Du bilinguisme a la co-officialité: réflexion autour de l'article 53 alinéa 2 du statut de la collectivité territoriale de corse

AutorPierre Olivier Bonnot
CargoAllocataire d'Enseignement et de Recherche en Droit Public
Páginas67-79

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L'article 53 alinéa 21 du nouveau statut de la Corse2 permet à l'Assemblée de Corse de mettre en oeuvre une politique culturelle et linguistique d'un genre nouveau.

En effet, en prévoyant que la nouvelle collectivité territoriale aura compétence pour dresser un plan de développement de la langue et de la culture corses notamment en milieu scolaire et ce au moyen de conventions passées avec l'État, le législateur a permis de préciser le droit des parler s locaux.

Car, ce dernier, comme l'ensemble du «droit de la langue» en France semble avoir peu préoccupé'le législateur et surtout le constituant. Madame Latournerie, dans une réflexion exemplaire sur le «droit de la langue française»3 s'étonne d'ailleurs de cette absence de référence au plus haut degré de notre hiérarchie normative.4

Ce domaine, par conséquent, est largement l'oeuvre du pouvoir réglementaire prolongeant quelques textes de nature législative.

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Entre la loi du 11 janvier 1951 relative à renseignement des langues régionales et la loi du 31 décembre 1975 relative à l'emploi de la langue française, le droit français se montre très timide dans la mise en oeuvre de dispositions dont le principe est la reconnaissance de l'existence, sur le sol français, de parlers «étrangers» qui ne peuvent trouver une effecti-vité qu'avec la participation active de tous les échelons de l'administration.

Le droit français semble donc très peu enclin à reconnaître la co-offi-cialité des langues parlées en France. Reflet d'un long tiraillement entre une tradition «jacobine», «centralisatrice», «nationale» et la reconnaissance de l'identité «folklorique», notre droit semble aujourd'hui attendre des populations concernées une attitude plus franche, une attitude qui permettrait la simple traduction juridique d'une réalité linguistique.

Dans cet esprit, si le nouveau statut de la collectivité territoriale de Corse ne reconnaît pas la co-officialité des langues sur le territoire insulaire, il autorise cependant l'initiative et donc préserve l'avenir juridique d'une langue.

I Le refus de la co-officialité

La revendication linguistique que partage une grande partie des insulaires est encore incomprise par notre droit dont le Conseil constitutionnel donne une interprétation stricte.

A Les données du problème

C'est en comparant les exigences identitaires à l'état de notre droit qu'il est possible de comprendre la position de la Haute assemblée.

1. La revendication linguistique

Pour une bonne compréhension du problème que pose aujourd'hui notre droit des langues, il est nécessaire de montrer que la revendication linguistique n'est pas seulement le domaine réservé des nationalistes corses. Il ne s'agit pas pour nous d'aborder ce problème en termes politiques: «se dire pour ou contre la nation corse et sa langue légitime», mais d'analyser les exigences et les perspectives juridiques offertes à une langue minoritaire. En effet, très nombreux sont ceux qui admettent qu'il faut promouvoir la langue corse quelle que soit leur position politique, quelle que soit leur position par rapport à la question nationale.

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Pour l'histoire de cette revendication, et rapidement, il semble, comme le note F. Ettori, que «les problèmes actuels de la langue corse sont nés de la francisation. Pendant des siècles, toscan et corse ont formé un couple linguistique perçu par les locuteurs comme deux niveaux de la même langue plus que comme deux langues différentes.»5

La suprématie française, la méfiance vis à vis des mouvements «irrédentistes» dont certains ont collaboré avec l'Italie fasciste et qui prônaient l'utilisation de la langue régionale ou de l'italien apparaissent comme des causes du faible développement de l'enseignement (ou de la simple divulgation) de la langue corse.

