L'article 49, alinéa 3, de la constitution du 4 octobre 1958 : antidote ou « coup de force » ?

AutorHubert Alcaraz
CargoProfesseur titulaire en droit public. Institut d'Études Ibériques et Ibérico-américaines
Páginas1-12
L’ARTICLE 49, ALINÉA 3, DE LA CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 : ANTIDOTE
OU « COUP DE FORCE » ?
Hubert Alcaraz*
Résumé
L’article 49, alinéa 3, de la Constitution du 4 octobre 1958 a suscité récemment des critiques à l’occasion de son
utilisation par le premier ministre. En réalité, les débats relatifs à l’usage de cet outil du parlementarisme rationalisé
sont récurrents depuis les débuts de la Vème République. Toutefois, un examen détaillé du mécanisme lui-même et des
hypothèses dans lesquelles il a été mis en œuvre permet de nuancer ces critiques et de démontrer son utilité, passée et
présente.
Mots clefs : droit constitutionnel, France, Constitution, Vème République, parlementarisme rationalisé, article 49.3 de la
Constitution, Constitution du 4 octobre 1958, responsabilité politique, gouvernement, exécutif.
ARTICLE 49.3 OF THE CONSTITUTION OF 4 OCTOBER 1958: ANTIDOTE OR “POWER GRAB”?
Abstract
Article 49.3 of the Constitution of 4 October 1958 has recently been subject to criticism, after it was invoked by the
prime minister. In fact, there has been an ongoing debate about its use as a tool of streamlined parliamentarianism
since the start of the 5th Republic. However, a detailed examination of how it actually works and the hypotheses on the
basis of which it has been implemented enables us to qualify these criticisms and demonstrate its usefulness, both past
and present.
Keywords: Constitutional law; France; Constitution; 5th Republic; streamlined parliamentarianism; article 49.3 of the
Constitution; Constitution of 4 October 1958; political responsibility; government; executive.
Hubert. Alcaraz, professeur titulaire en droit public. Institut d’Études Ibériques et Ibérico-américaines (CNRS UMR 7318), hubert.
alcaraz@me.com
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Citation recommandée: Alcaraz, Hubert. « L’article 49, alinéa 3, de la Constitution du 4 octobre 1958: antidote ou “coup de force” ».
Revista catalana de dret públic, Nº. 53 (décembre 2016), pp. 1-12, DOI: 10.2436/rcdp.i53.2016.2878.
Hubert Alcaraz
L’article 49, alinéa 3, de la Constitution du 4 octobre 1958: antidote ou “coup de force”
Revista catalana de dret públic, núm 53, 2016 2
Sommaire
1 Un outil nécessaire
1.1 La recherche de la stabilité gouvernementale
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2 Des critiques à nuancer
2.1 Le maintien des équilibres propres à la Vème République
2.2 Une pratique régulière
Hubert Alcaraz
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Serions-nous revenus aux premiers jours de la Vème République et aux anathèmes lancés contre le système
mis en place par la Constitution du 4 octobre 1958 sous l’impulsion du Général de Gaulle ? C’est, en tout
cas, ce que l’on serait tenté de croire tant ces dernières semaines ont donné lieu à des controverses, voire à
de vifs affrontements, à propos de l’un des mécanismes clefs du parlementarisme rationnalisé imaginé par
le constituant : l’engagement de la responsabilité du gouvernement à propos du vote d’un texte. L’occasion
en a été fournie par les débats relatifs à l’adoption de la loi du 8 août 2016, dite « loi El Khomri »1. En
effet, comme cela s’était déjà produit à de nombreuses reprises sous la Vème République, le gouvernement a
choisi d’utiliser l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, et le moyen de pression qu’il permet d’exercer sur sa
majorité, pour faire adopter la loi. Et une fois de plus, et peut-être plus encore que par le passé – qui sait ? –,
cette décision a soulevé une volée de critiques et son lot d’indignations. Au point que, par une croustillante
association des contraires, le journal Le Figaro a vilipendé le « coup de force de l’Exécutif »2, alors même
que le Parti communiste parlait lui aussi de « coup de force », tentant d’enfoncer le clou en relevant « une
inacceptable brutalité »3.
Pour commencer et bien comprendre les enjeux de la controverse qui secoue la vie politique française de
façon récurrente, il faut rappeler l’économie de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution. Observons donc que
cette règle constitutionnelle prend place au sein du titre V de la Constitution, consacré aux « rapports entre
le Parlement et le gouvernement » et plus précisément au sein de l’article 49 qui organise la responsabilité
politique du gouvernement devant le Parlement. Plus précisément, c’est la loi constitutionnelle du 3 juin
1958, portant révision de l’article 90 de la Constitution de 1946, qui ouvre la possibilité d’élaborer une
nouvelle Constitution – qui va être celle de la Vème République - qui pose le principe de l’institution de la
responsabilité politique du gouvernement dans le futur nouveau régime4. Elle précise, en particulier, dans son
alinéa premier, que « la Constitution sera révisée par le Gouvernement investi le 1er juin et ce dans les formes
suivantes : le Gouvernement de la République établit un projet de loi constitutionnelle mettant en œuvre les
principes ci-après... ». A ce titre, son alinéa 3, dispose : « 3. Le gouvernement doit être responsable devant
le Parlement ».
Néanmoins, tout en procédant à ce choix en faveur du régime parlementaire, la Constitution entend dans le
même temps mettre en place un régime politique stable et pour tout dire, pour reprendre les mots du général
de Gaulle, « restaurer l’autorité de l’Etat ». Aussi le constituant dote-il le nouveau régime parlementaire
d’outils propres à assurer sa stabilité, c’est à dire propres à instituer un parlementarisme rationalisé, qui

