Document complémentaire a l’étude intitulée «les droits des minorités linguistiques et culturelles dans un Québec souverain»

AutorJosé Woehrling
CargoProfesseur de droit public. Université de Montréal
Páginas37-104

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Comme nous l’avons souligné dans l’étude originale1, l’accession du Québec à la souveraineté, surtout si elle s’accomplissait de façon unilatéra-Page 38le, sans l’accord du Canada, nécessiterait une reconnaissance par la communauté internationale, laquelle se montrerait d’autant plus favorable que les comportements du Québec seraient irréprochables sur le plan de la protection des minorités. Cela exigerait au moins que le Québec respecte les normes et standards du droit international dans ce domaine. En outre, dans la mesure du possible, les droits dont jouissent actuellement les minorités en vertu du droit constitutionnel canadien devraient être maintenus dans un Québec souverain. Dans l’étude originale, nous avons tenté de montrer ce qu’impliquait le respect de ces deux principes, d’une part, pour les droits de la minorité anglophone du Québec, et, d’autre part, pour les droits des autres minorités. Dans cette mise à jour, nous examinerons l’évolution des droits linguistiques et culturels des minorités, durant la dernière décennie, successivement en droit constitutionnel canadien et en droit international, dans le but de vérifier s’il y a lieu de compléter les constatations et conclusions auxquelles nous étions parvenus dans l’étude originale.

I L’évolution des droits des minorités linguistiques et culturelles en droit constitutionnel canadien

Dans l’étude originale, nous avions examiné la portée des droits reconnus à la minorité anglophone du Québec dans la Constitution canadienne, telle qu’elle résultait à l’époque de l’interprétation judiciaire, pour voir dans quelle mesure ces droits pourraient être maintenus dans un Québec souverain sans rentrer en conflit avec la politique linguistique québécoise destinée à protéger et à promouvoir la langue française. Nous avions distingué trois catégories de droits relatifs respectivement à la langue de la législation et de la réglementation, de la justice et de l’administration; à la langue de l’éducation; enfin, à la langue de la vie économique. Pour les deux premières catégories, les droits découlent de dispositions garantissant des droits linguistiques spécifiques, propres à la minorité anglophone. Nous constaterons qu’il y a effectivement eu évolution de la jurisprudence dans l’interprétation de ces dispositions. Par ailleurs, les droits relatifs à laPage 39 langue de la vie économique résultent de la «liberté linguistique» implicite que les tribunaux, tant au Canada qu’ailleurs dans le monde, font découler de certaines libertés fondamentales et du droit à l’égalité; ces droits bénéficient à tous, qu’ils s’agisse des membres de la majorité ou de ceux d’une minorité. La jurisprudence canadienne relative à cette liberté linguistique implicite n’a pas subi de modifications ou d’évolution depuis l’étude originale, si bien qu’il sera inutile de réexaminer cette question. Enfin, de façon plus générale, l’importance récente accordée par la Cour suprême aux principes structurels sous-jacents de la Constitution, notamment à celui de la protection des minorités, soulève la possibilité, au moins théorique, d’une extension jurisprudentielle imprévisible des droits des minorités au delà des dispositions expresses de la Constitution. Il faudra également examiner cette question.

A Les droits de la minorité anglophone relatifs à la langue de la justice: l’affaire Beaulac (1999) et la réorientation de la jurisprudence de la Cour suprême dans un sens plus libéral

Dans l’étude originale nous constations que la Cour suprême du Canada avait donné à l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et aux dispositions similaires applicables au Manitoba et au Nouveau-Brunswick des interprétations larges et évolutives pour ce qui est du bilinguisme législatif et réglementaire, mais plutôt restrictives pour ce qui est de certains aspects du bilinguisme judiciaire.

Depuis 1991, la première de ces tendances jurisprudentielles a été confirmée, la Cour continuant d’interpréter largement, voire d’élargir, l’obligation de bilinguisme législatif.2 Par ailleurs, dans un arrêt de 1999, elle aPage 40 indiqué un changement d’orientation pour ce qui est de la deuxième tendance, en affirmant que les droits linguistiques en matière judiciaire devraient désormais être interprétés de façon plus généreuse que par le passé. L’arrêt Beaulac3 ne porte pas directement sur l’interprétation des dispositions constitutionnelles garantissant des droits linguistiques en matière judiciaire, mais sur celles du Code criminel4 qui prévoient le droit d’un accusé d’être jugé dans sa langue officielle (le français ou l’anglais). Néanmoins, la Cour a clairement signifié que cette nouvelle interprétation plus large des dispositions sur le bilinguisme judiciaire devra également s’appliquer aux dispositions constitutionnelles.

Le Parlement canadien a adopté, en 1990, des dispositions dans le Code criminel qui permettent à un accusé d’être jugé dans sa langue officielle (art. 530-534). L’article 530(1)a) prévoit que lorsqu’un accusé dont la langue est l’une des langues officielles le demande (dans le délai précisé), une ordonnance est rendue portant que:

[…] l’accusé subisse son procès devant un juge de paix, un juge de la Cour provinciale, un juge seul ou un juge et un jury, selon le cas, qui parlent la langue officielle du Canada qui est celle de l’accusé ou, si les circonstances le justifient, qui parlent les deux langues officielles du Canada.

L’article 530(1)e) énonce:

530(1) Lorsqu’il est ordonné, sous le régime de l’article 530, qu’un accusé subisse son procès devant un juge de paix, un juge de la Cour provinciale, un juge seul ou un juge et un jury qui parlent la langue officielle qui est celle de l’accusé ou la langue officielle qui permet à l’accusé de témoigner plus facilement:

[...]

»e) l’accusé a droit à ce que le poursuivant —quand il ne s’agit pas d’un poursuivant privé— parle la même langue officielle que lui;»

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Les droits prévus par ces dispositions allaient donc nettement plus loin que ceux garantis dans les dispositions constitutionnelles applicables au Québec, au Manitoba et au Nouveau-Brunswick, telles qu’elles avaient été interprétées par la Cour suprême du Canada. Cependant, le fait que la Cour suprême ait interprété la Constitution comme accordant le droit de choisir entre les deux langues, non seulement aux justiciables, mais aussi aux juges et aux procureurs, devant les tribunaux du Québec, du Manitoba et du Nouveau-Brunswick, allait jeter un doute sur la validité ou l’applicabilité, dans ces trois provinces, des dispositions du Code criminel qui confèrent aux accusés le droit d’être compris dans leur langue par le tribunal et d’avoir un poursuivant qui parle leur langue.

La question de la compatibilité, avec l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, de l’article 530(1)e) du Code criminel, qui reconnaît aux accusés le droit d’avoir un poursuivant qui parle leur langue, a été soulevée à deux reprises devant la Cour supérieure du Québec, en 1991, dans des affaires où les accusations étaient reliées aux événements survenus à Oka en 1990, et a donné lieu à deux jugements contradictoires. Les accusés étant de langue anglaise, ils avaient demandé et obtenu, en vertu de l’article 530(1)a)(ii), de subir leur procès devant un juge et un jury parlant leur langue. Sur quoi, les quatre substituts du procureur général assignés pour plaider la cause, des francophones, devaient déclarer au juge qu’ils avaient l’intention d’utiliser la langue française, à l’occasion, en l’absence du jury. Le juge leur ayant fait remarquer que l’article 530(1)e) ne le leur permettait pas, les procureurs ont alors contesté la validité et l’applicabilité constitutionnelles de cette disposition au Québec en s’appuyant sur l’article 133, tel qu’interprété par la Cour suprême du Canada. Le procureur général du Canada est intervenu pour défendre la validité et l’applicabilité constitutionnelles de la disposition du Code criminel.

Dans l’affaire R. c. Cross,5 le juge Greenberg a jugé que l’article 530(1)e) était constitutionnellement inopérant au Québec car il ne permettait pas de respecter le droit des procureurs de la Couronne, reconnu par l’article 133 tel qu’interprété par la Cour suprême, de choisir la langue qu’ils désirent employer dans les procédures judiciaires. Si un accusé ne comprend pas la langue utilisée par les procureurs, ses droits pourront être assurés par l’assistance d’un interprète.

Au contraire, dans l’affaire R. c. Montour,6 le juge Tannebaum, saisi de la même question, a déclaré les mêmes dispositions applicables au Québec.Page 42 Selon lui, les droits des accusés en vertu du Code criminel et ceux des procureurs en vertu de l’article 133 pouvaient être conciliés en interprétant l’article 530(1)e), non pas comme imposant aux substituts du procureur général l’obligation personnelle de parler la langue des accusés, mais plutôt comme imposant à la Couronne, représentée par le procureur général (le ministre de la justice), l’obligation d’affecter à une cause où une ordonnance a été rendue en vertu de l’article 530 un substitut capable de parler la langue officielle des accusés et consentant à le faire.

Les deux décisions ayant été portées en appel (elles ont été jointes et plaidées en même temps), la Cour d’appel du Québec a rendu sa décision dans l’arrêt Cross c. Teasdale.7 Elle a donné raison à l’interprétation retenue par le juge Tannenbaum. Par conséquent, elle confirme que l’article 530(1)e du Code criminel oblige le ministre de la justice du Québec «à choisir un substitut qui est capable et qui accepte de conduire les procédures dans la langue officielle de l’accusé» (p. 2594). La Cour ajoute:

Lorsqu’une ordonnance prévue par l’article 530 a été prononcée, un substitut dont la langue maternelle est différente de celle de l’accusé peut fort bien accepter, et cela est courant, de plaider la cause en utilisant la langue de l’accusé. Normalement, on doit s’attendre à ce que ce substitut respecte son engagement. S’il arrivait qu’en cours de procès le substitut se sente incapable de faire justice à son mandat en utilisant une langue autre que la sienne et manifeste l’intention de parler le français ou l’anglais comme le lui permet l’article 133, le juge ne pourrait certes pas le forcer à parler la langue officielle qui n’est pas la sienne. Dans un tel cas, le juge devrait suspendre l’audience pour permettre au procureur général de trouver un remplaçant prêt à continuer la cause dans la langue de l’accusé

(p. 2594).

La Cour d’appel a par ailleurs expressément rejeté la prétention des appelants à l’effet que le droit à un procès équitable exige que le poursuivant parle la langue de l’accusé. Le droit à un procès équitable exige seulement que l’accusé qui ne comprend pas ou ne parle pas la langue des procédures ait droit à l’assistance d’un interprète.

Le point de vue adopté par la Cour d’appel du Québec, relativement à l’article 530 du Code criminel, selon lequel celui-ci oblige l’État à faire en sorte que les tribunaux criminels soient institutionnellement bilingues pour pouvoir s’adapter aux choix linguistiques du justiciable (ce qui évite d’a-Page 43voir à mettre à la charge des juges et des procureurs une obligation individuelle, qui serait contraire à leur propre droit d’utiliser la langue de leur choix, tel qu’il est garanti à l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et dans ses dispositions jumelles) a été confirmé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Beaulac en 1999 (ce qui explique que le gouvernement du Québec ait abandonné les procédures d’appel devant la Cour suprême dans l’affaire Cross c. Teasdale).

Dans cette affaire, qui portait sur une poursuite criminelle en Colombie-Britannique, la Cour suprême a jugé, à l’unanimité, qu’en vertu de l’article 530 du Code criminel, un accusé anglophone ou francophone a le droit absolu de choisir le français ou l’anglais pour son procès. Il n’a pas à démontrer qu’il ne comprend pas la langue des procédures ou qu’en l’absence du respect de son choix linguistique, le procès serait inéquitable. Il pourrait même arriver qu’un accusé, qui comprend mieux l’anglais, demande que son procès soit tenu en français (ou l’inverse). Selon la Cour, l’article 530 du Code criminel lui en donne le droit, à la seule condition qu’il puisse communiquer de façon fonctionnelle avec son avocat dans la langue qu’il aura choisie. La Cour justifie ce point de vue par la nature des droits linguistiques reconnus aux anglophones et aux francophones. Il ne s’agit pas seulement, dans leur cas, de garantir le caractère équitable de leur procès, mais de leur assurer une égalité de traitement. Cette égalité suppose que les membres de la minorité de langue officielle (anglophone ou francophone) aient les mêmes droits que les membres de la majorité, c’est-à-dire le droit à un procès conduit directement dans leur langue:

La “langue de l’accusé” est de nature très personnelle; elle forme une partie importante de son identité culturelle. En vertu de l’art. 530 du Code, il faut donner à l’accusé le droit de faire un choix entre les deux langues officielles en fonction des liens subjectifs qu’il entretient avec la langue ellemême, et d’affirmer librement quelle langue officielle est la sienne. Aux fins des par. 530(1) et 530(4), la langue de l’accusé est l’une ou l’autre des deux langues officielles avec laquelle cette personne a des liens suffisants. Ce n’est pas forcément la langue dominante. Si l’accusé a une connaissance suffisante d’une langue officielle pour donner des directives à son avocat, il pourra affirmer cette langue comme sa langue, indépendamment de sa capacité de parler l’autre langue officielle. Le ministère public peut contester l’affirmation, mais il lui incombe alors de démontrer qu’elle est sans fondement. Dans un tel cas, le tribunal n’entreprendra pas l’examen de critères spécifiques en vue de déterminer une identité culturelle dominante ni l’examen des préférences linguistiques personnelles de l’accusé. IlPage 44 s’assurera seulement que l’accusé est capable de donner des directives à son avocat et de suivre le déroulement des procédures dans la langue choisie. L’affirmation de la langue est une condition préalable à une demande fondée sur les par. 530(1) et 530(4). Dès qu’est établi le droit et qu’une demande est faite en vertu du par. 530(4), le juge doit décider s’il est dans les meilleurs intérêts de la justice d’accorder la demande

(extrait du sommaire de la décision).

Comme il serait extrêmement compliqué de déterminer si un individu est anglophone ou francophone, la Cour a considéré qu’il valait mieux laisser le choix à chacun entre l’anglais et le français (avec seulement la condition que l’accusé puisse communiquer avec son avocat dans la langue ainsi choisie). Une autre façon de procéder supposerait soit l’application territoriale des droits linguistiques (ce qui n’est pas possible ici puisque le Parlement fédéral a voulu que les droits s’appliquent pareillement sur l’ensemble du territoire), soit «l’enregistrement» des personnes comme francophones ou anglophones; un tel enregistrement serait contraire aux traditions nordaméricaines de mobilité et d’individualisme. Ou alors, troisième possibilité, rejetée par la Cour pour des raisons évidentes, il faudrait examiner et déterminer la «personnalité» linguistique de l’accusé au moment du procès (que ferait-on, par exemple, dans le cas très fréquent des personnes connaissant, à des degrés divers, les deux langues ?).

Dans cette même affaire Beaulac, à la majorité cette fois (deux juges étant dissidents sur ce point), la Cour a également déclaré qu’il convenait de rejeter l’interprétation restrictive des droits linguistiques constitutionnels adoptée dans l’affaire Société des Acadiens en 1986 et fondée sur le concept de «compromis politique».8 Dorénavant, ces droits devront être interprétés en fonction de leur objet «de façon compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada». LaPage 45 Cour a souligné que «les droits linguistiques sont un type particulier de droits, qui se distinguent des principes de justice fondamentale [...] [i]ls ont un objectif différent et une origine différente». Alors que l’objet des principes de justice fondamentale est d’assurer un procès équitable, ce qui entraîne l’obligation de fournir un interprète à un justiciable (quelle que soit sa langue) qui ne comprend pas la langue utilisée par le tribunal, l’objet des droits linguistiques est «le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada», ce qui signifie que les membres de ces collectivités doivent jouir d’une égalité concrète et réelle dans leur accès aux tribunaux. Logiquement, ces derniers doivent donc être en mesure de s’adapter à leurs choix linguistiques, de leur répondre dans la langue qu’il ont choisie.

L’affaire Beaulac ne porte que sur l’interprétation de l’article 530 du Code criminel, mais étant donné que la Cour suprême fait découler ces conséquences de la nature même des droits linguistiques reconnus aux anglophones et aux francophones, il serait logique que la même interprétation, ou une interprétation similaire, vaille à l’avenir pour les dispositions contenues dans la Constitution canadienne. La décision de la Cour suprême dans Beaulac signifie donc probablement que l’obligation de bilinguisme institutionnel qui découle de l’article 530 du Code criminel sera progressivement transposée aux dispositions constitutionnelles qui prévoient le droit d’utiliser l’anglais ou le français devant les tribunaux, si bien que tous les arrêts de la Cour dans lesquels ce droit avait été interprété restrictivement seront susceptibles d’être réexaminés.9

Dans l’arrêt Beaulac, la Cour suprême a donc réussi à clarifier de façon satisfaisante, sur le plan conceptuel et sur le plan pratique, les différences qui existent entre, d’une part, les droits linguistiques en matière judiciaire des francophones et des anglophones, et, d’autre part, le droit à l’assistance d’un interprète qui bénéficie à tous, quelle que soit leur langue. Ces différences sont au nombre de quatre et portent respectivement sur les fon-Page 46dements, les conditions de mise en œuvre, le contenu et les bénéficiaires de ces deux catégories différentes de droits. Il serait important d’en tenir compte, le cas échéant, dans la rédaction de la Constitution d’un Québec souverain.

Du point de vue des fondements, le droit à l’interprète est implicitement contenu dans le droit à un procès juste et équitable (en plus d’être reconnu en tant que tel dans certaines dispositions comme l’article 14 de la Charte canadienne). Les droits linguistiques reconnus à une minorité nationale sont fondés sur l’égalité que l’on veut établir entre la collectivité majoritaire et la minorité et le droit de celle-ci à un certain épanouissement (le maintien de l’unité nationale, considérée comme menacée par les tensions linguistiques, peut également motiver une telle reconnaissance). Alors que le droit à un procès juste et équitable est nécessairement reconnu dans tout ordre juridique démocratique et libéral, la reconnaissance des droits linguistiques des minorités constitue un choix politique et constitutionnel que font certains États multilingues, mais que d’autres, comme les États-Unis ou la France, ont refusé jusqu’à présent. Comme nous l’avons vu dans l’étude originale, un Québec souverain devrait adopter la première de ces attitudes plutôt que la deuxième.

Pour ce qui est des conditions de mise en œuvre, le droit à l’interprète n’existe que dans les cas où le justiciable peut démontrer qu’il ne comprend pas la langue des procédures. Dans le cas des droits linguistiques reconnus aux deux communautés de langues officielles, selon le jugement de la Cour suprême dans Beaulac, le justiciable a le droit discrétionnaire de choisir entre l’anglais et le français, indépendamment de ses capacités linguistiques, avec cependant l’exigence minimale qu’il doit être en mesure de communiquer avec son avocat dans la langue choisie.10

Quant à leur contenu, le droit à l’interprète, comme son nom l’indique, ne donne que le droit à des services d’interprétation et de traduction, alors que les droits linguistiques reconnus aux anglophones et aux francophones visent à assurer une égalité réelle de statut entre la majorité et la minorité et donnent, au moins dans le cas de l’art. 530 du Code criminel, le droit à un procès entièrement conduit dans la langue choisie par l’accusé, avec un juge, un jury et un poursuivant qui parlent sa langue.

Enfin, alors que le droit à l’interprète bénéficie à tous, quelle que soitPage 47 leur langue, les droits linguistiques ne bénéficient qu’aux anglophones et aux francophones.

En conclusion, si l’on décidait de maintenir dans la Constitution d’un Québec souverain certains droits linguistiques spécifiques pour la minorité anglophone dans le domaine judiciaire, ils devraient être formulés de manière à aller au delà du simple droit à l’interprète, lequel sera nécessairement garanti à chacun quelle que soit sa langue, au titre du droit à un procès équitable. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle nous arrivions déjà dans l’étude originale et qui se trouve maintenant confortée par l’évolution de la jurisprudence. Il faudrait donc que l’État québécois ait l’obligation de prévoir la composition et le fonctionnement des organismes judiciaires de telle manière que le droit des justiciables anglophones d’utiliser leur langue puisse être respecté. Comme l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 ne s’appliquerait plus, on pourrait parvenir à ce résultat soit par une formule de bilinguisme institutionnel comme celle actuellement appliquée sous l’empire du Code criminel (aucun officier de justice n’étant personnellement obligé de parler une langue autre que la sienne), soit par une formule de bilinguisme personnel, les juges, les procureurs et autres officiers de justice, ou une certaine proportion d’entre eux, devant être choisis en fonction de leur aptitude à fonctionner dans les deux langues. Comme nous l’avons souligné dans notre étude originale, diverses modalités seraient envisageables selon que les droits linguistiques en matière judiciaire seraient reconnus sur tout le territoire québécois ou seulement dans certains districts judiciaires, pour tous les domaines du droit ou seulement en matière pénale et criminelle, pour tous les justiciables ou seulement pour les personnes physiques, etc. Le droit comparé offre un vaste éventail de modèles dont on pourrait s’inspirer. Quant au droit international, comme on le verra dans la deuxième partie, il n’exige au minimum que la reconnaissance du droit à l’interprète.

