Le créole aux antilles françaises son emploi administratif et public

AutorGeorg Kremnitz
CargoProfessor de llengues romàniques a la Universitat de Munster
Páginas11-29

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Il sera peut-être utile, avant de rentrer dans les détails du sujet, de faire quelques remarques sur les langues créoles en général et sur leurs particularités, et ensuite sur les Départaments d'Outre-Mer français (DOM), car ce n'est que dans ce cadre linguistique, historique et géographique que l'on pourra saisir les particularités de l'emploi du créole dans la vie publique.

1. Les langues créoles et leurs particularités

1.1. Pour savoir ce qu'est une langue créole, selon les définitions que les créolistes actuels donnent à ce terme, il faut en introduire un autre, celui de pidgin, intimement lié au premier. De nos jours, le terme de pidgin s'est généralisé pour désigner toutes les langues auxiliaires qui peuvent voir le jour lors des contacts qui s'établissent entre des membres de deux ou plusieurs groupes linquistiques différents; ces langues «naissent» donc avec l'établissement des contacts et elles disparaissent avec leur fin1. Tous ceux qui les emploient utilisent habituellement une ou plusieurs autres langues pour leurs besoins communicatifs courants. Les pidgins en général se caractérisent par un lexique assez restreint et une grammaire que l'on dit souvent rudimen-taire; il serait peut-être plus juste de dire qu'elle ne retient que les distinctions vraiment importantes pour la communication (des catégories grammaticales en grande partie inutiles comme p. ex. le genre grammatical dans la plupart des langues européennes disparaissent). Le fait que les pidgins soient

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uniquement des langues auxiliaires explique facilement que la plupart du temps elles jouissent de bien peu de prestige: on ne les utilise qu'en cas de besoin2

On appelle pidginisation3 le mouvement vers la simplification lexicale et grammaticale d'une langue. Des tendances vers la pidginisation se font voir dans un grand nombre de situations de contact, sans pourtant qu'elles aboutissent dans chaque cas à un pidgin constitué. Ainsi, le portugais montre au Brésil des traits de pidginisation, ou bien l'allemand de nombreux travailleurs étrangers en contient; on n'y est cependant pas arrivé à la constitution de véritables pidgins stables, toutes les conditions sociales n'étant apparemment pas réunies.

Malgré cela le nombre des pidgins est assez élevé, et il nous semble qu'on soit encore loin de les avoir répertorié tous.4

1.2. Il se peut que sous certaines conditions historiques précises -qu'on est loin de pouvoir déterminer toutes à l'heure actuelle- une langue auxiliaire (pidgin) devienne langue maternelle et par conséquent moyen de communication exclusif ou tout au moins principal pour certains groupes de locuteurs; à partir de ce moment-là on l'appelle créole. Dans la mesure où le créole est la langue principale de toute une communauté linguistique, même si elle est petite, il tend à garder des structures grammaticales plus stables et à élargir son lexique par rapport au pidgin.5 Ces dernières années, certains créolistes ont avancé l'idée qu'il puisse y avoir des cas de créolisation sans pidginisation préalable; nous avouons que cette hypothèse nous paraît peu probable dans la mesure où nous voyons mal une langue maternelle se constituer dès les premiers contacts entre locuteurs de langues diverses. Il doit y avoir nécessairement une période -qui peut être brève- d'auxiliarité.6

On voit donc que les différences entre pidgin et créole ne sont pas toujours immédiatement visibles, et il est bien possible qu'il y ait des périodes plus ou moins indécises ou qu'un pidgin passe au stade de créole à certains endroits tandis qu'il reste langue purement auxiliaire ailleurs. Un des pidgins les plus connus (et qui a fait preuve d'une longévité étonnante), la lingua franca de la Méditerranée, qui a assuré la communication entre Européens et Orientaux, est sans doute pendant certaines périodes devenue un créole dans certains communautés restreintes de l'Afrique du Nord, tandis que'en général

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on s'en est servie en tant que pidgin (il est d'ailleurs sans doute un peu osé de parler de cette langue au singulier, car elle a dû montrer des variations importantes dans l'espace et dans le temps).7