Ainsi la Constitution du 4 octobre 1958 prévoit-elle trois procédures distinctes pour mettre en cause la
responsabilité politique du gouvernement devant l’Assemblée nationale, et devant elle seule : « 1. Le
Premier ministre, après délibération du Conseil des ministres, engage devant l’Assemblée nationale la
responsabilité du Gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique
générale. 2. L’Assemblée nationale met en cause la responsabilité du Gouvernement par le vote d’une motion
de censure. Une telle motion n’est recevable que si elle est signée par un dixième au moins des membres
de l’Assemblée nationale. Le vote ne peut avoir lieu que quarante-huit heures après son dépôt. Seuls sont
recensés les votes favorables à la motion de censure qui ne peut être adoptée qu’à la majorité des membres
composant l’Assemblée. Sauf dans le cas prévu à l’alinéa ci-dessous, un député ne peut être signataire de
plus de trois motions de censure au cours d’une même session ordinaire et de plus d’une au cours d’une
même session extraordinaire. 3. Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres,
engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de
1 Du nom de la ministre chargée de défendre le projet du gouvernement devant le Parlement ; loi n° 2016-1088 du 8 août 2016
relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.
2 E. Bastié, « L’article 49-3, coup de force de l’exécutif », Le Figaro, 10 mai 2016.
3 L’expression « coup de force » a été employée par Pierre Laurent, sénateur, secrétaire national du Parti communiste français, le
11 mai 2016.
4 Loi constitutionnelle du 3 juin 1958 portant dérogation transitoire aux dispositions de l’article 90 de la Constitution du 27 octobre
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procédure de révision de la Constitution du 27 octobre 1946, prévue par l’article 90 de celle-ci, en établissant toutefois un certain

politique du gouvernement.
Hubert Alcaraz
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  
si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions
prévues à l’alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre
projet ou une proposition de loi par session. (…) ». La motion de censure, à l’initiative de l’Assemblée
 

dire l’engagement de responsabilité du gouvernement sur un texte forment les différentes hypothèses ou les
différents mécanismes répondant aux prescriptions de la loi constitutionnelle du 3 juin 19585.
Pour être tout à fait complet, ajoutons que l’article 20 de la Constitution dispose que le gouvernement est
« responsable devant le Parlement », tandis que l’article 50 précise que seul un vote émis par l’Assemblée
nationale peut entraîner la démission du Gouvernement. Surtout, rappelons que la rédaction originelle des
dispositions du troisième alinéa l’article 49 était un peu différente, puisqu’il y était établi que « Le Premier
ministre peut, après délibération du conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant
l’Assemblée nationale sur le vote d’un texte. Dans ce cas, ce texte est considéré comme adopté, sauf si une
motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est adoptée dans les conditions prévues
à l’alinéa précédent ». C’est la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui a donné à cet alinéa sa forme
actuelle, précisément pour tenir compte des critiques qui avaient pu être formulées l’encontre de ce texte,
sans renier cette caractéristique essentielle du régime parlementaire consistant dans la possibilité reconnue à
la chambre basse de mettre en jeu la responsabilité politique du gouvernement6.

concilier l’inconciliable, c’est à dire, d’un côté, la stabilité gouvernementale et, de l’autre, la responsabilité
gouvernementale. L’exemple récent des débats liés à l’adoption de la loi « El Khomri » l’a rappelé : il


1 Un outil nécessaire
L’article 49, alinéa 3, de la Constitution en ayant à l’esprit que lors de la IIIème comme de la IVème République7,
le Parlement était le plus souvent partagé entre des partis nombreux et de surcroît peu disciplinés ; aucune

gouvernements, sans proposer, pour autant, de solution alternative. Dès lors, en 1958, retenant des évolutions
déjà suggérées durant les dernières années de la IVème République, l’outil mis en place apparaît répondre à
la recherche d’une plus grande stabilité gouvernementale8 et, plus généralement, au souci de restauration de
ème République,
le Parlement, en principe composé d’une majorité soutenant le pouvoir exécutif, rechigne à renverser le
gouvernement, même s’il s’oppose à la loi en cause, car il craint un retour devant les électeurs dans de telles
conditions (1.2).
1.1 La recherche de la stabilité gouvernementale
Le 27 août 1958, Michel Debré, garde des Sceaux du dernier gouvernement de la IVème République, présente
le projet de Constitution – qui deviendra celle de la Vème République – devant l’assemblée générale du
Conseil d’Etat. A cette occasion, il évoque l’article 49 de la future Constitution pour en exposer l’esprit et les

5 Le quatrième et dernier alinéa de l’article 49 prévoit aussi une procédure d’approbation d’une déclaration de politique générale
par le Sénat, mais un vote négatif ne contraint pas juridiquement le gouvernement à la démission.
6 J.-C. Colliard, « L’article 49 », in F. Luchaire, G. Conac et X. Prétot (sous la dir.), La Constitution de la République française.
Analyses et commentaires, Paris, Economica, 2008, 3ème éd., p. 1225 ; J. Gicquel et J.-E. Gicquel, Droit constitutionnel et institutions
politiques, Paris, Montchrestien, 2012, 26ème éd., p. 750.
7 La procédure est, d’ailleurs, héritée de la IVème République ; en ce sens, ibid., p.
8 Comité consultatif pour la révision de la Constitution, Rapport remis au Président de la République, 15 février 1993, JORF, 16
févier 1993, p. 2542.
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
ne peuvent user que de la motion de censure, et celle-ci est entourée de conditions qui ne sont discutées que
par ceux qui ne veulent pas se souvenir. L’expérience a conduit à prévoir en outre une disposition quelque
peu exceptionnelle pour assurer, malgré les manœuvres, le vote d’un texte indispensable ». Les termes sont