Quelques associations, dont certaines très dynamiques, tentent depuis plus de vingt ans d'apporter des solutions de substitution à l'absence d'engagement de l'Etat dans la promotion de la langue.6

Prenant le relais, quelques partis ou groupes politiques ont cherché, dans le cadre d'une revendication «régionaliste» à promouvoir l'usage de la langue corse. Ainsi, en 1983, dans la première assemblée de Corse, l'idée trouvera un prolongement dans le vote d'une motion demandant au Gouvernement, par les biais de l'article 27 du statut particulier de la Corse, d'instituer l'enseignement obligatoire de la langue corse.7 L'intention de l'assemblée, cependant, trouvera sa limite dans le rejet d'une autre motion qui, toutefois, mêlait la question de l'enseignement obligatoire du corse à celle de la reconnaissance du peuple corse et à la corsisation des emplois.8

Aujourd'hui, et si l'on admet une certaine valeur aux écrits distribués à l'occasion d'élections locales (professions de foi, programmes d'action), on retrouve le thème du développement de la langue corse aussi bien sous la plume des dirigeants du Rassemblement Pour la République que sous celle, plus traditionnelle, du Parti Socialiste ou encore -par nature- sous celle des mouvements autonomistes ou nationalistes.

Le point de rupture se situe dorénavant sur le problème du caractère obligatoire ou pas, de la langue corse, sur le concept même de co-officiali-té. Ainsi, dans ses «propositions pour l'avenir de la Corse», document diffusé en 1990, le rpr affirme-t-il «qu'il apparaît donc qu'une priorité absolue doit être donnée à la sauvegarde et à la pratique de la langue

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maternelle des Corses.» Pour cela, la langue corse doit être «codifiée par un comité pédagogique composé d'experts incontestables [...]»; «pratiquée dès l'école maternelle et jusqu'à la fin du cycle secondaire, les familles étant laissées libres de décider si leurs enfants suivront ou non les cours de langue corse.» Le point de rupture, comme nous l'indiquions plus haut se situe au niveau de la reconnaissance d'une co-off ici alité des langues: «II convient par contre de s'opposer avec détermination au principe de la co-officialité de la langue corse et de la langue française dans la mesure où elle est contraire à l'unité nationale, et où elle entraînerait une discrimination inacceptable à l'égard des résidents non corsophones.»9

A l'opposé, mais partant du même constat de l'utilité de la langue régionale, l'Union du Peuple Corse, dans son ouvrage «Autonomia»10, soutient tout à la fois le développement de la langue corse au besoin en «dépolitisant la question de la langue» (p. 173), et la co-officialité: «la mise à égalité des droits de la langue nationale et de la langue étatique amène à un bilinguisme généralisé, pratiqué officiellement pour tous les actes de la vie publique» (p. 174).

Entre ces deux positions, des tons nuancés sont proposés par d'autres groupes politiques.11

Cet éventail nous laisse apercevoir l'étendue des conceptions et surtout leurs difficultés, quelquefois, à correspondre au droit positif dont il est nécessaire ici de rappeler les principes mais aussi les limites qu'il impose aux intentions «co-officialisantes».

2. L'état du droit

Le droit des parlers locaux comme, d'une manière générale, le droit de la langue française est peu prolixe, ce qui n'est pas nécessairement un handicap pour le développement des langues régionales. Notre droit, qui part du principe de liberté, laisse donc plus particulièrement aux personnes privées le soin de promouvoir, de développer, de faire renaître ou de créer12 des langues. En revanche, l'intervention de la puissance publique ou l'utilisation des services publics par les personnes privées est plus limitée.

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L'origine de cette réticence doit être trouvée dans la procédure même de !a construction de l'État français autour du souverain alors matérialisé par la personne du monarque.

Notre droit est donc le reflet de cette construction par agrégations successives et forcées.

Face au droit de la langue française dont la loi du 31 décembre 197513 apporte des précisions quant à son emploi dans les services publics ou dans les contrats mais qui connaissait déjà une réglementation, les langues régionales évoluent dans le cadre législatif fixé d'abord par la loi du 11 janvier 195114 (dite loi Deixonne), puis par une série de dispositions législatives15 mais, surtout, réglementaires. De nombreuses circulaires dont il ne faut pas exagérer la portée viennent compléter ce maigre dispositif. En outre, le contenu normatif de ce dernier semble pour le moins très relatif. En effet, les dispositions législatives sont plus des marques d'intention que des règles de droit applicables sans définition préalable du contenu même des dispositions qu'elles entendent mettre en oeuvre.

La jurisprudence est donc venue préciser les non-dits du législateur. Un contentieux administratif mais également judiciaire permet de préciser, en matière de langues régionales, le sens impératif ou pas des dispositions législatives mais aussi les relations de subordination ou de «complémentarité» des langues françaises et régionales.