On pourrait également s’inspirer des formules actuellement en vigueur au Canada sous l’empire des dispositions du Code criminel, que nous avons déjà examinées, et de la Loi sur les langues officielles.11 Dans le cas des litiges civils qui ne mettent en cause que des particuliers (aucun organisme public n’y étant partie), l’alinéa 16(1)(c) énonce qu’il incombe aux tribunaux fédéraux autres que la Cour suprême du Canada de veiller à ce que le juge qui entend une affaire comprenne les parties sans l’aide d’un interprète lorsqu’elles optent pour l’une des deux ou pour les deux langues officielles. Cette exigence assure qu’aucune partie ne sera désavantagée à cause dePage 48 la langue officielle qu’elle a choisi. Pour ne pas enfreindre le droit des juges de parler la langue de leur choix, l’obligation légale incombe à l’institution judiciaire plutôt qu’aux juges eux-mêmes. Elle n’implique donc pas que tous les juges fédéraux et tous les officiers de justice soient bilingues. Elle signifie seulement que les tribunaux fédéraux doivent comprendre suffisamment de juges francophones, anglophones ou bilingues pour qu’il soit possible d’assigner des juges linguistiquement compétents aux procédures qui se tiennent en français, en anglais ou dans les deux langues. Le paragraphe 15(2) de la loi prévoit que les tribunaux fédéraux doivent, sur demande d’une partie, veiller à ce que soient offerts, notamment pour l’audition des témoins, des services d’interprétation simultanée d’une langue officielle à l’autre. Le paragraphe 15(1) prévoit, quant à lui, que les tribunaux fédéraux doivent veiller à ce que tout témoin qui comparaît devant eux puisse être entendu dans la langue officielle de son choix. Dans les litiges civils qui mettent en cause la Couronne du chef du Canada (ou un autre organisme public fédéral), l’alinéa 18a) de la loi exige que l’avocat qui représente la Couronne ou l’organisme fédéral utilise la langue officielle choisie par les autres parties. Lorsque les parties ne s’entendent pas sur le choix de la langue des procédures, l’avocat fédéral doit utiliser celle des deux langues officielles qui est la plus justifiée dans les circonstances. Le paragraphe 19(1) de la loi exige que les actes judiciaires des tribunaux fédéraux que doivent signifier les institutions fédérales soient imprimés dans les deux langues officielles. Enfin, toute décision définitive rendue par un tribunal fédéral doit être mise à la disposition du public simultanément dans les deux langues officielles (paragraphe 20(1)). Toutefois, cela n’interdit pas qu’une décision soit donnée oralement dans une seule langue officielle.

La Cour suprême du Canada n’est pas, comme les autres tribunaux fédéraux, soumise en vertu de la Loi sur les langues officielles à l’obligation de veiller à ce que le juge qui entend une affaire comprenne les parties sans l’aide d’un interprète lorsqu’elles optent pour l’une des deux ou pour les deux langues officielles.12 La Cour a plutôt mis sur pied un système d’in-Page 49terprétation simultanée des plaidoiries dans les appels et les requêtes. L’interprétation simultanée est offerte dans toutes les affaires, à tout avocat ou juge qui n’est pas en mesure de comprendre directement ce qui est dit dans l’une ou l’autre langue officielle. En outre, la règle 9 de la Cour suprême prévoit que «des services de traduction simultanée dans les deux langues officielles sont fournis aux parties à l’audition des procédures devant la Cour», pour garantir que les parties elles-mêmes soient en mesure de suivre les plaidoiries faites par les avocats ainsi que les questions et les commentaires des juges. Les décisions de la Cour suprême sont publiées dans les deux langues officielles et les deux versions sont normalement disponibles de façon simultanée au moment où la décision est rendue.

B Les droits de la minorité anglophone relatifs à la langue de l’éducation: l’affaire Solski et les risques d’un usage abusif de la «clause des frères et sœurs» du paragraphe 23 (2) de la Charte canadienne

Dans notre étude originale, nous constations que la Cour suprême a traditionnellement interprété de façon large et libérale le contenu des droits à l’instruction dans la langue de la minorité (anglophone ou francophone) garantis dans l’article 23 de la Charte canadienne. Cette orientation ne s’est pas démentie durant la dernière décennie.13

En ce qui concerne la définition des catégories de personnes admissibles à l’enseignement dans la langue de la minorité, au Québec, les tribunaux ont donné au paragraphe 23(2) de la Charte canadienne précisément le genre d’interprétation que nous anticipions dans l’étude originale et qui fait naître la crainte d’un usage abusif de cette disposition, susceptible de venir contrecarrer les objectifs de la Charte de la langue française dans ce domaine. En effet, dans l’arrêt Solski c. P.G. Québec,14 la Cour supérieure a jugé en premier lieu que l’emploi de l’indicatif présent «reçoit» au paragraphe 23(2) laisse supposer que le constituant entendait conférer le droit de recevoir l’enseignement en anglais à l’enfant (ainsi qu’à ses frères et sœurs) qui reçoit son instruction en anglais au moment où ses parents fontPage 50 une demande, peu importe ses études antérieures.15 Une telle interprétation faisait entrer le paragraphe 23(2) en conflit avec le paragraphe 73(2) de la Charte de la langue française, qui confère le droit de recevoir l’enseignement en anglais notamment aux enfants qui ont reçu ou reçoivent un enseignement primaire en anglais, de même qu’à leurs frères et sœurs, pourvu que cet enseignement constitue la majeure partie de l’enseignement secondaire ou primaire reçu.16 Par conséquent, la Cour a déclaré la disposition québécoise inopérante dans la mesure de son incompatibilité avec la disposition constitutionnelle, faisant ainsi tomber le critère de «la majeure partie de l’enseignement primaire ou secondaire». En second lieu, la Cour a jugé qu’en inscrivant leur enfant dans une école privée non subventionnée anglophone, des parents obtenaient le droit d’inscrire cet enfant (ainsi que ses frères et sœurs) à l’école publique anglophone, même si aucun des parents n’avait reçu son instruction en anglais au Canada, comme le prévoit l’alinéa 23(1)b) de la Charte canadienne.17

Par conséquent, si l’on combine les deux conclusions adoptées par la Cour dans l’affaire Solski, il devient possible à tout citoyen canadien, indépendamment de sa langue maternelle, de sa langue d’usage ou de la langue dans laquelle il a lui-même reçu son instruction, d’envoyer l’un de ses enfants à l’école anglaise privée non subventionnée, laquelle est exclue de l’application de la Charte de la langue française, pour obtenir, au même moment (ou, en tout cas, peu de temps après), le droit d’envoyer tous ses enfants, de façon permanente, à l’école publique anglaise du Québec.

Dans l’affaire Solski, la Cour supérieure admet que «[l]’application aveugle du paragraphe 23(2) pourrait effectivement engendrer des problèmes au Québec», en ajoutant: «[t]outefois, les tribunaux ne sont pas sans ressource lorsqu’il est démontré qu’une personne a utilisé un expédient pour rendre son enfant admissible à l’instruction en anglais au Québec».18Page 51 Elle reconnaît ensuite que le paragraphe 23(2) permet de faire de la fréquentation temporaire de l’école anglaise privée non subventionnée le passage vers l’école anglaise publique et souligne un témoignage produit devant elle selon lequel certaines de ces écoles privées non subventionnées anglophones se spécialisent uniquement dans le primaire, une grande partie de leur clientèle se dirigeant vers le secteur public dès la deuxième année.19 Enfin, la Cour commente cette situation de la façon suivante:

Il découle de ce qui précède qu’au Québec, à l’heure actuelle, il est possible de faire instruire ses enfants dans la langue de la minorité à la condition d’en avoir les moyens. […] Séduisante pour les bien nantis, il faut bien admettre que l’idée d’un passage acheté puisse être rebutante pour tous ceux qui, pour des raisons purement économiques, ne peuvent pas s’en prévaloir. […] L’exception faite [par la Charte de la langue française] en faveur des écoles privées non-subventionnées établit deux classes de citoyens: les bien et les moins bien nantis. La source du problème […] origine donc de l’exception faite en faveur de ces institutions et non pas de l’absence d’un concept de durée au par. 23(2) de la Charte canadienne.

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Tant que le Québec continuera d’être régi par la Constitution canadienne, et particulièrement par le paragraphe 23(2) de la Charte canadienne, les seules solutions permettant d’éviter que cette disposition continue de constituer un «passage» vers l’école anglophone publique pour des enfants n’y ayant pas droit autrement,21 consisteraient à modifier la Charte dePage 52 la langue française, soit pour faire complètement disparaître l’exception en faveur des écoles privées non-subventionnées, soit pour limiter l’accès de ces écoles aux seules personnes remplissant les conditions de la «clause Canada» ou de la «clause Québec» (autrement dit, en appliquant à l’école privée anglaise non subventionnée les règles d’admissibilité déjà applicables à l’école anglaise publique ou subventionnée). On verra, dans la deuxième partie, si de telles solutions seraient compatibles avec les normes de droit international protégeant les minorités.22

Dans un Québec souverain, le problème se poserait différemment, puisque l’article 23(2) de la Charte canadienne ne s’appliquerait plus. On pourrait alors rétablir l’exigence, invalidée dans l’affaire Solski, de «la majeure partie de l’enseignement primaire ou secondaire» et/ou revenir au texte original de la Charte de la langue française dont les alinéas 73(c) et (d) avaient un caractère transitoire en permettant de recevoir l’enseignement public en anglais aux enfants qui, lors de leur dernière année de scolarité au Québec avant l’entrée en vigueur de la loi (le 26 août 1977) recevaient légalement l’enseignement en anglais dans une classe maternelle publique ou à l’école primaire ou secondaire, ainsi qu’aux frères et sœurs cadets de ces enfants.23

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Une autre possibilité consisterait à étendre le même droit aux frères et sœurs des enfants qui recevaient légalement l’enseignement en anglais lors de leur dernière année de scolarité au Québec avant la proclamation de l’indépendance. De telles solutions permettraient de maintenir «l’unité linguistique» des familles dont un enfant a reçu ou commencé de recevoir l’enseignement en anglais avant la date butoir choisie. La fréquentation d’une école privée non-subventionnée anglophone cesserait de constituer un «passage» vers l’école anglophone publique, dans la mesure où un Québec souverain n’adopterait probablement pas une disposition similaire à l’article 23(2). Enfin, comme nous l’avons déjà souligné dans l’étude originale, un Québec souverain pourrait conclure avec le Canada, ou certaines de ses provinces, des accords de réciprocité prévoyant que les Canadiens venant s’établir au Québec pourraient envoyer leurs enfants à l’école anglophone en considération du droit des Québécois allant s’établir au Canada d’envoyer leurs enfants dans une école publique francophone.24

C Le principe structurel de la protection des minorités: l’affaire de l’hôpital Montfort et l’hypothèse d’une extension imprévisible des droits des minorités au-delà des dispositions précises du texte de la Constitution

Dans différentes décisions des dernières années, principalement le Renvoi sur la sécession du Québec,25 la Cour suprême du Canada a fait ap-Page 54pel à l’idée que la Constitution canadienne contenait des principes structurels implicites possédant valeur normative, notamment les principes du fédéralisme, de la démocratie, du constitutionnalisme et de la primauté du droit, ainsi que le principe du respect et de la protection des minorités. Dans le Renvoi sur la sécession, elle affirme que les principes sous-jacents à la Constitution écrite «inspirent et nourrissent le texte de la Constitution: ils en sont les prémisses inexprimées». Ils doivent guider l’interprétation du texte ainsi que le processus d’évolution et de développement de la Constitution par les tribunaux. Ces principes peuvent donner lieu à de véritables obligations juridiques, «très abstraites et générales» dans certains cas, «plus spécifiques et précises» dans d’autres circonstances (par. 54). «Les principes ne sont pas simplement descriptifs; ils sont aussi investis d’une force normative puissante et lient à la fois les tribunaux et les gouvernements» (ibid.). Néanmoins, la Cour insiste également sur le fait que les principes ne doivent pas constituer pour les tribunaux «une invitation à négliger le texte écrit de la Constitution». «Bien au contraire, […] il existe des raisons impératives d’insister sur la primauté de [la] constitution écrite. Une constitution écrite favorise la certitude et la prévisibilité juridiques et fournit les fondements et la pierre de touche du contrôle judiciaire en matière constitutionnelle» (par. 53). Les principes structurels pourraient donc servir à interpréter le texte constitutionnel ou à combler ses lacunes, mais non à le réécrire, le contredire ou le vider de sa substance.

Le Renvoi sur la sécession a été suivi d’un grand nombre de procédures judiciaires dans lesquelles des requérants demandaient aux tribunaux de s’appuyer sur un des principes structurels de la Constitution, notamment celui de la protection des minorités, pour leur reconnaître un droit non contenu expressément dans le texte constitutionnel et/ou pour invalider une législation ou une décision administrative prétendument incompatible avec le principe invoqué. Si les tribunaux acceptaient ce genre d’argument, on pourrait assister à une extension imprévisible des droits reconnus aux minorités, notamment à la minorité anglophone du Québec, bien au delà de ceux qui sont prévus par des dispositions précises du texte constitutionnel. Ces «nouveaux» droits linguistiques, considérés comme constitutionnalisés de façon implicite, pourraient alors être invoquésPage 55 contre les dispositions de la Charte de la langue française. Il faut donc examiner l’attitude que les tribunaux ont adoptée en face de tels arguments, non seulement en ce qui concerne la situation actuelle du Québec au sein du Canada, mais également pour celle qui suivrait l’accession à l’indépendance, car les mêmes principes structurels, dans la mesure où ils font partie des principes reconnus par toute démocratie libérale, pourraient être invoqués par les tribunaux sous l’empire de la Constitution d’un Québec souverain.

De façon générale, les tribunaux canadiens ont jusqu’à présent fait preuve de retenue judiciaire et refusé de reconnaître aux principes structurels la force juridique nécessaire pour invalider une loi.26 De même, ils ont généralement refusé de faire découler de ces principes des droits nouveaux, implicites, dans des domaines où certains droits sont expressément et spécifiquement énumérés dans le texte constitutionnel, appliquant en cela un principe d’interprétation et de logique bien connu qui veut que l’on ne peut rallonger par interprétation une liste de droits que le rédacteur du texte a pris la peine de détailler de façon précise et dont il faut, pour cette raison, présumer qu’il a voulu lui donner un caractère exhaustif (expressio unius est exclusio alterius). Cette attitude générale est bien illustrée par la décision de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire des fusions municipales.27 Pour contester la loi sur les fusions municipales,28 ainsi qu’une autre loi modifiant les dispositions de la Charte de la langue française relatives aux conditions requises d’une municipalité pour obtenirPage 56 la reconnaissance d’un statut bilingue,29 les requérants s’appuyaient notamment sur le principe structurel de respect des minorités pour prétendre qu’il fallait en déduire, pour la minorité anglophone du Québec, le droit constitutionnel à des institutions municipales de langue anglaise. Or la Constitution du Canada reconnaît expressément et spécifiquement à cette minorité des droits linguistiques en matière parlementaire, législative30 et judiciaire, d’une part (article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867), et en matière scolaire, d’autre part (article 23 de la Charte canadienne), mais nul droit à des institutions municipales de langue anglaise. C’est ce que la Cour d’appel a souligné en rejetant l’argument:

En réalité, [les appelants] invoquent ces principes, non pour combler des vides, mais bien pour mettre de côté la compétence des provinces et enchâsser dans la Constitution de nouvelles obligations linguistiques en matière municipale. Ils ignorent l’importance de la réserve formulée par la Cour suprême qui prévoit que la reconnaissance des principes non écrits ne peut être interprétée comme constituant une invitation à négliger le texte écrit de la Constitution [par. 92]. En outre, le principe de protection des minorités n’a pas pour effet de conférer un droit à des institutions pour la protection des minorités, lorsque ce droit n’est pas protégé, par ailleurs, dans la Constitution [par. 94]

.

Et la Cour ajoute plus loin, après avoir examiné les dispositions de la Constitution du Canada portant sur les droits linguistiques de la minorité anglophone et en constatant que le droit à des institutions municipales de langue anglaise n’y figure pas: «En bref, les appelants requièrent la création d’un droit linguistique nouveau, droit qui ne peut leur être octroyé par les tribunaux» (par. 145). Quant à l’affaire Montfort, dont il sera question maintenant, et dont les appelants avaient longuement plaidé l’application àPage 57 l’espèce, la Cour d’appel du Québec souligne qu’elle portait sur la validité d’une simple directive prise en vertu d’une loi ontarienne, plutôt que sur la validité d’une loi, et ajoute que, dans la mesure où elle est en délibéré devant la Cour d’appel de l’Ontario au moment de la rédaction du jugement, elle s’abstiendra de tout commentaire à cet égard.

Les arrêts de la Cour divisionnaire et de la Cour d’appel de l’Ontario, dans cette affaire Montfort,31 constituent précisément une certaine exception à l’attitude générale des tribunaux consistant à refuser de créer de droits nouveaux à partir des principes structurels dans des domaines où le constituant a lui-même prévu des droits spécifiques ayant une portée précise. En effet, les décisions des deux cours reviennent, en pratique, à reconnaître à la minorité francophone de l’Ontario le droit au maintien (par opposition à la création) d’une institution hospitalière de langue française (l’hôpital Montfort) et le droit au maintien de certains services de santé en langue française prévus par une loi provinciale, droits qui ne sont nulle part spécifiés dans le texte constitutionnel. Les deux cours ontariennes se sont essentiellement appuyées sur les dispositions de Loi sur les services en français de l’Ontario32 qui prévoient le droit à certains services de santé en langue française, combinées avec le principe structurel de protection des minorités et interprétées à la lumière de celui-ci, pour conclure que la réduction des services de santé disponibles en français, par une directive de la Commission de restructuration des services de santé, ne respectait ni la loi ni le principe constitutionnel. Il existe également des dispositions législatives au Québec, dans la Loi sur les services de santé et les services sociaux,33 qui prévoient le droit de «toute personne d’expression anglaise» de recevoir, en langue anglaise, des services de santé et des services sociaux, dans la mesure où le prévoit un programme d’accès. Les conseils régionaux doivent élaborer de tels programmes. On constate donc un certain parallélisme entre la lé-Page 58gislation québécoise et la législation ontarienne, bien que les deux lois présentent également de nombreuses différences. De même, les situations sociolinguistiques respectives de la minorité franco-ontarienne et de la minorité anglo-québécoise sont très différentes.34 Il n’en reste pas moins que certains pourraient, le cas échéant, essayer de s’appuyer sur le raisonnement contenu dans les décisions ontariennes pour contester une éventuelle réduction des services de santé en langue anglaise actuellement disponibles au Québec.35 Notre mandat consistant à étudier la question des droits des minorités dans un Québec souverain, plutôt que dans le cadre de la Constitution canadienne, il n’est pas nécessaire que nous examinions en détail cette hypothèse. Par contre, comme nous l’avons souligné précédemment, il n’est pas inutile de se demander comment éviter, dans la formulation de la Constitution d’un Québec souverain, qu’une interprétation judiciaire s’appuyant sur les droits structurels implicites n’entraîne la création de droits nouveaux allant au-delà de ceux que le constituant avait l’intention de garantir explicitement.36 En effet, une nouvelle Constitution québécoise serait nécessairement fondée sur les mêmes principes structurels que la Constitution canadienne, ceux-ci (sauf pour ce qui est du fédéralisme) étant communs à toutes les démocraties libérales.

La décision de la Cour suprême, dans le Renvoi sur la sécession, suggère une première solution. En effet, la Cour insiste sur le fait que les principes structurels «fonctionnent en symbiose»; et elle ajoute: «[a]ucun de cesPage 59 principes ne peut empêcher ou exclure l’application d’aucun autre» (par. 49).37 Ce précepte devrait être inscrit expressément dans le texte constitutionnel. Ensuite, pour lui donner toute sa portée, les divers principes structurels devraient être énumérés, en ajoutant aux principes déjà retenus par la Cour suprême38 celui de la séparation des pouvoirs (qui interdit au pouvoir judiciaire d’usurper le pouvoir législatif) et celui de la souveraineté du parlement (qui traduit le principe démocratique représentatif). Enfin, étant donné la situation sociolinguistique particulière du Québec, qui fait en sorte que les droits linguistiques de la majorité doivent également être protégés à côté de ceux des minorités (ce qui n’est pas nécessaire lorsque, comme c’est habituellement le cas, la langue de la majorité est également la langue prédominante),39 il y aurait peut-être lieu d’affirmer, dans la Constitution que le principe structurel de protection et de respect des minorités doit s’interpréter et s’appliquer en tenant compte de la nécessité de protéger et de promouvoir la langue de la majorité.

Dans la même veine, la Commission des États généraux sur la situationPage 60 et l’avenir de la langue française (ou Commission Larose, du nom de son président) a proposé d’inclure, dans une future constitution du Québec, les règles fondamentales régissant «l’aménagement des langues dans l’espace public». Il s’agirait de réaffirmer le statut du français comme langue officielle de l’État québécois et comme langue commune de l’espace public, notamment sur le plan du travail, du commerce et des affaires, tout en confirmant la place qu’occupent l’anglais, l’inuktitut et les langues autochtones dans la vie publique.40 Ces dispositions devraient s’interpréter de manière à garantir la prééminence du français. La présence de tels principes dans le texte constitutionnel, ou dans la Charte québécoise, ou encore dans la Charte de la langue française avec statut supralégislatif (ce sont deux autres solutions suggérées par la Commission Larose, si l’adoption d’une nouvelle constitution québécoise se faisait attendre), aurait également un effet sur l’interprétation des dispositions garantissant les libertés fondamentales et le droit à l’égalité et peut-être permettrait-elle d’éviter que les tribunaux en fassent découler, comme dans l’affaire Ford de 1988, des droits au bénéfice des minorités qui se révèlent incompatibles avec certaines dispositions de la Charte de la langue française.41 Cependant, on ne peut pas en être assuré dans la mesure où l’harmonisation des droits de la minorité et de ceux de la majorité continuerait de relever d’une appréciation effectuée par le pouvoir judiciaire. En outre, même si la constitutionPage 61 ou la Charte des droits du Québec était clairement rédigée de façon à empêcher la contestation des principes de la politique linguistique, il resterait que celle-ci pourrait être attaquée sur la base des instruments internationaux de protection des droits de l’Homme auxquels le Québec est ou deviendrait partie. C’est ce que nous verrons à présent en examinant l’évolution des droits des minorités en droit international durant la dernière décennie.