1.3. Historiquement, la colonisation de parties importantes du monde par les Européens a créé des conditions particulièrement favorables à la naissance de nombreux pidgins et créoles. Cette colonisation, on a parfois tendance à l'oublier, a été à l'origine de migrations importantes (le plus souvent involontaires); il suffit de penser à l'importation de plusieurs millions d'Africains sur le sol de l'Amérique, en général en tant qu'esclaves (mais ce n'est de loin pas la seule déportation de masses)- Ils ont été forces de quitter leur pays pour travailler soit dans les mines soit sur les plantations (canne à sucre, café, coton...). On a arraché ces gens à leur contexte social et on les a obligé à vivre dans un monde tout différent, parmi des inconnus, et dans un système qui pour eux était inhumain. Les besoins de communication -avec les maîtres, avec les autres esclaves-, la multitude des langues en présence et le poids social écrasant des maîtres on fait que leurs langues sont à la base non seulement du lexique, mais également d'un grand nombre de traits grammaticaux des langues créoles. Il ne faut cependant pas sousestimer l'apport des Africains, même s'il est souvent malaisé de le définir. Sans les Africains ces créoles n'auraient sans doute pas vu le jour; il est donc licite de penser qu'ils leur ont laissé d'empreintes nettes. Les conditions précises de la genèse des créoles restent matière de discussion et nous ne pourrons pas, dans cette introduction rapide, rentrer dans les détails d'un débat maintenant séculaire.8

Nous trouvons donc des créoles à base (lexicale) française, anglaise, hollandaise, portugaise en Amérique, surtout en Amérique Centrale où le nombre des Africains à été particulièrement élevé. Les créoles se sont essentiellement maintenus dans des communautés restreintes et de surcroît isolées. Des créoles à base française se trouvent, en Amérique, dans les pays suivants: en Lousiane, en Haïti, à la Guadeloupe (et sur certaines de ses dépendances), à Saint-Thomas, à la Martinique, à la Dominique (Dominica), à Sainte- Lucie, à Grenade et aux Grenadines, à la Trinité (Trinidad) et en Guyane française.9 Trois de ces territoires, la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane française, appartiennent toujours à la République Française, les autres sont ou indépendants (après avoir été sous domination anglaise, en général) ou dépendent des

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Etats-Unis. Nous parlerons ici essentiellement de la Martinique et de la Guadeloupe; en Guyane, les choses se compliquent puisque la population se compose de plusieurs groupes linguistiquement et ethniquement très différents les uns des autres ce qui modifierait des points de détail; parfois nous jeterons un regard sur Haïti pour pouvoir comparer.10

2. Quelques éléments de l'histoire des DOM

2.1. Les trois territoires encore français appartiennent aux restes du premier empire colonial français (l'existence de créoles français dans d'autres pays permet de. saisir la grandeur maximale de cet empire) : la Martinique et la Guadeloupe ont été occupées en 1635, tandis que la fondation de Cayenne remonte même à 1604.11 Au départ, ces nouvelles colonies étaient destinées à être peuplées d'Européens et à vivre de la polyculture, mais après des périodes d'indécision ce fut essentiellement la monoculture de la canne à sucre qui devait produire la prospérité de ces pays. Celle-ci nécessite una main-d'oeuvre abondante, et par conséquent l'importation d'esclaves africains reprend de plus belle, à l'instar des colonies espagnoles et portugaises depuis le XVIe siècle.12 La population servile dépassa vite en nombre les blancs, rendant nécessaire un système de gouvernement répressif pour empêcher les révoltes et le marronage. A la Martinique, p. ex., le pourcentage des noirs approcha 49 % en 1664, mais il passa à 69 % en 1699, pour atteindre 89 % à la veille de la révolution française.13 Au cours du XIXe et XXe siècle ce pourcentage a encore augmente. Le système esclavagiste a duré, avec une interruption brève, jusqu'en 1848, bien qu'un nombre croissant d'esclaves ait été libéré avant cette date. Après la libération, un grand nombre d'anciens esclaves quitte les plantations ce qui rend nécessaire l'importation d'ouvriers étrangers, en provenance de l'Inde surtout,14 mais parfois également de la Chine et d'autres pays. Leur intégration n'a pas été facile, et dans certains pays de la région les oppositions ethniques continuent à jouer un rôle politique et social important. Cependant, la prospérité antérieure n'a pas été retrouvée: au XIXe le sucré fabriqué à partir de la betterave a commencé à concurrencer le sucre provenant de la canne. Le lent déclin de toutes les îles, qu'elles soient indépendantes ou non, devient sensible à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. Il faut ajouter qu'après les différentes guerres anglo-françaises au XVIIIe et les suites de la révolution de 1789, la France a perdu la plupart de ses colonies dans cette région, ne gardant après 1815 que les trois DOM actuels.