La juridiction administrative, elle aussi confrontée aux carences et aux ambiguïtés des sources législatives ou réglementaires du droit des langues, intervient avec pragmatisme.16

L'enseignement de langues régionales dans les écoles de la République (ou dans les établissements privés d'enseignement sous contrat) a donné l'occasion au juge administratif de rappeler l'absence d'une véritable contrainte pesant sur l'administration.17

En outre, on peut rappeler l'existence de textes internationaux qui

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protègent l'usage des langues minoritaires mais dont l'application, en France, a été soit écartée par l'autorité ratifiante soit minimisée par la jurisprudence qui considère que la convention ne prévoit pas de dispositions normatives précises.18

La langue corse, quant à elle, n'est pas entrée immédiatement dans le champ d'application de la loi Deixonne. C'est seulement en 1974 qu'un décret étend à cette langue le bénéfice des dispositions législatives prévues en 1951. Les raisons de ce «retard» sont à rechercher dans la crainte du Pouvoir: «cet ostracisme, dû en partie à des raisons politiques et au souvenir de l'irrédentisme italien, révélait aussi la persistance d'une certaine idée du corse comme «dialecte allogène» au même titre que l'alsacien, «dialecte allemand», et le flamand, «dialecte néerlandais», eux aussi exclus de la loi Deixonne».19

B La réponse du Conseil constitutionnel

Le conseil constitutionnel s'est également penché sur la place, dans le droit, des parlers locaux et, plus précisément de la langue corse.

1. Approche générale du problème

À notre connaissance, c'est la première fois que la Haute assemblée était interrogée sur ce point précis et sa réponse, ne permet pas, à notre avis, de tirer des conclusions définitives sur la constitutionnalité des langues régionales.

D'abord parce que le texte de 1958 est absolument muet. Ni la langue française, ni les langues étrangères (régionales) ne sont mentionnées dans le texte suprême. Ces dernières ne sont donc appréciées que par rapport à des principes reconnus par le Conseil constitutionnel comme étant fondamentaux. Il faut donc se rapporter à la seule lecture des textes de nature législative qui ont fait l'objet d'un contrôle par la Haute assemblée.

Voilà pourquoi, alors même que le législateur avait prévu explicitement dans le statut de 198420 le caractère obligatoire de l'enseignement, en primaire, de la langue tahitienne, et parce que le Conseil constitutionnel

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n'a pas eu à apprécier cette disposition, il nous est difficile de conclure à la constitutionnalité des parlers locaux.

On pourrait ensuite, et pour poursuivre cette dernière idée, montrer que ce qui est acceptable pour la Polynésie française, au regard de l'article 74 de la constitution et de «spécialité législative» que le droit français reconnaît à ce territoire d'outre-mer, ne le serait peut-être pas pour une autre collectivité territoriale.21

Quelques indices, pourtant, nous permettent d'apprécier la situation de manière plus optimiste pour les défenseurs des langues régionales.

Notre droit, en effet, est fondamentalement basé sur la liberté. En l'absence de dispositions particulières, rien ne permet de limiter ce principe. Notre texte constitutionnel étant muet, il faudrait pour restreindre l'exigence de liberté, rattacher cette intention à un principe inclus dans la bloc de constitutionnalité.22

On nous rétorquera, de manière légitime, que le Conseil constitutionnel, à propos de la question de l'existence du «peuple corse composante du peuple français» a dégagé la définition du «peuple français» non pas au regard de précisions irréfragables inscrites dans la constitution de 1958 mais en fonction de notre tradition constitutionnelle, laquelle, depuis au moins 1789, ferait référence à une unité du concept de «peuple français».23

Mais à propos des langues, il nous semble qu'une différence majeure, par rapport à la définition du peuple, permet d'éviter l'assimilation. Pour cette dernière question, le Conseil constitutionnel disposait en effet d'une base positive dont il s'est servie, l'article 2 de la Constitution, et à laquelle il a pu raccrocher toutes sortes de dispositions entérinées par notre histoire. Ces dernières sont venues, en quelque sorte, renforcer une interprétation qui aurait pu, par le simple fait de l'utilisation du singulier, se suffire à elle-même. Les langues, en revanche, et comme nous l'avons déjà dit, ne font l'objet d'aucune référence.