II L’évolution des droits des minorités linguistiques et culturelles en droit international
A Les recommandations du Comité des droits de l’Homme des Nations-Unies dans l’affaire Ballantyne: la vulnérabilité de la législation linguistique du Québec à l’égard des normes internationales

Dans l’étude originale nous avions souligné que les dispositions de la Charte de la langue française limitant l’emploi des langues autres que le français, ou imposant l’emploi du français, dans le domaine de l’usage privé des langues, c’est-à-dire dans les rapports entre particuliers, pourraient être contestées en vertu de certaines dispositions des conventions internationales sur les droits de la personne, comme elles l’avaient déjà été avec succès, au moment de la rédaction de l’étude originale, en vertu de la liberté d’expression garantie par la Charte canadienne et par la Charte québécoise et en vertu du droit à l’égalité garanti par cette dernière. En effet, dans l’affaire Ford42 de 1988, la Cour suprême du Canada avait déclaré doublement inopérantes, en vertu de la Charte québécoise et de la Charte canadienne, les dispositions de la loi 101 imposant l’unilinguisme français dans l’affichage public, la publicité commerciale et les raisons sociales. La Cour avait jugé que le fait d’imposer l’usage du français entraînait une limitation de la liberté d’expression qui était raisonnable et qu’il serait également justifié d’exiger que le français occupe une place prépondérante, mais elle avait conclu que la prohibition frappant l’emploi des autres langues n’était pas justifiable. On se rappellera que, pour échapper aux conséquences de ce jugement, le gouvernement du Québec avait fait adopter en décembre 1988 une loi contenant une double disposition de dérogation, dans le but d’écarter l’application des deux Chartes et de restaurer la validité des dispositions en cause, sous une forme quelque peu modifiée. La rè-Page 62gle générale continuait d’être que l’affichage public et la publicité commerciale à l’extérieur des établissements se faisaient en français uniquement. Par contre, à l’intérieur des établissements, la règle générale était désormais que l’affichage et la publicité pouvaient se faire à la fois en français et dans une autre langue, pourvu que le français figure de façon nettement prédominante. Par ailleurs, certaines exceptions à l’autorisation de ce type de bilinguisme étaient prévues, notamment en ce qui concerne les parties communes des centres commerciaux et les entreprises franchisées employant plus de cinq personnes.

Dans des constatations déposées le 31 mars 1993, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, institué en application du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,43 est arrivé à la conclusion que, même telles que modifiées, les dispositions de la loi 101 sur l’affichage et les raisons sociales violaient encore la liberté d’expression garantie à l’article 19 du Pacte.44 Selon le Comité, la langue française pouvait être protégée par d’autres moyens qui ne violeraient pas la liberté des commerçants de s’exprimer dans la langue de leur choix, par exemple en exigeant que la publicité soit bilingue.45 Par contre, le Comité a été majoritairement d’avis que les mêmes dispositions n’étaient contraires ni à l’article 26 du Pacte (droit à l’égalité devant la loi), parce que la règle de l’usage exclusif du français s’appliquait aussi bien aux commerçants francophones qu’anglophones, ni à son article 27 (droits des personnes appartenant à des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques), dans la mesure où cette dernière disposition protège les minorités dans les États et non «dans une province».

À la suite de cette intervention du Comité des droits de l’homme, le gouvernement du Québec a fait adopter, en juin 1993, la Loi modifiant laPage 63 Charte de la langue française46 qui institue un nouveau régime dans lequel l’affichage public et la publicité commerciale peuvent désormais être faits à la fois en français et dans une autre langue, pourvu que le français y figure «de façon nettement prédominante».47 La loi autorise également le gouvernement à déterminer, par règlement, les lieux, les cas, les conditions ou les circonstances où l’affichage public et la publicité commerciale «doivent se faire uniquement en français ou peuvent se faire sans prédominance du français ou uniquement dans une autre langue».48 Quant aux raisons sociales, elles peuvent désormais être assorties d’une version dans une langue autre que le français, pourvu que, dans son utilisation, la raison sociale en langue française figure «de façon au moins aussi évidente» que les versions dans d’autres langues. Étant donné ces modifications à la loi 101, le gouvernement du Québec n’a pas considéré qu’il était nécessaire de faire renouveler la disposition de dérogation à la Charte canadienne qui arrivait à expiration en décembre 1993.

Le raisonnement qui a conduit la majorité des membres du Comité à rejeter les arguments fondés sur les articles 26 et 27 du Pacte international n’est pas entièrement convaincant et le Comité pourrait bien changer d’avis à l’avenir, ce qui augmenterait la vulnérabilité de la Charte de la langue française à l’égard du Pacte, autant dans la situation actuelle que dans un Québec souverain, si ce dernier adhérait de nouveau à cet instrument international.

Les arguments retenus par le Comité pour rejeter l’argument fondé sur le droit à l’égalité et l’interdiction de la discrimination, argument retenu auPage 64 contraire par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ford, ne résistent pas à l’analyse. En effet, le Comité a considéré que l’exigence d’une langue d’affichage commercial exclusive n’était pas discriminatoire entre les divers groupes linguistiques, puisqu’elle s’appliquait également à tous les commerçants, peu importe leur langue. Un tel point de vue signifie qu’une norme d’application générale imposant l’emploi exclusif d’une langue à tous constitue un traitement égalitaire. Les spécialistes s’entendent pour dire qu’une telle vision est injustifiée et, au surplus, en nette contradiction avec les vues que le Comité a exprimé dans son commentaire général sur la non-discrimination, qui définit la discrimination comme une distinction, exclusion, restriction ou préférence basée sur un motif interdit (dont la langue) dont l’objectif ou l’effet est d’empêcher ou de restreindre la jouissance des droits fondamentaux des uns plus que des autres (discrimination indirecte). Rappelons que la Cour suprême du Canada a jugé qu’une disposition imposant à tous les commerçants l’usage exclusif du français dans l’affichage commercial et dans les raisons sociales entraînait une discrimination indirecte, fondée sur la langue, à l’égard de ceux dont la langue française n’était pas la langue habituelle. On aperçoit ici l’importance du concept de discrimination indirecte (ou discrimination suite à un effet préjudiciable), selon lequel une norme applicable de façon neutre à tous les justiciables, et ne contenant aucune distinction dans son énoncé même, doit néanmoins être considérée comme discriminatoire si elle entraîne des effets préjudiciables à l’égard d’une catégorie particulière de personnes définie par un motif prohibé de distinction. Ainsi, dans notre cas, l’exigence de l’usage exclusif du français s’appliquait à tous les commerçants indépendamment de leur langue (il n’y avait donc pas de discrimination directe), mais entraînait des effets préjudiciables à l’égard des non francophones, dans la mesure où ils étaient empêchés d’utiliser leur langue maternelle ou habituelle (discrimination indirecte). Le principe selon lequel les normes interdisant la discrimination prohibent non seulement la discrimination directe, mais également celle qui est indirecte, est aujourd’hui couramment accepté par les tribunaux au Québec, au Canada et ailleurs dans le monde. Le Comité des droits de l’Homme devra donc modifier sa position sur ce point.

Pour ce qui est du rejet par le Comité des arguments fondés sur l’article 27 du Pacte, qui protège notamment le droit des personnes appartenant à une minorité linguistique, en commun avec les autres membres de leur groupe, d’employer leur propre langue, la question est plus complexe. Le Comité a statué que l’article 27 ne s’applique qu’aux minorités à l’échelle des États parties et non à des groupes linguistiques qui, bien que consti-Page 65tuant des minorités dans une région donnée, appartiennent à la majorité au niveau de l’État:

«En ce qui concerne l’article 27 du Pacte, le Comité fait observer que cette disposition vise les minorités à l’intérieur d’États, c’est-à-dire, comme chaque fois que le Pacte emploie le terme «État» ou «États», des États qui le ratifient. En outre, l’article 50 du Pacte précise que ses dispositions s’appliquent sans limitation ni exception aucune, à toutes les unités constitutives des États fédératifs. Par conséquent, les minorités visées à l’article 27 sont les groupes minoritaires à l’échelle de l’État qui est ainsi défini, et non pas des minorités dans une province. Un groupe peut être majoritaire dans une province mais néanmoins constituer une minorité dans l’État, et par conséquent être protégé par l’article 27. Les citoyens canadiens anglophones ne peuvent être considérés comme une minorité linguistique» (par. 11.2).

Cependant, cette position majoritaire au sein du Comité a fait l’objet d’une importante dissidence par quatre de ses membres, rédigée par l’un de ceux-ci et co-signée par les trois autres:

«Ce qui fait problème, c’est le fait que la décision [de la majorité] interprète le terme «minorités» utilisé à l’article 27 en se référant uniquement au nombre de membres que le groupe en question compte dans l’État partie. Selon cette interprétation, les Canadiens anglophones n’étant pas une minorité numérique au Canada, ils ne peuvent être une minorité aux fins de l’article 27.»

«Toutefois, je ne partage pas le point de vue selon lequel ces personnes sont nécessairement exclues de la protection visée à l’article 27 lorsque leur groupe constitue une minorité ethnique, linguistique ou culturelle dans une province autonome d’un État, sans être à proprement parler une minorité numérique au sein de l’État lui-même, considéré comme un tout. Les critères permettant de déterminer ce qui constitue une minorité dans un État (au sens de l’article 27) n’ont pas encore été examinés par le Comité et il n’y a pas lieu de les préjuger à partir d’une décision dans la présente affaire, cette décision pouvant de toute façon se fonder sur d’autres motifs. L’histoire de la protection des minorités en droit international montre que la question de la définition a toujours fait problème et que des critères nombreux et divers ont été proposés. Ainsi on a prétendu qu’il fallait tenir compte de facteurs autres que les facteurs strictement numériques. À l’inverse, l’interprétation de l’article 27 pourrait être influencée par l’articlePage 66 50, où il est question de l’application du Pacte aux «unités constitutives des États fédératifs».

«En optant pour une interprétation restrictive du terme «minorités» figurant à l’article 27, on pourrait en arriver à conclure qu’un État partie n’est pas tenu, en vertu du Pacte, d’assurer à une minorité dans une province autonome la protection prévue à l’article 27, lorsqu’il n’est pas établi que le groupe en question constitue une minorité dans l’État considéré comme un tout. Ces questions ne doivent pas être réglées une fois pour toutes dans le cadre de la présente affaire et elles gagneraient à être examinées lorsque les circonstances s’y prêteront».49

On constate que la question ne peut être considérée comme réglée une fois pour toutes et qu’il ne peut être exclu qu’à l’avenir le Comité revienne à une définition du concept de minorité, à l’article 27, visant également les groupes en situation minoritaire dans une région autonome ou dans une entité fédérée, mais majoritaires au niveau de l’État.50 De toute façon, si le Québec, après son accession à l’indépendance, devenait une partie au Pacte, il serait alors pleinement assujetti aux obligations découlant de l’article 27 envers ses minorités, y compris sa minorité anglophone. Ici, par conséquent, l’accession à la souveraineté aurait pour effet d’alourdir les contraintes s’imposant à la politique linguistique du Québec, à moinsPage 67 qu’un Québec souverain ne décide de suivre l’exemple de la France et de ratifier le Pacte international en faisant une déclaration-réserve à l’égard de l’article 27 destinée à en écarter l’application.51 Cependant, comme on l’a rappelé au début de cette étude, un Québec en quête de reconnaissance internationale pourrait difficilement adopter une attitude aussi critiquable du point de vue du respect des standards internationaux de protection des droits de l’homme et des minorités.

B Les recommandations du Comité des droits de l’homme des Nations-Unies dans l’affaire Waldman (1999): la vulnérabilité de la législation scolaire du Québec et de l’article 41 de la Charte des droits et libertés de la personne à l’égard des normes internationales

En 1999, le Comité des droits de l’Homme des Nations-Unies, dans une affaire Waldman,52 a constaté une violation par la législation ontarienne de l’article 26 du Pacte international qui garantit l’égalité devant la loi à propos d’un problème de financement des écoles catholiques mais non des écoles des autres confessions. La décision mérite d’être examinée car le raisonnement qui a permis au Comité d’aboutir à la conclusion que la législation ontarienne était incompatible avec le droit à l’égalité sans discrimination fondée sur la religion garanti dans le Pacte pourrait également s’appliquer aux lois québécoises sur l’instruction publique et à l’article 41 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec dans la mesure où leurs dispositions prévoient un statut privilégié pour l’enseignement confessionnel catholique et protestant.

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Pour expliquer le contexte de cette décision du Comité, il faut commencer par rappeler que l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867, tout en attribuant aux provinces la compétence de légiférer dans le domaine de l’éducation, leur interdit cependant de diminuer les droits ou privilèges qui étaient conférés par la loi, en 1867, relativement aux écoles confessionnelles. Cet article constitutionnalisait par conséquent les droits et privilèges confessionnels en matière scolaire de la minorité protestante du Québec (et, à Montréal, de la majorité catholique) et des minorités catholiques des autres provinces, dans la mesure où ces droits étaient légalement reconnus avant le 1er juillet 1867. L’article 93 n’a pas été modifié en 1982, lors de l’adoption de la Charte canadienne dont l’article 2(a) garantit la liberté de religion et dont l’article 15(1) interdit toute discrimination, notamment celle fondée sur la religion.53 Comme on l’imagine, la coexistence de ces nouvelles dispositions avec l’article 93 n’a pas tardé à soulever certaines difficultés. Dans une première décision, en 1987, la Cour suprême a jugé qu’on ne pouvait s’appuyer sur les droits garantis par la Charte canadienne, notamment la liberté de religion et l’interdiction de la discrimination religieuse, pour contester la loi ontarienne prévoyant le financement des écoles catholiques (alors que les autres écoles religieuses n’étaient pas financées). En effet, adopter la solution inverse reviendrait à neutraliser l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui autorise expressément le législateur à faire des distinctions fondées sur la religion. Par ailleurs, la Cour suprême a clairement reconnu que si la Charte canadienne s’appliquait aux aménagements confessionnels fondés sur l’article 93, autrement dit si ces aménagements n’étaient pas «immunisés» contre la Charte parce qu’ils figurent eux-mêmes dans la Constitution, ils devraient être considérés comme discriminatoires et comme violant la liberté de conscience et de religion.54

Dans une affaire subséquente, l’affaire Adler,55 les requérants demandaient, en invoquant la liberté de religion et le droit à l’égalité sans discrimination fondée sur la religion, un jugement déclarant que le refus de financer les écoles juives, et certaines écoles chrétiennes indépendantes, en Ontario, était inconstitutionnel. Cette province finance, d’une part, les écoles catholiques (qui sont publiques), ce qui constitue pour elle une obli-Page 69gation constitutionnelle découlant de l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 et, d’autre part, les écoles publiques laïques. Par contre, elle refuse de financer les écoles religieuses autres que catholiques (qui sont privées). En appliquant la décision précédente de 1987, les neuf membres de la Cour ont été unanimes à considérer que la distinction de traitement entre les écoles catholiques, d’une part, et les autres écoles religieuses, de l’autre, ne saurait être attaquée en vertu de la Charte puisqu’une telle distinction est clairement autorisée par l’article 93. Par ailleurs, cinq des neuf membres de la Cour sont allés plus loin en jugeant que la distinction de traitement entre, d’une part, les écoles publiques laïques, et, d’autre part, les écoles religieuses autres que catholiques, était elle aussi «immunisée» contre toute attaque fondée sur la Charte par l’effet de l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867, parce que «les écoles publiques sont implicitement mais néanmoins clairement visées par le régime établi à l’art. 93» et sont donc protégées contre toute contestation fondée sur la Constitution ou la Charte.56 Autrement dit, ces cinq juges raisonnent comme si la reconnaissance du droit des écoles religieuses autres que catholiques à un certain financement public équivalait à leur appliquer l’article 93, alors qu’en fait il s’agirait de faire découler à leur profit des droits similaires, mais différents, de la liberté de religion et du droit à l’égalité garantis par la Charte canadienne. Une telle opinion entraîne des effets paradoxaux: en reconnaissant, à une certaine époque de l’histoire, des droits spécifiques à certaines minorités nationales, le rédacteur de la Constitution aurait voulu interdire pour l’avenir toute interprétation des droits fondamentaux et du droit à l’égalité qui en ferait découler des droits du même genre, mais pas identiques, pour d’autres minorités, plus récemment installées.

Pourtant, dans d’autres décisions, notamment les arrêts O’Malley,57 Edwards Books58 et Bergevin,59 la Cour suprême a reconnu que la liberté de religion et le droit à l’égalité peuvent donner naissance à une «obligation d’accommodement» à la charge de l’État, qui permet aux membres de certains groupes minoritaires religieux de revendiquer des bénéfices particuliers ou des exceptions aux lois générales lorsque l’application de celles-ci les désavantage.60 Autrement dit, la liberté de religion et le droit à l’égalitéPage 70 permettent à ces groupes de revendiquer un traitement particulier, dérogatoire au droit commun. De même, le droit à l’égalité n’exige pas que tous soient traités de la même façon, comme la Cour suprême du Canada l’a d’ailleurs reconnu à d’autres occasions. Alors que, dans certains cas, l’égalité suppose le même traitement pour tous, dans d’autres cas, elle exige au contraire un traitement différent, pour tenir compte des différences factuelles qui existent entre les individus ou les groupes. Ce «droit à la différence» est particulièrement important pour les minorités. Déjà dans un avis consultatif de 1935, la Cour Permanente de Justice Internationale soulignait qu’une égalité purement abstraite signifierait que les membres d’une minorité soient servis par les mêmes institutions culturelles et éducatives que la majorité, ce qui signifierait à coup sûr la disparition rapide de tout ce qui fait le caractère spécifique de la minorité et, par conséquent, son assimilation à la majorité. C’est la raison pour laquelle la Cour ajoutait une autre condition pour que les droits de la minorité soient respectés: celle-ci doit avoir les moyens de conserver et de perpétuer ses traditions et ses caractéristiques. Concrètement, cela signifie qu’elle doit disposer des institutions, culturelles ou autres, propres à lui permettre d’atteindre ce but.61

Dans l’affaire Adler, les quatre autres membres de la Cour suprême ont rejeté l’idée que l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 empêchait d’invoquer les droits garantis par la Charte pour contester le refus de l’Ontario de subventionner les écoles religieuses autres que catholiques. Ils sont cependant tous arrivés à la conclusion qu’il n’y avait aucune violation de la liberté de religion, même si le non-financement des écoles confessionnelles autres que catholiques crée un désavantage économique pour ceux que leurs convictions amènent a y envoyer leurs enfants, par rapport aux parents qui envoient leurs enfants à l’école publique laïque financée par le gouvernement provincial. Cette conclusion est cependant difficile à réconcilier avec deux décisions antérieures de la Cour, les arrêts Big M Drug Mart62 et Edwards Books,63 où celle-ci avait jugé que deux lois sur les jours fériés, l’une fédérale et l’autre ontarienne, qui ordonnaient la fermeture des commerces le dimanche, restreignaient la liberté de religion de ceux qui fermaient leur commerce le samedi pour des raisons religieuses, parce qu’elles leur imposaient un désavantage économique par rapport à leurs concurrents qui, pour des raisons religieuses, fermaient le dimanche (etPage 71 pour qui, par conséquent, l’obligation civile et l’obligation religieuse de repos hebdomadaire coïncidaient).64 Pour distinguer les deux situations, les quatre juges ont souligné le fait que la loi ontarienne n’obligeait pas les parents à faire éduquer leurs enfants à l’école publique, mais les autorisait à les envoyer à l’école privée ou à les éduquer à la maison. Pareille distinction semble cependant artificielle car, en pratique, le seul choix de l’immense majorité des parents est d’envoyer leurs enfants soit dans une école privée, soit à l’école publique. Si, pour des raisons religieuses, ils ont le sentiment de devoir les envoyer à l’école privée non subventionnée, ils devront assumer une dépense supplémentaire. Dès lors, logiquement, la Cour aurait dû appliquer le principe posé dans les affaires Big M Drug Mart et Edwards Books, ou reconnaître qu’elle s’était trompée dans celles-ci en jugeant qu’une loi qui prescrit la même obligation pour tous, indépendamment de la religion, viole la liberté de religion si le respect de cette obligation entraîne une dépense ou un manque à gagner pour un groupe religieux du fait que l’obligation civile se combine avec une obligation religieuse qui s’impose à lui.

