Llengua corsa: un aire nou

AutorGhjacumu Thiers
CargoProfesseur des Università de Corse
Páginas15-35

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1. Le contexte

Par sa délibération du 1er juillet 2005, l’Assemblée de Corse a consacré officiellement l’importance que les élus insulaires, toutes opinions confondues, reconnaissent à la question linguistique en Corse. Le vote unanime de cette assemblée, les explications de vote, les débats et les termes des ré- solutions adoptées constituent un corpus discursif et référentiel on ne peut plus explicite à ce sujet. Voici un extrait éloquent du préambule :

La langue corse est le socle et le principal vecteur d’expression de notre culture. Elle est vécue par les Corses comme indissociable de leur identité et perçue comme telle à l’extérieur.

Depuis une trentaine d’années elle porte et symbolise la création culturelle, à laquelle le succès des groupes de polyphonie a apporté une renommée internationale.

De même que tout autre idiome, elle est dépositaire d’une histoire et de valeurs collectives qu’elle exprime et restitue à travers un mode original de représentation verbale du monde. A ce titre, elle est non seulement un patrimoine, mais un atout pour notre jeunesse, en lui offrant un outil spécifique d’expression, de créativité et de développement intellectuel dans le cadre d’un bilinguisme pouvant la préparer au multilinguisme, qui demain sera une nécessité pour tout citoyen européen.

La pérennité et le développement de la langue corse impliquent la prise en compte de nouvelles dimensions et de nouveaux enjeux : la modernité, l’ouverture, la cohésion sociale, la reconnaissance, l’universalité.

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Envisagé comme lien social, le corse est aussi posé comme patrimoine et ressource du développement de la Corse. La délibération précitée s’accompagne de trois objectifs précis :

1) sauvegarder la transmission de la langue corse aux jeunes générations

2) définir la place et les fonctions de la langue corse dans la société corse d’aujourd’hui

3) définir les moyens et l’organisation nécessaires pour soutenir le développement de l’usage de la langue dans tous les domaines.

En application de cette décision historique a été créé le Cunsigliu di a lingua è di a cultura corsa ( désormais clcc ) doté de deux organes : un Comité de pilotage et d’orientation ( désormais cpo ), « instance “ politique ” » et un Comité scientifique, ( désormais cs ) « instance “ d’expertise ” ». De janvier à décembre 2006 l’activité féconde du clcc a permis l’élaboration du document qui lui a été commandé par l’Assemblée. Cet te proposition de plan de développement du corse s’est bâtie à partir des travaux d’experts, mais aussi de contributions et d’avis divers, recueillis notamment à la faveur des grandes journées thématiques organisées dans la société insulaire. De février à décembre 2006, le cs a en effet pu dialoguer avec de larges pans de l’opinion sur les thèmes suivants : vie littéraire et culturelle ; petite enfance ; médias ; vie économique ; temps de loisirs et activités socio-éducatives ; oralité, improvisation et chant traditionnels.

2. Le document

Le 8 janvier dernier, le cpo a pris acte du document que lui a présenté le cs. Ce rapport a constitue la base des travaux qui ont abouti à la mise en discussion du Plan de développement de la Langue Corse. Celui-ci a été adopté à l’unanimité par l’Assemblée de Corse le 26 juillet 2007. Le Plan de développement en question devrait couvrir une période de 7 ans ( 2007- 2013 ? ) pour sa première mise en œuvre.

Quoi qu’il en soit, le rapport du cs permet de définir les grandes assises de la réflexion, son corps documentaire et les mesures ainsi que les moyens envisagés pour tenter d’inspirer un souffle nouveau ( « un fiatu novu » ) à la langue corse.

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— Le document en question a la forme d’un triptyque et comprend : — Le pré-diagnostic sociolinguistique

— La définition d’un objectif central : une dynamique du bilinguisme articulée à la stratégie européenne pour le plurilinguisme.

La déclinaison de l’objectif central selon trois objectifs opérationnels :

1) remontée de la langue

2) dynamisation

3) équipement

2.1. Premier volet : le pré-diagnostic : trois attitudes possibles, deux orientations préconisées

La délibération n° 05/112 AC prévoit l’établissement d’un diagnostic sociolinguistique ( justement, nous n’avons pas voulu en faire un préalable qui aurait repoussé les travaux ) sur la Langue et la Culture Corses ( désormais lcc ). Au cours des étapes d’application du plan, celui-ci pourra s’appuyer sur une base de données actualisable et régulièrement alimentée en données ( sondages de la population à propos des représentations sur la langue corse, opinions et souhaits relatifs à sa promotion, demande de langue, enquêtes statistiques sur le nombre de locuteurs par tranches d’âge, le nombre et la proportion de corsophones par zones, l’évaluation qualitative des pratiques ).

La mise en service d’un tel outil de mesure permettra une évaluation plus fine et progressive des données actuellement disponibles ( relevables non seulement par l’observation directe mais aussi par les divers travaux sociolinguistiques et les mesures périodiquement opérées.1 En attendant la mise en place d’un tel outil, les connaissances réunies au sein du cs permettent d’élaborer un pré-diagnostic. Il se fonde sur les grandes lignes suivantes :

2.1.1. Un répertoire complexe et deux langues de statut inégal

Le répertoire des langues en Corse est beaucoup plus large que ce qu’en retiennent la conscience et le discours des gens qui ne se représentent que la rencontre du français et du corse, tantôt sous l’angle d’un équilibre, tantôt sous la forme du conflit.

