Pourquoi le Canada a-t-il joué la carte visa? Immigration, sécurité et relations canado - mexicaines

AutorEric Tabuteau
Páginas455-470
Introduction
Contrairement au traité instituant l’Union européenne, l’Accord de libre-
échange nord-américain n’a pas pour finalité de faciliter la libre circulation
des personnes, seulement de permettre un meilleur flux des marchandises,
des services et des investissements entre les trois pays signataires : Etats-Unis,
Canada et Mexique. 1 Toutefois, il est futile d’imaginer qu’on peut accélérer
le passage des biens ou des services d’un pays à l’autre sans affecter la mobili-
té des individus.
D’abord, est-il nécessaire de le préciser, les marchandises ne voyagent pas
seules : elles ont besoin d’être transportées grâce à des moyens de locomotion
conduits par des hommes qui, de fait, se déplacent plus facilement. Ensuite,
pour réduire l’entrave à l’échange de biens et de services, il faut inévitablement
assouplir les contrôles aux frontières : cela rend mécaniquement le passage
des êtres humains plus simple.
Ainsi, par effet d’entraînement, on aurait pu s’attendre à ce que la mise
en place de l’ALENA aboutisse à une plus grande perméabilité des frontières
au sein de la zone de libre-échange. D’ailleurs, dans son rapport intitulé Buil-
ding a North American Community publié en 2005, le groupe de travail indépen-
dant chargé par les trois gouvernements de réfléchir à une meilleure intégra-
tion du Canada, des Etats-Unis et du Mexique, prévoyait l’instauration d’un
laissez-passer frontalier unique valable pour les trois pays. 2
1 Voir COTTAM, Martha, «Border Management Issues in NAFTA», in : Borders and Securi-
ty Governance, Caparini, Marina, Marenin, Otwin (eds), http://www.dcaf.ch/Publications/Bor-
ders-and-Security-Governance, 249, consulté le 15 juillet 2013.
2 «Les trois pays devraient créer un permis frontalier nord-américain sécurisé comportant
des identificateurs biométriques. Ce document permettrait à son détenteur de passer rapidement
les douanes, le service d’immigration et les dispositifs de sécurité des aéroports de toute la ré-
gion.» Independent Task Force Report, Building a North American Community / Construire une
Pourquoi le Canada a-t-il joué la carte visa ?
Immigration, sécurité et relations
canado – mexicaines
Eric Tabuteau
Université Stendhal – Grenoble III, CEMRA
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Mais pratiquement vingt ans après l’entrée en vigueur de l’ALENA, s’agis-
sant des flux d’êtres humains, c’est le contraire qui s’est produit, les frontières
se sont épaissies, notamment sous la pression de l’insécurité générée par la
menace grandissante du crime organisé et du terrorisme international. Pour
reprendre la formule du politiste Robert Pastor, si l’ALENA a permis de faire
tomber les barrières entravant les échanges entre les nations d’Amérique du
Nord, les attentats du 11 septembre 2001 les ont rétablies. 3
Les initiatives trilatérales visant à concilier accessibilité et sécurité des
territoires nationaux suite aux attaques terroristes à New York et Washington
ont effectivement fait long feu. Aboutissement d’études menées par le Conseil
canadien des chefs d’entreprise et le Council on Foreign Relations, le Partenariat
pour la sécurité et la prospérité lancé en 2005 par George W. Bush, Vicente
Fox et Paul Martin, dont le but était la création d’une zone de libre-échange
protégée par un périmètre de sécurité nord-américain, a finalement rendu
l’âme en 2009.
Rejeté par de nombreuses organisations non-gouvernementales et activistes
de tous bords qui le jugeaient trop ambitieux, technocratique et opaque, 4 le
projet allait également à l’encontre de décisions bilatérales ou unilatérales
parallèles qui poursuivaient un but diamétralement opposé : organiser le
bouclage du territoire états-unien. L’exemple le plus criant en la matière fut
le Secure Fence Act de 2006 qui permit la construction d’une véritable ligne
Maginot longue de 1 100 kilomètres entre le Mexique et les Etats-Unis et qui
était en totale contradiction avec les objectifs du PSP. 5
Mais la situation n’était guère plus brillante au nord puisque dès décembre
2001, et malgré l’annonce de bonnes intentions qui l’accompagnait, la Décla-
ration sur la frontière intelligente et son plan d’action en trente points
œuvraient en faveur du renforcement des contrôles au 49ème parallèle, pourtant
réputée être la plus longue frontière non défendue au monde. 6
Si la guerre contre les narcotrafiquants au sud et la hantise d’entrée de
terroristes au nord sont incontestablement responsables du verrouillage ré-
cent des Etats-Unis, on note quand même que la création d’une zone de
communauté nord-américaine / Construcción de una comunidad de América del Norte, New York, Coun-
cil on Foreign Relations, 2005, 68.
3 Voir PASTOR, Robert, The North American Idea: A Vision of a Continental Future, New York,
Oxford University Press, 2011, 56.
4 Voir BARLOW, Maude, Too Close for Comfort: Canada’s Future Within Fortress North America,
Toronto, McClelland & Steward, 2005, 9-10.
5 Voir Hernandez Joseph, Daniel, «Managing our Borders and the Perimeter. Paper pre-
pared for the Center for North American Studies», http://www1.american.edu/ia/cnas/pdfs/
rsh_border_hernandez.pdf, consulté le 19 juillet 2013.
6 «Mais pour le moment, la frontière agit comme un véritable mur qui se veut de moins
en moins franchissable et dans un certain sens, [...] elle est sous-tendue par des motivations non
avouées qui vont à l’encontre des traités de libre-échange signés depuis plus de deux décennies
par les deux pays.» BEYLIER, Pierre-Alexandre, «Les dessous de la frontière intelligente», in :
TABUTEAU, Eric, TOLAZZI, Sandrine (eds), A Safe and Secure Canada : Politiques et enjeux sécu-
ritaires au Canada depuis le 11 septembre 2001, Bruxelles, PIE Peter Lang, 2011, 70.
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