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Cette période, entre 1848 et 1946, se caractérise par une autonomie relative des trois colonies, le gouverneur, envoyé de Paris, ayant un pouvoir de décision considérable et étant contrôlé de facto uniquement par les notables blancs, descendants des anciens esclavagistes (à la Martinique on les appelle toujours békês),15 auxquels s'ajoutent quelques représentants de la bourgeoisie colorée qui commence à se constituer. Les contradictions sociales sont cependant importantes, de nombreux mouvements de grève qui tournent parfois en révolte le prouvent. Ce système se saborde pratiquement lui même sous le gouvernement de Vichy (1940-44), par le racisme exacerbé des gouvernants.

En 1946, l'Assemblée Nationale de la France vote la départementalisation des trois colonies (et de la Réunion, dans l'Océan Indien). Le rapporteur de cette loi est Aimé Césaire, jeune député maire de Fort-de-France (PCF) et l'un des fondateurs du mouvement de la négritude, poète et enseignant. Si la départementalisation politique se fait assez rapidement et sans trop de bavures (certains règlements d'exception continuent à exister), sur le plan économique et social elle est très lente et, pour employer un jeu de mots très répandu, au lieu de se sentir «Français à par entière», de nombreux Antillais et Guya-nais continuent à se sentir «Français entièrement à part». Les difficultés économiques croissantes des dernières décennies n'ont rien fait pour arranger les choses.16

Tout cela, en relation avec la décolonisation nominale, surtout en Afrique, a amené le défenseur le plus prestigieux de la départementalisation, Césaire, à revenir sur ses pas et à revendiquer une autonomie interne, lors de la fondation du nouveau Parti Progressiste Martiniquais en 1956/57. Ses adhérents parlent du peuple, voire de la nation martiniquaise, revendiquant ainsi une identité particulière;17 des mouvements semblables se sont exprimés à la Guadeloupe et en Guyane. Il convient de rappeler qu'un des théoriciens les plus connus de la décolonisation, Frantz Fanon (1925-1961) a été Martiniquais.18 Entretemps, il y a partout des mouvements indépendantistes qui revendiquent la séparation complète de la France; depuis 1980, un nombre considérable d'attentats à la bombe a été commis, surtout à la Guadeloupe. Même si ces mouvements n'ont pas encore une importance numérique très grande, ils font des progrès et posent ainsi aux Antillais et Guyanais et à l'Etat français des problèmes fondamentaux.19

2.2. Légalement, les DOM sont des départements comme tous les autres. Cela veut dire qu'il n'y a pratiquement pas de législation particulière

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qui tienne compte des différences spécifiques. Ce rigorisme a été maintenu même lors de la récente réforme administrative, à la seule exception près que chacun des trois départements est en même temps une région, créant ainsi une rivalité entre le Conseil Général (du département) et le Conseil Régional (surtout dans le cas de majorité politique différente). Par conséquent, cette réforme a déçu tout le monde, n'allant pas assez loin pour les uns, sciant les liens qui unissent les DOM à la France pour les autres.