Deux des quatre juges qui ont accepté d’examiner les arguments fondés sur la Charte canadienne sont ensuite parvenus à la conclusion qu’il n’existait aucune discrimination religieuse dans le fait de réserver le financement gouvernemental aux seules écoles publiques. Pour eux, dans la mesure où ce financement était refusé à toutes les écoles privées, religieuses ou laïques, la distinction de traitement existait entre les écoles publiques et les écoles privées, et non pas entre les écoles catholiques et celles d’autres confessions à l’intérieur du système des écoles privées.65

Les deux derniers juges ont par contre conclu à l’existence d’une discrimination indirecte fondée sur la religion, dans la mesure où la loi onta-Page 72rienne a pour effet de refuser un avantage aux personnes dont la religion ne leur permet pas d’envoyer leurs enfants à l’école publique laïque. Madame le juge McLachlin est cependant arrivée à la conclusion que cette discrimination était raisonnable, et donc justifiée, en application de la disposition limitative contenue dans l’article 1 de la Charte canadienne.66 Par contre, Madame le juge L’Heureux-Dubé a considéré que même si la loi ontarienne avait un objectif légitime, celui de favoriser le plus possible la fréquentation de l’école publique laïque, le refus de tout financement des écoles religieuses allait au delà de ce qui était requis pour atteindre cet objectif et ne constituait donc pas une «atteinte minimale». Pour elle, le fait d’accorder un financement partiel permettrait d’accorder une certaine reconnaissance aux minorités religieuses et de les aider à survivre, sans compromettre le caractère généralement laïque et universel du système d’écoles publiques.

La position adoptée par la majorité de la Cour suprême dans l’affaire Adler laissait donc subsister la discrimination existant entre le traitement réservé aux écoles catholiques, d’une part, et aux autres écoles religieuses, d’autre part.67 Sans doute cette distinction était-elle conforme à la Constitution, puisque autorisée par l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867, mais elle n’en pouvait pas moins être contestée comme incompatible avec l’article 26 du Pacte international, ce qui a effectivement été le cas, avec succès, dans l’affaire Waldman. Le Comité des droits de l’Homme des Nations-Unies n’a pas eu de difficultés à conclure que le financement par l’Ontario des écoles catholiques mais non des écoles d’autres religions (le requérant était de religion juive et devait débourser près de 15,000 dollars par an pour envoyer ses enfants dans une école privée juive non-subventionnée) constituait une discrimination fondée sur la religion, et que les préoccupations qui avaient conduit en 1867 à enchâsser les droits des catholiques à l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 ne pouvaient plus justifier une telle discrimination à l’heure actuelle.68 Au surplus, le fait quePage 73 la discrimination découlant de la législation ontarienne soit également prévue dans la Constitution elle-même ne la rendait pas davantage compatible avec le Pacte international.

The Committee begins by noting that the fact that a distinction is enshrined in the Constitution does not render it reasonable and objective. In the instant case, the distinction was made in 1867 to protect the Roman Catholics in Ontario. The material before the Committee does not show that members of the Roman Catholic community or any identifiable section of that community are now in a disadvantaged position compared to those members of the Jewish community that wish to secure the education of their children in religious schools. Accordingly, the Committee rejects the State party’s argument that the preferential treatment of Roman Catholic schools is nondiscriminatory because of its Constitutional obligation

(par. 10.4).

Le Comité n’a pas davantage retenu l’argument des juges Sopinka et Major, de la Cour suprême du Canada, à l’effet que la distinction de traitement contestée existait entre les écoles publiques et les écoles privées, et non pas entre les écoles catholiques et celles d’autres confessions.

With regard to the State party’s argument that it is reasonable to differentiate in the allocation of public funds between private and public schools, the Committee notes that it is not possible for members or religious denominations other than Roman Catholics to have their religious schools incorporated within the public school system. In the instant case, the author has sent his children to a private religious school, not because he wishes a private non-Government dependent education for his children, but because the publicly funded school system makes no provision for his denomination, whereas publicly funded religious schools are available to members of the Roman Catholic faith. On the basis of the facts before it, the Committee considers that the differences in treatment between Roman Catholic religious schools, which are publicly funded as a distinct part of the public education system, and schools of the author’s religion, which are private by necessity, cannot be considered as reasonable and objective

(par. 10.5).

Page 74

Enfin, le Comité souligne que le Pacte international n’oblige pas les États-parties à financer les écoles religieuses privées. Cependant, s’ils décident de le faire, cela doit être de façon non-discriminatoire.

[…] the Committee observes that the Covenant does not oblige States parties to fund schools which are established on a religious basis. However, if a State party chooses to provide public funding to religious schools, it should make this funding available without discrimination. This means that providing funding for the schools of one religious group and not for another must be based on reasonable and objective criteria. In the instant case, the Committee concludes that the material before it does not show that the differential treatment between the Roman Catholic faith and the author’s religious denomination is based on such criteria. Consequently, there has been a violation of the author’s rights under article 26 of the Covenant to equal and effective protection against discrimination

(par. 10.6).

Le gouvernement du Canada a émis un communiqué selon lequel «[l]e Gouvernement de l’Ontario a fait savoir qu’il n’envisage pas d’accorder des moyens financiers aux écoles religieuses ou aux parents qui fréquentent ces écoles, et qu’il a l’intention de respecter pleinement son obligation constitutionnelle d’assurer le financement des écoles catholiques». Autrement dit, le gouvernement de l’Ontario exclut les deux moyens par lesquels il pourrait faire disparaître la discrimination reprochée et rétablir la conformité de sa législation avec le Pacte: soit l’extension du financement aux écoles religieuses autres que catholiques; soit la suppression du financement de celles-ci. Il est vrai que le financement des écoles catholiques est une obligation constitutionnelle lui incombant en vertu de l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867, mais, comme le soulignait le requérant dans l’affaire Waldman, Terre-Neuve et le Québec se sont soustraits au même article (ou, dans le cas de Terre-Neuve, à des dispositions constitutionnelles similaires) par une modification constitutionnelle bilatérale adoptée en vertu de l’article 43 de la Loi constitutionnelle de 1982, par entente entre les autorités fédérales, d’une part, et celles de la seule province concernée dans chaque cas, d’autre part.69

Page 75

La modification constitutionnelle le soustrayant aux obligations confessionnelles de l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 a permis au Québec de déconfessionnaliser ses commissions scolaires (en remplaçant par des commissions linguistiques, francophones ou anglophones, les commissions religieuses catholiques ou protestantes) et d’abolir également le caractère confessionnel des écoles primaires et secondaires publiques. Cependant, le gouvernement a décidé de maintenir un certain enseignement confessionnel catholique et protestant dans les écoles publiques, sans offrir dans les mêmes conditions l’enseignement religieux des religions autres que catholique ou protestante. Alors que les commissions scolaires ont l’obligation d’offrir l’enseignement religieux et moral catholique et protestant, l’enseignement religieux d’une autre religion n’est offert qu’à la demande du conseil d’établissement et si la commission scolaire le juge possible. Par ailleurs, les parents des élèves ou l’élève ont le choix entre le cours d’enseignement moral et religieux catholique ou protestant, d’une part, et un cours d’enseignement moral, d’autre part. Un tel système est probablement incompatible avec l’interdiction de la discrimination religieuse et la liberté de religion contenues dans la Charte canadienne et, dans une moindre mesure, avec les mêmes garanties contenues dans la Charte québécoise.70 C’est d’ailleurs pour cette raison que les dispositions pertinentes des lois québécoises sur l’instruction publique ont été soustraites àPage 76 l’application des articles garantissant ces droits dans les deux Chartes par l’insertion de deux séries de dispositions dérogatoires.71 Cependant, elles restent susceptibles d’être contestées sur la base du Pacte international devant le Comité des droits de l’homme des Nations-Unies.

Une interprétation radicale du principe de non-discrimination supposerait que, si l’État organise un enseignement confessionnel d’une religion en particulier à l’école publique, il doive en faire autant pour toutes les religions dont les adeptes, présents en nombre suffisant dans une école, le demandent. Cependant, de façon traditionnelle, les normes internationales contenues dans les instruments des Nations-Unies, et particulièrement dans le Pacte international, ne paraissent pas devoir être interprétées de façon aussi exigeante. Bien que cela ne soit pas entièrement clair, il semble que l’existence d’une possibilité de dispense à l’égard de l’enseignement confessionnel ou l’alternative entre celui-ci et un enseignement culturel ou moral neutre et objectif suffise à assurer la conformité avec les instruments internationaux, surtout si l’enseignement alternatif est lui-même susceptible de dispense. L’existence d’écoles religieuses privées subventionnées en tout ou en partie (ce qui est le cas au Québec) pourrait également être considérée comme atténuant l’obligation de l’État de respecter l’égalité religieuse à l’école publique. Ce relativisme tient au fait que les instruments internationaux lient un très grand nombre d’États qui connaissent, dans ce domaine, des régimes juridiques ou pratiques extrêmement divers et qu’il faut donc chercher à leur donner un sens compatible avec le plus grand nombre possible de situations. Une interprétation trop exigeante ou trop radicale n’aurait comme seul résultat que de mettre un grand nombre d’États en contradiction avec leurs obligations.72

Page 77

Néanmoins, l’affaire Waldman indique peut-être que la jurisprudence du Comité va dans le sens d’une radicalisation de l’interprétation donnée au concept d’égalité, ce qui expliquerait pourquoi un des membres du Comité a senti le besoin de souligner, dans une opinion concurrente, son accord avec la solution traditionnelle exposée ci-dessus.73 Si la question lui était soumise dans l’avenir et que le Comité adopte en matière d’enseignement confessionnel à l’école publique une interprétation du principe d’égalité plus exigeante, calquée sur celle qu’il a adoptée dans l’affaire Waldman pour ce qui est du financement des écoles confessionnelles, le Québec devrait alors, pour se mettre en règle avec le Pacte, soit supprimer l’enseigne-Page 78ment religieux catholique et protestant à l’école publique, soit prévoir le droit à un tel enseignement pour les autres religions ayant une présence significative dans une école. Le principe d’égalité n’exige pas que tous les groupes religieux, des plus grands aux plus petits, soient traités de façon identique. La loi pourrait prévoir que le droit à l’enseignement religieux, à l’école publique, n’existe que dans les cas où il y a une demande significative, c’est-à-dire «là où le nombre le justifie».

Par ailleurs, l’article 41 de la Charte québécoise reconnaît le droit des parents d’exiger pour leurs enfants, dans les écoles publiques, un enseignement religieux ou moral conforme à leurs convictions, dans le cadre des programmes prévus par la loi.74 L’article 41 n’étant pas visé par la clause de primauté de la Charte québécoise (art. 52) n’a pas d’autorité contraignante à l’égard du législateur québécois et ne pourrait donc pas être invoqué pour obliger le législateur à prévoir un enseignement religieux ou moral d’une forme particulière à l’école publique ou pour contester la validité des lois scolaires si celles-ci ne prévoyaient pas un tel enseignement. Il ne pourrait pas davantage être invoqué pour obliger les autorités scolaires à organiser pareil enseignement, si la loi était silencieuse à cet égard, précisément parce que les droits garantis à l’article 41 ne le sont que «dans le cadre des programmes prévus par la loi»; dans la mesure où la loi n’aurait rien prévu, les droits ne seraient donc pas exigibles d’une autorité infralégislative. Cependant, les dispositions de l’article 41 peuvent influencer l’interprétation de la législation ordinaire ainsi que celle des autres dispositions de la Charte et, si elles se combinent avec l’article 10 qui interdit la discrimination, acquérir une autorité supérieure aux autres lois qui permettrait de contester la validité de celles ayant des effets discriminatoires en matière d’enseignement religieux ou moral dans les écoles publiques.

L’article 41 doit être interprété en conjonction avec les autres dispositions de la Charte québécoise, principalement les articles 3 (liberté de conscience et liberté de religion) et 10 (interdiction de la discrimination), de même qu’il faut interpréter ces autres dispositions en conjonction avec l’article 41. Un régime comme celui qui est actuellement en vigueur, dans lequel l’enseignement religieux n’existe pas sur un pied d’égalité pour toutes les confessions suffisamment représentées à l’école, semblerait donc devoirPage 79 être considéré comme non conforme à l’article 41 lu en combinaison avec l’article 10 de la Charte québécoise qui interdit la discrimination fondée sur la religion. Dans la mesure où l’article 10 de la Charte, contrairement à l’article 41, bénéficie de la primauté sur les autres lois québécoises, le caractère discriminatoire de ce régime devrait suffire, en l’absence d’une disposition dérogatoire le protégeant, à le faire déclarer inopérant comme incompatible avec la Charte québécoise. Si, au contraire, l’article 41 était interprété comme autorisant, voire comme imposant, le régime actuel d’inégalité, il pourrait être contesté en vertu des dispositions du Pacte international. C’est pourquoi, dans une optique de réforme de la Charte québécoise (peu importe que le Québec devienne souverain ou demeure une province canadienne), il faudrait modifier l’article 41. Plutôt que de reconnaître aux parents et tuteurs le droit d’exiger que, dans les établissements d’enseignement publics, leurs enfants reçoivent un enseignement religieux ou moral conforme à leurs convictions, il y aurait lieu de garantir le droit des parents d’assurer l’éducation de leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques. Cette formulation s’inspire des dispositions du droit international, notamment l’article 18(4) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui reconnaît «la liberté des parents et, le cas échéant, des tuteurs légaux, de faire assurer l’éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres convictions». Dès lors, comme en droit international, les parents se verraient reconnaître le droit d’envoyer leurs enfants dans une école privée ou de les faire dispenser de l’enseignement religieux ou moral donné à l’école publique, l’État ayant en outre l’obligation de s’abstenir de tout endoctrinement dans l’enseignement dispensé dans celle-ci. Une telle disposition n’imposerait pas à l’État l’obligation d’organiser un enseignement confessionnel à l’école publique, mais elle n’interdirait pas non plus un tel régime. Évidemment, si le législateur optait pour ce dernier, il devrait l’organiser de façon à éviter la discrimination entre les divers groupes religieux.

Enfin, il reste à se demander si la conclusion, au moins implicite, du Comité des droits de l’homme dans l’affaire Waldman, à l’effet que les dispositions constitutionnelles canadiennes qui créent des droits particuliers en faveur des catholiques et des protestants entraînent une discrimination incompatible avec le Pacte, pourrait être transposée aux dispositions constitutionnelles qui créent des droits particuliers en faveur des anglophones et des francophones. Dans l’affirmative, il faudrait, pour respecter le Pacte, soit étendre les mêmes droits à toutes les communautés linguistiques du Canada d’une certaine importance démographique, soit abolir les droits qui existent pour les francophones et les anglophones. Certains auteursPage 80 adoptent une telle position.75 Nous ne pouvons approfondir ici cette question fort complexe, mais il faut souligner que la religion ne remplit pas les mêmes fonctions sociales que la langue. Les sociétés démocratiques et libérales modernes considèrent avec raison que l’État doit rester parfaitement neutre en matière religieuse (neutralité qui peut se traduire par l’absence de soutien à toute religion ou par un soutien égal à toutes les religions),76 mais il ne saurait manifestement être neutre en matière linguistique, puisqu’il doit forcément s’exprimer dans une ou plusieurs langues, qui occuperont dès lors une position privilégiée (et il ne peut évidemment pas s’exprimer dans toutes les langues parlées sur son territoire). Le Comité des droits de l’Homme a reconnu ce fait dans l’affaire Ballantyne, dans les termes suivants: «s’il est légitime qu’un État choisisse une ou plusieurs langues officielles, il ne l’est pas qu’il supprime, en dehors de la vie publique, la liberté de s’exprimer dans la langue de son choix».77 Le Comité uti-Page 81lise ici la distinction, que nous avons nous mêmes élaborée plus longuement dans notre étude originale, entre l’usage officiel des langues (dans les relations «verticales» citoyens-puissance publique), pour lequel l’État peut prescrire une ou plusieurs langues déterminées, et interdire les autres, et l’usage privé (dans les relations «horizontales» entre particuliers), pour lequel il doit respecter la liberté de chacun de s’exprimer dans la langue de son choix. Mais, si l’État peut, en matière d’usage officiel, établir des distinctions entre les langues auxquelles il reconnaît un caractère officiel et les autres, ces distinctions doivent néanmoins rester rationnelles et être basées sur des critères objectifs. L’importance numérique des diverses communautés linguistiques présentes sur le territoire, le fait que certaines sont des minorités nationales, traditionnellement établies, alors que d’autres sont issues d’une immigration plus récente, le rôle historique joué par certains groupes dans la fondation de l’État, constituent autant de critères objectifs et rationnels. Tous les États du monde reconnaissent (expressément ou implicitement) un caractère officiel à une ou plusieurs langues; aucun ne reconnaît un tel caractère à toutes les langues parlées sur son territoire.78

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C L’évolution des droits des minorités linguistiques et culturelles découlant de l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et les tendances qui se dégagent des instruments adoptés depuis une décennie dans le cadre du Conseil de l’Europe et de l’Organisation sur la sécurité et la coopération en Europe

L’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques est la principale disposition relative au droit des minorités contenue dans les instruments de protection des droits de l’Homme adoptés sous l’égide des Nations-Unies. Le Pacte a été ratifié à la fois par le Canada et par le Québec. L’article 27 énonce:

Dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d’avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d’employer leur propre langue

.

Depuis la rédaction de l’étude originale, l’article 27 a donné lieu à une déclaration de l’Assemblée générale des Nations Unies, la Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques,79 adoptée le 18 décembre 1992, et à une «observation générale» du Comité des droits de l’homme des Nations Unies, adoptée le 6 avril 1994.80 Ces deux instruments, qui n’ont pas de valeur ju-Page 83ridique contraignante directe, indiquent cependant dans quel sens tend à évoluer la protection des minorités et, dans la mesure où ils ont une force juridique indirecte, en pouvant être invoqués pour interpréter les normes déjà en vigueur, étendent progressivement la portée de l’article 27 et des obligations que celui-ci impose aux États. Par ailleurs, la substance de l’article 27 a été reprise dans l’article 30 de la Convention relative aux droits de l’enfant et les droits prévus dans cette disposition ont été ainsi réaffirmés en ce qui concerne les enfants appartenant à une minorité et étendus aux enfants autochtones.81

a) La Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques

La Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques n’a pas de caractère juridiquement contraignant mais peut servir de fil conducteur pour interpréter les obligations découlant pour les États parties de l’article 27 du Pacte. Selon les commentateurs, l’apport de la Déclaration par rapport à l’article 27 du Pacte tient dans l’affirmation de certains droits collectifs nouveaux au profit des minorités en tant que telles (alors que l’article 27 du Pacte ne garantit que les droits des individus membres d’une minorité).82 Il en serait notamment ainsi du droit à la protection de l’existence d’une part et de l’identité d’autre part, qui découle du premier paragraphe de l’article 1 de la Déclaration:

«Article premier. 1. Les États protègent l’existence et l’identité nationale ou ethnique, culturelle, religieuse et linguistique des minorités, sur leurs territoires respectifs, et favorisent l’instauration des conditions propres à promouvoir cette identité.

2. Les États adoptent les mesures législatives ou autres qui sont nécessaires pour parvenir à ces fins

.

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Selon les auteurs, le droit à l’identité proscrirait notamment les modifications des proportions de la population minoritaire dans les régions ou districts où vit celle-ci.83

Le deuxième droit collectif nouveau serait le droit pour la minorité comme telle de prendre une part effective, au niveau national et, le cas échéant, au niveau régional, aux décisions concernant le groupe ou les régions dans lesquelles elle vit:

Article 2. 3. Les personnes appartenant à des minorités ont le droit de prendre une part effective, au niveau national et, le cas échéant, au niveau régional, aux décisions qui concernent la minorité à laquelle elles appartiennent ou les régions dans lesquelles elles vivent, selon des modalités qui ne soient pas incompatibles avec la législation nationale

.

Un tel droit peut être appliqué sous la forme d’institutions propres au profit des minorités ou par l’entremise de règles favorisant la participation de celles-ci aux institutions communes (représentation garantie, quotas, etc.). Par contre, on ne saurait tirer de ce texte un droit des minorités à l’autonomie politique locale par un découpage territorial et administratif ayant pour effet de leur donner le contrôle des institutions à un tel niveau.

Le troisième droit collectif nouveau est celui qui permet aux minorités de créer et de gérer leurs propres associations:

Article 2. 4. Les personnes appartenant à des minorités ont le droit de créer et de gérer leurs propres associations

.

La Déclaration énonce encore:

«Article 4. 1. Les États prennent, le cas échéant, des mesures pour que les personnes appartenant à des minorités puissent exercer intégralement et effectivement tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales sans aucune discrimination et dans des conditions de pleine égalité devant la loi.

2. Les États prennent des mesures pour créer des conditions propres à permettre aux personnes appartenant à des minorités d’exprimer leurs propres particularités et de développer leur culture, leur langue, leurs traditions et leurs coutumes, sauf dans le cas de pratiques spécifiques qui constituent une infraction à la législation nationale et sont contraires aux normes internationales

.

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[...]

Article 8. 3. Les mesures prises par les États afin de garantir la jouissance effective des droits énoncés dans la présente Déclaration ne doivent pas a priori être considérées comme contraires au principe d’égalité contenu dans la Déclaration universelle des droits de l’homme

.

On remarque donc que la Déclaration insiste sur la nécessité pour les États, non seulement de s’abstenir de tout acte qui nuirait aux minorités, mais également d’adopter des mesures positives pour permettre à celles-ci de bénéficier réellement des droits qui leur sont reconnus, ce qui peut inclure à la fois des mesures d’assistance matérielle et financière et des mesures d’accommodement ou d’adaptation.