« l’arme du gouvernement », c’est à propos précisément du mécanisme mis en place par l’alinéa 3 que la
présentation se fait la plus dure : « L’expérience a conduit à prévoir en outre une disposition quelque peu
exceptionnelle pour assurer, malgré les manœuvres, le vote d’un texte indispensable ». Il faut voir, bien sûr,
dans cette mention de « l’expérience »9 une référence aux dérives des IIIème et IVème Républiques qui, on l’a
dit, ont été à l’origine d’une instabilité ministérielle inconnue jusque-là en France, qui est stigmatisée sous
le terme de « manœuvres »10.
Aussi, comme d’autres dispositions de la norme fondamentale, l’article 49, en particulier dans son alinéa
3, a-t-il pour objet de garantir l’existence d’une majorité stable et ainsi d’empêcher le retour d’un régime
d’assemblée. A cet égard, ce sont les enseignements de la IVème République qui guident le constituant en
1958 ; le Parlement pouvait, jusqu’en octobre 1958, très facilement, trop facilement, mettre en cause la
responsabilité des gouvernements qui chutaient parfois pour des motifs conjoncturels ou sur des textes
dont l’intérêt était modeste. Surtout, le gouvernement était régulièrement renversé en dehors de procédures
prévues par la Constitution elle-même. L’article 49, alinéa 3, a donc pour objet de maintenir une majorité et
d’assurer la stabilité gouvernementale11.
Pour en prendre la mesure, une description du fonctionnement du mécanisme paraît éclairante. Elle met en
lumière une ingénierie très favorable au pouvoir exécutif. Avec l’alinéa 3, la mise en cause de la responsabilité
du gouvernement résulte de la conjugaison de deux initiatives : celle du Premier ministre d’engager cette
responsabilité devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet ou d’une proposition de loi en discussion
devant elle, suivie de celle des députés de riposter par le dépôt d’une motion de censure. De ce point de vue,


proposition de loi par session, ordinaire ou extraordinaire.
L’existence de ces hypothèses de mise en œuvre limitées constitue une évolution résultant de la révision
constitutionnelle du 23 juillet 200812, sur laquelle il y aura lieu de revenir mais qui, à ce stade, n’est pas

complet, à propos du fonctionnement de l’article 49, alinéa 3, relevons qu’une délibération préalable du
Conseil des ministres est requise, comme en vue de l’engagement de la responsabilité du gouvernement sur
son programme ou sur une déclaration de politique générale. La décision du Premier ministre entraîne alors
la suspension immédiate, pour vingt-quatre heures, de la discussion du projet ou de la proposition de loi sur
le vote duquel la responsabilité du gouvernement est engagée.
Deux hypothèses se font alors jour. Soit aucune motion de censure n’est déposée et le projet ou la proposition
est considéré comme adopté, sans aucun débat et sans aucun vote. Soit, au contraire, une motion de censure
est déposée dans les vingt-quatre heures ; dans ce cas elle est discutée et votée dans les mêmes conditions
que celles présentées « spontanément » par les députés, c’est à dire que, d’abord, pour être recevable, cette
motion doit être signée par un dixième au moins des membres de l’Assemblée13
motions à répétition, chaque signataire ne peut signer que trois motions durant la session ordinaire et une
durant une session extraordinaire14. Dès que le dépôt de la motion de censure a eu lieu, aucune signature
9 C’est nous qui soulignons.
10 M. Debré, Discours du 27 août 1958 devant le Conseil d’Etat, reproduit in D. Maus, Les grands textes de la pratique
constitutionnelle de la Vème République, Paris, La Documentation française, 1998, p. 5.
11 P. Avril, « La majorité parlementaire ? », Pouvoirs, 1984, n° 68, p. 45 ; G. Tusseau, « La réactivation du “49-3” », Dalloz, 2015,
p. 560.
12 J. Gicquel, « Sauvegarder l’article 49, alinéa 3 », LPA, 2008, n° 254, p. 90.
13 Cela représente un chiffre de 58 députés lorsque tous les sièges de l’Assemblée sont pourvus.
14 Les motions de censure en réponse à un engagement de responsabilité sur un texte, déposées dans le cadre de la mise en œuvre
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ne peut être ajoutée ni retirée, et la liste des signataires est publiée. Ensuite, l’esprit du parlementarisme
rationalisé s’exprime encore dans sa volonté d’asseoir la stabilité gouvernementale à deux égards, puisque
deux dispositions originales ont été imaginées : d’une part, le dépôt d’une motion de censure ouvre un délai
         
une prise de décision que l’on espère plus apaisée et moins en proie aux votes trop émotionnels. D’autre
part, seuls les députés favorables à la motion de censure participent au scrutin, de sorte que la motion n’est
adoptée que si elle est votée par la majorité absolue des membres composant l’Assemblée. En cas de rejet
de la motion, le projet ou la proposition est considéré comme adopté. Dans l’hypothèse inverse, le texte est
rejeté et le gouvernement est renversé. Pour revenir à l’actualité, dans le cas de la loi relative au travail, à la
modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite loi « El Khomri », la
motion de censure effectivement déposée n’a obtenu que 246 voix alors que la majorité requise était de 288
voix.
L’alinéa 3 de l’article 49, de ce point de vue, a effectivement apporté au gouvernement la stabilité qui lui
faisait jusque-là défaut, en le protégeant des majorités de circonstance qui défaisaient les gouvernements au
gré des alliances, tout en étant incapables de proposer une alternative politique sérieuse. Or, c’est bien la raison
d’être de cet article : donner au gouvernement une arme pour déterminer et diriger la politique de la Nation,