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Le statut inégal ( « officiel » versus « affectif » ) de ces deux langues alimente des hésitations, des contradictions, voire une inquiétude pesante sur l’avenir même de la langue corse.

L’ensemble des témoins, personnes interrogées et acteurs sociaux sont avant tout sensibles à la perte de compétence corsophone dans les couches les plus jeunes de la population actuelle.

2.1.2. Les représentations linguistiques

Les représentations linguistiques découlant de cette situation sont dominées par l’angoisse par rapport à l’avenir de la langue corse et par le sentiment que la maîtrise du français est entravée par la contamination du corse. Pour beaucoup de gens le corse n’est plus assez maîtrisé comme compétence active pour être un instrument d’expression courant, mais il subsiste dans la communication sous la forme d’interférences préjudiciables à une bonne expression et une bonne communication.

Le phénomène paraît d’autant plus fort lorsqu’on ne sait pas reconnaître clairement ce qui renvoie au corse et au français, car il faut connaître le corse pour savoir identifier certaines « fautes » qui sont dues à des interférences entre les deux langues. La prise de conscience de la confrontation des deux langues entraîne donc toujours la confusion et dans le meilleur des cas, la perplexité.

2.1.3. Progrès et reflux

Le sentiment associé à la perte de maîtrise du corse comme héritage est celui d’une privation du patrimoine familial, social, culturel et d’une dilution des repères de l’identité culturelle. Ce sentiment de dépossession est accentué par le fait que depuis ces vingt dernières années l’accent est mis en général sur la valeur psycho-sociale, culturelle, voire économique des identités typées. Pour la Corse, la connaissance de la langue traditionnelle est le plus souvent présentée comme une des clés de l’environnement ( histoire, traditions, et même territoire à travers la toponymie ). Elle est aussi intégrée au discours sur le développement de l’économie ( à travers les options « qualité », « caractère » le tourisme, la promotion des savoir-faire dans les perspectives du développement des « pays », pour ne citer que cet exemple ).

On comprend donc que la perte de connaissance et de maîtrise du cor-Page 19se soit interprétée comme un déficit et parfois ressentie comme un handicap très lourd. On peut conclure en somme que le corse a nettement amélioré son aspect symbolique, qu’il a accru sa valeur et son impact identitaires, alors que sa pratique dans son territoire traditionnel décroît régulièrement.

2.1.4. Un mouvement inachevé

Néanmoins —et c’est un paradoxe important— durant ces mêmes décennies, le corse a connu un élargissement de compétences considérable si l’on compare les thèmes, les domaines et les contextes de son emploi courant. Hier cantonné à l’oralité et aux occasions non formelles de parole ( conversations communes, réunions d’amis, famille, ruralité exclusivement, genres mineurs de la littérature, plaisanteries et jurons,... ), le corse s’est généralisé dans l’usage public.

La percée la plus remarquable est enregistrée dans le domaine scolaire et, à un degré nettement inférieur, dans les médias de service public. Le décollage s’est produit au début des années 1980 mais, alors que l’effort s’est poursuivi dans l’enseignement, il est marqué, dans les médias, par des mouvements saccadés, faits d’avancées, de stagnation et parfois de recul. Le résultat global de ce mouvement peut se caractériser comme une tendance, irrégulière, intermittente et en tout cas inachevée, vers la généralisation dans l’espace public.

2.1.5. L’état linguistique du corse

A ces données « externes » liées au statut officiel et symbolique des langues en présence s’ajoute l’état linguistique actuel du corse. Sans entrer ici dans le détail de la description on remarquera que la percée du corse évoquée plus haut n’a pu s’accompagner des progrès dans l’équipement linguistique d’ordinaire programmés lorsqu’un idiome passe de l’état de « dialecte » à celui de « langue » ( mise en œuvre d’outils performants : dictionnaires et grammaire généraux, terminologie, didacticiels, définition de normes linguistiques, élaboration de standards, valorisations culturelles et économiques, institutions littéraires, concours, récompenses prix, bourses et aides à la création littéraire et audiovisuelle, promotion commerciale et touristique,... ).

Ces interventions « lourdes » découlent généralement d’une décision institutionnelle et bénéficient du soutien d’organismes officiels qui ont enPage 20charge la mise en œuvre de la politique linguistique ainsi adoptée. Or pour le corse, l’entrée dans l’espace public s’est faite par des initiatives associatives et militantes. La prise en charge par l’institution et les politiques publiques s’est faite dans un second temps et de manière inégale.

On peut considérer que de ce point de vue la situation actuelle propose à l’examen deux zones d’observation et d’intervention. Toutes deux concernent la forme de la langue, mais l’une demande une exploitation raisonnée de son originalité tandis que l’autre requiert une intervention résolue en termes de structures, de moyens et d’équipement linguistique.

