L´Histoire constitutionnelle comparée: étapes et modèles

AutorJoaquín Varela Suanzes-Carpegna
Páginas31-43

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I La naissance du constitutionnalisme: la grande-bretagne (1688-1776)

Dans l’histoire constitutionnelle comparée, on peut distinguer quatre grandes étapes. La première se déroule en Angleterre —ce n’est qu’à partir de 1707 qu’il convient de parler de la Grande-Bretagne— depuis le début du XVIIe siècle jusqu’à l’époque de l’émancipation des colonies américaines, autour d’une date clé : la « Glorieuse » révolution de 1688. Dans les documents les plus importants de cette première étape, notamment dans le Bill of Rights de 1689, sont énoncés deux principes de base du droit public britannique, encore en vigueur : la rule of law, ou l’État de droit, et la souveraineté du Parlement, c’est-à-dire la souveraineté du roi avec celle de la chambre de Lords et celle des Communes. Deux principes, qui remontaient au Moyen-Âge (Bracton et Fortescue les avaient clairement formulés) et que les tentatives absolutistes des Tudor et des Stuart n’avaient jamais réussi à supprimer, contrairement à ce qui s’était passé de l’autre côté du canal de la Manche.

Conformément à ces deux principes, les révolutionnaires de 1688, après avoir forcé Jacques II à l’abdication, configurent la première monarchie constitutionnelle du monde fondée sur le consentement de la nation représentée par le Parlement, même si ce dernier continue de reconnaître à Guillaume d’Orange d’amples pouvoirs dans la sphère exécutive et même législative, puisqu’il pouvait opposer son veto aux lois approuvées par les Lords et les Communes. En réalité, le roi qui émerge de la révolution de 1688 —qui fut une simple révolution politique, contrairement à celle de 1789 en France— non seulement régnait, mais gouvernait également. Il faut avoir présent à l’esprit que les hommes qui firent cette révolution se situaient aussi loin de l’absolutisme monarchique que de la république dont le souvenir était associé au puritanisme de Cromwell. Ils voulaient un roi fort, qui ait une politique propre, même si pour la mener celui-ci devait nécessairement s’assurer le concours du Parlement auquel il revenait d’approuver les lois —que dorénavant le roi ne pourrait plus dispenser— et donc les impôts et également d’exiger la responsabilité pénale des membres de l’exécutif au moyen d’un procédé complexe: l’impeachment. Un procédé qui en aucun cas ne pouvait être dirigé contre le roi en raison de son irresponsabilité juridique et politique, en vertu de laquelle tous les actes du roi devaient être ratifiés par ses ministres, en accord avec les maximes : king cannot do wrong et king cannot act alone. Par ailleurs, le roi ne pourrait plus intervenir dans l’exercice de la fonction juridictionnelle, qui était du ressort de juges indépendants et inamovibles, à qui était confiée la haute mission de protéger les droits individuels comme l’Habeas corpus, le droit de pétition, de porter des armes et la liberté de presse. Tous ces droits étaient inclus dans le Bill de 1689.

Il s’agissait donc d’une monarchie renouvelée, même si les révolutionnaires de 1688 prétendaient qu’elle était articulée avec la monarchie du bas Moyen-Âge, fondée sur le binôme roi/ royaume et que les droits individuels l’étaient avec les ordres privilégiés consacrés par la Grande Charte, comme l’avait déjà fait la Pétition de Droits de 1628, approuvée par le

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Parlement à l’époque de Jacques 1er.

Une telle articulation était en accord avec le libéralisme anglais du XVIIe siècle et en particulier le libéralisme né de la révolution de 1688. En dépit de son substrat jusrationaliste —tout à fait évident chez Locke, le grand théoricien de cette révolution—, ce libéralisme resta attaché à une conception historiciste, pragmatique et conciliatrice de la politique, qui le poussa à jeter des ponts entre le présent et le passé, entre l’aristocratie et la bourgeoisie, entre les deux Chambres du Parlement et une couronne assumée par la Maison d’Orange, symbole du protestantisme, religion dont la Loi d’Établissement essaya d’assurer la continuité en 1701.