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2. La décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991

C'est pourquoi, lorsque le texte de loi portant statut de la nouvelle collectivité territoriale de Corse fut déféré devant le Conseil constitutionnel, les auteurs de la saisine essayèrent de faire annuler les dispositions sur la langue corse au motif que l'insertion systématique de son enseignement dans le temps scolaire serait contraire au principe d'égalité,

Le Conseil refusa de suivre les conclusions des requérants sans pour autant conclure à la constitutionnalité de la co-officialité des langues. En effet, le texte de la loi ne prévoyait pas expressément de rendre obligatoire l'enseignement du corse. Il ne pouvait donc, de façon manifeste, être contraire au principe d'égalité puisqu'aucune catégorie de personnes ne risquait d'en subir les effets. On retrouve ici une analyse maintenant très classique24 de ce principe qui doit être entendu de façon contingente.

On ajoutera, en outre, qu'une loi prévoyant sur tout le territoire de la République, mais dans la limite des circonscriptions territoriales concernées, la co-officialité des langues pourrait probablement satisfaire l'exigence constitutionnelle d'égalité dans la mesure où l'admission d'une «situation différente» ici dégagerait un droit identique là.

L'intérêt de la décision du Conseil, nous semble-t-il, réside surtout dans les limites qu'il semble fixer à l'interprétation du texte de loi. Ce dernier ne mentionnant pas le caractère obligatoire de l'enseignement de la langue corse, on aurait pu penser que la requête, parce que fondée sur une simple interprétation de la loi et non sur sa réalité positive, fût tout simplement rejetée avec l'unique mention de son absence d'objet. Autrement dit, les parlementaires auraient demandé au Conseil de sanctionner des dispositions qui n'existaient pas.

Cependant, le choix de la Haute assemblée conserve toute sa logique. En décidant ainsi, le Conseil, en quelque sorte, a indiqué au législateur mais surtout au Gouvernement et à la collectivité territoriale25 la façon dont il fallait interpréter le texte de loi. Cette interprétation neutralisante

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du texte semble donc confirmer l'explication, en termes «d'absence de contenu normatif» développée par Dominique Latournerie.26

S'il apparaît que les parlers locaux ne sont que facultatifs et ne doivent en aucune manière lier la puissance publique, il n'en reste pas moins que cette dernière est en mesure d'offrir, sur des bases juridiques incontestables, un développement effectif du bilinguisme.

II Le bilinguisme, élément moteur de la co-officialité

Le statut de la collectivité territoriale de Corse lui permet de promouvoir la langue et de développer le bilinguisme qui doit néanmoins trouver dans l'administration de l'État un écho suffisant pour justifier à terme une co-officialité.

A Le développement de la langue par la collectivité territoriale

Un aperçu des dispositions du statut de 1982 et de ses applications nous permettra d'apprécier la philosophie du texte de 1991.

1. Les antécédents contenus dans le statut de 1982

La loi portant statut particulier votée en mars 198227 (et complétée par la loi du 30 juillet 1982)28 trouve en partie sa justification dans un certain «malaise corse» dont la culture est un élément semble-t'il fondamental. L'exposé des motifs du projet de loi faisait part de l'importance, pour les insulaires, d'une promotion de leur langue. Cela s'est traduit par l'insertion de diverses dispositions de nature à assurer cet objectif.

La création du «conseil de la culture de l'éducation et du cadre de vie»29 devait permettre à l'assemblée de Corse d'engager des actions sur

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la base d'études et d'avis qu'il lui apporterait et dont certains étaient obligatoires.30

Conformément au droit commun des collectivités territoriales qui accorde aux différentes entités la possibilité de créer des structures en rapport avec l'intérêt local, il appartenait à l'assemblée de Corse de mettre en place un dispositif incitateur.

Motions et avis du ccecv31 se sont donc multipliés pour satisfaire une exigence de promotion. L'assemblée, souveraine, n'a pas jugé opportun d'engager directement des actions structurelles.