• Le terme —spécialisé— de « langue polynomique » désigne une langue une, mais non unifiée, dont les locuteurs reconnaissent et tolèrent en son sein la présence de variétés locales différentes. C’est le cas —très original— du corse, car la plupart du temps ce caractère polynomique semble s’opposer à l’enseignement et à l’usage public. C’est pourquoi la situation corse où fonctionne ce modèle est souvent citée comme référence dans les travaux sociolinguistiques et dans leurs applications.

• Pourtant, du fait de l’imperfection des avancées évoquées plus haut, la polynomie déconcerte encore souvent les locuteurs non informés qui se demandent quelle forme de corse écrire, adopter pour l’école et les médias... Ces questions sont depuis longtemps dépassées par la pratique et l’expérience, mais il faut encore convaincre, raisonner, faire connaître les résultats, diffuser l’information, bref étendre l’éducation sociolinguistique sur le sujet et mettre à la disposition des familles, des responsables, décideurs et acteurs les outils de compréhension de la réalité du fonctionnement de la polynomie linguistique dans le domaine public.

• Par ailleurs l’accroissement de la présence du corse dans les usages publics et techniques ne peut être obtenu que par l’intensification de l’offre et par l’exploitation des industries de la langue. De nombreux exemples disponibles dans son environnement européen montrent que l’on peut en quelques années enregistrer des résultats spectaculaires, à la mesure des moyens engagés.

2.1.6. Perspectives

Parmi les attitudes que suggère d’adopter l’observation d’une telle situation, le cs a identifié trois modalités:

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La non-intervention

Cette tendance existe aujourd’hui. Les tenants de cette attitude comprennent mal les efforts effectués en faveur du corse. On peut croire que la crise et la mort des langues sont dans la nature des choses, plusieurs milliers de langues étant promises à l’extinction au cours des siècles à venir.

Or, on doit se représenter que la disparition d’une langue est un processus lent et que, dans une telle hypothèse, plusieurs générations auraient à pâtir des dommages constatés aujourd’hui, avec de toute évidence, une accentuation du sentiment de perte identitaire et des dommages socio-éducatifs qui en découlent.

La conservation

C’est d’une certaine manière l’attitude adoptée aujourd’hui par une grande partie de la population, de ses responsables et des institutions. Devant les insuffisances manifestes du statut des langues régionales et des obstacles que celui-ci oppose structurellement aux avancées du corse, s’opère un repli sur des positions qui paraissent conserver l’essentiel : le patrimoine culturel que désigne la langue.

Cette attitude est illusoire parce que le patrimoine n’offre sa véritable dimension que lorsqu’il est complètement lisible. Il doit alors se perpétuer dans une maîtrise active qui en révèle toute la valeur dynamique. Faute de quoi, le patrimoine est réifié dans des rites et des œuvres dont le spectacle, bien souvent, ne peut engendrer que la nostalgie.

La dynamisation

Cette dernière option pose la réalité linguistique actuelle comme susceptible d’un traitement déterminé. C’est l’esprit qui sous-tend la délibération n° 05/112 ac de l’Assemblée de Corse. Cette décision implique en effet un double mouvement :

2.1.6.1. La consolidation des acquis Les résultats déjà obtenus durant les vingt dernières années demandent à être confirmés dans chacun des domaines de l’élaboration linguistique,2 terme qui désigne les avancées de la langue dans les différents domaines : orthographe, littérature, enseignement, TV, radio, secteurs des sciences humaines et sciences exactes, usage administratif, formation à tous les niveaux

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2.1.6.2. La remontée dans les usages traditionnels Le paradoxe de la Corse, on l’a dit, est que le corse a avancé dans l’espace public, mais régresse continuellement dans la pratique des plus jeunes hors de l’école, des médias et des usages formels 3 Il faut donc rendre normale la pratique dans les familles, dans les conversations habituelles, dans les loisirs, les activités sociales et de développement personnel. Il existe dans ce domaine un certain nombre d’initiatives qu’il faut soutenir et mettre en réseau pour en obtenir plus d’efficacité et d’extension. Il en est d’autres à inventer en mettant en exergue ce que l’obtention d’une meilleure pratique du corse peut avoir de gratifiant, de plaisant, voire de ludique

Ce dernier scénario n’a de validité que si l’on opère une conversion radicale dans la prise en considération des langues en présence. Il convient donc de se représenter l’objectif que l’on se propose, c’est-à-dire une pratique corsophone individuelle complète, dans l’environnement linguistique qui le justifie. A travers des concepts et des mots d’ordre divers et variés, celui-ci a toujours été posé comme une sorte de confrontation, plus ou moins aiguë selon l’époque, entre deux langues à l’histoire mouvementée : le corse, langue néo-latine d’abord longtemps vécue et interprétée comme un dialecte italien, puis tentant de s’élaborer en langue autonome face à une politique centraliste prônant comme seule langue ayant droit de cité, le français.4

Dans l’Europe actuelle, un cadre nouveau s’offre à la réflexion sur les politiques en faveur des langues, quels qu’en soient la nature et le statut. La notion de répertoire des langues5 est au centre de ce dispositif.

Le cs peut se saisir de cette notion, qui paraît féconde pour la politique de remontée dans les usages. On l’a vu plus haut, le sens commun, dans son inquiétude concernant l’érosion de la maîtrise du corse parlé, a tendance à considérer que comprendre le corse n’est pas une compétence. Les tenants du répertoire pensent exactement le contraire.

