Diversité institutionnelle et mythe de la constitution historique dans la Révolution libérale: la Breve noticia del Reyno de Navarra de Hermida (1811)

AutorJean-Baptiste Busaall
Páginas333-408

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A Cadix, en août 1811, les Cortès générales et extraordinaires réunies depuis un peu moins d`une année entrèrent de plain-pied dans le débat constituant. Pour le président de l`Assemblée, Ramón Giraldo 1, était heureusement arrivé "el deseado día en que vamos a ocuparnos en el más grande y principal objeto de nuestra misión. Hoy se empieza a discutir el proyecto formado para el arreglo y mejora de la Constitución política de la Nación española, y Page 334 vamos a poner la primera piedra del magnífico edificio que ha de servir para la salvar a nuestra afligida Patria, y hacer la felicidad de la Nación entera" 2.

Dans la première partie du discours préliminaire, écrit par plusieurs membres de la Commission de Constitution 3 pour présenter le 18 août 1811 son projet à l`"auguste Congrès", est faite cette affirmation bien connue que "nada ofrece la Comisión en su proyecto que no se halle consignado del modo más auténtico y solemne en los diferentes cuerpos de la legislación española (...)" 4 mais l`excuse pour ne pas entrer dans les détails est l`urgence, le manque d`auxiliaires littéraires et l`impatience du public. Trois modèles normatifs historiques furent revendiqués et la Commission d`évoquer les lois fondamentales de l`Aragon, de la Castille et de la Navarre pour appuyer les principes du projet. De la "Constitution" du petit royaume du Nord de la péninsule, la Commission fait une description relativement longue et détaillée. Le discours revient fréquemment sur elle à propos de la représentation en Cortès, de leur forme, de ses lois criminelles sages, de la compétence territoriale exclusive de ses tribunaux ou de la conservation de son gouvernement local, c`est-à-dire de la forme de ses municipalités et surtout de la résistance que la Navarre a su opposer aux assauts lancés par des gouvernements arbitraires contre ses Fueros 5.

Cette description est presque simultanée 6 avec celle que fait le député pour la province de Santiago, Benito Ramón de Hermida, dans un petit ouvrage qu`il publie en hommage aux Cortès de Cadix: Breve noticia de las Cortes, gobierno ó llamese Constitución del Reyno de Navarra 7. Cet opuscule de 44 pages, très rarement cité dans les études portant sur la révolution libérale dans la Guerre d`Indépendance 8, est la seule référence accompagnée d`une description assez poussée des institutions publiques de la Navarre. Ce qui est intéressant dans la Page 335 concomitance de l`utilisation de cet exemple institutionnel, c`est que l`une émane du discours d`un organe officiel dont l`orientation politique est libérale, et l`autre paraît dans un ouvrage indépendant écrit par un député servil (infra). D`autre part, ces mentions en 1811 sont très tardives dans un débat qui depuis 1808 n`a cessé de recourir au thème de la "Constitution historique" pour revendiquer la nécessité de réunir des Cortès pour qu`elles puissent recouvrer ces institutions que l`absolutisme a tenté de rendre caduque "aprovechando sagazmente las preocupaciones, los errores y delirios de la superstición y el imperio que esta ejercía sobre los espíritus, después de interceptar las comunicaciones de la luz, obstruir las vías y cerrar todos los pasos del saber" pour "envilecer y degradar el corazón español, que familiarizado con sus cadenas las amaba y hacía mérito de ser esclavo" comme le dit Martínez Marina 9. Ce débat n`avait pas manqué de faire renaître les questions qui avaient été suscitées au XVIIIe siècle par les réflexions sur le contenu de la Constitution historique en rapport avec la structure plurale de la Monarchie espagnole remise en cause par la Nueva Planta imposée par Philippe V après la guerre de succession, sauf en Navarre et dans les provinces basques où les Fueros avaient été conservés et étaient restés en vigueur jusqu`à la Guerre d`Indépendance 10.