Elle a, semble-t-il, préféré une action par le biais de l'article 27 du statut qui permettait à l'assemblée d'interroger directement le Gouvernement, ce dernier n'ayant comme obligation que celle d'accuser réception et de mentionner la date à laquelle une réponse serait donnée.32

Par ailleurs nous n'avons trouvé, dans les délibérations de l'assemblée de Corse qu'une seule décision engageant juridiquement, sur la question de la langue, la collectivité territoriale. Il s'agit de la délibération n° 90/86 relative à l'intervention de la région dans le domaine de la toponymie insulaire et qui prévoit un certain nombre d'actions accompagnées de moyens financiers.33

Pour finir l'assemblée de Corse a adopté diverses motions qui, bien que sans valeur en droit positif, rappellent l'intérêt porté pour la question linguistique. On mentionnera notamment la motion adoptée le 18 juillet 1985 et dans laquelle l'assemblée «[...] rappelle les délibérations par lesquelles elle a demandé que soit organisé un véritable enseignement du corse [et] réaffirme son intention d'oeuvrer pour la promotion de la langue et de la culture corses qui, en aucune façon, ne sont à opposer, ni à aucune autre langue ni à aucune autre culture».34

Au total, on doit noter de fermes intentions mais peu de réalisations de la part de l'assemblée de Corse. Le nouveau statut, plus précis est de nature à favoriser davantage le bilinguisme.

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2. Les possibilités offertes par le statut de 1991

L'article 53 alinéa 2 du statut de 1991 apporte une précision quant à l'utilisation de la langue corse en milieu scolaire. Pour le reste, et comme dans le statut de 1982, la langue corse doit espérer l'implication plus franche de la collectivité.

Il est bon de rappeler que dans la mesure où rien n'est obligatoire et ne peut le devenir, seule une forte détermination des différents acteurs permettra de promouvoir la langue corse et de réaliser un bilinguisme,

Comme en 1982, une sorte de conseil de la culture est créé pour permettre à l'assemblée et au conseil exécutif d'engager des actions en faveur de la langue et de la culture corses. Comme en 1982, certains de ces avis sont obligatoires.35

Par ailleurs, les dispositions de l'article 27 du statut de 1982 sont globalement reconduites: la collectivité territoriale, nous dit l'article 26, peut saisir le Premier ministre en vue de modifier ou d'adapter des «dispositions législatives ou réglementaires en vigueur ou en cours d'élaboration concernant les compétences, l'organisation et le fonctionnement de l'ensemble des collectivités territoriales de Corse, ainsi que toutes dispositions législatives ou réglementaires concernant le développement économique, social et culturel de la Corse».

La langue corse fait encore l'objet d'une mention particulière dans le chapitre II du statut relatif à la communication, à la culture et à l'environnement. L'article 55 prévoit en effet la promotion de la langue au moyen de conventions passées avec le secteur public de l'audiovisuel. Il prévoit même d'engager des actions de communication, dont la langue peut être un élément privilégié, avec «toutes personnes publiques ou privées ressortissantes des États membres de la Communauté européenne et de son environnement méditerranéen.»

Le caractère essentiel de ce type de dispositions réside dans sa dimension contractuelle, compensation nécessaire à la totale absence de coercition.

L'article 53 alinéa 2, nous semble-t-il, formule parfaitement la philosophie du statut: l'enseignement de la langue corse dont la collectivité territoriale peut choisir une promotion maximale ne peut se faire, en milieu scolaire, qu'avec l'accord, par convention donc, de l'État.

Il y a ici, d'après nous, la marque d'une évolution sensible dans l'ap-

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préhension du problème juridique que pose le bilinguisme et, a fortiori, la co-officialité des langues. La méfiance que traduisait la timidité des dispositions législatives précédentes laisse la place à l'incitation, probablement conçue comme période de transition au regard des exigences dont nous avons fait état plus haut.

Dans cet esprit, la création par la collectivité de Corse d'un «office de la langue», organe de codification de la langue corse, pourrait permettre tout à la fois de satisfaire l'exigence linguistique tout en respectant l'état actuel du droit positif.36

Dès lors, on comprend pourquoi la participation active des administrations de l'Etat s'avère essentielle pour l'adaptation du bilinguisme.

B Le concours de l'État au développement du bilinguisme

La participation de l'Administration à la promotion de la langue corse pourrait prendre deux formes, Tune par convention avec la collectivité territoriale, notamment dans le cadre des dispositons de l'article 53 alinéa 2, l'autre directement au sein de l'Administration laquelle, de son propre chef, déciderait d'engager des actions de bilinguisme.