Ainsi, en s’appuyant sur la connaissance très répandue du corse, en accentuant sa présence dans l’environnement public, en activant les divers processus de formation et de diffusion, le plan de diffusion de la langue corse trouvera une réelle efficacité.

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2.2. Deuxième volet : un objectif central, deux clés stratégiques

L’objectif central du rapport consiste à créer dans la société corse une dy

namique du bilinguisme articulée à la stratégie européenne pour le plurilinguisme. Cet objectif s’appuie sur deux clés stratégiques :

2.2.1. La dynamisation linguistique

La politique de dynamisation linguistique se propose donc de :

— restituer au corse sa vitalité dans les contextes non formels d’emploi de la langue

— conforter les avancées du corse dans les contextes formels — rendre normal l’usage du corse pour la société et pour les personnes qui la composent

— donner à chacun une compétence linguistique complète ( comprendre, parler, lire et écrire ).

2.2.2. L’ouverture au plurilinguisme

L’éducation plurilingue préconisée par le Conseil de l’Europe met au centre des politiques éducatives la compétence à utiliser plusieurs langues. Le plurilinguisme défini comme compétence à utiliser dans la communication plusieurs langues que l’on maîtrise à des degrés divers, n’est pas une juxtaposition de compétences distinctes mais une compétence transversale unique présente chez tous les individus, potentiellement ou effectivement plurilingues, en fonction des apprentissages individuels. Le répertoire linguistique de chacun, variable dans le temps, est constitué des langues différentes, à des niveaux de maîtrise eux-mêmes différents.

La finalité de l’éducation plurilingue est de valoriser et de prendre en charge le développement de cette compétence tout au long de la vie des personnes... Dans cette perspective, toute compétence en langue, même minime, est à reconnaître et peut être certifiée officiellement, à la différence des représentations dominantes de la connaissance des langues qui valorisent exclusivement les compétences élevées et considèrent que les formes non expertes de la connaissance des langues sont sans valeur.

Ainsi les propositions formulées par le cs correspondent à une double exigence : fortifier et développer la langue identitaire, articuler ce proces-Page 24sus à celui, plus vaste, de l’intégration européenne. Le conflit linguistique corse-français s’origine dans la clôture des Etats-nations installée au xixe siècle. Les minorités historiques territoriales ont ainsi subi une politique délibérément assimilationniste. Il semble possible de s’affranchir aujourd’hui de ces contraintes. Le bilinguisme permettra de réconcilier la communauté corse avec sa langue et dépasser définitivement le conflit historique avec la langue de l’Etat. Le plurilinguisme offrira à chacun la possibilité de développer son propre répertoire linguistique en fonction de ses déterminations personnelles, qu’elles tiennent à ses origines et/ou à ses aspirations propres.

2.3. Troisième volet : déclinaison de l’objectif central selon trois objectifs opérationnels

Rappelons que l’objectif central sur lequel le CS a bâti son rapport consiste à créer dans la société corse une dynamique nouvelle. L’ancienne confrontation —indubitablement sans issue— entre le corse, langue dominée et le français, langue dominante renforcée depuis 1992 par son statut de « langue de la république » selon l’article 2 de la Constitution française, avait fini par pour ainsi dire instituer la diglossie et irrémédiablement programmer la disparition du corse. Il s’agit désormais de substituer à une telle situation une gestion de la situation actuelle en adossant la politique linguistique au choix d’un bilinguisme articulé à la stratégie européenne pour le plurilinguisme.

2.3.1. Rehausser le niveau des compétences et des pratiques individuelles

Trois domaines d’action sont ainsi envisagés pour rétablir le corse dans sa fonction véhiculaire.

2.3.1.1. L’enseignement

Actions de développement pluriannuel du Plan Régional de Développement de la Formation ( prdf ), adaptation des méthodes et développement du tutorat, utilisation des ressources ntic en complément des méthodes dites « naturelles » d’apprentissage.

2.3.1.2. L’intervention linguistique hors de l’école

Formation et implication des acteurs du secteur de la petite enfance, loisirs et activités socio-éducatives, Contrats Educatifs Locaux ( cel ), ac-Page 25cès au patrimoine hérité ( banques de données, musées, centres de musique traditionnelle, fêtes traditionnelles et transmission des techniques d’improvisation, création ( bibliothèque multimédia ), promotion de la littérature et du chant par l’organisation de concours et prix, semaines de lectures, bourses de traduction, édition scolaire et générale.

2.3.1.3. L’intervention linguistique en direction des parents Sensibilisation aux avantages du bilinguisme dès la maternité, campagnes médiatiques généralisées, Ghjustra paisana, formation linguistique durant le temps de travail et hors temps de travail, pratique du corse entre générations ( ex : à travers les Projets d’Action Educative ( P A.E ), contes, rencontres « fulaghji » et au sein des Case di a lingua ( cf. infra )

On notera que l’Assemblée de Corse vient d’adopter le 31.03.2007 le rapport du Président du Conseil Exécutif de Corse portant sur deux projets de Conventions Etat / Collectivité Territoriale de Corse relatives au plan de développement de l’enseignement de la langue et de la culture corses pour la période 2007-2013. 6

A) Le projet de convention reprend les principaux objectifs du PRDF, selon les deux axes principaux :

• la généralisation progressive de l’enseignement bilingue à partir de l’école maternelle,

• l’intégration de la langue et de la culture corses à tous les niveaux d’enseignement et de formation.

