partie I (articles 1 à 34) de !a Loi constitutionnelle de 19S2, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, r-u, c. 11; lrc (1985), app. II, n. 44.

[4] lrq, c. C-12.

[5] Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, mieux connue comme la Convention européenne des droits de l'Homme, ste n. 5 (entrée en vigueur le 3 septembre 1953).

[6] Lq 1974, c. 6.

[7] LRQ, C. C-11.

[8] Pour une comparaison systématique des dispositions de la îoi 22 et de celles de la loi 101 voir; Jean-Claude Gëmar, Les trois états de la politique linguistique du Québec, Québec, Éditeur officiel, 1983.

[9] Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., R-u, c. 3; lrc (1985), app. II, n. 5. Antérieurement désignée Britisb Nortb America Act, 1867, la loi doit son nouveau titre à l'annexe de la Lot constitutionnelle de 1982.

[10] L'article 133, dont il n'existe pas pour le moment de version officielle en français, dispose: «Either the English or the French Language may be used by any Person in the Debates of the Houses of the Parliament of Canada and of the Houses of the Législature of Québec; and both those Languages shall be used in the respective Records and Journals of those Houses; and either of chose Languages may be used by any Person or in any Pleading or Process in or issuing from any Court of Canada esrablished under this Act, and in or from ail or any of the Courts of Québec. Tbe Acts of the Parliament of Canada and of the Législature of Québec shall be printed and published in both those Languages».

[11] Loi de 1870 sur le Manitoba, 33 Vict., Canada, c. 3; lrc (1985), app. II, n. 8.

[12] Loi de 1986 sur les services en français, lo 1986, ch. 45. Pour plus de détails sur la politique linguistique de l'Ontario, voir: A. Braun, «Statut du français et droits de la minotité francophone en Ontario», (1988) 19 Revue générale de droit 493.

[13] P,G. Québec c, Blaikie, [1979] 2 rcs 1016 (1ère affaire Blaikie); P.G. Québec c. Blaikie, [1981] 1 hcs 312 (2e affaire Blaikie).

[14] Blaikie c. P. G, Québec, [1978] es 37.

[15] P. G. Québec c. Blaikie, [1978] ca 351.

[16] MacDonald c. Ville de Montréal, [1986] 1 rcs 460.

[17] Bilodeau c. P. G. Manitoba, [1986] 1 rcs 449.

[18] Société des Acaiicm du Nouveau-Brunswick c. Association of Parents, [1986] 1 rcs 549.

[19] Précitée, note 16.

[20] Précitée, note 17.

[21] Précitée, note 16, 504 et suiv.

[22] Précité, note 18.

[23] Le Juge en chef Dickson et Madame la juge Wilson sont dissidents dans cette affaire; ils considèrent que le droit du justiciable d'employer le français ou l'anglais dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux et dans tous les actes de procédure qui en découlent, lui donne aussi le droit d'être compris par le tribunal devant lequel il s'exprime.

[24] Précité, note 18, 578 (juge Beetz).

[25] MacDonald c. Ville de Montréal, précité, note 16, 486.

[26] Par contre, le droit de s'exprimer en anglais dans les débats de l'Assemblée nationale n'a pas été restreint par la Charte de la langue française. Il y a également lieu de souligner que, dans tous les cas où la loi 101 n'impose pas expressément l'usage exclusif de la langue française, il faut appliquer son article 89, qui énonce: «Dans les cas où la présente loi n'exige pas l'usage exclusif de la langue officielle, on peut continuer à employer à la fois la langue officielle et une autre langue.»

[27] Précitée, note 13.

[28] Loi modifiant de nouveau la Loi sur les services de santé et les services sociaux, lq 1986, c. 106.

[29] lrq c. 1-16.

[30] Renvoi sur les droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 RCS 721, 777-778.

[31] Sur la politique linguistique de Fribourg, voir: Claudine Brohy, «L'histoire de la politique linguistique de Fribourg (Suisse)», dans Pupier, Paul et Woehrling, José (dir.), Langue et droit (Actes du Premier Congrès de l'Institut international de droit linguistique comparé), Montréal, Wilson & Lafleur, 1989, pp. 375-385. De façon plus générale, sur le droit linguistique suisse, voir: Ernest Weibel, «Les cantons bilingues en Suisse», dans le même ouvrage, pp. 351-373; Joseph Voyame, «Le statut des langues en Suisse», dans le même ouvrage, pp. 343-350; François Dessemontet, Le droit des langues en Suisse, Québec, Éditeur officiel, 1984 (Documentation du Conseil de la langue française); Kenneth D. McRae, Switzertand: Example of Cultural Coexistence, Toronto, The Canadian Institute o£ International Affairs, 1964.