1. Les conventions scolaires

Il est encore trop tôt pour évaluer la portée exacte de ce type de relations. Certes, la loi prévoit que la collectivité territoriale pourra engager des actions en faveur de la langue corse dans le cadre scolaire et après accord avec l'État mais, encore une fois, nous sommes confrontés à des dispositions sans contenu normatif précis. En l'absence de mention ne serait-ce que celle d'un délai37 le «plan de développement de l'enseignement de la langue et de la culture corse» conditionnant la relation conventionnelle avec l'État, on est en droit de s'interroger sur l'effectivité de ces dispositions.

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2. L'«office de la langue corse» et l'Administration

L'intérêt d'une relation privilégiée entre la collectivité territoriale et l'Administration de l'État via l'«office de la langue» serait de permettre l'adaptation progressive du bilinguisme au niveau des différentes structures locales. C'est, nous semble-t-il, un effet logique de l'esprit du statut de 1991.

3. Les suggestions du président de l'exécutif

L'introduction des dispositions de l'article 3538 est de nature à accroître la souplesse des relations entre le Gouvernement et la collectivité territoriale de Corse. Cet élément d'évaluation des politiques publiques peut être un moyen de tester l'engagement effectif de l'Administration de l'Etat derrière des actions de promotion de la langue corse. Toutefois, les termes sont ici aussi très peu contraignants et laissent toute latitude tant au président du conseil exécutif qui sera seul juge de la saisine du Premier ministre, qu'à ce dernier qui restera totalement libre d'agir ou pas et même de répondre ou pas.

Se décomplexer par rapport au bilinguisme: telle est en définitive l'attitude à adopter pour renforcer les équilibres culturels dont la Corse a besoin. Notre droit encore raidi par l'histoire ne demande qu'à être assoupli. Cette tâche, désormais, est largement celle de la collectivité territoriale...

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[1] «L'Assemblée adopte, dans les mêmes conditions, un plan de développement de la langue et de la culture corses, prévoyant notamment les modalités d'insertion de cet enseignement dans le temps scolaire. Ces modalités font l'objet d'une convention conclue entre la collectivité territoriale de Corse et l'État».

[2] Loi N° 91-428 du 13 mai 1991 portant statut de la collectivité territoriale de Corse; jori 14 mai 1991 pp. 6318-6329.

[3] Dominique Latourniîme: «Le droit de la langue française» in Études et documents du Conseil d'État 1985 pp. 89-118.

[4] ibidem p. 110.

[5] F. Ettori «langue et littérature» in Corse; Ch. Bonneton, 2ème éd. 1981; p. 181,

[6] Par exemple «Scola corsa Bastia», créée en 1971, est une association qui dispense des cours de langue, publie des ouvrages en langue corse et édite une revue bilingue «Stonde».

[7] Cf. Ch. Santoni «Au coeur des débats de l'assemblée de Corse» La Marge 1984 pp. 24-29; voir aussi p. 17 et pp. 51-54.

[8] Motion du 21 mars 1983; Ch. Santoni ouvrage précité, pp. 70-71.

[9] Cf. infra (J. B.) la réponse assez proche donnée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 9 mai 1991.

[10] upc «Autonomia» supplément au journal Arritti; 1991.

[11] Cf. J. Rossi «Agir ensemble» (programme politique) 1992.

[12] L'exemple le plus caractéristique est l'Espéranto, véritable composition linguistique, planifiée à partir, notamment, de racines grecques et latines.

[13] Loi n° 75-1349 du 31 décembre 1975 relative à l'emploi de la langue française; jorf 04/01/1976 p. 189.

[14] Loi n° 51-46 du 11 janvier 1951.

[15] Cf. loi n° 75-620 du 11 juillet 1975 relative à l'éducation jorf 12/07/1975 p. 7180.

[16] Cf. CE 2/2/1977 «Siméoni» R. p. 58: la dénomination, déclarée en langue corse, d'une association ne suffit pas à rendre illégal un décret de dissolution de la dite association, désignée en français, dès lors que les circonstances de fait indiquent qu'il s'agit réellement de la même association.