L`intérêt de présenter cette Breve noticia, un ouvrage au milieu d`un torrent de publications favorisées par la liberté de la presse 11, comme nous avons tenté de l`induire, est double: il est une rare et tardive référence à la Navarre dans un débat qui prétend se nourrir de la réalité des institutions traditionnelles et qui laisse de côté celles qui avaient survécu jusqu`alors, et il est concomitant avec le discours préliminaire, les deux utilisant les mêmes institutions pour parvenir à des conclusions politiques opposées. Pour introduire un commentaire du texte de Hermida 12 (3), ce défenseur de la monarchie traditionnelle, il convient de le replacer dans son double contexte, celui idéologique du discours sur la "Constitution historique" dont il faut souligner les caractéristiques (1) et celui objectif du protagonisme des institutions du Royaume de Navarre au moment de la Guerre d`Indépendance, localement et dans le discours (2).

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I Réformer la "constitution historique": la construction d`un discours politique ambigu

Si la révolution atlantique n`avait pas manqué de toucher l`Espagne, notamment avec la Révolution française, ce sont les grands plans européens de l`Empereur qui précipitèrent sa monarchie dans les bouleversements politiques et institutionnels qu`impliquent la mise en place des gouvernements constitutionnels, conséquence et objet des révolutions libérales. La présence et l`attitude ambiguë des armées alliées françaises entrées en Espagne à destination du Portugal 13 furent l`élément catalyseur de la chute du favori Manuel Godoy, système de gouvernement "archaïque" 14 en ce début de XIXe siècle. Les événements de mars 1808 à Aranjuez, avec l`émeute provoquée contre l`honni Prince de la Paix suivie de l`abdication de Carlos IV ne furent que le début de la crise dans laquelle les querelles de la famille régnante entraînèrent le pays en donnant à Napoléon, une occasion qu`il n`avait sans doute pas cru pouvoir espérer de renverser le dernier trône des Bourbon 15. Entraîné dans le piège que l`Empereur organisa à Bayonne, l`inexpérimenté et en partie mal conseillé jeune Fernando VII fut forcé à l`abdication, laissant aux yeux des Espagnols hostiles à l`intervention française la monarchie acéphale, quelques jours seulement après le début du soulèvement populaire du 2 mai à Madrid qui allait conduire au soulèvement patriotique dans toute l`Espagne. La veille de son abdication, il expédia un ultime décret pour convoquer des Cortès 16 prétendant leur faire jouer un rôle autre que celui purement formel de reconnaissance des rois et princes des Asturies auquel elles avaient été réduites par la monarchie absolue 17.

C`est par le processus de convocation et de réunion des Cortès (1) que le discours sur la réforme de la "Constitution historique" fut officialisé donnant lieu à un Page 337 mythe fondateur du nouveau régime libéral (2) sans que les recherches sur la pluralité des institutions historiques ne formulent de solutions politiques concrètes (3).

1. De la convocation à la réunion des premières cortès générales pour toute la monarchie espagnole

La création de juntes locales et provinciales puis la création d`une Junte Suprême Centrale de Gouvernement du Royaume donnèrent à l`Espagne le gouvernement qui devait assumer la souveraineté que les patriotes refusèrent de reconnaître à Joseph Bonaparte, roi constitutionnel que son frère l`Empereur des Français plaça à la tête de la nouvelle pièce de son système européen 18. Le caractère extraordinaire du pouvoir de la Junte Centrale fut la raison pour laquelle le grand ilustrado Jovellanos, représentant de la Principauté des Asturies au sein du nouveau gouvernement central installé à Aranjuez le 25 septembre 1808, proposa d`annoncer 19 une réunion prochaine des Cortès pour renouer avec la légalité de la Constitution historique de la Monarchie. En effet, dans ce rapport sur l`établissement du gouvernement intérimaire, il s`appuya sur la Ley de Partida et la Ley de Especulo pour convaincre sans succès ses pairs. Sa proposition mérite d`être soulignée car ce qu`elle met en évidence c`est l`introduction du thème de la Constitution historique dans le débat politique et institutionnel de la Guerre d`Indépendance. Santos M. Coronas a montré que pour Jovellanos et quelques autres, "apenas (...) una docena de jurisconsultos" at-on envie de d`écrire à l`instar de Don Gaspar 20, la récupération de normes historiques ordonnant le Page 338 fonctionnement du pouvoir en limitant son extension avait été un objet de préoccupations essentielles dans l`exigu champ politique de leurs activités polyvalentes d`hommes des Lumières 21.

Calvo de Rozas relança la proposition de réunir des...

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