Dans le domaine qui nous intéresse ici particulièrement, cela veut dire qu'il n'y a pas de législation particulière dans les domaines culturel et linguistique. Le monolinguisme français, règle suprême de la politique linguistique de la France, du moins depuis la révolution de 1789, s'applique également aux DOM.20

3. Situation linguistique des DOM

3.1. A la Martinique et à la Guadeloupe, on peut dire que la quasitota-lité de la population parle le créole, faisant exception surtout des Français métropolitains, immigrés récemment et voulant rester dans le pays pour une période limitée. Il y a des différences de degré des connaissnaces du créole (et de sa pratique), mais il est malaisé de les déterminer.21 Une partie importante de la population cependant utilise le créole habituellement ou même presque exclusivement. Des monolingues créoles, incapables de soutenir une conversation suivie en français existent, surtout parmi les gens plus âgés. Les choses se compliquent par le fait que très souvent on rencontre des productions linguistiques intermédiaires, juxtaposant des traits créoles et des traits français. L'analyse de ces productions est assez difficile, étant donné qu'il faudra tenir en compte les conditions d'émission et de réception -un texte émis comme français peut être entendu comme créole et vice versa.22 En plus, la conscience linguistique des locuteurs influence leur comportement.

L'ensemble de la population est censé savoir le français. Nous venons de dire que la réalité n'est pas nécessairement ainsi, bien que les connaissances du français aient fortement progressé depuis la généralisation de l'école (depuis la départementalisation à peu près) et plus tard l'introduction des mass-media oraux, radio et télévision. Il doit y avoir néanmoins une relation étroite entre analphabétisme (ou semi-analphabétisme) et maîtrise imparfaite du français.23

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3.2- Les deux langues jouissent d'un prestige tout différent aux yeux des locuteurs: tandis que le français est généralement admis et valorisé les attitudes face au créole sont très contradictoires, allan de la (dé-)qualification de patois à celle d'une «langue comme les autres»24

Il est clair que le passé dessert le créole. Il était la langue des esclaves noirs25 et des mulâtres libérés qui, eux, étaient en général le produit d'unions illégitimes, souvent passagères. Selon les remarques des premiers observateurs du XVIIe siècle, ce n'est donc pas une langue, mais ou un patois ou un mélange marqué par le signe de cette illégitimité. Si l'on voulait se libérer de sa condition misérable, il fallait passer par le français, s'acculturer, s'assimiler, se défaire de tout ce qui était africain -ou américain- créole.26 Cette tendance à l'imitation servile de tout ce qui était français et au rejet de toute différence s'accentua après 1848 quand une certaine ascension sociale devenait enfin possible. Les préjugés linguistiques, formulés le plus ouvertement par l'Abbé Grégoire dans son rapport devant la Convention en 1794 sur l'anéantissement des patois, ont trouvé un large écho dans les colonies (peut-être faut-il rappeler que l'Abbé Grégoire était en même temps un des adversaires les plus décidés de l'esclavage). Le peu d'estime que l'on accordait au créole trouva d'autres arguments dans l'absence d'un passé prestigieux et la non-existence de normes littéraires et de grammaires descriptives et/ou normatives.27 On pouvait donc facilement prétendre que le créole ne pouvait suffire à tous les emplois. Les quelques travaux littéraires publiés au XIXe sont par conséquent en général des textes de divertissement, très peu sûrs sur les plans de la graphie et de la grammaire.28 Il est clair que la politique linguistique et culturelle de la France a renforcé ces tendances.

Ce n'est qu'au moment de l'avènement de la négritude comme mouvement culturel et intellectuel que les conditions pour une reprise en considération du rôle réel et possible du créole se sont améliorées. Il faut dire néanmoins que là encore son rôle était ambivalent: les protagonistes de la négritude francophone -Senghor, Damas, Césaire- se sont exprimés en français; pour pouvoir revendiquer le droit à la différence, il leur fallait d'abord absorber la culture française et européenne dont le véhicule était le français.29 Pour ceux d'entre eux qui ont vécu dans un contexte créolophone -la question ne se pose pas pour Senghor- le créole reste une réalité ambiguë, ni africaine ni française. Ils refusent, comme les blancs, le «mélange» et, cherchant les ori-