[32] Ordonnance sur la publication d'un nouveau recueil grisou et la poursuite du recueil officiel du 28 mai 1975, BR 180.00, art. 1.

[33] Sur (e droit linguistique suisse, voir les ouvrages mentionnés supra, note 31. Sur le droit linguistique belge, voir: Xavier Delgrange, «Le principe d'égalité et de non discrimination face au fédéralisme en Belgique», dans: Pierre Patenaude (dir.), Québec-Communauté française de Belgique: Autonomie et spécificité dans le cadre d'un système fédéral (Actes du colloque tenu le 22 mars 1991-Facuhé de droit, Université de Sherbrooke), Montréal, Wifson & Lafleur, 1991, pp. 169-203.

[34] Loi du 15 juin JPJJ, art. 4.

[35] Le Tribunal fédéra], dont le siège esc à Lausanne, possède une compétence étendue, à la fois de première instance et en appel des tribunaux cantonaux. Ses juges sont élus par l'Assemblée fédérale, c'est-à-dire le Parlement central, dont les deux chambres sont le Conseil national et le Conseil des États. Lors de cette désignation, l'Assemblée doit veiller à ce que les trois langues officielles de la Confédération y soient représentées (article 107 de la Constitution fédérale). Le Tribunal fédéral joue en Suisse le rôle de cour constitutionnelle de dernier ressort pour les lois cantonales. À souligner qu'il n'existe pas de contrôle judiciaire de la constitutionnalité à l'égard des lois fédérales. L'existence d'un système référendaire avec initiative populaire pallie d'une certaine façon cette carence. Les décisions du Tribunal fédéral suisse sont publiées dans celle des trois langues officielles dans laquelle elles ont été rendues. Elles sont cependant précédées d'un sommaire trilingue.

[36] Brunner c. Tiefnig et Président du Tribunal de la Saritie; arrêts du Tribunal fédéral suisse, 1980, volume 106, 1ère partie, pp. 229 et suiv.; voir également la décision du Tribunal fédéral du 7 mai 1982: Époux Giovanoli c. Skilifte Bivio A, G. et Commission du Tribunal du district d'Albuk, (1982) 9 Europàiscbe Grundrechte Zeitschrift, pp. 317 et suiv.

[37] Dans un article où il examine le contenu éventuel d'une nouvelle Constitution québécoise, le Professeur Jacques-Yvan Morin s'exprime comme suit sur cette question: «Les droits de la minorité anglophone du Québec, particulièrement pour tout ce qui touche (a comparution devant les tribunaux, les débats de l'Assemblée nationale, l'école, les institutions sociales et les services publics devraient faire l'objet de garanties constitutionnelles conformes à la Charte de la langue française. Le droit des citoyens anglophones de recourir à leur langue devant les tribunaux et devant les autorités administratives, dans leurs propres affaires, et de recevoir leur courrier officiel rédigé dans cette langue pourrait figurer dans la Loi fondamentale [...]. De même, le droit de s'exprimer en anglais dans les débats de la Chambre, qui n'a pas été restreint par la Charte de la langue française, pourrait être inscrit dans la Constitution»; voir: Jacques-Yvan Morin, «Pour une nouvelle Constitution du Québec», (1985) 30 Revue de Droit de McGill 171, 200.

[38] Le Professeur Jacques-Yvan Morin estime que l'on pourrait consacrer dans une future Constitution québécoise le droit des anglophones à certaines institutions publiques autonomes, comme les hôpitaux, là où le nombre le justifie: loc, cit., note 37, 201.

[39] Loi constitutionnelle de 1982, précitée, note 3, art. 59.

[40] L'article 23(2) s'explique également par le désir d'assurer la mobilité des Canadiens, en leur permettant, s'ils changent de domicile, de continuer à donner à leur enfants l'éducation dans la langue dans laquelle ceux-ci, ou leurs frères ou soeurs, ont commencé de la recevoir.

[41] Mabé c. Alberta, [1990] 1 rcs 342.

[42] Charte de la langue française, précitée, note 7, art. 86 et 86.1.

[43] P. G. Québec c. Québec Protestant School Boards, [1984] 2 rcs 66.

[44] Le Professeur Jacques-Yvan Morin est d'avis que le droit à l'éducation en anglais devrait être garanti dans la Constitution du Québec: loc. cit., note 37, 201, à la note 111.