L’Etat s’engage en particulier à combler rapidement le retard constaté

pour certains objectifs inscrits dans la convention précédente ( qui n’a porté que sur trois ans ) : pourvoir en filières bilingues les secteurs de collèges lacunaires ; faire de toutes les écoles maternelles à plus de 4 classes des sites bilingues ( 14 sur 33 aujourd’hui ).

B) La Convention « additionnelle » au Contrat de projets Etat-ctc 2007-2013. Pour accompagner la dynamique d’un bilinguisme ouvrant sur le plurilinguisme telle que définie par le PRDF, les crédits contractualisés de la ctc et de l’Etat augmentent de plus de 50 % par rapport à la période 2000-2006 ( de 3,8 Me à 6 Me, à parité ). Ils se déploieront sur 5 axes :

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• Fonctionnement des centres de séjours linguistiques, existants ou à créer.

• Production, édition et diffusion de documents et ressources pédagogiques.

• Echanges et recherches linguistiques communes avec les régions voisines d’Italie et de Méditerranée romane.

• Projet « langue corse numérique » ( développement de ressources numériques ).

• Développement d’une action culturelle fondée sur le développement de la culture corse et du patrimoine.

2.3.2. Dynamiser l’environnement linguistique

C’est en fait un véritable chantier de construction de la langue sociale que l’on aura à ouvrir. Il est nécessaire de jeter un pont entre langue de l’école et langue dans la société. En la matière, il faut quasiment tout bâtir depuis les fondations. Cinq propositions ont été retenues pour impulser une action forte et multidirectionnelle :

2.3.2.1. Créer un outil au service de la politique linguistique, le Cunsigliu di a LinguaDoté d’un directoire ( Cumitatu di Rigiru ) et d’une structure d’exécution aux moyens spécifiques et aux diverses missions ( dont une partie externalisées ) cet organe aura en charge :

• le recueil des données scientifiques et terminologiques,

• les propositions et expertises en matière linguistique,

• l’assistance à la mise en œuvre,

• le service au public ( conseil, information, documentation, traduction, commande et production de documents de référence ),

• des campagnes médiatiques.

2.3.2.2. Créer un réseau de Case di a lingua Il permettra l’implantation territoriale de la politique linguistique et favorisera les initiatives porteuses existantes On « collera » ainsi à la réalité du territoire pour une action « enracinée » :

• mise en réseau des acteurs culturels et des opérateurs linguistiques dans des bassins de vie,

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• diffusion de l’information sur la langue ( événements, documentation... ),

• identification des lieux susceptibles d’offrir des formations ou moments d’immersion linguistique , relation apprenants-corsophones et corsophones entre eux ( parrainages, moments festifs,... ),

• relais pour les événements organisés autour de la langue et du plurilinguisme.

2.3.2.3. Etablir une Charte de la langue Cette création aura pour objectif de diffuser le corse dans les collectivités publiques, les administrations, les entreprises et le tissu associatif Elle vise différents domaines d’intervention :

• la formation des personnels,

• la formation professionnelle,

• le développement de la communication interne,

• le développement de la communication externe,

• la signalétique.

2.3.2.4. Elargir la place du corse dans les médias Comme l’enseignement, ce secteur peut profiter rapidement de la politique de dynamisation linguistique Il importe notamment d’adapter le statut des médias publics aux nécessités régionales et de mettre en œuvre une formation linguistique performante

Cela conduirait à la mise en place de rédactions bis corsophones et d’ateliers de création corsophone dans les 2 médias publics, à partir d’une véritable formation de spécialistes de la langue organisée à l’Université de Corse, préalable à toute acquisition de diplômes dans les diverses spécialités des médias, une formation à la langue d’ailleurs utile pour tous les futurs agents du service public. Quant aux médias privés, ils bénéficieront de cet ensemble de dispositions par un soutien de la ctc.

En l’état actuel, les médias audiovisuels de service public constituent avec l’école l’un des rares lieux d’expression concédés au corse. Dans leur statut d’aujourd’hui les deux médias de service public, France 3 Corse et rcfm, ne sont pas en mesure d’accorder à la langue corse la place que lui reconnaît une société insulaire devenue peu à peu largement consensuelle dans ce domaine. Ils ne disposent pas des outils techniques, organisationnels, juridiques et politiques nécessaires. Au sein de leurs réseaux respectifs ( France 3-FranceTelevision et France Bleu-Radio France ), France 3 Corse et Radio Corse Frequenza Mora sont atypiques, assurent une mission bien plus vaste qu’aucune autre antenne régionale: importance parti-Page 28culière de l’information, l’actualité étant plus riche et diversifiée que dans les autres régions malgré la faible population, bilinguisme pratiqué dans le refus d’un ghetto pour la langue régionale ( ce qui n’est pas le cas ailleurs ), nécessité de tisser des liens avec les régions méditerranéennes voisines, existence d’une diaspora qu’il faut tenir informée, et demain, inévitable prise en compte de la multiculturalité de la population insulaire. A titre d’exemple —réussi—, on relèvera la série d’émissions de coopération radiophonique, sous l’égide de rcfm avec les régions méditerranéennes transfrontalières ( « Mediterradio », avec Toscane et Sardaigne ) ou de la Rive Sud ( Maroc, Egypte ). La règle applicable aux intervenants insulaires à « Mediterradio » est la pratique du corse, au côté des partenaires italiens. Sauvegarder le corse, la plus importante des missions de ces médias, assurer à cette langue, dans les médias publics, la place qui lui revient, celle d’une langue actuelle, utilisée dans des conditions professionnelles et déontologiques décentes, par des personnes ayant suivi une formation adaptée, est une nécessité pour sa pérennisation dans l’île.