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gines pures, ils n'y voient pas (peut-être parce qu'ils n'y peuvent pas voir, à partir de leurs antécédents intellectuels) une forme d'expression originale des peuples antillais et ils ne songent pas à l'utiliser pour leurs écrits. Une interview très intéressante qu'Aimé Césaire a accordé beaucoup plus tard à J. Lei-ner montre à quel point le grand poète et leader politique est pris au dépourvu quant elle lui pose la question de l'emploi du créole.30

Il a, bien sûr, un argument en sa faveur, à savoir le fait que la plupart des créoles français ne disposent toujours pas de graphie fixée ni de grammaire normative reconnues par l'ensemble des usagers. C'est-à-dire que les conditions préalables ne sont pas remplies pour que ces langues puissent fonctionner normalement dans un contexte moderne. Les deux seules exceptions à cette situation se trouvent à Haïti, où les débats autour de l'orthographe et de la grammaire durent depuis au moins un demi-siècle et ne semblent toujours pas définitivement clos, où cependant on emploie maintenant le créole pour l'alphabétisation et l'instruction élémentaire,31 et aux Seychelles, où grâce à une intervention plus massive du gouvernement les choses semblent aller plus vite32 Dans tous les autres pays créolophones les essais de normativisa-tion de la langue reposent sur des initiatives privées, contrecarrées autant que possible par les gouvernements respectifs et souvent répudiées par les élites locales.

Si l'on considère la négritude comme une sorte d'antithèse à l'europocen-trisme,33 cherchant le salut dans tout ce qui est africain (certains écrits de Césaire sont éloquents à ce sujet), ce n'est qu'au moment où une sorte de synthèse américaine entre les origines différentes commence à s'établir que le rôle social du créole peut vraiment être réconsidéré- Une telle réévaluation à été préparée par la négritude, par l'ethonologie moderne et par les mouvements de libération nationale, en France également par le sursaut de minorités linguistiques de la métropole aux alentours de 1968. C'est à cette période également qu'on commence, sur place, à réfléchir sérieusement à l'instrumentalisation du créole, étant donné que celle du haïtien commence à fonctionner dans une certaine mesure. Les problèmes scolaires des enfants de langue créole commencent à alarmer les pédagogues puisque de nouvelles couches sociales sont touchées par l'enseignement moderne; en général, l'on commence à se rendre- compte que l'intégration complète et forcée des Antillais au monde français coûte un prix parfois élevé.34 Les travaux de Fanon et de Memmi commencent à être connus, et les termes d'aliénation linguistique et ethnique35 commencent à circuler. Dans ce contexte, une situation linguistique différente

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qui abolirait la diglossie existante qui fonctionne en faveur du français, devient imaginable pour certains membres de l'intelligentsia antillaise et guyanaise. L'émigration de nombreux Antillais en métropole y contribue également dans le sens d'une prise de conscience souvent douloureuse de leur différence. L'emploi public du créole augmente, surtout à partir du moment où, vers 1970, certains syndicats, d'abord à la Guadeloupe, (Union des Travailleurs Agricoles) commencent à utiliser systématiquement le créole et obtiennent ainsi un important succès populaire, créant les conditions de cohésion interne pour les dures grèves des ouvriers de la canne à sucre au début des années 1970. C'est à partir de ce moment-là que la revendication de l'emploi élargi du créole devient un élément du débat politique, trouvant ses supporteurs aussi bien que ses adversaires acharnés; ceux-ci établissent une équation entre adhérents du créole = autonomistes ou indépendantistes et tenants du français = partisans du statut quo.

Les changements ont été mineurs et plutôt «souterrains» sous les présidents Pompidou et Giscard d'Estaing. Les prises de position de F. Mitterrand et du Parti Socialiste ont créé de grands espoirs (ou de craintes considérables); cependant, les changements intervenus depuis 1981 ont été peu considérables jusqu'à présent, se traduisant plutôt par des nuances. Ainsi, pour la première fois, un Guyanais est devenu recteur de l'Académie des Antilles-Guyane en 1982, le médecin et poète Bertène Juminer. Mais le créole continue à ne pas exister légalement, même l'élargissement de la loi Deixonne du 11 janvier 1951 sur l'enseignement des langues minoritaires en France -qui ne prend pas en considération le créole- que l'on croyait pourtant imminent, ne s'est pas fait jusqu'à présent. La présence massive du créole dans les communications de tous les jours crée cependant une situation particulière, différente de celle des langues minoritaires de la métropole.