[45] Le recensement décennal de 1981 indique que la population de langue maternelle anglaise du Québec se chiffrait à 706.110 personnes (11 % du total) et celle de Montréal à 533.615 (17,1 %). En outre, l'anglais était la langue parlée à la maison pat 809.145 personnes au Québec (12,7 % de la population totale) et 648.364 à Montréal (20,2 %). Ces chiffres montrent que les transferts linguistiques continuent de favoriser l'anglais au Québec et que les immigrants qui s'établissent dans cette province choisissent encore très majoritairement de parler l'anglais plutôt que le français; voir J. Dumas et R. Lachapelle, La conjoncture démographique-Rapport sur l'état de la population du Canada, Ottawa, Approvisionnements et Services Canada, 1987, Tableaux C2, C3, C4 et C5. Dans toutes les provinces sauf au Québec, on constate que la moitié des allophones parlent l'anglais à la maison. Au Québec, ils ont moins tendance à changer de langue. Les deux tiers d'entre eux continuent d'utiliser leur langue maternelle, alors que le quart parlent l'anglais à la maison et le dixième seulement adoptent le français; voir: J. Dumas et R. Lachapelle, op. cit., Tableaux C2 et C3.

[46] Indicateurs de la situation linguistique au Québec, Québec, Éditeur officiel, avril 1991, p. 32.

[47] Michel Paillé, Les écoliers du Canada admissibles à recevoir leur instruction en français ou en anglais, Québec, Éditeur officiel, 1991 (Notes et documents du Conseil de la langue française, n. 80), p. 46.

[48] Le Professeur Jacques-Y van Morin s'exprime sur cette question de la façon suivante: «[...] le droit à l'éducation en anglais, pour tous les enfants dont les parents ont reçu l'enseignement dans cette langue au Québec, pourrait être enchâssé sans restriction quand au nombre d'enfants requis, comme c'est déjà la règle. De même pourrait être consacré le droit à l'administration scolaire autonome, là où le nombre d'élèves le justifie [...]. Cependant, le législateur constituant pourrait estimer opportun, tout en continuant de reconnaître ces droits dans les lois ordinaires, de ne les consacrer dans la Constitution qu'après l'obtention d'un traitement équivalent pour les minorités francophones vivant à l'extérieur du Québec, du moins en ce qui concerne l'accès a l'école pour tous et l'administration scolaire: toc. cit., note 37, 201.

[49] Charte de la langue française, précitée, note 7, art. 86 et S6.1.

[50] Le Devoir, 27 février 1989, p. 1.

[51] Décision du 31 mais 1965: Association de l'École française c. Conseil d'État et Tribunal administratif de Zurich; Arrêts du Tribunal fédéral suisse, 1965, vol. 91, 1ère partie, pp. 480 et suiv. Pour un commentaire de cette décision, voir: J, Woehrling, «De certains aspects de la réglementation linguistique scolaire en Suisse», dans Études juridiques en l'honneur de Jean-Guy Cardinal, Montréal, Éditions Thémis, 1982, pp, 453-468. Sur le droit des langues en Suisse, voir les ouvrages cités supra, note 31.

[52] Alfaire relative à certains aspects du régime linguistique de l'enseignement en Belgique (fond), arrêt du 23 juillet 1968, série A n. 6, p. 34.

[53] La loi belge laisse donc aux citoyens la latitude d'envoyer leurs enfants à l'école privée non subventionnée pour y recevoir J'enseignement dans une langue autre que la langue officielle de la région dans laquelle ils résident. Par contre, dans le canton de Zurich, où les germanophones sont majoritaires, l'obligation d'envoyer ses enfants à l'école allemande est absolue et s'applique autant à l'égard des écoles privées non subventionnées qu'en ce qui concerne les écoles privées subventionnées et les écoles publiques.

[54] Puerto Rico a été cédée par l'Espagne aux États-Unis le 10 décembre 1898. La Constitution actuelle, qui date du 25 juillet 1952, fait de l'île une entité politique autonome («Commonwealth») associée aux États-Unis. Concrètement, cela signifie que Puerto Rico se trouve dans une situation juridique qui, si elle présente beaucoup d'analogies avec le statut constitutionnel des États membres de l'Union, se différencie également de celui-ci sur un certain nombre de points importants. C'est ainsi que la population portoricaine ne participe pas aux élections législatives et présidentielles américaines. Elle élit par contre un «Résident Commissioner» qui prend part aux débats de la Chambre des représentants des États-Unis concernant Puerto Rico, sans avoir cependant le droit de vote. En contrepartie et pour satisfaire au principe «no taxation without représentation», aucun impôt direct n'est perçu par l'Union sur le territoire de Puerto Rico. Sur le statut juridique de Puerto Rico, voir: Arnold Leibowitz, «The Applicability of Fédéral Law to the Commonwealth of Puerto Rico», (1967) 56 Georgia Law Journal 219,

[55] Sur le statut des langues à Puerto Rico, voir: Luis Mun--ArgueixëS, «The Status of Languages in Puerto Rico», dans Pupier, Paul et Woehrung, José (dir.), op. cit., note 31, pp. 457-472.