[17] Cf. CE 26/7/1978 ass. «Défense et promotion de langues de France» n° 7385; Section 1/6/1979 ass. «Défense et promotion des langues de France» R. p. 252.

[18] Cf D. Latournerie; étude précitée p. 115-116,

[19] F. Ettori, ouvrage précité p. 182.

[20] Art. 90, Loi n° 84-820 du 6 septembre 1984 portant statut du territoire de la Polynésie française; jorf 7 septembre 1984 p. 2840.

[21] Cf. J. P. Pastoriîll; communication au Colloque sut la co-officialité; Corti 2-4 avril 1992; actes à paraître. Cf également, du même auteur, «Quelques réflexions à propos d'une récente décision du C.C. sur le statut de la Corse» Revue de la recherche juridique, droit prospectif 1992/1 pp. 65-67.

[22] Sous réserve, comme nous l'avons dit, de l'utilisation en biais, d'un autre principe reconnu par le juge.

[23] Cf. J.P. Pastorel; communication déjà citée.

[24] Une analyse classique certes, mais qui reste toujours très ouverte et très évolutive car, comme le note D. Rousseau Droit du contentieux constitutionnel Montchrestien, 1990, p. 333: «le travail d'appréciation du Conseil s'inscrit dans un système complexe de relations à d'autres institutions, à la communauté des juristes, à l'opinion, à la classe politique, qui limite sa marge de manoeuvre et l'oblige, dans son appréciation des atteintes justifiées à l'égalité, à tenir compte de l'environnement politique et social du moment».

[25] Dont les actes pourraient être soumis au contrôle du Conseil d'État qui, le cas échéant, devrait tenir compte de la décision du conseil constitutionnel.

[26] Cf «la langue française et le droit» déjà cité, p. 95.

[27] Loi n° 82-214 du 2 mars 1982 portant statut particulier de la région de Corse: organisation administrative; jorf 3 mars 1982. p. 748.

[28] Loi n° 82-659 du 30 juillet 1982 portant statut particulier de la région de Corse: compétences; jorf 31/07/1982 p. 2459.

[29] Cf art. 2 al. 2, L. 2 mars 1982: «Le conseil économique et social de Corse et le conseil de la culture, de l'éducation et du cadre de vie de Corse, par les avis qu'ils donnent, apportent leurs concours à l'assemblée et à son président.»

[30] Cf. art. 2, L. 30 juillet 1982; «Sut proposition de son président, et après consultation des départements, ainsi que du conseil de la culture, de l'éducation et du cadre de vie, l'assemblée détermine les activités éducatives complémentaires qu'elle organise et notamment celles relatives à l'enseignement de la langue corse et de la culture corse; ces activités sont facultatives pour les élèves et ne peuvent se substituer à celles prévues par les programmes d'enseignement et de formation».

[31] On trouvera le texte de ces délibérations dans les Ragguagli, recueil du CCiîCv.

[32] Cf Ch. Santoni, ouvrage pré-cité.

[33] Cf. Ragguagli n° 7/1991 pp. 59-62.

[34] Cf. Assemblée de Cotse: Recueil des motions; années 1984-1988.

[35] Cf arc. 45 et surtout, pour la langue, l'art. 46: «Le conseil économique social et culturel de Corse est également consulté, obligatoirement et préalablement, sur tout projet de délibération concernant l'action culturelle et éducative, notamment pour la sauvegarde et la diffusion de la langue et de la culture corses.[...]»

[36] Cette idée a notamment été formulée par le conseil de [a culture de l'éducation et du cadre de vie; cf par exemple Ragguagli n° 2/1990 p. 23, n° 3/1990 p. 12.

[37] On se rappelle la difficulté rencontrée lors de la réalisation du schéma d'aménagement de l'île pour lequel, pourtant, le législateur avait prévu un délai et qui dut, en fin de compte, être rédigé par les services de l'État.

[38] «Le président du conseil exécutif de Corse peut faire au Premier ministre toute suggestion ou remarque sur l'organisation et le fonctionnement des services publics de l'Etat dans la collectivité territoriale de Corse. D en informe le représentant de l'État dans la collectivité territoriale de Corse. II lui est répondu dans les conditions prévues au dernier alinéa de l'article 26.»

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