avaient entraîné une désastreuse instabilité gouvernementale sous les IIIème et IVème Républiques. Cela paraît
loin, mais en 1958, le souvenir de la IVème République était vivace qui, par la pratique de la « majorité calibrée
», offrait la possibilité à l’Assemblée nationale de renverser à sa guise le gouvernement, sans risquer la
dissolution1516 puisque le gouvernement peut
désormais forcer l’adoption d’un texte, sauf pour la chambre basse du Parlement – l’Assemblée nationale –
d’accepter de le renverser17. Compte tenu de ce bilan, on comprend que le mécanisme de l’article 49, alinéa

et le risque d’instabilité gouvernementale durablement écarté18.

Effectivement, le dispositif de l’article 49, alinéa 3 de la Constitution s’est montré, depuis 1958, d’une

d’un gouvernement. C’est que le dispositif permet au Premier ministre de mettre l’Assemblée devant une

à propos d’un texte qu’il considère comme essentiel à sa politique, de sorte que soit elle le renverse, soit le
texte est considéré comme adopté. En quelque sorte, il y a là une forme de dissuasion propre à ressouder
ponctuellement une majorité « usée » en la plaçant face à un ultimatum : c’est le texte ou le gouvernement.
Le mécanisme incarnant cette alternative est d’autant mieux construit que dans l’hypothèse où l’Assemblée
serait tentée de jouer le tout pour le tout et de renverser le gouvernement par le dépôt d’une motion de censure,
le délai de quarante-huit heures imposé avant de pouvoir procéder au vote permet de laisser retomber la
colère instinctive et d’apaiser (un peu) les esprits, tout en laissant le temps de rassembler tous les soutiens,
c’est à dire de s’assurer de la présence effective lors de ce vote de tous les députés favorables au maintien du
gouvernement. La technique du « quitte ou double » fonctionne ici à plein.
de l’article 49, alinéa 3 de la Constitution, n’entrent pas dans ce décompte.
15 Une seule dissolution a eu lieu sous la IVème République à l’initiative d’E. Faure. En effet, coup sur coup, en 1955, sont renversés
à la majorité constitutionnelle les cabinets de Pierre Mendès France et d’Edgar Faure. Ce dernier saisit l’occasion et dissout
l’Assemblée le 2 décembre 1955.
16 Sous la seule IVème République, la France avait connu, entre 1946 et 1958, 22 gouvernements soit une durée de vie moyenne de
six mois par gouvernement.
                
démocratique.
 ème République) »,
LPA , 2008, n° 138, p. 22.
Hubert Alcaraz
L’article 49, alinéa 3, de la Constitution du 4 octobre 1958: antidote ou “coup de force”
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D’ailleurs, depuis 1958, aucun recours à l’article 49, alinéa 3, n’a été suivi de l’adoption d’une motion de
censure. En effet, la seule motion de censure adoptée de l’histoire de la Vème République a été adoptée non
pas au titre de l’aliéna 3 de l’article 49, mais sur le fondement de son alinéa 2, le 5 octobre 1962. Souvenons-
nous qu’il s’agissait là du dénouement de la crise institutionnelle ouverte par la décision du président de la

président au suffrage universel direct19. Le gouvernement de Georges Pompidou a été renversé le 5 octobre,
tandis que le 9 octobre, le président de Gaulle dissolvait l’Assemblée. Ce bras de fer entre le pouvoir législatif
et le pouvoir exécutif, et son épilogue marquant la victoire du pouvoir exécutif, sont loin d’être anecdotiques
car ils sont à l’origine d’une évolution durable du régime qui va, pour partie, nourrir les critiques à l’égard
du maintien des techniques propres au parlementarisme rationalisé : le fait majoritaire.
L’expression désigne l’hypothèse dans laquelle les élections législatives amènent une majorité de députés
soutenant le pouvoir exécutif à l’Assemblée nationale. L’apparition de cette majorité parlementaire soutenant
la politique du président de la République va de pair, au surplus, avec une forte bipolarisation de la vie
politique française. Cette concordance des majorités parlementaire et présidentielle rend, mécaniquement,
le recours aux mécanismes du parlementarisme rationalisé moins nécessaire, au point d’aboutir peut-être à
un excès de mise en tutelle du Parlement, les gouvernements, de droite comme de gauche, ne cessant pas,
malgré l’apparition du fait majoritaire, d’y recourir, soit qu’ils estiment ne disposer que d’une majorité
faible au Parlement, soit que celle-ci fasse expressément connaître sa réserve à l’égard de tel ou tel projet
gouvernemental.