[56] A Policy for the EngLish-Speakitig Community in Québec, Alliance-Québec, May 1989, p. 13: «The English-speaking community must hâve access to improved opportuni-ties to learn French»,

[57] Ces propos sont rapportés par Mme. Francine Pelletier dans un article intitulé «Le PQ et les anglos: la valse à mille temps», La Presse, 30 novembre 1991, p. B-3.

[58] Cependant, il va de soi que la «liberté linguistique» dans l'usage privé, si elle est très étendue, n'est pas pour autant absolue. Comme les autres droits et libertés, elle peut Être restreinte pour des motifs raisonnables et justifiables. Sur la portée linguistique implicite de certains droits fondamentaux et du droit à l'égalité, voir notamment: Bruno De Witte, «Droits fondamentaux et protection de la diversité linguistique», dans: Paul PupiER et José Woehrling (dir.), op. cit., note 31, pp. 85-101.

[59] Ford c. P. G. Québec, [1988] 2 rcs 712.

[60] Loi modifiant la Charte de la langue française, lq 1988, c. 54 (mieux connue comme la «Loi 178»); cette loi exige que l'affichage public et la publicité commerciale à l'extérieur des établissements se fassent en français uniquement, mais elle permet l'affichage et la publicité en p!us d'une langue à l'intérieur, à condition que le français soit prédominant.

[61] L'article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés autorise les législatures provinciales et le Parlement canadien à déroger par déclaration expresse aux droits et libertés garantis par les articles 2 et 7 à 15. Seuls les droits démocratiques (articles 3, 4 et 5), la liberté de circulation et d'établissement (article 6) et les droits linguistiques (articles 16 à 20 et 23) échappent au pouvoir de dérogation.

[62] L'article 52 de la Charte des droits et libertés de la personne énonce qu'aucune loi, même postérieure, ne peut déroger aux articles 1 à 38 de la Charte à moins qu'elle n'énonce expressément s'appliquer malgré la Charte.

[63] L'efficacité de la clause de dérogation expresse contenue dans la Charte québécoise s'appuie sur la vigueur des forces qui exercent un contrôle politique sur le Parlement, de l'intérieur (partis d'opposition) ou de l'extérieur (groupes de pression, électorat, médias d'information). En effet, dans la mesure où la majorité parlementaire doit annoncer expressément son intention de déroger à la Charte, elle actionne une «sonnette d'alarme» qui prévient les instances sociales et politiques susceptibles de s'opposer à elle. Plus concrètement, le gouvernement qui présente une loi dérogeant expressément à la Charte court un certain risque de voir se retourner contre lui l'opinion des électeurs. Enfin, il fout souligner que le mécanisme de la dérogation expresse empêche qu'un Parlement puisse restreindre les droits et libertés de façon involontaire, ce qui n'est jamais exclu lorsque les tribunaux appliquent le principe traditionnel de la dérogation implicite par une loi postérieure incompatible.

[64] Même au Canada anglais, il existe d'éminents constitutionnalistes qui sont favorables au maintien du pouvoir de déroger à la Charte canadienne; voir par exemple: Peter H. Russell, «Standing Up for Notwithstanding», (1991) 29 Alberto Lato Review 293-309; Paul C. Weiler, «Rights and Judges in a Democracy: A New Canadian Version», (1984) 18 University of Mkhigan Journal of Law Reform 51 et suiv.

[65] Avis consultatif sur les écoles minoritaires en Albanie, (6 avril 1935); cpji, Série A-B, n. 64, p. 17.

[66] Précité, note 65, p. 17: «L'idée qui est à la base des traités pour la protection des minorités est d'assurer à des groupes sociaux incorporés dans un État, dont la population est d'une race, d'une langue ou d'une religion autre que la leur, la possibilité d'une coexistence pacifique et d'une collaboration cordiale avec cette population, tout en gardant les caractères par lesquels ils se distinguent de la majorité et en satisfaisant aux exigences qui en découlent. Pour atteindre ce but, deux choses surtout ont été considérées comme nécessaires et font l'objet des dispositions desdits traités. Tout d'abord, assurer que les ressortissants appartenant à des minorités de race, de religion ou de langue se trouvent, à tous les points de vue, sur un pied de parfaite égalité avec les autres ressortissants de l'État. En second lieu, assurer aux groupes minoritaires des moyens appropriés pour la conservation des caractères ethniques, des traditions et de la physionomie nationales. Les deux choses sont d'ailleurs étroitement liées, car il n'y aurait pas de véritable égalité entre majorité et minorité si celle-ci était privée de ses propres institutions et partant obligée de renoncer à ce qui constitue l'essence même de sa vie en tant que minorité».