Cependant, il faut tenir compte du fait qu’à partir de l’intronisation des Hanovre en 1714, diverses règles non écrites, connues ultérieurement sous le nom de « conventions constitutionnelles », altérèrent peu à peu les bases constitutionnelles de la révolution de 1688. Ces conventions « parlementariseraient » petit à petit la monarchie constitutionnelle en transférant de facto au cabinet, et dans celui-ci au Premier ministre, la direction politique, qui de jure résidait primordialement dans le roi, comme il a déjà été dit. Un Cabinet qui, évidemment, était responsable politiquement, et non seulement pénalement, devant le Parlement, notamment devant les Communes, sans que cela empêche que la confiance royale continue d’être nécessaire pour gouverner jusqu’au XIXe siècle. En réalité, le système parlementaire de gouvernement, dans la consolidation duquel le système bipartite fut un élément clé, serait le troisième grand apport du constitutionalisme britannique, avec la rule of law et la souveraineté du Parlement.

Dans cette première étape de l’histoire constitutionnelle comparée, il convient donc de distinguer deux modèles : celui dessiné par la Constitution formelle et celui structuré par la Constitution matérielle. Le premier, appuyé, du point de vue doctrinal, sur la théorie lockienne de la balanced constitution, ensuite retouchée par Bolingroke, Blackstone et Paley, était un modèle monarchico-constitutionnel ; le second, défendu par Burke et Fox, était un modèle monarchico-parlementaire. Cependant, ces deux modèles ne sont pas toujours aisés à distinguer au XVIIIe siècle, même pour les Britanniques euxmêmes, et seront appelés à jouir d’une énorme influence dans l’histoire constitutionnelle comparée. En réalité, le débat qui eut lieu en GrandeBretagne, et en dehors de ce pays, au sujet de ces deux modèles (pour les rejeter ou pour les accepter) représente une part très importante de cette histoire, comme on le verra immédiatement.

II Le constitutionalisme revolutionnaire: états-unis, france et monde hispanique (1776-1814)

Si la première étape est la plus longue, la deuxième, révolutionnaire, est la plus intense. Elle débute en 1776 avec l’indépendance américaine, se poursuit avec la révolution française de 1789, pour culminer avec les Cortès de Cadix. Cette étape englobe les trois phases de la révolution euro-atlantique, qui

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donnera naissance à une pluralité de nations indépendantes et républicaines, aussi bien dans l’Amérique anglo-saxonne que dans l’Amérique hispanique.

Au cours de cette étape, les textes constitutionnels américains et français sont surtout inspirés par le jusnaturalisme rationaliste, source primordiale de la Déclaration d’Indépendance des États-Unis, de la Déclaration des Droits de Virginie et de la Déclaration française de 1789, avec leurs références à l’état de nature, au pacte social, aux droits naturels et inaliénables de l’homme et à la souveraineté du peuple ou de la nation.

Cependant, aux États-Unis, le jusnaturalisme ne fut pas hostile au respect de la tradition britannique du common law. Il en était, d’ailleurs, de même chez Locke, autorité doctrinale majeure pour les pères fondateurs des États-Unis. Un common law, qui, d’après ceux-ci, avait été bafoué par la métropole en de nombreuses occasions, comme le rappelle la Déclaration d’Indépendance conçue par Jefferson.

Dans la Constitution espagnole de 1812, à l’origine du constitutionnalisme hispanique et non seulement espagnol, le jusnaturalisme y est encore plus nuancé que dans la Déclaration des États-Unis, puisqu’il était fondé sur une prétendue tradition médiévale libérale, laborieusement exhumée par Martínez Marina, à laquelle renvoie à plusieurs reprises le long et substantiel « Discours préliminaire » —dans la rédaction duquel se distingua la plume de Agustín Argüelles— du code de Cadix. Il en va de même dans le préambule, qui contient une significative invocation divine, fruit de la forte influence qu’exerça le catholicisme sur les députés des Cortès de Cadix, même sur les libéraux les plus...

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