La lutte contre les exclusions en droit français le role des minima sociaux rapport France

AutorMaryse Badel
Cargo del AutorMaître de conférences à l'Université de Bordeaux COMPTRASEC
Páginas317-337

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La lutte1 contre les exclusions est une orientation des politiques sociales relative-ment récente en France. Elle s'impose en droit trancáis au détour des années 1990. Tout en les renouvelant, elle s'ajoute aux politiques d'insertion qui avaient vu le jour dans les années 1980 et qui, déjá, exprimaient la prise de conscience des pouvoirs publics que la pauvreté, quand bien méme elle est d'abord économique, ne peut étre réduite a cette seule dimensión. Au manque de ressources s'ajoute en effet une serie de marqueurs souvent cumules par les personnes en situation d'indigence, tels leloignement de lemploi et Taífaiblissement des liens sociaux, les dificultes d'accé-der au logement et aux soins2. Ce sont eux qui vont conduire a formaliser la notion dexclusion qui, a la fois synonyme de précarité irreversible et de marginalisation profonde, designe une situation a tendance perenne dans laquelle le retour a la socialisation est largement hypothéqué. Pour cette raison, le terme «exclusión» qui ne sest installé dans discours public que dans les années 1990 apparaít comme le prolongement du concept de «nouvelle pauvreté» forgé au debut des années 1980.

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Il est utilisé pour désigner des personnes qui, victimes de la crise économique, rencontrent des dificultes múltiples que les sociologues regroupent sous le nom de «disqualification sociale» . Lexclusion, terme fédérateur et englobant, ne doit cependant pas conduire a une approche simpliste et statique du phénoméne car elle permet justement de désigner a la fois des situations hétérogénes et des processus dynamiques. Cest pour cela que, si le terme permet de désigner lbbjet d'une politi-que sociale, il ne permet pas de le definir et de l'identifier précisément.

Levolution du droit trancáis est de ce point de vue assez semblable a celle obser-vée en droit international et en droit de l'Union européenne. Elle se fait d'ailleurs dans le méme tempo. Cest en effet en 1989 que l'ONU, en réponse a l'accroissement des situations de précarité et dexclusion dans le monde, s'approprie la thématique. Une résolution de la Commission des droits de l'homme énonce alors que «lextréme pauvreté et lexclusion sociale... constituent une atteinte a la dignité humaine qu'il importe de combattre pour garantir la pleine jouissance des droits de l'homme» . Puis, a Copenhague en 1995, les gouvernements de États membres affirment leur volonté deradiquer la pauvreté dans le monde et de donner aux groupes les plus vulnerables les moyens de sbrganiser et de participer a tous les aspects de la vie politique, économique et sociale. La Commission européenne sempare du sujet a la méme période et l'aborde de facón similaire3. Dans une communicatión de 199244, elle appréhende lexclusion comme une notion dynamique qui designe a la fois des processus et les situations qui résultent de ees processus. Pour dépasser la notion de pauvreté au sens économique du terme, elle insiste sur le caractére multidimen-sionnel des mécanismes par lesquels des personnes et des groupes sont prives de participation aux échanges économiques et de lacees aux droits sociaux constitutifs de l'intégration sociale et, a partir de la, de l'identité. Lexclusion sociale ne renvoie done pas a la seule insuffisance de ressources financiéres et elle dépasse méme la seule participation a lemploi. Elle concerne le logement, leducation, la santé, l'accés aux services...

Le passage explicite de la lutte contre la pauvreté au combat contre lexclusion amorcé au milieu des années 1970 en droit francais nest véritablement consacré qu'á partir de deux lois : la loi du ler décembre 1988 portant création du revenu minimum d'insertion (RMI) et la loi du 29 juillet 1998, loi dbrientation relative á la lutte contre les exclusions. Certes, lutter contre les exclusions nest pas alors un objectif totalement nouveau pour les politiques sociales, au contraire, cest méme peut—étre leur objectif le plus naturel. Ce qui est néanmoins inédit en 1988 cest que, pour la premiére fois, une prestation sociale articule expressément allocation