Ce constat conduit le CS à faire les recommandations suivantes :

• la Collectivité Territoriale de Corse ( ctc ) propose à France Télévision et Radio France d’engager un travail de réflexion en commun pour aboutir à un nouveau statut pour les deux médias publics insulaires.

• la ctc propose la création de la notion de « service public audiovisuel territorial » en matière de langue et de culture et définit ce que doit être cette mission « territoriale ».

• Les Sociétés Nationales et la ctc seraient partenaires, dans une forme à définir de filialisation des deux médias locaux. La ctc interviendrait financièrement, à la hauteur de ses moyens, spécifiquement pour le soutien à la langue et à la culture corses dans le cadre d’un programme pluriannuel discuté entre les parties.

• Les personnels garderaient leur statut actuel. Pourraient également intervenir dans le tour de table des partenaires privés dans une formule de contractualisation annuelle ou pluriannuelle de sponsoring. Cette nouvelle situation permettrait de planifier à long terme aussi bien la politique éditoriale que les investissements ( par exemple utilisation de l’Internet Haut Débit ).

• Une nouvelle génération de professionnels des médias va s’apprêter à répondre aux départs à la retraite qui s’annoncent à France 3 et rcfm. L’expérience montre qu’il est nécessaire d’inverser les processus de formation pour les futurs professionnels corsophones en accordant la priorité chronologique à la langue corse sur la formation professionnelle. Une véri-Page 29table formation universitaire de spécialistes de la langue corse pourrait donc leur être proposée, préalable à toute acquisition de diplômes dans les diverses spécialités des médias. Il semble utile de réfléchir au sein de l’Université à une coordination entre ce nouveau diplôme universitaire et la formation professionnelle ( journaliste, technicien, etc.).

• Cette formation en direction des futurs agents du service public peut s’étendre aux professionnels de tout secteur s’adressant au public. En effet, les tâches ne leur manqueront pas, de la rédaction et la traduction de textes à la réception et l’accueil du public. Ainsi devront être travaillées des compétences de haut niveau en matière d’expression/communication orale et écrite.

2.3.2.5. Donner une visibilité institutionnelle à la langue Ce cinquième objectif peut être atteint en utilisant dès à présent le potentiel corsophone —important à en juger par l’observation directe— présent dans les différents services et en amplifiant les initiatives déjà prises La ctc donnera l’exemple:

• organisation de sessions bilingues préparées avec soin,

• généralisation du bilinguisme dans la vie et la communication de ses services,

• rédaction bilingue des délibérations,

• plan de formation pour tous les agents,

• expression bilingue pour les grands choix,

• signalétique pour ses locaux et ceux dont elle a la gestion,

• incitation régulière auprès de ses partenaires, notamment par le truchement de la charte.

2.3.3. Equiper la langue

Cet aspect du dossier est sans doute la partie la plus technique proposée à la politique linguistique territoriale. La tâche est vaste et pérenne. Il s’agit en effet de doter la langue d’un instrument institutionnel ( structure d’exécution du Cunsigliu di a Lingua ) dont la fonction sera plurielle :

respecter la diversité interne à la langue corse, tout en dotant celle-ci des instruments formels nécessaires à sa diffusion dans la société. On connaît les problèmes que pose la variation linguistique dès lors que se profile la perspective de la normalisation. Dans la situation corse, où l’effort dePage 30convergence s’accompagne de la volonté explicite de respecter la variation dans l’espace linguistique, le traitement de la polynomie impose un cahier des charges d’autant plus complexe.

recenser le patrimoine linguistique et terminologique existant.

observer la situation linguistique dans la société, par l’organisation d’enquêtes et d’évaluations régulières des impacts de la politique engagée

diffuser la langue en assurant l’information régulière des publics, l’accès aisé aux documents écrits, oraux et multimédias par la consultation et l’édition et en organisant des événements promotionnels ( type « Journée de la langue » ).