Pour ce qui est des droits des minorités dans le domaine de l’instruction et de l’enseignement, la Déclaration énonce:

Article 4. 3. Les États devraient prendre des mesures appropriées pour que, dans la mesure du possible, les personnes appartenant à des minorités aient la possibilité d’apprendre leur langue maternelle ou de recevoir une instruction dans leur langue maternelle

.

Article 4. 4. Les États devraient, le cas échéant, prendre des mesures dans le domaine de l’éducation afin d’encourager la connaissance de l’histoire, des traditions, de la langue et de la culture des minorités qui vivent sur leurs territoires. Les personnes appartenant à des minorités devraient avoir la possibilité d’apprendre à connaître la société dans son ensemble

.

c) L’Observation générale no 23 (50) (article 27) du Comité des droits de l’homme des Nations Unies

Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a rendu un certain nombre d’observations générales qui résument sa jurisprudence et «qui sont en fait des principes directeurs de signification et d’interprétation à donner à des articles spécifiques dans le Pacte».84 Les «observations» ne sont pas rigoureusement contraignantes mais le Comité souhaite qu’elles aient une force persuasive et que les États en tiennent compte. Il arrive que les tribunaux canadiens et québécois les citent dans leurs jugements.85Page 86 Dans l’Observation générale no 23 (50) (article 27), le Comité a notamment souligné les points suivants:

1. [...] Le Comité constate que cet article [l’article 27 du Pacte] consacre un droit qui est conféré à des individus appartenant à des groupes minoritaires et qui est distinct ou complémentaire de tous les autres droits dont ils peuvent déjà jouir, conformément au Pacte, en tant qu’individus, en commun avec toutes les autres personnes

.

[...]

4. Le Pacte établit également une distinction entre les droits consacrés à l’article 27 et les garanties énoncées au paragraphe 1 de l’article 2 et à l’article 26. La faculté consacrée au paragraphe 1 de l’article 2 de jouir des droits reconnus dans le Pacte sans discrimination aucune appartient à tous les individus se trouvant sur le territoire ou relevant de la compétence de l’État, que ceux-ci appartiennent ou non à une minorité. En outre, l’article 26 consacre un droit distinct à l’égalité devant la loi et à l’égale protection de la loi et garantit une protection contre toute discrimination en ce qui concerne les droits reconnus et les obligations imposées par les États. Il régit l’exercice de tous les droits, énoncés ou non dans le Pacte, que l’État partie reconnaît de par la loi à tous les individus se trouvant sur son territoire ou relevant de sa compétence, qu’ils appartiennent ou non aux minorités visées par l’article 27. Certains États parties qui prétendent qu’ils ne pratiquent aucune distinction de race, de langue ou de religion font valoir à tort, sur cette seule base, qu’ils n’ont aucune minorité

.

5. 1. Il ressort des termes employés à l’article 27 que les personnes que l’on entend protéger appartiennent à un groupe et ont en commun une culture, une religion et/ou une langue. Il ressort également de ces termes que les individus que l’on entend protéger ne doivent pas être forcément des ressortissants de l’État partie. À cet égard, les obligations découlant du paragraphe 1 de l’article 2 sont également pertinentes, car, conformément à cet article, les États parties sont tenus de veiller à ce que tous les droits énoncés dans le Pacte puissent être exercés par tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence, à l’exception des droits qui sont expressément réservés aux citoyens, par exemple les droits politiques énoncés à l’article 25. En conséquence, les États parties ne peuvent pas réserver l’exercice des droits énoncés à l’article 27 à leurs seuls ressortissants

.

Page 87

5. 2. [...] De même que ces individus ne doivent pas nécessairement être des nationaux ou des ressortissants, ils ne doivent pas non plus nécessairement être des résidents permanents. Ainsi, les travailleurs migrants ou même les personnes de passage dans un État partie qui constituent pareilles minorités ont le droit de ne pas être privés de l’exercice de ces droits.

[...] L’existence dans un État partie donné d’une minorité ethnique, religieuse ou linguistique ne doit pas être tributaire d’une décision de celui-ci, mais doit être établie à l’aide de critères objectifs

.

5. 3. Le droit des personnes appartenant à une minorité linguistique d’employer leur propre langue entre elles, en privé ou en public, ne doit pas être confondu avec d’autres droits en relation avec l’expression au moyen de la langue consacrés dans le Pacte. Il doit être distingué en particulier du droit général à la liberté d’expression, consacré à l’article 19. Ce dernier droit est reconnu à toutes les personnes, qu’elles appartiennent ou non à des minorités. De même, le droit consacré à l’article 27 doit être distingué du droit particulier des personnes accusées de bénéficier de services d’interprétation si elles ne comprennent pas la langue employée à l’audience, tel qu’il est garanti au paragraphe 3 f) de l’article 14 du Pacte. Le paragraphe 3 f) de l’article 14 ne confère en aucun autre cas aux personnes accusées le droit d’employer ou de parler la langue de leur choix lors des audiences des tribunaux

.

6. 1. L’article 27, même s’il est formulé en termes négatifs, reconnaît l’existence d’un droit et interdit de dénier celui-ci. En conséquence, les États parties sont tenus de veiller à ce que l’existence et l’exercice de ce droit soient protégés et à ce que ce droit ne soit ni refusé ni violé. C’est pourquoi il faut prendre des mesures positives de protection, non seulement contre les actes commis par l’État partie lui-même, par l’entremise de ses autorités législatives, judiciaires ou administratives, mais également contre les actes commis par d’autres personnes se trouvant sur le territoire de l’État partie

.

6. 2. Bien que les droits consacrés à l’article 27 soient des droits individuels, leur respect dépend néanmoins de la mesure dans laquelle le groupe minoritaire maintient sa culture, sa langue ou sa religion. En conséquence, les États devront également parfois prendre des mesures positives pour protéger l’identité des minorités et les droits des membres des minorités de préserver leur culture et leur langue et de pratiquer leur religion, en commun avec les autres membres de leur groupe. À cet égard, il convient de souligner que ces mesures positives doivent être prises compte tenu des dispositions du paragraphe 1 de l’article 2 et de l’article 26 du Pacte, en ce qui concerne tant le traitement réservé aux différentes minori-Page 88tés que le traitement réservé aux personnes appartenant à des minorités par rapport au reste de la population. Toutefois, si ces mesures visent à remédier à une situation empêchant ou entravant l’exercice des droits garantis à l’article 27, les États peuvent légitimement établir une distinction conformément au Pacte, à condition de se fonder sur des critères raisonnables et objectifs

.

[...]

9. Le Comité conclut que l’article 27 énonce des droits dont la protection impose aux États parties des obligations spécifiques. La protection de ces droits vise à assurer la survie et le développement permanent de l’identité culturelle, religieuse et sociale des minorités concernées, contribuant ainsi à enrichir l’édifice social dans son ensemble. En conséquence, le Comité fait observer que ces droits doivent être protégés en tant que tels et ne doivent pas être confondus avec d’autres droits individuels conférés conformément au Pacte à tous et à chacun. Les États parties ont donc l’obligation de veiller à ce que l’exercice de ces droits soit pleinement garanti et ils doivent indiquer dans leurs rapports les mesures qu’ils ont adoptées à cette fin

.

Comme la Déclaration adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies, l’opinion du Comité des droits de l’homme insiste sur le fait que la protection des minorités, davantage que les droits conférés à l’ensemble de la population, réclame souvent de la part de l’État des mesures positives d’assistance —une intervention active— et non pas une simple abstention qui laisse aux individus la liberté de se comporter comme ils l’entendent avec les moyens dont ils disposent. Le Comité insiste particulièrement sur le fait que la simple non-discrimination, qui est un droit reconnu à tous, ne suffit pas à remplir les obligations découlant pour les États de l’article 27 au profit des minorités. En outre, le Comité souligne que les mesures spéciales adoptées pour protéger les minorités, même si elles ne s’appliquent pas à l’ensemble de la population, ou si elles ne s’appliquent pas pareillement à toutes les minorités, ne constituent pas de la discrimination à condition que les critères de distinction utilisés soient raisonnables et objectifs. Enfin, on notera que, sur un point important, le Comité s’écarte nettement de la définition du concept de «minorité» proposée par le Rapporteur spécial Capotorti en 1979; alors que ce dernier considérait que seuls les ressortissants d’un État pouvaient bénéficier des droits garantis par l’article 27,86 le Comi-Page 89té estime que les États parties ne peuvent pas réserver l’exercice des droits énoncés à l’article 27 à leurs seuls ressortissants ni même à leurs seuls résidents permanents.

Tenant compte des interprétations et des clarifications apportées à l’article 27 du Pacte par la Déclaration de l’Assemblée générale et par l’observation générale du Comité des droits de l’Homme, ainsi que par les constatations de ce dernier dans les communications individuelles où les droits des minorités linguistiques ont été invoqués, voyons à présent quels sont les droits linguistiques pouvant être considérés comme consacrés par le Pacte (par opposition à ceux qui seraient considérés comme souhaitables).

Dans le but d’indiquer les tendances du droit international dans ce domaine, nous ferons brièvement référence, à l’occasion, aux instruments adoptés en Europe depuis une dizaine d’années dans le cadre du Conseil de l’Europe et de l’Organisation sur la sécurité et la coopération en Europe. En effet, la dernière décennie a vu se multiplier les initiatives en vue de protéger les minorités, ce qui s’explique notamment par les événements en ex-Yougoslavie et l’effondrement du bloc soviétique qui ont remis cette question au premier plan des préoccupations. Dans le cadre du Conseil de l’Europe, les deux principaux instruments sont la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales87 et la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.88 Ces deux instruments ne s’appliquent pas au Canada, et ne s’appliqueraient pas davantage à un Québec souverain, mais ils peuvent servir à identifier les standards internationaux en voie d’émergence.

Si elle ne crée pas, au sens classique du terme, des droits subjectifs, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires institue cependant des obligations juridiques à la charge des États adhérents. La Charte ne vise pas des individus ou des groupes pour renforcer leur position juridique; elle s’adresse à des instances publiques pour les amener à prendre des engagements en faveur de la protection des langues régionales minoritaires. Ces engagements sont plus ou moins précis selon les différentes parties de la Charte. Dans une partie II figurent des principes généraux qui s’a-Page 90dressent aux États et n’ont pas de caractère auto-exécutoire. Par contre dans une partie III figurent des engagements optionnels (parmi lesquels les États doivent choisir «à la carte» ceux auxquels ils acceptent de souscrire) dont certains pourraient être considérés comme disposant à certains égards d’un effet direct.

La Convention cadre ne fait que déterminer des objectifs à atteindre par les États; elle fixe seulement un cadre pour la réglementation nationale à appliquer par les États. La convention cadre ne confère pas de droits aux personnes appartenant aux minorités. Elle n’envisage ces droits que sous forme d’obligations à la charge des États. De ce fait, les minorités ne sont pas titulaires de droits et ne peuvent jamais revendiquer de droits. Enfin, les obligations qui pèsent sur les États sont toujours atténuées par des formules du genre, «s’il y a lieu», «dans la mesure du possible», ou «si la minorité est numériquement suffisante». Par exemple, l’expression «dans la mesure du possible» indique que différents facteurs, notamment les moyens financiers de la partie concernée, pourront être pris en considération par les Parties pour se soustraire à leur obligation.

Dans le cadre de l’Organisation sur la sécurité et la coopération en Europe, le texte de référence en matière de minorités est le Document de la Réunion de Copenhague de la Conférence sur la dimension humaine de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe,89 qui a notamment servi d’inspiration à la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales du Conseil de l’Europe. À noter que les engagements pris par les États en vertu de cet instrument n’ont qu’un caractère politique. Mais, même dépourvue de force contraignante et de sanction juridique, la Déclaration de Copenhague constitue une véritable Charte européenne des minorités qui a largement inspiré les travaux des autres organisations européennes. C’est le premier document en Europe à lister les droits que les États participants s’engagent à conférer à leurs minorités, et une section spéciale du document final de la Conférence a été consacrée à cette question. En cela il a permis de stabiliser un certain nombre de principes protecteurs des minorités sur lesquels un consensus s’est réalisé entre les trente-quatre États signataires, dont le Canada fait partie.90

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Nous distinguerons les principaux domaines dans lesquels les minorités sont susceptibles de réclamer des droits en matière d’usage public (ou officiel) des langues, c’est-à-dire, en premier lieu, la langue de la législation et de la réglementation, de la justice et de l’administration, et, en second lieu, la langue de l’éducation publique; dans ce contexte, nous examinerons également la question du droit à des écoles privées. Pour ce qui est de la liberté linguistique en matière d’usage privé (ou non officiel) des langues, rappelons qu’elle découle de certains droits fondamentaux et du droit à l’égalité et que, dans ce domaine, il n’y a pas eu d’évolution nécessitant la mise à jour de notre étude originale.91

La langue de la législation et de la réglementation et celle des rapports des particuliers avec l’administration publique et les organes judiciaires

Pour ce qui est de la langue de la législation et de la réglementation et de celle des rapports des particuliers avec l’administration publique et les organes judiciaires, la formulation de l’article 27 du Pacte semble clairement indiquer que l’usage de la langue minoritaire n’est pas garanti dans les rapports avec les autorités publiques, dans la mesure où la disposition parle du droit de l’employer «en commun avec les autres membres [du] groupe». Comme le dit un auteur «[d]ès lors, le texte semble évident: il est simplement interdit de faire obstacle à son utilisation dans la vie privée et publique des membres des minorités (par exemple, à l’occasion de réunions publiques)».92 Une telle interprétation est confirmée par l’Observa-Page 92tion générale du Comité des droits de l’homme quand il parle, au paragraphe 5.3, du «droit des personnes appartenant à une minorité linguistique d’employer leur propre langue entre elles, en privé ou en public» (nous soulignons).93 Cette analyse se vérifie, en ce qui concerne l’utilisation des langues minoritaires devant les organes juridictionnels, par certaines des affaires «bretonnes» traitées par le Comité, dans lesquelles celui-ci refuse de se fonder sur l’article 27 pour reconnaître le droit d’utiliser la langue minoritaire devant les juridictions nationales, se contentant d’étudier ces demandes au regard de l’article 14(3)f) du Pacte pour en arriver à la conclusion que le droit à un procès équitable ne confère le droit à l’interprète que dans les cas où l’intéressé ne comprend pas la langue des procédures et, en tout cas, ne confère jamais le droit d’employer ou de parler la langue de son choix.94 Enfin, comme nous l’avons déjà souligné, dans l’affaire Ballantyne c. Canada de 1993, le Comité a plus clairement encore confirmé l’interprétation retenue ci-dessus en indiquant qu’il était «légitime qu’un État choisisse une ou plusieurs langues officielles» (par. 11.4), ce qui implique nécessairement qu’il n’est pas obligé de reconnaître un statut officiel aux langues des minorités ni, ce qui reviendrait au même, de permettre leur utilisation dans les rapports des particuliers avec les instances étatiques.

Les textes européens récents vont un peu plus loin dans ce domaine, mais en utilisant des formulations qui restent extrêmement prudentes et contiennent de nombreuses échappatoires.

Ainsi, la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales prévoit à son article 10(2): «Dans les aires géographiques d’implantation substantielle ou traditionnelle des personnes appartenant à des minorités nationales, lorsque ces personnes en font la demande et que celle-ci répond à un besoin réel, les Parties s’efforceront d’assurer, dans la mesure du possible, des conditions qui permettent d’utiliser la langue minoritaire dans les rapports entre ces personnes et les autorités administratives»,95 et à son ar-Page 93ticle 10(3): «Les Parties s’engagent à garantir le droit de toute personne appartenant à une minorité nationale d’être informée, dans le plus court délai, et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre elle, ainsi que de se défendre dans cette langue, si nécessaire avec l’assistance gratuite d’un interprète». Pour ce qui est cette dernière disposition, le rapport explicatif de la Convention ajoute, par supplément de précaution, que «Cette disposition se fonde sur certains éléments contenus aux articles 5 et 6 de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Elle ne va pas au-delà des garanties accordées par ces articles» (point 67).

Quant à la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, elle contient à son article 10 un grand nombre de mesures proposées pour la reconnaissance des langues minoritaires dans les relations avec les autorités administratives et les services publics, mais les États sont libres de n’en choisir qu’une seule.

Enfin, le paragraphe 34 du Document de Copenhague (qui ne crée que des engagements politiques) prévoit: «Les États participants s’efforceront de garantir que les personnes appartenant à des minorités nationales, indépendamment de la nécessité d’apprendre la ou les langues officielles de l’État concerné, auront la possibilité d’apprendre leur langue maternelle ou de recevoir un enseignement dans cette langue, ainsi que, si c’est possible et nécessaire, de l’utiliser dans leurs rapports avec les pouvoirs publics, conformément à la législation nationale en vigueur. Dans l’enseignement de l’histoire et de la culture dans les établissements éducatifs, ils tiendront également compte de l’histoire et de la culture des minorités nationales».

La langue de l’éducation publique

Il existe un assez large consensus à l’effet que l’article 27 du Pacte n’impose pas aux États de mettre à la disposition des minorités des classes ou des écoles publiques où leur langue est enseignée ou sert de langue d’instruction. Comme on le verra plus loin, cette disposition est généralement interprétée comme obligeant seulement l’État à reconnaître aux personnesPage 94 appartenant aux minorités linguistiques le droit d’apprendre une langue minoritaire ou de recevoir l’enseignement dans cette langue dans le cadre de l’enseignement privé.

Là encore, les instruments européens récents sont plus généreux, du moins dans l’énoncé des comportements souhaitables et tout en se gardant d’imposer aux États des obligations trop contraignantes. L’article 14 de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales prévoit au paragraphe 2: «Dans les aires géographiques d’implantation substantielle ou traditionnelle des personnes appartenant à des minorités nationales, s’il existe une demande suffisante, les Parties s’efforceront d’assurer, dans la mesure du possible et dans le cadre de leur système éducatif, que les personnes appartenant à ces minorités aient la possibilité d’apprendre la langue minoritaire ou de recevoir un enseignement dans cette langue». On remarquera que la disposition laisse le choix à l’État entre l’enseignement dans la langue minoritaire et l’enseignement de celle-ci, la seconde formule étant évidemment moins contraignante pour lui, mais également moins généreuse pour les minorités. Par précaution supplémentaire, le paragraphe 3 ajoute: «Le paragraphe 2 du présent article sera mis en œuvre sans préjudice de l’apprentissage de la langue officielle ou de l’enseignement dans cette langue» (nous soulignons).96 La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires contient à son article 8 un grand nombre de mesures proposées pour la reconnaissance des langues minoritaires dans le domaine de l’enseignement, dont au moins trois doivent être adoptées par les États. Quant au Document de Copenhague, on a reproduit plus haut son paragraphe 34 qui porte sur l’enseignement de et dans la langue minoritaire.

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Les écoles privées

Pour ce qui est du droit de créer et de gérer des écoles privées et d’y envoyer ses enfants, l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques n’est pas la seule disposition prévue dans les instruments adoptés sous l’égide des Nations-Unies.

Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels prévoit notamment le droit à l’éducation (art. 13 et 14). L’article 13 du Pacte énonce:

1. Les États parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à l’éducation. Ils conviennent que l’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et du sens de sa dignité et renforcer le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ils conviennent en outre que l’éducation doit mettre toute personne en mesure de jouer un rôle utile dans une société libre, favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux, ethniques ou religieux et encourager le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix.

[…]

3. Les États parties au présent Pacte s’engagent à respecter la liberté des parents et, le cas échéant, des tuteurs légaux, de choisir pour leurs enfants des établissements autres que ceux des pouvoirs publics, mais conformes aux normes minimales qui peuvent être prescrites ou approuvées par l’État en matière d’éducation, et de faire assurer l’éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres convictions.

4. Aucune disposition du présent article ne doit être interprétée comme portant atteinte à la liberté des individus et des personnes morales de créer et de diriger des établissements d’enseignement, sous réserve que les principes énoncés au paragraphe 1 du présent article soient observés et que l’éducation donnée dans ces établissements soit conforme aux normes minimales qui peuvent être prescrites par l’État

.

Plusieurs choses sont à souligner. Les alinéas 13(3) et (4) du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels97 reconnaissent de façon explicite la liberté des parents (qu’ils appartiennent ou non à une minorité) d’envoyer leurs enfants dans une école privée et la liberté gé-Page 96nérale des individus et des personnes morales de créer des écoles privées. En outre, alors que le droit à l’éducation proclamé à l’article 13(1) est de par sa nature un droit qui n’est susceptible que d’une mise en oeuvre progressive, parce que celle-ci dépend des ressources financières de l’État, la liberté des parents de choisir pour leurs enfants des établissements autres que ceux des pouvoirs publics et la liberté des individus et des personnes morales, à cette fin, de créer et de diriger des écoles privées, sont des droits qui n’exigent aucune intervention des autorités publiques et qui sont donc d’application immédiate. Ils font naître à la charge des États parties une obligation de résultat et non pas, comme par exemple le droit à l’éducation, une simple obligation de moyens.

Certaines conventions spéciales adoptées sous l’égide des Nations-Unies reprennent de façon plus spécifique, ou au bénéfice de certaines catégories particulières de personnes, des éléments de certains droits déjà contenus dans les deux Pactes internationaux. La Convention relative aux droits de l’enfant98 est entrée en vigueur pour le Canada le 12 décembre 1992.