des institutions de la Vème République, institué par Nicolas Sarkozy au mois de juillet 200720, ait proposé de
procéder, en faveur du Parlement, au rééquilibrage du fonctionnement d’un certain nombre d’instruments
21. Ainsi, parmi les réformes

des instruments du parlementarisme rationalisé22. Et le constituant, suivant les conclusions du comité, a, à
l’occasion de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, prévu que la responsabilité du gouvernement

un seul autre projet (ou proposition) de loi au cours d’une même session parlementaire, alors qu’auparavant
le gouvernement pouvait y recourir autant de fois qu’il l’estimait nécessaire et quelle que soit la nature du
texte23.
Cette limitation des possibilités de recours à l’engagement de la responsabilité du gouvernement sur le vote
d’un texte entend tenir compte du fait que le Parlement, face à un pouvoir exécutif qui a gagné en cohérence
et en capacité d’action, se trouve en réalité privé de l’exercice effectif de son rôle de vote des lois et de
contrôle de l’action du gouvernement24. Le Parlement contrôle peu l’action du gouvernement et ne procède
pas à une véritable évaluation des politiques publiques, alors même que, dans le même temps, le législateur
vote trop de lois, et dans des conditions qui ne permettent pas d’en assurer la qualité. De telle sorte que cette
19 En 1962, la décolonisation est achevée, l’opposition est divisée et l’attentat manqué du Petit-Clamart donne à Charles de Gaulle
  

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voie du référendum de l’article 11 de la Constitution, et non pas à travers la procédure normale de révision de la Constitution prévue
par l’article 89.
 
le rééquilibrage des institutions de la Vème République.
21 J.-E. Gicquel, « La reparlementarisation : une perspective d’évolution », Pouvoirs, 2008, n° 126, p. 47.
    ème République, Une Vème
République plus démocratique, Paris, La Documentation française, 2007, proposition n° 23, p. 75.
23 X. Magnon, R. Ghévontian, M. Stefanini (sous la dir.), Pouvoir exécutif et Parlement : de nouveaux équilibres ? L’impact de
la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 sur le rééquilibrage des institutions, PUAM, 2012 ; J. Gicquel, « La restauration des
droits du Parlement dans le domaine de la procédure législative : entre espoirs et illusions », Politeia, 2009, n° 15, p. 396.
24 J.-P. Camby, P. Fraisseix, J. Gicquel (sous la dir.), La révision de 2008 : une nouvelle constitution ?, Paris, LGDJ, 2011.
Hubert Alcaraz
L’article 49, alinéa 3, de la Constitution du 4 octobre 1958: antidote ou “coup de force”
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modernisation et ce rééquilibrage dans le chef du Parlement devaient participer également d’un meilleur
encadrement des attributions d’un pouvoir exécutif rénové.
Le parlementarisme rationalisé était sans doute utile, voire indispensable, en son temps, mais aujourd’hui,
dans un contexte rénové et marqué par l’apparition du fait majoritaire et l’institution du quinquennat, est
d’une opportunité plus douteuse, voire contestable selon certains. A cet égard, avec le vote bloqué et la
    
à en croire certaines des réactions les plus récentes, parmi les outils les plus contestés du parlementarisme
rationalisé mis en place en 1958.
Pourtant, l’usage de l’article 49, alinéa 3 de la Constitution, a été variable depuis 1958. Peu fréquent au
début de la Vème République, le recours à cette disposition a été largement utilisé par certains gouvernements
qui ne disposaient à l’Assemblée nationale que d’une majorité très étroite. Surtout, ce qui a nourri le plus
légitimement les critiques, c’est que contrairement à sa logique d’origine, la procédure a été mise en œuvre
pour lutter contre les manœuvres dilatoires de l’opposition : l’usage de l’article 49, alinéa 3, a ainsi permis
d’achever l’examen de textes sur lesquels de trop nombreux amendements étaient déposés. Toutefois, même
ce reproche perd de sa réalité, dès lors que l’on veut bien mesurer la portée du mécanisme et l’usage qui en
a été fait.
2 Des critiques à nuancer
Les évolutions intervenues sous la Vème République ont, comme nous l’avons observé, rendu le recours à la
technique de l’article 49, alinéa 3, moins opportune voire critiquable lorsque les gouvernements entendent en
faire un usage trop régulier. Dans le même temps, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a cherché
à rééquilibrer certains mécanismes du parlementarisme rationnalisé, parmi lesquels évidemment l’article 49,
alinéa 3. De sorte qu’en réalité, au-delà des prises de position excessives de certains, c’est à un bilan plus
nuancé qu’invitent le maintien des équilibres propres à la Vème république (2.1), ainsi que l’usage qui a été
fait de cet outil (2.2).
ème
Au regard du dispositif lui-même et de ses caractéristiques, le recours à la procédure de l’article 49,
alinéa 3 après l’installation du nouveau régime n’a pas bouleversé son économie générale25. Elle est
particulièrement précise et ne laisse par conséquent aucune place à un prétendu arbitraire du gouvernement
et, plus généralement, du pouvoir exécutif, même si elle fait, à chacune de ses utilisations, l’objet de vives
critiques, tant de la part de l’opposition que, parfois même, de la majorité. Ajoutons que l’utilisation de
l’article 49, alinéa 3, de la Constitution doit toujours faire l’objet d’une délibération préalable en Conseil des
ministres. C’est donc avec l’accord du président de la République et de l’ensemble du gouvernement que
le premier ministre fait connaître son intention de le mettre en œuvre. Nous ne sommes plus, par exemple,
sous la IIIème République, durant laquelle des pratiques « a-constitutionnelles » se déployaient, le président

sans consultation préalable de son gouvernement, et démissionnant si elle lui était refusée. La procédure
est d’ailleurs pour partie complexe puisqu’elle se déploie à travers deux volets successifs : d’un côté,
l’engagement de la responsabilité du gouvernement sur un texte ; de l’autre, ensuite, l’éventuel dépôt d’une
    