3. La langue et son statut

Outre les travaux et observations réalisés dans le contexte insulaire, le cs a consulté une abondante documentation et rencontré de nombreux experts de situations linguistiques d’Europe marquées par la volonté d’assurer la pérennisation, la diffusion et l’équipement d’une langue minorée. Rapidement s’est imposé un constat d’évidence : les politiques linguistiques enregistrent des progrès d’autant plus rapides que les langues concernées bénéficient de statuts institutionnels favorables. En ce qui concerne la Corse, la mission stricto sensu confiée au Cunsigliu ne comprend pas l’examen de cette question. Le déroulement des travaux en a cependant rappelé à tout moment la prégnance. Ainsi les perspectives de développement d’une politique linguistique insulaire ont-elles rappelé la nécessité d’une évolution du droit français, notamment eu égard à l’existence de la Charte Européenne des Langues Régionales et Minoritaires ; le blocage est en effet total sur ce point depuis la décision du Conseil Constitutionnel français en date du 15 juin 1999.7 Quoi qu’il en soit, l’absence de statut institutionnel de laPage 31langue à traiter pèse à la fois sur l’efficacité des moyens à engager et les perspectives que l’on se propose. En l’état, les propositions qu’a avancées le cs ne peuvent raisonnablement pas répondre à l’ambition des objectifs fixés par la délibération du 01.07.2005. De toute évidence, la volonté ex

Le rapporteur ayant été entendu ;

— Sur le contenu de l’engagement international soumis a l’examen du Conseil constitutionnel et sur l’étendue du contrôle exercé :

Considérant que la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires soumise à l’examen du Conseil constitutionnel se compose, outre un préambule, d’une partie I, intitulée : « dispositions générales » ; d’une partie II relative aux «objectifs et principes» que chaque Etat contractant s’engage à appliquer ; d’une partie III comportant quatre-vingt-dixhuit mesures en faveur de l’emploi des langues régionales ou minoritaires dans la vie publique, classées par domaine d’application, au sein desquelles chaque Etat contractant est libre de faire un choix dans les limites précisées à l’article 2 ( § 2 ) de la Charte, les mesures ainsi retenues ne s’appliquant qu’aux langues indiquées dans son instrument de ratification ; d’une partie IV contenant des dispositions d’application ; d’une partie V fixant des dispositions finales ;

Considérant qu’en vertu de l’article 2 ( § 1 ) de la Charte, «chaque Partie s’engage à appliquer les dispositions de la partie II», comportant le seul article 7, «à l’ensemble des langues régionales ou minoritaires pratiquées sur son territoire, qui répondent aux définitions de l’article 1» ; qu’il résulte de ces termes mêmes que la partie II a une portée normative propre et qu’elle s’applique non seulement aux langues qui seront indiquées par la France au titre des engagements de la partie III, mais à toutes les langues régionales ou minoritaires pratiquées en France au sens de la Charte ;

Considérant que l’article 2 ( § 2 ) précité de la Charte fait obligation à chaque Etat contractant de s’engager à appliquer un minimum de trente-cinq paragraphes ou alinéas choisis parmi les dispositions de la partie III, dont au moins trois choisis dans les articles 8 : «enseignement» et 12 : «activités et équipements culturels», et un dans chacun des articles 9 : «justice», 10 : «autorités administratives et services publics», 11 : «médias» et 13 : «vie économique et sociale» ; que, lors de la signature de la Charte, la France a indiqué une liste de trente-neuf alinéas ou paragraphes, sur les quatre-vingt-dix-huit que comporte la partie III de cette convention, qu’elle s’engage à appliquer et qui sera jointe à son instrument de ratification ; que onze d’entre eux concernent l’enseignement, neuf les médias, huit les activités et équipements culturels, cinq la vie économique et sociale, trois les autorités administratives et services publics, deux les échanges transfrontaliers et un la justice ; que le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel sur la partie III doit porter sur les seuls engagements ainsi retenus ;

Considérant, par ailleurs, que le Gouvernement français a accompagné sa signature d’une déclaration interprétative dans laquelle il précise le sens et la portée qu’il entend donner à la Charte ou à certaines de ses dispositions au regard de la Constitution ; qu’une telle déclaration unilatérale n’a d’autre force normative que de constituer un instrument en rapport avec le traité et concourant, en cas de litige, à son interprétation ; qu’il appartient donc au Conseil constitutionnel, saisi sur le fondement de l’article 54 de la Constitution, de procéder au contrôle de la constitutionnalité des engagements souscrits par la France indépendamment de cette déclaration;Page 32primée par l’Assemblée de Corse dans cette délibération devra surmonter les obstacles que ne manquera pas de dresser une situation où la faiblesse du statut de la langue ne facilitera guère l’impact des mesures décidées au plan régional. Ce dispositif est pourtant de nature à entraîner à terme une

— Sur les normes de référence applicables :

Considérant, d’une part, qu’ainsi que le proclame l’article 1er de la Constitution : «La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances» ; que le principe d’unicité du peuple français, dont aucune section ne peut s’attribuer l’exercice de la souveraineté nationale, a également valeur constitutionnelle ;

Considérant que ces principes fondamentaux s’opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d’origine, de culture, de langue ou de croyance ;

Considérant, d’autre part, que la liberté proclamée par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, aux termes duquel : «La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi», doit être conciliée avec le premier alinéa de l’article 2 de la Constitution selon lequel « La langue de la République est le français » ;