L’article 29(1) énonce les objectifs que doit viser l’éducation de l’enfant et l’article 29(2) précise:

Aucune disposition du présent article ou de l’article 28 [dans lequel les États s’engagent à assurer l’accès aux différents paliers et formes d’enseignement] ne sera interprétée d’une manière qui porte atteinte à la liberté des personnes physiques ou morales de créer et de diriger des établissements d’enseignement, qu’à condition que les principes énoncés au paragraphe 1 du présent article soient respectés et que l’éducation dispensée dans ces établissements soit conforme aux normes minimales que l’État aura prescrites

.

Comme nous l’avons déjà souligné, l’article 30 reprend la substance et la formulation de l’article 27 du Pacte international précédemment mentionné:

Dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques ou des personnes d’origine autochtone, un enfant autochtone ou appartenant à une de ces minorités ne peut être privé du droit d’avoir saPage 97 propre vie culturelle, de professer et de pratiquer sa propre religion ou d’employer sa propre langue en commun avec les autres membres de son groupe

.

La Conférence générale de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (unesco) a adopté, lors de sa session de novembre 1960, une Convention et une Recommandation concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement. La Convention s’applique aux États qui l’ont ratifiée, ce qui n’est pas le cas du Canada. La Recommandation a été adoptée pour les États fédéraux qui estimaient ne pouvoir ratifier la Convention pour des raisons tenant à leur partage constitutionnel des compétences, ce qui était précisément le cas du Canada. La Conférence a donc élaboré deux instruments distincts, de portée juridique différente. La Convention et la Recommandation font l’objet de rapports périodiques à l’unesco par les États, parties ou membres selon le cas.99 La Convention et la Recommandation de l’unesco prévoient expressément, à leur article 5(1)c) respectif, la reconnaissance, au profit des membres des minorités nationales, du «droit d’exercer des activités éducatives qui leur soient propres, y compris la gestion d’écoles et, selon la politique de chaque État en matière d’éducation, l’emploi ou l’enseignement de leur propre langue». La formulation employée laisse entendre que l’État a la faculté de choisir entre deux politiques, l’une consistant à autoriser des écoles privées minoritaires où la langue de la minorité est enseignée, l’autre consistant à autoriser des écoles où cette langue est la langue d’en

seignement.

Une formulation similaire apparaît à l’article 4.3 de la Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques, selon lequel «les États devraient prendre des mesures appropriées pour que, dans la mesure du possible, les personnes appartenant à des minorités aient la possibilité d’apprendre leur langue maternelle ou de recevoir une instruction dans leur langue maternelle» (à noter cependant que, contrairement à la Convention et à la Recommandation de l’unesco, il n’est pas question uniquement ici des écoles privées; la formulation vise également les écoles publiques). Il n’est donc pas étonnant de constater que plusieurs des commentateurs de l’article 27 du Pacte international, que la Déclaration est venue expliciter, interprètent celui-ci comme reconnaissant implicitement aux minorités le droit de créer desPage 98 écoles privées dans lesquelles la langue minoritaire est enseignée ou sert de langue d’enseignement, sans prendre fermement position sur le point de savoir s’il y a des circonstances où la seconde modalité, qui est évidemment préférable pour les minorités, s’impose aux États, et dans quels cas seule la première, moins avantageuse, est obligatoire pour eux.100 Certains auteurs vont plus loin et considèrent que l’article 27 ne traite tout simplement pas d’éducation et qu’on ne peut donc pas même en faire découler le droit pour les minorités de créer, à leurs frais, leurs propres écoles.101 À l’opposé, il existe des auteurs qui prennent position de façon ferme en faveur d’une interprétation de l’article 27 qui en fasse découler le droit des minorités de créer des écoles privées dans lesquelles la langue minoritaire est la langue d’instruction et non seulement une langue enseignée.102

Page 99

On peut conclure que les instruments des Nations-Unies qui ont été examinés garantissent au moins le droit d’une minorité linguistique de créer des écoles privées dans lesquelles la langue minoritaire est enseignée. Garantissent-ils également le droit de créer des écoles privées où la langue minoritaire est la langue d’instruction? Cela est moins clair. La formulation des instruments paraît laisser le choix aux États de permettre soit l’une soit l’autre des deux formules, sans leur imposer l’obligation de permettre celle des deux qui est la plus avantageuse pour les minorités. La plupart des auteurs évitent de prendre position sur cette question. Certains, par contre, interprètent les instruments en cause de façon favorable aux minorités et en font découler l’obligation de l’État de permettre des écoles privées où la langue minoritaire est la langue d’instruction. Sans qu’on puisse dire que cette interprétation plus généreuse s’impose indubitablement dans l’état actuel du droit, elle semble aller dans le sens de l’évolution récente des droits des minorités et, en tout état de cause, elle nous paraît préférable. En effet, les études montrent que seul l’enseignement dans la langue minoritaire, au moins durant les premières années de la scolarité, permet la transmission efficace et la conservation de celle-ci, l’enseignement de la langue minoritaire ne suffisant pas à atteindre ces objectifs.103

Le Comité des droits de l’homme des Nations-Unies a jugé que le refus de l’État de subventionner les écoles religieuses privées, alors qu’il défraye le coût des écoles publiques, ne constitue pas une discrimination au sens des articles 2(1) ou 26 du Pacte sur les droits civils et politiques (qui garantissent le droit à l’égalité et interdisent la discrimination).104 La même conclusion vaut très probablement pour les écoles privées établies pour des raisons linguistiques.

Page 100

Par ailleurs, selon les professeurs Capotorti et Thornberry,105 dont l’opinion ne fait cependant pas consensus, l’article 27 aurait pour effet de conférer aux minorités, notamment linguistiques ou religieuses, plus de droits que les articles 18 et 26 n’en octroient aux personnes qui font partie de la population en général. Alors qu’en vertu de ces deux dernières dispositions il n’existe aucun droit au subventionnement des écoles privées, il en irait différemment —en vertu de l’article 27— pour les écoles minoritaires. Il faut reconnaître qu’il y a une certaine logique à cette façon de voir, car les minorités ont généralement plus besoin d’assistance financière que la majorité. En outre, sur un plan logique, si l’article 27 ne conférait pas de droits autres que ceux qui découlent déjà des articles 18 et 26, il n’aurait aucun «effet utile». Comme le dit le professeur Thornberry, «[a]rticle 27 must oblige the State to provide something more than is provided by Article 18; otherwise Article 27 is redundant»; et il ajoute: «[a]ccordingly, it should be interpreted to promote the material equality of religious communities».106

Page 101

Les États qui le désirent ont évidemment le droit de subventionner les écoles privées, à condition de le faire de façon non discriminatoire. Les distinctions fondées sur des critères raisonnables et objectifs ne seront pas considérés comme discriminatoires.

Les instruments européens récents prévoient le droit à la création et à la gestion d’écoles minoritaires privées, mais sans droit au subventionnement public. Ainsi, l’article 13 de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales prévoit:

(1) Dans le cadre de leur système éducatif, les Parties reconnaissent aux personnes appartenant à une minorité nationale le droit de créer et de gérer leurs propres établissements privés d’enseignement et de formation. (2) L’exercice de ce droit n’implique aucune obligation financière pour les Parties

. Le paragraphe 32.2 du Document de Copenhague énonce: «32. Les personnes appartenant à des minorités nationales ont le droit d’exprimer, de préserver et de développer en toute liberté leur identité ethnique, culturelle, linguistique ou religieuse et de maintenir et de développer leur culture sous toutes ses formes, à l’abri de toutes tentatives d’assimilation contre leur volonté.107 En particulier, elles ont le droit: (32.2) de créer et de maintenir leurs propres institutions, organisations ou associations éducatives, culturelles et religieuses, qui peuvent solliciter des contributions financières bénévoles et autres contributions, y compris une aide publique, conformément à la législation nationale».

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[1] Mise à jour de l’étude intitulée «Les droits des minorités linguistiques et culturelles dans un Québec souverain», produite en 1991 dans le cadre des travaux de la Commission d’étude des questions afférentes à l’accession du Québec à la souveraineté. Cette mise à jour a été déposée à l’Assemblée nationale du Québec en mars 2002. Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que l’auteur. L’étude originale a été publiée dans le numéro 18 (décembre 1992) de la Revista de Llengua i Dret.

[Nota de l’Editor]: Aquest estudi originari es va publicar amb el títol «Les droits linguistiques des minorités: la question linguistique et l’éventuelle accession du Québec à la souveraineté» (rld núm. 18, 1992, pàg. 95-153). Per això, volem agrair a l’autor la gentilesa de proposar-nos de publicar a la Revista el Document complémentaire, redactat 10 anys després.

[2] La Cour suprême a décidé, dans P.G. Québec c. Brunet, [1990] 1 r.c.s. 260, en se fondant sur les motifs du juge Paré en Cour d’appel ([1985] C.A. 559, 562-563), que les documents gouvernementaux que le législateur incorpore à la loi doivent être eux-mêmes bilingues et, dans Sinclair c. P.G. Québec, [1992] 1 r.c.s. 579, qu’il en va de même pour les décrets qui ordonnent l’émission de lettres patentes pour la création d’une nouvelle ville à partir de la fusion de deux municipalités préexistantes. De façon plus générale, dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1992] 1 r.c.s. 212, la Cour a jugé que doivent être bilingues les décrets qui sont de «nature législative», c’est-à-dire qui sont adoptés en vertu d’une loi, par le gouvernement, ou assujettis à l’approbation du gouvernement, ou encore lorsque le texte comprend une règle de conduite, a force de loi et s’applique à un nombre indéterminé de personnes; l’exigence de bilinguisme s’applique également aux documents incorporés par renvoi dans une loi, qu’ils proviennent du gouvernement ou d’un organisme non gouvernemental (à moins qu’on ne puisse démontrer que leur incorporation sans traduction soit fondée sur un motif légitime). Par contre, la Cour suprême a jugé que l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, même s’il autorise les membres du Parlement fédéral et de la législature du Québec à s’exprimer en anglais ou en français, n’exige pas pour autant la mise en place d’un service d’interprétation simultanée: MacDonald c. Ville de Montréal, [1986] 1 r.c.s. 460, 486.

[3] R. c. Beaulac, [1999] 1 r.c.s. 768. Pour une intéressante analyse de cette décision, voir: André Braën, «L’interprétation judiciaire des droits linguistiques au Canada et l’affaire Beaulac», (1998) 29 Revue générale de droit 379.

[4] Code criminel, l.r.c. (1985) c. C-46.

[5] [1991] r.j.q. 1430.

[6] [1991] r.j.q. 1470.

[7] [1998] r.j.q. 2587.

[8] R. c. Beaulac, précité, p. 791: «Les droits linguistiques doivent dans tous les cas être interprétés en fonction de leur objet, de façon compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada; voir Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), précité, à la p. 850. Dans la mesure où l’arrêt Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick, précité, aux p. 579 et 580, préconise une interprétation restrictive des droits linguistiques, il doit être écarté. La crainte qu’une interprétation libérale des droits linguistiques fasse que les provinces soient moins disposées à prendre part à l’expansion géographique de ces droits est incompatible avec la nécessité d’interpréter les droits linguistiques comme un outil essentiel au maintien et à la protection des collectivités de langue officielle là où ils s’appliquent.» (juge Bastarache). Cet énoncé est repris par les juges Major et Bastarache dans l’arrêt Arsenault-Cameron c. Ile-du-Prince-Édouard, [2000] 1 r.c.s. 3, p. 25.

[9] C’est l’opinion du Professeur André Braën, loc. cit., 406-407: «On constate, à la lecture de ce jugement, que l’impact de l’opinion rendue au nom de la majorité par le juge Bastarache déborde du seul cas de la langue du procès criminel au Canada. Il nous apparaît clair que l’un des objectifs principaux de cette décision vise à établir sans équivoque la position de la Cour suprême en ce qui concerne les principes qui dorénavant doivent guider les tribunaux en matière d’interprétation des droits linguistiques, tant d’origine constitutionnelle que législative. […] Parmi les deux approches mises de l’avant par la Cour suprême, c’est donc l’approche libérale qui triomphe finalement. Elle vaut à l’égard de tous les droits linguistiques que renferme la Constitution. Elle vaut également pour les droits linguistiques d’origine législative».

[10] R. c. Beaulac, précité, p. 802: «Les droits linguistiques ne sont pas une sous-catégorie du droit à un procès équitable. Si le droit de l’accusé d’employer sa langue officielle dans une instance judiciaire était limité en raison de ses aptitudes linguistiques dans l’autre langue officielle, il n’y aurait en réalité pas de droit linguistique distinct» (juge Bastarache).

[11] Loi sur les langues officielles, l.c. 1988, c. 38.

[12] Pour des raisons pratiques, le législateur canadien a jugé bon de faire une exception pour la Cour suprême. La Cour ne comprend que neuf membres et, à cause de l’importance des questions qui lui sont soumises, il n’est pas rare qu’ils siègent tous sur une même affaire. Dès lors, si l’exigence de pouvoir entendre une affaire dans les deux langues officielles s’appliquait, le gouvernement fédéral ne pourrait plus nommer à la Cour que des candidats déjà bilingues. Or cela serait difficile, une pratique s’étant développée, qui consiste à assurer une représentation régionale à la Cour. Par tradition, un juge vient de la Colombie-Britannique, un des provinces de l’Ouest, trois de l’Ontario, trois du Québec (dans ce cas, l’exigence est prévue par la Loi sur la Cour suprême) et un des provinces maritimes. Cette pratique ne serait pas, dans les faits, compatible avec l’exigence que tous les juges de la Cour suprême soient bilingues.

[13] Voir, par exemple, Arsenault-Cameron c. Ile-du-Prince-Édouard, [2000] 1 r.c.s. 3.

[14] Solski c. Québec (Procureur générale) 500-05-046976-989; 14 décembre 2000; (2001) r.j.q. 218 (en appel).

[15] Idem, par. 138.

[16] Il s’agit du texte modifié en 1993 par la Loi modifiant la Charte de la langue française, l.q. 1993, c. 40, adoptée par l’Assemblée nationale pour rendre conformes à l’article 23 de la Charte canadienne les dispositions originales de la Charte de la langue française relatives à la langue de l’instruction, la Cour suprême les ayant invalidées dans l’arrêt P.G. Québec c. Quebec Association of Protestant School Boards, [1984] 2 r.c.s. 66.

[17] Par. 152. Cependant, les conclusions relatives à la possibilité d’invoquer une inscription dans une école privée non-subventionnée pour obtenir le droit d’inscrire ses enfants à l’école publique anglophone sont obiter dictum car, dans cette affaire, les enfants des requérants avaient également suivi une partie de leur scolarité antérieure à l’école publique anglophone et la Cour a jugé que cela suffisait à leur donner le droit d’être inscrits à cette même école, peu importe que le temps passé à l’école publique anglophone ne constitue pas la majeure partie de l’enseignement reçu.

[18] Par. 146.

[19] Par. 151.

[20] Par. 152 et 153.

[21] M. Jean-Pierre Proulx, professeur à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal, a calculé que ce sont 876 enfants qui, depuis cinq ans, se sont servis de l’école privée non subventionnée comme tremplin pour passer ensuite à l’école anglaise publique. Il souligne également ce qui suit: «Comme les enfants admissibles rendent aussi leurs frères et sœurs admissibles, on peut légitimement affirmer que les 876 élèves devenus admissibles depuis 1994-95 ont ou vont transmettre ce droit à leurs cadets, donc à un nombre au moins égal d’élèves, soit, au total, à au moins 1750 élèves. En reportant cette statistique sur un cycle scolaire d’onze ans, ce sont au moins 3500 élèves qui seront ainsi passés à l’école anglaise publique par un chemin légalement balisé mais néanmoins détourné. Pour l’heure et vue dans une macroperspective, cette statistique demeure modeste. En prenant pour base l’année 1997-98, ces 3500 élèves représenteraient tout de même 3 % de l’ensemble de la clientèle des écoles anglaises. Ajoutés aux 1 033 879 élèves des écoles françaises, ils représenteraient 0,3 %. Mais vues dans une microperspective, ces données prennent un autre sens, surtout si l’on prend en considération la tendance des dernières années où, après deux ans, une cohorte “expédie” au moins 200 élèves à l’école publique anglaise. On peut ainsi évaluer facilement à 400 par année, en tenant compte des cadets, le nombre de nouveaux élèves qui, à court terme, ont pris ou pourront prendre légalement le chemin de l’école anglaise publique. Cela équivaut à ouvrir, chaque année, une école primaire à deux classes par niveau. Cela fait tout de même, après neuf ans, au moins 3600 élèves de plus à l’école anglaise publique. C’est, grosso modo, l’équivalent de cinq écoles primaires de 400 élèves et de deux écoles secondaires de 800 élèves! Ce n’est pas négligeable. Ces projections sont probablement conservatrices. Elles le deviendront encore plus si les tribunaux supérieurs confirment l’interprétation donnée par la Cour supérieure dans l’affaire Solski. On peut alors s’attendre à une augmentation des transferts. L’admission à l’école se faisant normalement sur une base annuelle, il suffira aux parents de “payer” une seule année d’école anglaise à leur enfant pour le faire passer ensuite à l’école publique. Au surplus, certains lobbys se font les défenseurs d’une interprétation encore plus large. Me Brent Tyler, l’avocat des requérants dans l’affaire Solski, prétend qu’il suffirait d’un mois à l’école anglaise non subventionnée pour assurer le passage vers l’école publique! Certaines écoles privées, on l’a vu, servent plus que d’autres de lieu de passage. Vu la relative facilité avec laquelle on peut obtenir un permis, d’autres promoteurs d’écoles anglaises privées, flairant la bonne affaire, pourraient y trouver leur compte»; voir: Jean-Pierre Proulx, «La Charte canadienne a creusé un trou dans la loi 101. Quatre cents élèves passent à l’école anglaise chaque année». Le Devoir (de Montréal), Idées, jeudi 25 janvier 2001, p. A7.

[22] C’est la solution que semble évoquer implicitement la Cour supérieure dans l’affaire Solski, lorsqu’elle écrit, au par. 153: «La source du problème […] origine donc de l’exception faite en faveur de ces institutions et non pas de l’absence d’un concept de durée au par. 23(2) de la Charte canadienne.».

[23] On pourrait également conserver le texte actuel des paragraphes 73(4) et (5) de la Charte de la langue française, modifiés en 1993 par la Loi modifiant la Charte de la langue française, l.q. 1993, c. 40, qui prévoient respectivement que «peuvent recevoir l’enseignement en anglais, à la demande de l’un de leurs parents»:

73(4) les enfants qui, lors de leur dernière année de scolarité au Québec avant le 26 août 1977, recevaient l’enseignement en anglais dans une classe maternelle publique ou à l’école primaire ou secondaire, de même que leurs frères et sœurs;

73(5) les enfants dont le père ou la mère résidait au Québec le 26 août 1977, et avait reçu un enseignement primaire en anglais hors du Québec, pourvu que cet enseignement constitue la majeure partie de l’enseignement primaire reçu hors du Québec.

[24] Les accords bilatéraux de protection des minorités conclu entre certains pays d’Europe centrale et orientale pourraient servir de modèles; pour plus de détails, voir: Peter Kovacs, «Les traités bilatéraux conclus par les pays de l’Europe centrale et orientale pour la protection des minorités» dans La protection internationale des minorités linguistiques, (2001) 95-96 Terminogramme (Revue de recherche et d’information en aménagement linguistique et en terminologie de l’Office de la langue française du Québec; numéro préparé sous la direction de José Woehrling), 201 suiv. Sur l’éventuelle conclusion d’accords de réciprocité concernant les minorités entre le Canada et un Québec souverain, voir: Kenneth McRoberts, «Protecting the Rights of Linguistic Minorities» dans Daniel Drache & Roberto Perin (eds), Negotiating with a Sovereign Quebec, Toronto, James Lorimer, 1992, p. 173, aux p. 186-188.

[25] Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 r.c.s. 217. Pour une analyse, voir: José Woehrling, «L’avis de la Cour suprême du Canada sur l’éventuelle sécession du Québec», (1999) 37 Revue française de droit constitutionnel 3; José Woehrling, «The Supreme Court’s Ruling on Quebec’s Secession: Legality and Legitimacy Reconciled by a Return to Constitutional First Principles» dans Hugh Mellon and Martin Westmacott (dir.), Political Dispute and Judicial Review, Scarborough (Ont.), Nelson, 2000, p. 83 suiv.

[26] La Cour suprême n’a jamais eu l’occasion de se prononcer directement sur la compatibilité d’une loi avec les principes structurels et, par conséquent, de décider clairement si ceux-ci peuvent être invoqués pour contester la validité ou l’applicabilité d’un texte législatif (les décisions pertinentes de la Cour contiennent des obiter contradictoires sur cet aspect). Par contre, la question a été directement soulevée dans un certain nombre d’affaires jugées par des tribunaux de première instance et d’appel, dans lesquelles des requérants ont tenté d’utiliser les principes structurels fondamentaux de la Constitution, principalement celui de la primauté du droit, pour contester la validité constitutionnelle d’une mesure législative. Dans toutes ces causes, cette prétention a été rejetée, mais sans qu’il soit toujours clair si la raison en était l’impossibilité d’invoquer les principes structurels pour contester une loi ou plutôt le fait qu’en l’espèce, les dispositions législatives contestées n’étaient pas incompatibles avec le contenu des principes structurels invoqués. Voir par exemple: Bacon c. Saskatchewan Crop Insurance Corp., [1999] 11 w.w.r. 51 (C.A.Sask.); Singh c. Canada (Procureur général), [1999] 4 c.f. 583 (C. F.), conf. à [2000] 3 c.f. 185; (2000) 251 n.r. 318 (C.A.).