précisément de mettre l’Assemblée nationale devant ses responsabilités.
A cet égard, l’article 49, alinéa 3, ne prive pas l’Assemblée nationale de ses prérogatives, mais lui renvoie
simplement la responsabilité de la crise en la mettant face à l’alternative qu’elle paraît, compte tenu de son
attitude, appeler de ses vœux. Si elle ne veut pas de la loi en cause, elle peut toujours provoquer la chute
du gouvernement en votant la censure. Et cela est vrai même lorsque, comme c’est le cas aujourd’hui, ce
      
censure éventuellement déposée par l’opposition. Dans le cas de la loi « El Khomri », cela était d’autant plus
25 G. Carcassonne et M. Guillaume, La Constitution, Paris, Le Seuil, 2014, p. 252.
Hubert Alcaraz
L’article 49, alinéa 3, de la Constitution du 4 octobre 1958: antidote ou “coup de force”
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plausible que les députés frondeurs soutenaient que ce texte était contraire aux valeurs de la gauche, entre
autres défauts26. Envisagé sous cet angle, le recours à l’article 49, alinéa 3, ne prive pas les députés de leur
liberté puisqu’il redonne, en réalité, aux représentants du peuple la possibilité d’avoir le dernier mot. On se
souvient que le doyen Vedel synthétisait cette alternative en relevant que soit l’Assemblée souhaite que le
gouvernement reste en fonction et elle doit donc lui accorder tout ce dont il a besoin, soit elle ne veut pas lui
accorder les moyens exigés, mais elle doit alors assumer la responsabilité de le renverser27.
D’ailleurs, dans le cadre du contrôle de constitutionnalité a priori de la loi28, les députés, lorsqu’ils saisissent
le Conseil constitutionnel d’une loi dont la procédure d’adoption a donné lieu à la mise en œuvre de l’article
49, alinéa 3, ne manquent pas de soulever l’argument tiré d’une prétendue atteinte à la sincérité du débat
parlementaire et à son déroulement normal. Or, à chaque fois, la réponse du Conseil constitutionnel est
on ne peut plus claire et rappelle très fermement que « l’exercice de la prérogative conférée au Premier
ministre par le troisième alinéa de l’article 49 n’est soumis à aucune condition autre que celles résultant de ce
texte »29. Le Conseil constitutionnel a même eu l’occasion de préciser que le recours à plusieurs techniques
du parlementarisme rationalisé au cours du débat législatif relatif à un même texte n’entrainait pas, de ce
seul fait, la non-conformité à la Constitution du texte législatif adopté de cette façon. En 1995, les députés
soulignaient ainsi que le texte, objet de la saisine, avait été adopté dans des conditions n’ayant pas permis à un
véritable débat parlementaire de se développer : « 3. Considérant qu’au soutien du premier grief, les députés
font valoir que le Gouvernement, pour obtenir l’adoption de la loi déférée, a eu recours successivement à
la déclaration d’urgence prévue par l’article 45 de la Constitution et, devant l’Assemblée Nationale, à la
procédure d’engagement de la responsabilité gouvernementale sur le vote d’un texte, prévue par l’article
49 alinéa 3 de la Constitution ; qu’ils font également valoir que la question préalable a ensuite été votée par
le Sénat, ce qui a eu pour effet de dessaisir cette assemblée de son pouvoir de délibération ; qu’ils relèvent,

        
ne peut être regardée, prise isolément, comme inconstitutionnelle, en revanche, leur accumulation a eu pour
effet de priver de portée la disposition de l’article 34 de la Constitution selon laquelle «la loi est votée par le
Parlement», et a ainsi entaché d’irrégularité la procédure d’adoption de la loi »
La réponse apportée par le Conseil constitutionnel est sans équivoque et ne retient, évidemment, que des
éléments liés à la procédure législative, dont la régularité doit être appréciée au regard des seules dispositions
constitutionnelles déterminant les conditions de mise en œuvre de ces mécanismes. Tout d’abord, quant
à l’application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, il juge que « Considérant qu’il ressort de la
production d’un extrait de relevé de décisions du conseil des ministres, que celui-ci a délibéré, au cours de
sa réunion du 6 décembre 1995, de l’engagement de la responsabilité du Gouvernement sur le projet de loi
autorisant celui-ci à réformer la protection sociale ; qu’ainsi la condition posée par la Constitution pour la
mise en œuvre, s’agissant de l’examen de ce texte, de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution a été respectée ».
Et il poursuit, en ce qui concerne les conditions générales d’adoption de la loi, que « la circonstance que
plusieurs procédures aient été utilisées cumulativement, sans être contraires à la Constitution, pour accélérer
l’examen de la loi dont s’agit, n’est pas à elle seule de nature à rendre inconstitutionnelle l’ensemble de
la procédure législative ayant conduit à l’adoption de cette loi ; que dès lors le grief invoqué ne peut être
accueilli »30.
26 Les résultats du scrutin de la motion de censure déposée font, d’ailleurs, apparaître que, outre les voix de la droite, la motion de
censure a également recueilli les votes favorables des députés Front de gauche, de deux écologistes et de deux anciens membres du
Parti socialiste.
 