[67] L'article 2(1) du Pacte énonce: «Les États parties au présent Pacte s'engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans te présent Pacte, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation»; l'article 26 dispose: «Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égaie protection de la loi. À cet égard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique et de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation».

[68] La Charte canadienne des droits et libertés contient à son article 21 une disposition interprétative qui prévoit que «Toute interprétation de la [...] charte doit concorder avec l'objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens». Combiné avec d'autres dispositions de la Charte, l'article 27 pourrait être considéré comme une façon -peu satisfaisante- de mettre en oeuvre, en droit interne canadien, l'article 27 du Pacte international, Jusqu'à présent, l'article 27 de la Charte canadienne a reçu une application qui ne lui a fait jouer qu'un rôle insignifiant. Sur cette question, voir notamment: Multiculturalism: A Légal Perspective (Canadian Human Rights Foundation), Toronto, Carswell, 1987; D. Borros, «Multiculturalism: Section 27's Application in Charter Cases Thus Far», (1988) 26 Alberto Law Review 621; Dale Gibson, «Section 27 of the Charter: More than A "Rhetorical Flourish"», (1990) 28 Alberto Law Review 589-603.

[69] Voir supra, note 68.

[70] F. Capotorti, Étude des droits des personnes appartenant aux minorités ethniques, religieuses et linguistiques, New York, Nations-Unies, 1979 (Doc. E/CN 4 Sub. 2/384/Rev. 1), p. 39.

[71] Michel Lëihis, Race et civilisation, Paris, Unesco, 1951, p. 21.

[72] Op. cit., note 70, p. 102. Une définition qui n'est guère différente a été proposée par M. Jules Deschênes en sa qualité de membre de la Sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités de l'Organisation des Nations-Unies; voir: Jules Deschênes, «Qu'est-ce qu'une minorité?», (1986) 27 Cahiers de droit 255.

[73] Op. cit., note 70.

[74] Op. cit., note 70, p. 105. Pour une opinion contraire par un auteur considéré comme un éminent spécialiste de la question, voir: Patrick Thornberky, «Is There a Phoenix in the Ashes?-International Law and Minority Rights», (1980) 15 Texas International Law journal 421, 449-450.

[75] Op. cit., note 70, p. 107.

[76] Sur la portée de la Convention européenne à l'égard des minorités, voir: Peter Leuprecht, «Le Conseil de l'Europe et les droits des minorités», (1986) 27 Cahiers de Droit 203-213. Le Conseil de l'Europe étudie actuellement un projet de Charte des langues régionales et minoritaires, qui reconnaîtrait aux minorités des droits plus larges que la Convention européenne; sur ce sujet, voir: Jean-Marie Woiîhrlinc, «La promotion des langues régionales et minoritaires dans le projet de Charte du Conseil de l'Europe», dans: Paul Pupier et José Woeheling (dir.), op. cit., note 31, pp. 133-182.

[77] Op. cit., note 70, p. 107.

[78] Yoram Dinstein, «Cultural Rights», (1979) 9 Israël Yearboak on Human Rights 58, 72.

[79] Aux États-Unis, dans Lau v. Nichais, 414 us 563 (1974), la Cour suprême des États-Unis a jugé, en se fondant sur le principe d'égalité inscrit au Titre VI du Civil Rigbts Act de 1964, que l'enseignement doit être dispensé aux élèves dans une langue que ceux-ci comprennent. À la suite de cette décision, ont été mis sur pied des programmes scolaires bilingues et biculturels à l'intention des enfants appartenant à certaines minorités ethniques. Pour une analyse des différentes mesures adoptées à la suite de l'affaire Lau, voir Rachel F. Moran, «Discrétion Under Fire: The Challenge of Bilingual Education in the usa», dans: Paui Pupier et José Woehrling (dir.), op. cit., note 31, pp. 473-485.

[80] Op. cit., note 70, p. 106.

[81] La même chose est vraie pour l'article 27 de la Charte canadienne des droits et libertés; voir supra, note 68.

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