[27] Ville de Westmount c. Procureur Général du Québec, 16 octobre 2001 (c.s. Québec). Permission d’appeler à la Cour suprême refusée.

[28] Loi portant réforme de l’organisation territoriale municipale des régions métropolitaines de Montréal, de Québec et de l’Outaouais, l.q. 2000, c. 56 (Loi 170).

[29] Loi modifiant la Charte de la langue française, l.q. 2000, c. 57 (Loi 171). Avant l’adoption de la Loi 171, l’article 29.1 de la Charte de la langue française prévoyait que l’Office de la langue française devait «pour l’application des dispositions prévues au troisième alinéa de l’article 20 et aux articles 23, 24, 26 et 28 reconnaître, à leur demande, les organismes municipaux […] qui fournissent leurs services à des personnes à majorité d’une langue autre que française» (soulignement ajouté). L’amendement a pour effet de restreindre cette reconnaissance à «une municipalité, lorsque plus de la moitié des résidants de son territoire sont de langue maternelle anglaise» (soulignement ajouté).

[30] Dans la deuxième affaire Blaikie, [1981] 1 r.c.s. 312, la Cour suprême a jugé que le bilinguisme obligatoire de la législation déléguée découlant de l’article 133 ne s’applique pas aux règlements municipaux ni à ceux des organismes scolaires, pas plus qu’aux simples règles ou directives de régie interne.

[31] Lalonde c. Ontario (Commission de restructuration des Services de Santé), [1999] 48 o.r. (3d) 50 (Cour supérieure de l’Ontario - Cour divisionnaire); Ontario (Commission de restructuration des Services de Santé) c. Lalonde, 7 décembre 2001, Cour d’appel de l’Ontario (dossier C33807).

[32] Loi sur les services en français, l.r.o. 1990, c. F-32.

[33] Loi sur les services de santé et les services sociaux, l.r.q., c. S-4.2, art. 5.1 et 18.1. Pour une étude très fouillée de ces dispositions et de leur mise en œuvre, voir: Richard Silver, «The Right to English Health and Social Services in Quebec: A Legal and Political Analysis», (2000) 45 McGill Law Journal, 681. L’auteur soutient que le droit aux services en anglais a subi une politisation au cours des dernières années et qu’un manque de volonté politique a empêché le gouvernement du Québec d’assumer pleinement ses responsabilités en vertu de la Loi sur les services de santé et les services sociaux.

[34] Néanmoins, si la minorité anglophone du Québec n’a pas, comme la minorité francophone de l’Ontario, à craindre l’assimilation, sa position démographique est menacée par l’exode de ses membres. Une diminution des services de santé disponibles en anglais pourrait amplifier ce phénomène.

[35] Comme le relève la journaliste Chantal Hébert, «[p]armi les suites réalistes du jugement Montfort, on peut imaginer qu’il incitera au minimum les gouvernements à ne plus sacrifier dans l’insouciance les acquis des communautés minoritaires, à premier titre, à cause de leur minceur généralisée, ceux des francophones de l’extérieur du Québec» [mais, faut-il ajouter, la remarque vaut également pour les anglophones du Québec]. Elle continue ainsi: «Cela vaut pour le gouvernement fédéral et ses agences qui pourraient ironiquement finir par trouver l’arrêt Montfort plus contraignant que la plupart des provinces»; voir: Chantal Hébert, «Après Montfort», Le Devoir (de Montréal), lundi 10 décembre 2001.

[36] La question n’est pas académique. Si les tribunaux n’ont pas jusqu’à présent utilisé les principes structurels pour créer des obligations constitutionnelles entièrement nouvelles pour le législateur dans le domaine des droit linguistiques, ils l’ont par contre fait dans le domaine de l’indépendance judiciaire. En effet, dans le Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Ile-du-Prince-Édouard, [1997] 3. r.c.s. 3, la Cour suprême du Canada a majoritairement jugé que le principe structurel de l’indépendance judiciaire impose aux législateurs provinciaux de mettre sur pied une procédure indépendante de fixation du salaire des juges des cours provinciales. Aucune disposition expresse de la Constitution ne permettait d’arriver à un tel résultat.

[37] Si les juges majoritaires de la Cour suprême avaient appliqué cette règle dans le Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Ile-du-Prince-Édouard, note précédente, qui a été décidé avant le Renvoi sur la sécession, ils ne seraient sans doute pas parvenus aux mêmes conclusions. En effet, deux autres principes structurels, la séparation des pouvoirs et la souveraineté du Parlement, les auraient probablement dissuadés d’imposer aux législateurs provinciaux une obligation ne découlant aucunement du texte de la Constitution.

[38] Pour un bilan des principes constitutionnels structurels dégagés jusqu’à maintenant par les tribunaux canadiens, voir: Robin Elliot, «References, Structural Argumentation and the Organizing Principles of Canada’s Constitution», (2001) 80 Revue du Barreau canadien, 67. Selon l’auteur, les principes structurels reconnus jusqu’à présent par la Cour seraient: le fédéralisme, la démocratie, la primauté du droit, la protection des minorités, l’indépendance judiciaire, la position privilégiée des cours supérieures provinciales, certains droits et libertés, la courtoisie interprovinciale, la séparation des pouvoirs, le principe de l’union économique, l’intégrité nationale et l’intégrité de la Constitution. Il faudrait ajouter à la liste du professeur Elliot les privilèges inhérents des assemblées parlementaires: New Brunswick Broadcasting Corp. c. Nouvelle Écosse, [1993] 1 r.c.s. 319. Comme on le constate, certains de ces principes, comme le fédéralisme, la courtoisie interprovinciale, la position privilégiée des cours supérieures provinciales, l’union économique, etc., sont propres aux institutions canadiennes plutôt qu’universels et ne seraient très probablement pas reconnus comme sous-jacents dans la Constitution d’un Québec souverain.

[39] Néanmoins, même dans des pays où la langue majoritaire est très nettement prédominante, il arrive qu’on ressente le besoin d’adopter des dispositions constitutionnelles ou législatives pour la protéger contre les langues minoritaires. Ainsi, près de la moitié des États membres de la fédération américaine ont adopté des dispositions faisant de l’anglais la seule langue officielle. Il est vrai que, dans la plupart des cas, ces dispositions ont une valeur principalement symbolique et ne s’opposent pas à l’usage des langues minoritaires.

[40] Le français, une langue pour tout le monde: une nouvelle approche stratégique et citoyenne, Commission des États généraux sur la situation et l’avenir de la langue française au Québec, Gouvernement du Québec, 2001, 260 p. aux p. 23 et s. À notre avis, il faudrait en plus reconnaître la place, dans la vie publique, des langues des minorités ethniques et culturelles (voir, à cet égard, l’article 43 de la Charte québécoise). La Commission propose en outre de constitutionnaliser les droits en matière d’enseignement des anglophones du Québec et des nations inuite et amérindiennes, ainsi que le droit à l’apprentissage du français garanti à tous. Selon la Commission, la solution préférable serait l’inclusion de ces trois catégories de normes dans une constitution du Québec. Mais étant donné la complexité d’un tel processus et le fait que le Québec ne saurait retarder davantage «l’élévation du statut juridique des [principes] fondateurs de la politique linguistique au rang supralégislatif», la Commission recommande leur inclusion dans la Charte de la langue française avec statut supralégislatif.

[41] C’est ce que semble dire le Rapport de la Commission des États généraux sur la situation et l’avenir de la langue française au Québec, Gouvernement du Québec, op. cit., p. 26: «Enfin, la Commission est convaincue que la constitutionnalisation des principes fondateurs d’une politique linguistique globale représenterait une bonne façon de résoudre l’actuel conflit entre les droits individuels des Québécoises et des Québécois et la législation linguistique. En effet, ce conflit prend sa source, notamment, dans le fait que la Charte des droits et libertés de la personne, en raison de son actuel statut supralégislatif, prime sur la Charte de la langue française».

[42] Ford c. P.G. Québec, [1988] 2 r.c.s. 712.

[43] Pacte international relatif aux droits civils et politiques, (1976) 999 r.t.n.u. 107 (entrée en vigueur le 23 mars 1976). Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies avait été saisi par des commerçants anglophones du Québec.

[44] Ballantyne, Davidson et McIntyre c. Canada, communications 359/1989 et 385/1989, 31 décembre 1993; Rapport du Comité des droits de l’Homme, Doc. Off. a.g. 48e session, supp. No 40, p. 337-356, Doc. n.u. A/48/40(1993).

[45] «Le Comité ne pense pas qu’il soit nécessaire, pour protéger les francophones en position vulnérable au Canada, d’interdire la publicité en anglais. Cette protection peut être assurée par d’autres moyens qui ne portent pas atteinte à la liberté des commerçants de s’exprimer dans une langue de leur choix. Par exemple, la loi aurait pu exiger que la publicité soit bilingue, français-anglais. S’il est légitime qu’un État choisisse une ou plusieurs langues officielles, il ne l’est pas qu’il supprime, en dehors de la vie publique, la liberté de s’exprimer dans une certaine langue. Le Comité conclut donc qu’il y a eu violation du paragraphe 2 de l’article 19» (par. 11.4).

[46] l.q. 1993, c. 40 (loi 178).

[47] Le Règlement précisant la portée de l’expression «de façon nettement prédominante» pour l’application de la Charte de la langue française, g.o.q., Partie 2, no 53, p. 8895, qui est entré en vigueur le 22 décembre 1993, contient la règle communément appelée «règle du 2 pour 1» et prévoit notamment que: 1) lorsque les textes rédigés en français et dans une autre langue figurent sur la même affiche, l’espace consacré au texte rédigé en français et les caractères utilisés doivent être au moins deux fois plus grands que l’espace et les caractères utilisés pour le texte rédigé dans une autre langue; 2) lorsque les textes rédigés en français et dans une autre langue figurent sur des affiches distinctes et de même dimension, les affiches contenant le texte en français doivent être au moins deux fois plus nombreuses.

[48] Ces diverses situations ont été précisées aux articles 15 à 25 du Règlement sur la langue du commerce et des affaires, g.o.q., Partie 2, no 53, p. 8891, qui est entré en vigueur le 22 décembre 1993. Dans deux situations bien précises, la publicité faite par une entreprise commerciale doit être faite en français uniquement: il en est ainsi, d’une part, des panneauxréclame de grandes dimensions (16 mètres carrés et plus) qui sont visibles des voies publiques et qui ne sont pas situés sur les lieux mêmes de l’entreprise; d’autre part, de la publicité commerciale effectuée sur ou dans tout moyen de transport public et ses accès.

[49] Opinion individuelle de Mme Elizabeth Evatt et de MM. Nisuke Ando, Marco Tulio Bruni Celli et Vojin Dimitrijevic (en accord et explication élaborée).

[50] La doctrine est divisée sur cette question. Un premier courant adopte le point de vue de la majorité du Comité des droits de l’Homme et considère qu’un groupe majoritaire au niveau de l’ensemble de l’État ne peut jamais constituer une minorité au sens de l’article 27; voir par exemple: Francesco Capotorti, Étude des droits des personnes appartenant aux minorités ethniques, religieuses et linguistiques, New York, Nations Unies, 1979 (Doc. e/cn 4 Sub. 2/384/Rev. l), p. 102; Christian Tomuschat, «Protection of Minorities under Article 27 of the International Covenant on Civil and Political Rights» dans Völkerrecht als Rechtsordnung - Festschrift für Hans Mosler, Berlin, 1983, p. 958. Un deuxième courant de doctrine considère qu’un tel groupe doit se voir accorder la protection spéciale de l’article 27; voir par exemple: Yoram Dinstein, «Collective Human Rights of Peoples and Minorities», (1976) 25 International and Comparative Law Quarterly 102, 112; Giorgio Malinverni, «La Convention-cadre du Conseil de l’Europe pour la protection des minorités nationales», (1995) Revue suisse de droit international et de droit européen, 521, 543; Charles Morand, «Liberté de la langue et principe de territorialité. Variations sur un thème encore méconnu», (1993) Revue de droit suisse, 11, 29; Pierre Vandernoot, «Les aspects linguistiques du droit des minorités», (1997) Revue trimestrielle des droits de l’homme, 309, 321 (cet auteur relève que la Cour d’arbitrage de Belgique, dans deux arrêts de 1994 et 1996, s’est prononcée, au moins implicitement, dans le sens de l’obligation des entités fédérées belges de respecter en leur sein l’article 27 du Pacte international).

[51] «Le gouvernement déclare, compte tenu de l’article 2 de la Constitution de la République française [devenu aujourd’hui l’article 1, selon lequel «la République française assure l’égalité de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion»], que l’article 27 n’a pas lieu de s’appliquer en ce qui concerne la République». Selon le gouvernement français, cette disposition constitutionnelle interdit toute reconnaissance de droits particuliers accordées à un groupe. Lors de l’examen du rapport français par le Comité des droits de l’homme, les représentants du gouvernement firent valoir que la notion de minorité concernait l’Europe centrale issue de l’empire austro-hongrois et ne pouvait concerner la France. L’attitude française fut critiquée par plusieurs membres du Comité, mais quand la réserve fut invoquée dans les différentes affaires bretonnes, le Comité l’accepta. Sur la réserve française à l’article 27 du Pacte, voir: Michel Lévinet, «Le droit des minorités» dans La protection des droits de l’Homme par le Comité des droits de l’Homme des Nations Unies - Les communications individuelles (sous la direction de Frédéric Sudre), Montpellier (France), Institut de droit européen et des droits de l’homme, 1995, p. 61, aux p. 76 et s.

[52] Waldman c. Canada, ccpr/c/67/d/694/1996, 4 novembre 1999 (la décision n’est encore disponible qu’en anglais).

[53] D’ailleurs, l’article 29 de la Charte canadienne des droits et libertés énonce que «Les dispositions de la présente charte ne portent pas atteinte aux droits ou privilèges garantis en vertu de la Constitution du Canada concernant les écoles séparées et autres écoles confessionnelles», ce qui vise clairement l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[54] Renvoi relatif au projet de Loi 30, An Act to Amend the Education Act (Ont.), [1987] 1 r.c.s. 1148.

[55] Adler c. Ontario, [1996] 3 r.c.s. 609.

[56] Cette opinion est partagée par le Juge en chef Lamer et les juges La Forest, Gonthier, Cory et Iacobucci (lequel est l’auteur de leurs motifs communs).

[57] O’Malley c. Simpsons-Sears, [1985] 2 r.s.c. 536.

[58] R. C. Edwards Books, [1986] 2 r.c.s. 713.

[59] Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, [1994] 2 r.c.s. 525.

[60] Voir: José Woehrling, «L’obligation d’accommodement raisonnable et l’adaptation de la société à la diversité religieuse», (1998) 43 Revue de droit de McGill 325.

[61] Avis consultatif sur les écoles minoritaires en Albanie, (6 avril 1935); c.p.j.i., Série AB, No 64, p. 17.

[62] R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 r.c.s. 295.

[63] Précité.

[64] Dans l’arrêt Big M Drug Mart, la Cour a conclu que l’objet de la loi fédérale contestée était d’astreindre l’ensemble de la population à un idéal sectaire chrétien, ce qui était incompatible avec la liberté de religion garantie par la Charte; la loi a donc été invalidée. Dans l’arrêt Edwards Books la Cour a au contraire jugé que l’objet de la loi ontarienne était d’imposer un jour commun de repos hebdomadaire et que cet objet était légitime et suffisamment important; elle a ensuite conclu que les moyens utilisés pour atteindre l’objectif étaient proportionnés. Par conséquent, elle a validé la loi comme restreignant de façon raisonnable et justifiable la liberté de religion, en se fondant sur l’article 1 de la Charte.

[65] Cette opinion est celle des juges Sopinka et Major. Le fait que la discrimination repose sur le caractère privé ou public des écoles, plutôt que sur leur caractère laïque ou religieux, est déterminant dans la mesure où la Cour suprême interprète l’article 15(1) de la Charte canadienne comme ne pouvant être invoqué que contre les distinctions fondées soit sur un motif expressément mentionné à l’article (comme la religion), soit sur un motif «analogue». Or le caractère public ou privé des écoles n’est ni un motif expressément mentionné ni un motif analogue.

[66] L’article 1 énonce: «La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique».

[67] Si la position de Madame le juge L’Heureux-Dubé l’avait emporté, consistant à reconnaître aux écoles religieuses autres que catholiques le droit à un financement partiel, la différence de traitement eût été atténuée et la distinction restante (les écoles catholiques ont constitutionnellement le droit à un financement complet) aurait pu être justifiée pour des raisons historiques tenant à l’importance traditionnelle des catholiques et des protestants.

[68] Étant donné cette conclusion, qui suffisait à donner raison au requérant, le Comité n’a pas jugé nécessaire d’examiner les deux autres arguments de celui-ci, fondés respectivement sur l’article 18 (liberté de religion) et sur l’article 27 (droits des minorités) du Pacte, combinés avec l’article 2 (non discrimination dans la jouissance des droits garantis par le Pacte).

[69] La Modification constitutionnelle de 1997 (Québec), tr 97/141 est venue modifier, pour le Québec seulement, l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867, une disposition qui s’appliquait, avant cette modification, à six provinces seulement, dont le Québec. Elle a été adoptée, conformément à l’article 43 de la Loi constitutionnelle de 1982, par proclamation du gouverneur général autorisée par des résolutions du Sénat, de la Chambre des communes et de l’assemblée législative du Québec. En faisant disparaître, pour le Québec, les obligations confessionnelles prévues dans cette disposition, la modification a permis la déconfessionnalisation du système scolaire québécois. La Modification constitutionnelle de 1998 (Loi sur Terre-Neuve), tr 98/25 est venue modifier pour une troisième fois l’article 17 des Conditions de l’adhésion de Terre-Neuve, en abrogeant la Modification constitutionnelle de 1997 (Loi sur Terre-Neuve), tr 97/55. Sur ces modifications constitutionnelles, voir: Jean-Pierre Proulx et José Woehrling, «La restructuration du système scolaire québécois et la modification de l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867», (1997) 31 Revue juridique Thémis 399.

[70] Pour une analyse de la compatibilité avec la Charte canadienne et la Charte québécoise du régime de l’enseignement confessionnel dans les écoles publiques québécoises, voir: José Woehrling, Étude sur le rapport entre les droits fondamentaux de la personne et les droits des parents en matière d’éducation religieuse, présentée au Groupe de travail sur la place de la religion à l’école constitué par la Ministre de l’Éducation du gouvernement du Québec; publiée comme Étude no 6 en annexe au rapport du Groupe («Rapport Proulx»); Gouvernement du Québec, Ministère de l’Éducation, 1999, 159 p. La situation sous l’empire de chacune des deux Chartes n’est pas la même et la jurisprudence relative à la liberté de religion et à l’interdiction de la discrimination fondée sur la religion contenues dans la Charte canadienne ne peut être purement et simplement transposée à la Charte québécoise, car celle-ci contient un article 41 qui reconnaît le droit des parents d’exiger pour leurs enfants, dans les écoles publiques, «un enseignement religieux ou moral conforme à leurs convictions, dans le cadre des programmes prévus par la loi». Nous analysons la portée de cette disposition plus loin dans la présente étude.

[71] Loi modifiant diverses dispositions législatives dans le secteur de l’éducation concernant la confessionnalité, l.q. 2000, c. 24 (les dispositions dérogatoires figurent dans les article 67 et 68).

[72] C’est ainsi que, dans son Observation générale no 22 (48) (article 18) sur la liberté de religion (Doc. c.c.p.r./c/21/Rev. 1/add. 4, 20 juillet 1993), le Comité des droits de l’homme des Nations-Unies interprète comme suit les contraintes qui découlent du Pacte en matière de respect de la liberté de religion dans les écoles publiques: «6. Le Comité est d’avis que le paragraphe 4 de l’article 18 permet d’enseigner des sujets tels que l’histoire générale des religions et des idées dans les établissements publics, à condition que cet enseignement soit dispensé de façon neutre et objective. La liberté des parents ou des tuteurs légaux de faire assurer l’éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres convictions, prévue au paragraphe 4 de l’article 18, est liée à la garantie de la liberté d’enseigner une religion ou une conviction proclamée au paragraphe 1 du même article. Le Comité note que l’éducation publique incluant l’enseignement d’une religion ou d’une conviction particulière est incompatible avec le paragraphe 4 de l’article 18, à moins qu’elle ne prévoie des exemptions ou des possibilités de choix non discriminatoires correspondant aux voeux des parents ou des tuteurs [en anglais: unless provision is made for non-discriminatory exemptions or alternatives that would accommodate the wishes of parents and guardians]» (nous soulignons). Au même effet, voir les constatations du Comité dans l’affaire Erkki Hartikainen c. Finlande, communication No 40/1978; constatations du 9 avril 1981, doc. n.u. c.c.p.r./op/1/, p. 74 (1984); (1981) 2 Human Rights Law Journal 133. Dans cette affaire, l’auteur de la communication prétendait que l’article 18(4) du Pacte était violé du fait que, dans les écoles publiques finlandaises, les enfants de parents athés, exemptés de l’instruction religieuse obligatoire dispensée par l’école, et qui ne recevaient pas davantage une telle instruction en dehors de l’école, étaient tenus de suivre, à l’école, un cours d’histoire des religions et de la morale. Le Comité a rejeté ses prétentions de la façon suivante: «The Committee does not consider that the requirement of the relevant Finnish legislation that instruction in the study of the history of religions and ethics should be given instead of religious instruction to students in schools whose parents or legal guardians object to religious instruction is in itself incompatible with article 18(4), if such alternative course of instruction is given in a neutral and objective way and respects the convictions of parents and guardians who do not believe in any religion. In any event, paragraph 6 of the School System Act expressly permits any parents or guardians who do not wish their children to be given either religious intruction or instruction in the study of the history of religions and ethics to obtain exemption therefrom by arranging for them to receive comparable instruction outside of school» (par. 10.4).