49, alinéa 3, telle que celle adoptée en 2008 ; cf. Comité consusltatif pour la révision de la Constitution, Rapport remis au Président
de la République, op. cit., p. 2542
28 Sur le fondement de l’article 61, alinéa 2, de la Constitution.
29 Conseil constitutionnel, décision n ° 89-268 DC du 29 décembre 1989,  ; dans le même sens et retenant
une formule identique : décision n ° 89-269 DC du 22 janvier 1990, Loi portant diverses dispositions relatives à la sécurité sociale
et à la santé ; décision n° 2004-503 DC du 12 août 2004, Loi relative aux libertés et responsabilités locales.
30 Conseil constitutionnel, décision n ° 95-370 DC du 30 décembre 1995, Loi autorisant le gouvernement, par l’application de
l’article 38 de la Constitution, à réformer la protection sociale.
Hubert Alcaraz
L’article 49, alinéa 3, de la Constitution du 4 octobre 1958: antidote ou “coup de force”
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Et encore ne faut-il pas perdre de vue que la mise en œuvre de l’article 49, alinéa 3, n’interrompt le débat que
devant l’Assemblée nationale ; devant le Sénat rien n’est changé, et il devra se dérouler de façon tout à fait
normale. N’oublions pas, également, que même dans le cas où la motion de censure viendrait à être adoptée et
le gouvernement renversé, la réaction la plus probable de la part de l’exécutif sera de prononcer la dissolution
de l’Assemblée nationale et de renvoyer ainsi les députés devant leurs électeurs ; c’est dire que même dans

d’octobre 1962 qui, par un retour aux urnes, a vu le pouvoir exécutif triompher, Charles de Gaulle obtenant
le soutien des électeurs tant à l’occasion du référendum qu’à l’occasion des élections législatives anticipées
provoquées par la dissolution. De ce point de vue, peut-être est-il plus exact de voir dans l’article 49, alinéa
  
peut encore être ressoudée ou, en cas d’échec, qu’une nouvelle majorité doit être purement et simplement
refondée.

Du point de vue de son usage, nous l’avons dit, la technique a été utilisé 88 fois depuis 1958, alors que
chaque année c’est une centaine de textes législatifs qui sont adoptés. Si on rapproche ces deux chiffres,
aucune disproportion ne saute aux yeux, bien au contraire. Evidemment, ce furent souvent des textes à
            
purement quantitative.
                
gouvernement doit faire face à une majorité qui répugne à le suivre ; trois hypothèses peuvent être ici
distinguées. Tout d’abord, cette résistance de l’Assemblée peut résulter de ce qu’elle est continuellement
rétive. Ce fut le cas de 1976 à 1981 ; on se souvient qu’à cette période, Valéry Giscard d’Estaing, président
de la République, appartient à un parti politique qui, certes, se range dans la majorité parlementaire, mais
ne constitue pas pour autant, loin s’en faut, le parti majoritaire au sein de la majorité, le RPR de Jacques
Chirac formant le gros des troupes de la majorité. A partir du moment où, en 1976, le même Jacques Chirac
démissionne du poste de Premier ministre pour être remplacé par Raymond Barre, on comprend que son
empressement, en tant que chef de la majorité, à soutenir la politique du président va être moins certain.
Sans la technique de l’article 49, alinéa 3, à sa disposition, Raymond Barre aurait sans aucun doute rencontré

Ensuite, l’assemblée peut être rétive, selon une seconde hypothèse, parce qu’elle est ponctuellement hostile
à un texte ; ce fut, par exemple, le cas en 1982 à propos d’un projet de réhabilitation des généraux d’Algérie.
Dès lors que l’exécutif tient particulièrement à un tel texte – et c’est bien ce que manifeste le recours à