Considérant qu’en vertu de ces dispositions, l’usage du français s’impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public ; que les particuliers ne peuvent se prévaloir, dans leurs relations avec les administrations et les services publics, d’un droit à l’usage d’une langue autre que le français, ni être contraints à un tel usage ; que l’article 2 de la Constitution n’interdit pas l’utilisation de traductions ; que son application ne doit pas conduire à méconnaître l’importance que revêt, en matière d’enseignement, de recherche et de communication audiovisuelle, la liberté d’expression et de communication ;

— Sur la conformité de la Charte à la Constitution :

Considérant qu’aux termes du quatrième alinéa de son préambule, la Charte reconnaît à chaque personne « un droit imprescriptible » de « pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique » ; qu’aux termes de l’article 1 ( a ) de la partie I : « par l’expression « langues régionales ou minoritaires », on entend les langues : i) pratiquées traditionnellement sur un territoire d’un Etat par des ressortissants de cet Etat qui constituent un groupe numériquement inférieur au reste de la population de l’Etat ; et ii) différentes de la ( des ) langue( s ) officielle( s ) de cet Etat», exception faite des dialectes de la langue officielle et des langues des migrants ; que, par « territoire dans lequel une langue régionale ou minoritaire est pratiquée », il convient d’entendre, aux termes de l’article 1 ( b ), «l’aire géographique dans laquelle cette langue est le mode d’expression d’un nombre de personnes justifiant l’adoption des différentes mesures de protection et de promotion » prévues par la Charte ; qu’en vertu de l’article 7 (§ 1) : « les Parties fondent leur politique, leur législation et leur pratique sur les objectifs et principes » que cet article énumère ; qu’au nombre de ces objectifs et principes figurent notamment « le respect de l’aire géographique de chaquePage 33modification positive des attitudes et des usages sociaux. Conjugué avec une volonté politique tendue dans l’effort et la permanence, il pourra alors entraîner dans les pratiques linguistiques des changements importants. langue régionale ou minoritaire, en faisant en sorte que les divisions administratives existant déjà ou nouvelles ne constituent pas un obstacle à la promotion de cette langue... », ainsi que « la facilitation et/ou l’encouragement de l’usage oral et écrit des langues régionales ou minoritaires dans la vie publique et dans la vie privée » ; que, de surcroît, en application de l’article 7 (§ 4), « les Parties s’engagent à prendre en considération les besoins et les voeux exprimés par les groupes pratiquant ces langues » en créant, si nécessaire, des « organes chargés de conseiller les autorités » sur ces questions ;

Considérant qu’il résulte de ces dispositions combinées que la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, en ce qu’elle confère des droits spécifiques à des «groupes» de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de «territoires» dans lesquels ces langues sont pratiquées, porte atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français ;

Considérant que ces dispositions sont également contraires au premier alinéa de l’article 2 de la Constitution en ce qu’elles tendent à reconnaître un droit à pratiquer une langue autre que le français non seulement dans la «vie privée» mais également dans la « vie publique », à laquelle la Charte rattache la justice et les autorités administratives et services publics ;

Considérant que, dans ces conditions, les dispositions précitées de la Charte sont contraires à la Constitution ;

Considérant que n’est contraire à la Constitution, eu égard à leur nature, aucun des autres engagements souscrits par la France, dont la plupart, au demeurant, se bornent à reconnaître des pratiques déjà mises en oeuvre par la France en faveur des langues régionales ; d e c i d e :

Article premier. La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires comporte des clauses contraires à la Constitution.

Article 2. La présente décision sera notifiée au Président de la République et publiée au Journal officiel de la République française.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 15 juin 1999, présidée par M. Yves Guéna et où siégeaient : MM. Georges Abadie, Michel Ameller, Jean-Claude Colliard, Alain Lancelot, Mme. Noëlle Lenoir, M. Pierre Mazeaud et Mme. Simone Veil.

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[1] Dernière en date, l’enquête « Langue corse des étudiants » in : Economie corse n° 115 mars 2007, avec les articles de R. Colonna et G. Thiers.

[2] Sur l’élaboration linguistique, cf. J. Thiers : Papiers d’identités, Albiana, Levie, 1989.

[3] Cf. supra note 1 et : « Langue corse auprès des collégiens» in : Economie corse n° 111 novembre 2005, avec les articles de P. A. Michaux et G. Thiers.

[4] Sur cette histoire du lent dégagement d’une conscience linguistique autonome du corse, sur les partages fonctionnels de la diglossie corse-italien et le conflit structurel de la diglossie corse-français on se reportera à : J. Thiers : Papiers d’identités, Albiana, Levie, 1989.

[5] Cf. Cadre européen commun de référence pour les langues. Apprendre, enseigner, évaluer, 2000, Paris, Didier.

[6] Rapport du Président du Conseil Exécutif de Corse, Réf. MB/FG/JAP/07-143.

[7] Cf. Conseil Constitutionnel Décision No 99-412 DC du 15 juin 1999 Charte européenne des langues régionales ou minoritaires Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 20 mai 1999, par le Président de la République, sur le fondement de l’article 54 de la Constitution, de la question de savoir si la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, signée à Budapest le 7 mai 1999, doit être précédée, compte tenu de la déclaration interprétative faite par la France et des engagements qu’elle entend souscrire dans la partie III de cette convention, d’une révision de la Constitution ;

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