[73] Opinion concurrente de M. Martin Scheinin, par. 1 et 2: «1. The Covenant does not require the separation of church and state, although countries that do not make such a separation often encounter specific problems in securing their compliance with articles 18, 26 and 27 of the Covenant. Varying arrangements are in place in states parties to the Covenant, ranging from full separation to the existence of a constitutionally enforced state church. […] 2. The plurality of acceptable arrangements in the relationship between state and religion relates also to education. In some countries, all forms of religious instruction or observance are prohibited in public schools, and religious education, protected under article 18 (4), takes place either outside school hours or in private schools. In some other countries there is religious education in the official or majority religion in public schools, with provision for full exemption for adherents of other religions and non-religious persons. In a third group of countries instruction in several or even all religions is offered, on the basis of demand, within the public system of education. A fourth arrangement is the inclusion in public school curricula of neutral and objective instruction in the general history of religions and ethics. All these arrangements allow for compliance with the Covenant. […]» (nous soulignons).

[74] «41. Les parents ou les personnes qui en tiennent lieu ont le droit d’exiger que, dans les établissements d’enseignement publics, leurs enfants reçoivent un enseignement religieux ou moral conforme à leurs convictions, dans le cadre des programmes prévus par la loi».

[75] John P. McEvoy, «Denominational Schools and Minority Rights», (2000) 12 National Journal of Constitutional Law, 449, 465-466.

[76] J. Woehrling, «L’obligation d’accommodement raisonnable…», loc. cit., 371-375.

[77] Cependant, dans la mesure où le Comité avait, dans l’affaire Ballantyne, écarté l’application des articles 26 (droit à l’égalité) et 27 (droits des minorités), se fondant uniquement sur l’article 19 (liberté d’expression), on ne peut considérer que la question ait véritablement été vidée. Par ailleurs, dans des constatations postérieures, dans l’affaire Diergaardt c. Namibie du 6 septembre 2000 (Communication No. 760/1997, Doc. n.u. ccpr/c/69/d/760/1997), le Comité a été majoritairement d’avis qu’une circulaire émise par le gouvernement de la Namibie (dont la constitution prévoit que l’anglais est la seule langue officielle), interdisant aux fonctionnaires publics l’usage d’une langue autre que l’anglais dans leurs communications officielles avec les administrés, même au téléphone, constituait une discrimination contraire à l’article 26 du Pacte international. Cette opinion majoritaire est justifiée par ce seul passage: «The Committee notes that the authors have shown that the State party has instructed civil servants not to reply to the authors’ written or oral communications with the authorities in the Afrikaans language, even when they are perfectly capable of doing so. These instructions barring the use of Afrikaans do not relate merely to the issuing of public documents but even to telephone conversations. In the absence of any response from the State party the Committee must give due weight to the allegation of the authors that the circular in question is intentionally targeted against the possibility to use Afrikaans when dealing with public authorities. Consequently, the Committee finds that the authors, as Afrikaans speakers, are victims of a violation of article 26 of the Covenant» (par. 10.10). On constate que trois facteurs sont soulignés: a) l’interdiction visait non seulement les communications écrites mais également les communications orales; b) l’État partie n’a tenté d’apporter aucune justification de la mesure incriminée; c) en l’absence d’une telle justification, le Comité est porté à croire les requérants lorsqu’ils allèguent que la circulaire visait intentionnellement à prohiber de façon particulière l’afrikaans, plutôt que toutes les langues n’ayant pas de statut officiel. La conclusion des membres majoritaires concernant la violation de l’article 26 a fait l’objet de dissidences fortement motivées de six membres du Comité (dont M. Max Yalden, ancien Commissaire aux langues officielles du Canada), qui ont souligné qu’un État a le droit de choisir une ou plusieurs langues officielles et d’exiger que les communications entre les citoyens et l’État se fassent uniquement dans cette ou ces langue(s). À leur avis, aucun droit de communiquer avec les autorités étatiques dans une langue autre que la ou les langue(s) officielle(s) ne saurait être déduit de l’article 26 (droit à l’égalité) ou de l’article 19 (liberté d’expression). L’opinion majoritaire dans cette affaire est difficile a concilier avec les constatations du Comité dans l’affaire Ballantyne. Elle est faiblement motivée et peu convaincante. Qui plus est, elle semble reposer sur une appréciation erronée des faits, certains des membres dissidents soulignant que la circulaire incriminée ne pouvait d’aucune manière être interprétée comme visant davantage l’afrikaans que les autres langues non officielles. Les opinions dissidentes nous paraissent mieux exprimer l’état du droit positif et du consensus doctrinal en la matière. Comme le dit notamment une de ces opinions, «[o]nce a State party has adopted any particular language or languages as official language or languages, il would be legitimate for the State party to prohibit the use of any other language for official purposes [...]» (opinion dissidente de p.n. Bhagwati, Lord Colville et Maxwell Yalden; par. 5). Voir également les opinions dissidentes de M. Abdalfattah Amor, de M. Nisuke Ando et de M. Rajsoomer Lallah.

[78] Par ailleurs, il est possible, comme nous l’avons souligné dans notre étude originale, de faire découler de certains droits fondamentaux ou du droit à l’égalité, l’obligation de l’État de reconnaître certains droits précis à des langues non officielles dans divers secteurs des relations entre les citoyens et l’État. Ainsi, en 1974, dans l’arrêt Lau c. Nichols (414 u.s. 563; 94 S.Ct. 786), la Cour suprême des États-Unis s’est fondée sur l’interdiction de la discrimination pour conclure que les écoles publiques devaient offrir des aménagements particuliers aux enfants minoritaires (chinois en l’espèce) qui ne comprenaient pas suffisamment l’anglais pour tirer profit de l’instruction dispensée. À la suite de cette décision, de nombreux États américains ont organisé un enseignement bilingue, dans lequel la langue minoritaire sert, parallèlement à l’anglais, de langue d’instruction, durant les premières années de la scolarité. De même, un certain nombre de décisions judiciaires ont reconnu le droit des Porto-ricains immigrés sur le continent de recevoir les documents électoraux en espagnol, sur le fondement du droit de vote et du droit à l’égalité.

[79] Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques, résolution 47/135 adoptée à l’unanimité par l’Assemblée générale des Nations Unies le 18 décembre 1992; a/res/47/135; reproduite dans (2001) 95-96 Terminogramme (Revue de recherche et d’information en aménagement linguistique et en terminologie de l’Office de la langue française du Québec), 247 suiv. Pour une analyse, voir notamment: Isse Omanga Bokatola, «La Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques», (1993) Revue générale de droit international public 745-765; Natan Lerner, «The 1992 UN Declaration on Minorities», (1993) 23 Israel Yearbook on Human Rights 111-128. Voir également: Syméon Karagiannis, «La protection des langues minoritaires au titre de l’article 27 du Pacte international du 19 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques», (1994) Revue trimestrielle des droits de l’homme, 202; P. Vandernoot, loc. cit.; Isabelle Schulte-Teckhoff et Tatjana Ansbach, «Les minorités en droit international» dans Alain Fenet, Geneviève Koubi, Isabelle Schulte-Teckhoff et Tatjana Ansbach, Le droit des minorités. Analyses et textes, Bruxelles, Bruylant, 1995, p. 15, aux p. 41 et s.

[80] Observation générale nº 23 (50) (art. 27), Doc. n.u. c.c.p.r./c/21/Rev.1/Add.5, 6 avril 1994; reproduite dans (2001) 95-96 Terminogramme (Revue de recherche et d’information en aménagement linguistique et en terminologie de l’Office de la langue française du Québec), 253 suiv.

[81] [1992] r.t. Can. nº 3, art. 30: «Dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques ou des personnes d’origine autochtone, un enfant autochtone ou appartenant à une de ces minorités ne peut être privé du droit d’avoir sa propre vie culturelle, de professer et de pratiquer sa propre religion ou d’employer sa propre langue en commun avec les autres membres de son groupe».

[82] Bokatola, loc. cit., p. 756-758.

[83] P. Vandernoot, loc. cit. 341.

[84] William A. Schabas, Précis du droit international des droits de la personne, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1997, p. 66.

[85] Par exemple, l’Observation no 22 sur la liberté religieuse, précitée, a été citée par le Tribunal des droits de la personne du Québec dans l’affaire Commission des droits de la personne du Québec c. Autobus Legault, [1994] r.j.q. 3027.

[86] Pour la définition proposée par le Professeur Capotorti, voir son étude, op. cit., p. 102. Le Secrétariat de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies a établi une compilation recensant un grand nombre de définitions proposées: e/cn.4/1987/wg.5/wp1.

[87] Série des Traités Européens no 157; traité ouvert à la signature des États membres du Conseil de l’Europe, entré en vigueur le 1er février 1998; reproduit dans La protection internationale des minorités linguistiques, op. cit., p. 280 et s.

[88] Série des Traités Européens no 148; traité ouvert à la signature des États membres du Conseil de l’Europe et à l’adhésion des États non membres, entré en vigueur le 1er mars 1998; reproduit dans La protection internationale des minorités linguistiques, op. cit., p. 263 et s.

[89] Reproduit dans La protection internationale des minorités linguistiques, op. cit., p. 291 et s.

[90] Pour un examen des instruments européens adoptés durant la dernière décennie, en particulier les trois mentionnés au texte, voir les études contenues dans La protection internationale des minorités linguistiques, (2001) 95-96 Terminogramme (Revue de recherche et d’information en aménagement linguistique et en terminologie de l’Office de la langue française du Québec; numéro préparé sous la direction de José Woehrling), 329 p.

[91] Cependant, il faut souligner que même si la liberté linguistique dans l’usage privé découle de la liberté d’expression et ne nécessite donc pas, en principe, d’être prévue spécifiquement, certains des nouveaux instruments européens contiennent néanmoins des dispositions garantissant certains éléments de cette liberté. Ainsi, l’article 11(2) de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales du Conseil de l’Europe énonce: «Les Parties s’engagent à reconnaître à toute personne appartenant à une minorité nationale le droit de présenter dans sa langue minoritaire des enseignes, inscriptions et autres informations de caractère privé exposées à la vue du public». Le paragraphe 69 du Rapport explicatif, relatif à cette disposition, se lit ainsi: «69. L’engagement visé dans ce paragraphe implique la possibilité de présenter “dans sa langue minoritaire des enseignes, inscriptions et autres informations de caractère privé exposées à la vue du public”». Naturellement, cela ne saurait exclure que les personnes appartenant à des minorités nationales devraient également utiliser la langue officielle et/ou d’autres langues minoritaires. L’expression «de caractère privé» se réfère à tout ce qui ne revêt pas un caractère officiel».

[92] M. Lévinet, loc. cit., 97; dans le même sens: P. Vandernoot, loc. cit., 358-359; S. Karagiannis, loc. cit., 205-206; M. Nowak, op. cit., 501-502.

[93] L’article 27 garantit le droit d’utiliser les langues minoritaires dans l’usage privé «interne» et dans l’usage privé «externe», mais non dans l’usage public de la langue.

[94] Affaires Dominique Guesdon c. France (no 219/1986, décision du 25 juillet 1990) et Yves Cadoret et Hervé Le Bihan c. France (no 22/1987 et 323/1988, décisions du 11 avril 1991).

[95] Les notes contenues dans le rapport explicatif de la convention relativement à cette disposition soulignent le caractère relativement peu contraignant des obligations qui en découlent pour les États parties: «64. Cette disposition ne régit pas toutes les relations entre l’individu appartenant à une minorité nationale et les autorités publiques. Ne sont, en effet, visées que les seules autorités administratives. Ces dernières doivent toutefois être entendues au sens large, englobant par exemple le médiateur. Tenant compte des éventuelles difficultés d’ordre financier, administratif, notamment dans le domaine militaire, et technique relatives à l’utilisation de la langue minoritaire dans les rapports entre les personnes appartenant à des minorités nationales et les autorités administratives, cette disposition a été libellée de façon très souple, laissant une marge d’appréciation importante aux Parties. […] 66. L’engagement des Parties relatif à l’usage de la langue minoritaire n’affectera en rien le statut de la ou des langues officielles du pays concerné. Par ailleurs, c’est délibérément que la Convention-cadre ne définit pas «les aires géographiques d’implantation substantielle ou traditionnelle des personnes appartenant à des minorités nationales». Il a, en effet, semblé préférable de choisir une formulation souple permettant de tenir compte des situations particulières des Parties concernées. Les mots «implantation... traditionnelle» font référence non pas à des minorités historiques, mais à celles qui «vivent toujours sur la même aire géographique […]».

[96] La note explicative 77, relative au paragraphe 2 de l’article 14 se lit ainsi: «Les alternatives formulées dans ce paragraphe —«... la possibilité d’apprendre la langue minoritaire ou de recevoir un enseignement dans cette langue»— ne s’excluent pas; même si l’article 14, paragraphe 2, n’impose aucune obligation de dispenser l’enseignement de et dans la langue minoritaire, il n’empêche pas les Etats Parties de le faire. L’enseignement bilingue pourrait être l’un des moyens de réaliser l’objectif de cette disposition. L’engagement énoncé dans ce paragraphe pourrait être étendu à l’éducation préscolaire» (nous soulignons).

[97] Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, (1976) 943 r.t.n.u. 13 (entré en vigueur le 3 janvier 1976).

[98] [1992] r.t. Can. nº 3. La Convention définit l’enfant comme tout être humain âgé de moins de 18 ans, sauf si la majorité est acquise plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable.

[99] La Recommandation est reproduite dans La protection internationale des minorités linguistiques, op. cit., p. 257 et s.

[100] Tove Skutnabb-Kangas & Robert Phillipson, «Linguistic Human Rights, Past and Present» dans Linguistic Human Rights - Overcoming Linguistic Discrimination (Tove Skutnabb-Kangas & Robert Phillipson, eds.), Berlin, Mouton de Gruyter, 1995, p. 71, à la p. 97; Barbara Wilson, La liberté de la langue des minorités dans l’enseignement. Étude de droit international et de droit suisse, Bâle, Helbing & Lichtenhahn - Bruxelles, Bruylant, 1999, p. 254; 257-258; Hurst Hannum, «The Rights of Persons Belonging to Minorities» dans Human Rights: Concept and Standards, unesco Publishing, 2000, p. 277, à la p. 292.

[101] Michel Lebel, «Le choix de la langue d’enseignement et le droit international», (1974) 9 Revue Juridique Thémis 221, 236 et 237: «Ce serait donner une extension très considérable au sens de l’expression “vie culturelle” que d’y inclure la création d’écoles minoritaires»; Hermod Lannung, «The Rights of Minorities» dans Mélanges Polys Modinos, Paris, Pédone, 1968, p. 192: l’auteur souligne que l’article 27 ne traite pas d’éducation. Soulignons cependant que ces deux auteurs ont exprimé leurs vues il y une trentaine d’années et que les opinions concernant les droits des minorités et la portée de l’article 27 ont considérablement évolué depuis, dans le sens d’une interprétation plus large de ces droits.

[102] Fernand De Varennes, Language Minorities and Human Rights, La Haye, Martinus Nijhoff Publishers, 1996, p. 217: «Whilst a state only has an obligation to act in a non-discriminatory way in the provision of public schooling when there is a sufficiently large number of students that are affected by the language choices of the state, the situation of linguistic minorities and private education presents a different approach altogether. As shown in the historical overview and in the discussion on Article 27 of the International Covenant on Civil and Political Rights, it now appears to be a generally accepted standard to allow members of a linguistic minority to freely carry on activities in their own language. There also appears to be a growing consensus that this includes the right to instruct privately their children in their language, free from state restrictions, save general educational standards and the government’s legitimate interest in requiring from all citizens some knowledge of the majority or official language, but also without any obligation on the state to provide financial support». De même, dans son étude de 1979, op. cit., le Professeur Capotorti s’exprime comme suit en ce qui concerne la portée de l’article 27 pour ce qui est des droits des minorités en matière d’enseignement: «L’emploi des langues des groupes minoritaires dans l’enseignement est un critère fondamental pour déterminer si ces groupes ont la possibilité de conserver et de développer les caractéristiques qui leur sont propres. La langue étant un élément indispensable de la culture, la capacité de survie d’une minorité en tant que groupe culturel se trouve compromise si aucun enseignement n’est dispensé dans cette langue. Il est donc permis de douter de l’efficacité de mesures prises en faveur de la vie culturelle d’un groupe qui est privé d’instruction dans sa propre langue» (p. 107).

[103] T. Skutnabb-Kangas & R. Phillipson, loc. cit., p. 109: «It is vital that minorities are entitled to education through the medium of their own languages, rather than in their own languages, i.e. merely studying them as subject. Many studies show that when minority mother tongues are taught as subjects only, language shifts generally ensues […]».

[104] Lindgren c. Suède, communications Nos 298/1988 et 299/1988; constatations du 9 novembre 1990; (1991) 12 Human Rights Law Journal 24 et 25. Les auteurs de la communication, des parents suédois d’enfants fréquentant des écoles privées, invoquent l’article 26 du Pacte pour se prétendre victimes de discrimination dans la mesure où leurs municipalités de résidence avaient refusé de prendre en charge les frais d’achat de manuels scolaires et de repas à l’école pour leurs enfants, alors que les parents dont les enfants fréquentent l’école publique bénéficient d’une assistance financière pour de telles dépenses. En arrivant à la conclusion qu’il n’y avait pas de violation du Pacte, le Comité a raisonné comme suit: «The parents of Swedish children are free to take advantage of the public sector schooling or to choose private schooling for their children. The decision of the authors of these communications to choose private education was not imposed on them by the State party and the municipalities concerned, but reflected a free choice recognized and respected by the State party and the municipalities. Such free decision, however, entails certain consequences, notably payment of tuition, transport, textbooks and school meals. The Committe notes that a State party cannot be deemed to discriminate against parents who freely choose not to avail themselves of benefits which are generally open to all. The State party has not violated article 26 by failing to provide the same benefits to parents of children attending private schools as it provides to parents of children at public schools» (par. 10.3). Par conséquent, le refus de subventionner les écoles privées, alors que les écoles publiques le sont, ne constitue pas une discrimination au sens de l’article 26 du Pacte. On notera cependant que, dans cette affaire, les parents ne prétendaient pas expressément que leur choix d’envoyer leurs enfants dans des écoles privées était motivé par leurs convictions religieuses ou philosophiques. De même, le Professeur Dinstein s’exprime comme suit en ce qui concerne l’absence d’obligation de l’État de financer les écoles privées religieuses (ses remarques pouvant être transposées aux écoles établies pour des raisons linguistiques): «It further stands to reason that — as a rule — the State is not obligated to finance the operation of parochial schools. International law does not preclude a State from subsidizing these schools if it so desires, but, generally speaking, the religious minority concerned must assume the financial burden of running them. It is arguable, nevertheless, that a duty to assist a specific minority may arise for the State in exceptional situations (e.g., when the minority is inordinately indigent)»; voir: Yoram Dinstein, «Freedom of Religion and the Protection of Religious Minorities», (l990) 20 Israel Yearbook on Human Rights 155, 170.

[105] F. Capotorti, op. cit., p. 105; Patrick Thornberry, International Law and the Right of the Minorities, Oxford, Clarendon Press, 1991, p. 186 et 187.

[106] Op. cit., p. 193. Le Professeur Dinstein, qui ne partage pas l’idée que l’article 27 oblige les États à assister financièrement les écoles religieuses minoritaires, estime également que l’article 27 doit logiquement conférer des droits autres que ceux découlant déjà des articles 18 et 26, mais pour lui cette dimension supplémentaire réside dans le caractère collectif des droits de l’article 27; voir Dinstein, loc. cit., 167.

[107] Les paragraphes 72 et 73 du Rapport explicatif, relatifs à l’article 13, se lisent comme suit: «72. L’engagement des Parties à reconnaître aux personnes appartenant à des minorités nationales le droit de créer et de gérer leurs propres établissements privés d’enseignement et de formation est formulé sous réserve de leur système éducatif, et notamment de la réglementation en matière d’enseignement obligatoire. Les établissements visés dans ce paragraphe pourront être soumis aux mêmes contrôles que les autres établissements, notamment en ce qui concerne la qualité de l’enseignement. Les conditions d’enseignement remplies, il est important que les diplômes décernés soient officiellement reconnus. La législation nationale sur ces points doit se fonder sur des critères objectifs et respecter le principe de la non-discrimination. 73. L’exercice du droit visé au paragraphe 1 n’implique aucune obligation financière à la charge de la Partie concernée mais n’exclut pas non plus la possibilité d’une telle contribution».

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