l’assemblée peut être récalcitrante car la majorité de soutien dont le gouvernement dispose est étroite et
incertaine. Entre 1988 et 1993, le parti socialiste n’était majoritaire que d’une courte tête à l’Assemblée et
le gouvernement a utilisé le « 49.3 » à 39 reprises. Michel Rocard31, en particulier, y a eu recours 28 fois
pour l’adoption de textes sur lesquels, à l’occasion de l’alternance, la nouvelle majorité n’est pas revenue
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pouvoir gouverner, ce qui, ne l’oublions pas, constitue l’objet même de cette disposition. Et le mécanisme
fonctionne, comme en témoigne en 1992 le maintien du gouvernement Bérégovoy, qui se joue à trois voix
près.
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la tentation de l’obstruction parlementaire. Ainsi, Jean-Pierre Raffarin en a-t-il également fait usage pour
museler une partie de sa majorité, précisément l’UDF réputée pourtant en faire partie32. Le projet de loi relatif
à l’élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu’à l’aide publique
31 Michel Rocard a été premier ministre du 12 mai 1988 au 15 mai 1991.
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contrasté des normes constitutionnelles », RDP, 2003, n° 4, p. 945.
Hubert Alcaraz
L’article 49, alinéa 3, de la Constitution du 4 octobre 1958: antidote ou “coup de force”
Revista catalana de dret públic, núm 53, 2016 11
aux partis politiques33, mais aussi le projet de loi relatif aux libertés et responsabilités locales, devenu la loi
du 13 août 200434, ont fait, par exemple, l’objet d’un recours à l’article 49, alinéa 3. Dominique de Villepin a,
quant à lui, fait adopter au forceps par l’Assemblée nationale son projet de loi relatif à l’égalité des chances
qui, on s’en souvient peut-être, comprenait le contrat première embauche35. Manuel Valls, de son côté, y
avait déjà eu recours en 2015 pour permettre l’adoption d’un texte déjà controversé : la loi « Macron »36.
Tous ces exemples démontrent, par ailleurs, que le recours à l’article 49, alinéa 3 ne fait pas l’objet d’une
analyse partisane puisqu’il n’est pas plus le fait de la gauche que de la droite, ou inversement ; au contraire,
il s’agit bien d’un outil à la disposition d’un gouvernement. L’obstruction est une pratique courante des
opposants de tous bords. L’adoption de la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la
sécurisation des parcours professionnels n’y a pas échappé et au moment du début du débat public, le 3 mai,
4983 amendements avaient été déposés, dont 2412 par 16 députés communistes. C’est pour faire face à ces
manœuvres dilatoires et échapper au risque d’enlisement du débat que le gouvernement cherche à y mettre
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Ajoutons, sur ce point, que l’article 49 alinéa 3 a permis l’adoption des textes les plus divers, de la création du
Conseil supérieur de l’audiovisuel, aux privatisations de 1986, en passant par le statut de France Télécom, la
loi pour l’égalité des chances37 ou encore, plus récemment, la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité
et l’égalité des chances économiques38. Aucune de ces lois, plusieurs mois après leur entrée en vigueur, ne
souffrent d’un défaut de légitimité du fait de leurs conditions d’adoption. D’une certaine façon, il est même
possible de soutenir que le recours à l’article 49, alinéa 3, satisfait une grande partie des acteurs politiques,
si l’on veut bien envisager les choses avec un regard cru, n’excluant pas une part de cynisme : d’un côté, le
gouvernement, qui parvient à faire adopter par l’Assemblée nationale le texte tel qu’il le souhaitait ; d’un
autre côté, la majorité éventuellement rétive et l’opposition, qui peuvent continuer à soutenir auprès de leurs
électeurs qu’elles étaient bien opposées au texte et qu’elles ne l’ont pas voté puisqu’aucun vote n’a eu lieu.
Le choix du Premier ministre leur a évité le malaise, qui aurait immanquablement surgi, si elles avaient dû
expressément se prononcer et se positionner. Précisément, pour revenir à la loi « el Khomri », l’honnêteté
oblige à dire que personne, c’est à dire ni l’opposition, ni la majorité – y compris dans sa frange la plus
frondeuse – ne souhaitait voir des élections législatives anticipées survenir, car aucun acteur n’était en ordre
de marche pour affronter une période électorale, alors pourtant que si la motion de censure avait été votée,
François Hollande n’aurait pas eu d’autre choix que de dissoudre l’Assemblée. Peut-être les réactions vives
auxquelles les uns et les autres se sont parfois laissé aller en 2016 tiennent – elles à la révision constitutionnelle
du 23 juillet 2008 qui, en rendant le recours à l’article 49, alinéa 3, moins aisé, a donné la fausse impression39
à certains que ce mécanisme était désormais marginalisé40.
Mais même avant l’adoption de cette révision, c’est à dire à une époque (longue) où le gouvernement pouvait
y avoir recours aussi souvent qu’il le souhaitait, il n’y a jamais eu, de la part d’aucun gouvernement, d’usage
systématique de l’article 49, alinéa 3. Car il ne faut tout de même pas perdre de vue que, quelle que soit
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l’article 49, alinéa 3, a un coût politique. D’abord, il est toujours une victoire symbolique pour l’opposition,
qui ne peut, de toute façon, nourrir aucun espoir de renverser le gouvernement. Cette occasion lui fournit,
33 Loi n° 2003-327 du 11 avril 2003 relative à l’élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi
qu’à l’aide publique aux partis politiques.
34 Loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.
35 Loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances.
36 Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, pour l’activité et l’égalité des chances économiques dite, « loi Macron », du
nom du ministre de l’économie porteur du projet.
37 Loi n° 2006-396 du 31 mars 2006, précitée.
38 Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, pour l’activité et l’égalité des chances économiques, précitée.
39 L. Audouy, « La révision de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution à l’aune de la pratique », RFDC, 2016, n° 107, p. 12.
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révision constitutionnelle de juillet 2008 : P. Avril, « Renforcer le parlement : qu’est-ce à dire ? », Pouvoirs, 2013/3, n° 146, p. 13 ; P.
Politeia, 2013, n° 23, p. 197 ; P. Jan, « Une réforme
dangereuse », in J.-P. Camby, P. Fraisseix, J. Gicquel (sous la dir.), La révision de 2008 : une nouvelle constitution ?, op. cit., p. 284 ;
Jus politicum, HS, 2012, p. 41.
Hubert Alcaraz
L’article 49, alinéa 3, de la Constitution du 4 octobre 1958: antidote ou “coup de force”
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alors, une excellente tribune, largement couverte par les médias qui, d’ordinaire, peuvent être moins intéressés
par les débats plus « ordinaires ». Ensuite, il oblige le gouvernement à court-circuiter le débat parlementaire,
ce qui est toujours présenté, dans un raccourci, à l’opinion publique comme anti-démocratique ; l’examen
de ce qui était encore le projet de loi « El Khomri » en a encore été l’illustration car le Premier ministre n’a
pas utilisé immédiatement l’article 49, alinéa 3 ; au contraire, il a laissé se développer le débat parlementaire,
en premier lieu en commission et, en second lieu, en séance publique entre le 3 et le 10 mai 2016. Ce n’est
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de faiblesse, comme une peur du débat, un malaise, ou pire encore, auquel l’exécutif ne doit se résoudre
qu’avec prudence.
L’examen du texte constitutionnel comme la pratique, y compris la plus récente, prouvent précisément qu’il
n’en est rien. Certes ce mécanisme, comme d’autres mais peut-être plus encore, pose la question de la
place du Parlement, et avec lui de ses attributions, dans les institutions de la Vème République, fournissant
à ses détracteurs un prisme déformant par lequel « démontrer » une fois de plus ses défauts. Cependant, le
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dans le même temps de voter les textes qu’il estimerait trop impopulaires, espérant en quelque sorte jouer
double jeu et l’emporter sur les deux tableaux41.
41 P. Avril, J. Gicquel, J.-E. Gicquel, Droit parlementaire, Paris, Montchrestien, 2014, n° 409.

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