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de ressources et démarche d'insertion du bénéficiaire. En 1998, c'est l'angle d'attaque choisi par le législateur qui retient l'attention. II vise directement bexclusion en tant qu>objet de lutte, alors qu>il avait préféré jusqu>alors aborder le phénoméne par son contraire, l'insertion. Pour mener a bien cet objectif, la loi fixe trois orientations majeures qu'elle decline en autant de titres : garantir l'accés aux droits a l'emploi, au logement, a la santé et a la citoyenneté, prevenir les exclusions, notamment au moyen de la reforme de la procédure de surendettement, et mobiliser les institutions sociales afin de renforcer l'action publique dans la lutte contre les exclusions. La loi rappelle ainsi, s'il en était encoré besoin, que les formes dexclusion sont múltiples et que, si Ion pense naturellement a lexclusion du monde du travail et l'insuffisance de revenu, le logement, la sociabilité, la déviance sociale, la protection sociale, la santé, leducation, l'illettrisme, la culture, l'accés aux droits, les relations familiales... sont autant d'indicateurs qui permettent de saisir ses múltiples facettes. Du méme coup, ees nombreuses déclinaisons rendent le phénoméne difficile a conceptualiser et rendent peu aisée lelaboration d'une politique structurée.

Peut--étre cette particularité du phénoméne explique—t—elle que depuis lors, la lutte contre lexclusion s'appuie sur des mesures nombreuses et diverses5, la protection sociale n'en constituant qu'une expression. Dans ce domaine particuliére-ment, elle sexprime notamment par des prestations sociales nommées «mínima sociaux», cette dénomination sexpliquant par le fait que la fonction premiére de ees prestations est de procurer des ressources minimales a des personnes en situation de besoin, méme si, secondairement ou simultanément, d'autres fonctions lui sont associées, permettant aussi de dépasser la seule lutte contre la pauvreté monétaire. Ces prestations prennent place dans différents volets de la protection sociale obliga-toire : certaines sont des prestations de sécurité sociale, d'autres sont des prestations d'aide sociale, d'autres enfin relévent du régime de solidarité du chómageó6.

Définition. La protection sociale en France se présente comme un systéme composé de volets obligatoires ou facultatifs.

La protection sociale obligatoire réunit la Sécurité sociale, l'aide sociale et l'in-demnisation du chómage. Le régime juridique des prestations qui en relévent est défini par la loi, les dispositions qui les régissent sont d'ordre public. La Sécurité sociale francaise regroupe la prise en charge des frais de santé, les assurances sociales (maladie, maternité, invalidité, décés, veuvage, vieillesse), la couverture des risques

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professionnels (accidents du travail, maladies professionnelles, accidents du trajet) et la compensation des charges de famille. Les prestations de sécurité sociale sont en principe contributives, c'est—á--diré que lbuverture des droits repose en principe sur le paiement de cotisations préalables. L'aide sociale est héritiére de l'ancienne assistance : les prestations sont non contributives. Elles sont financées par l'impót et les droits sont ouverts en considération du besoin de la personne et sous condition de ressources. L'indemnisation du chómage repose d'une part sur l'assurance chó-mage pour les chómeurs qui ont préalablement cotisé, dautre part sur un régime de solidarité pour les personnes qui ont épuisé leurs droits a l'assurance chómage ou, a des conditions tres strictes, pour des personnes nbnt jamáis cotisé mais qui se trouvent dans une situation particuliérement difficile.

La protection sociale, dans son versant facultatif, regroupe l'action sociale et la protection sociale complémentaire. L'action sociale rassemble des prestations non contributives créées a l'initiative des coUectivités locales, des organismes de sécurité sociale, des associations ou des entreprises, afin de repondré a des besoins qui écha-ppent a la protection sociale obligatoire. On les nomme souvent pour cette raison «prestations extra-légales». Les prestations d'action sociale ont la particularité d'étre non contributives, affectées a des besoins spécifiques et généralement attri-buées sous condition de ressources. La protection sociale complémentaire est tres largement facultative: les prestations qui en dépendent sont versees lorsqu'un risque pour lequel la personne a pris l'initiative de s'assurer se réalise. Les prestations sont done en principe contributives. Pour les risques vieillesse et santé et par exception pour certaines catégories de travailleurs, la protection sociale complémentaire peut étre obligatoire : c'est le cas pour les régimes de retraite complémentaire a partir de 1947 et pour la couverture collective obligatoire en matiére de santé depuis 2016.

La visibilité des mínima sociaux en droit trancáis de la protection sociale est assez récente. Elle coincide avec la création du revenu mínimum d'insertion (RMI) en 1988 ce qui pourrait conduire a l'impression, fausse, que les mínima sociaux sont récents. II n'en est ríen. En effet, le systéme trancáis de protection sociale com-portait, des avant l'institution du RMI, un nombre important de prestations obli-gatoires ayant pour objectif la garantie du niveau de revenu. Cette particularité du systéme de protection sociale lui confére d'ailleurs un aspect extraordinairement complexe qui tranchait a l'époque...

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