4. L'emploi public du créole

De ce que nous venons de dire il résulte facilement que la situation véritable du créole est assez ambiguë, selon la formule d'Edouard Glissant:

La langue officielle, le français, n'est pas la langue du peuple. [...] La langue du peuple, le créole, n'est pas la langue de la collectivité.

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Il y a donc plutôt des situations de fait que des situations légalement constituées et il est souvent difficile de les saisir réellement. Il va de soi que l'emploi du créole augmente au fur et à mesure que l'on descend sur l'échelle sociale, que l'on a des interlocuteurs plus âgés, que l'on s'éloigne des villes.37 D'autre part, l'ignorance d'une norme écrite du créole en empêche souvent

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l'emploi écrit même dans des cas où des locuteurs semblent être disposés à l'utiliser.38 Un dernier handicap sérieux est la conviction qui se retrouve chez un grand nombre de locuteurs que les créoles des différentes îles sont mutuellement inintelligibles; Cette question de l'unité où de la multiplicité du/des créole(s) français n'est toujours pas résolue, même sur le plan scientifique. Il convient cependant de dire que les créoles des îles de l'Amérique Centrale se ressemblent tous beaucoup et que l'intercompréhension se fait rapidement: le fait est devenu évident pour les locuteurs à travers l'existence d'un tourisme inter-antillais par lequel des habitants des îles françaises et (autrefois) anglaises se rencontrent et constatent que le créole est le seul moyen de communication qu'ils aient en commun. On a donc l'impression que ces différences sont plutôt du niveau dialectal. Les choses se compliquent un peu, si l'on prend en considération également les créoles louisianais et guya-nais (qui résultent toutefois compréhensibles pour les Antillais, au prix d'un petit effort), et surtout les créoles de l'Océan Indien (Réunion, Ile Maurice et Rodrigues, Seychelles).39 D'autre part, il semble que là encore, une certaine initiation scolaire, une «culture créole» que l'on pourrait donner p.ex. aux enfants à l'école lèverait beaucoup d'obstacles et permettrait tout au moins la compréhension passive des textes provenant de tous les territoires où l'on parle un créole français. Nous autres Européens oublions trop souvent que nous sommes capables de comprendre de multiples variétés de nos langues maternelles parce que nous avons un entraînement théorique et pratique assez poussé. Si les conditions étaient comparables pour les locuteurs du créole, le problème de leur intercompréhension se poserait de façon beaucoup plus atténuée.

4.1. La juridiction: nous n'avons pas d'informations précises sur l'emploi du créole dans les séances des tribunaux (tous les actes écrits sont naturellement rédigés en français). Il semble cependant bien que le créole doive intervenir dans le cas d'accusés ou de témoins ne maîtrisant pas de façon suffisante le français; souvent les productions de ces personnes sont plus ou moins créoles (même si elles s'efforcent de parler français) et l'on emploira un français créolisé à leur égard (pour leur faciliter la compréhension et en même temps par condescendance). Il faut bien sûr que le magistrat sache cette langue ce qui n'est pas évident s'il est métropolitain.

Il faut distinguer de ces cas où le créole est employé par nécessité et souvent plus ou moins inconsciemment les cas de l'emploi conscient de la langue, situation qui a pu se produire lors de certains procès politiques contre des autonomistes ou des indépendantistes. La justice française admet difficilement de telles manifestations et elle réagit sans doute de la même façon contre l'emploi du créole qu'elle le fait contre celui des autres langues minoritaires. Les choses se compliquent par le fait que les procès politiques de quelque importance se déroulent généralement à Paris; il sera intéressant d'observer

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celui (s'il se fait) qui sera fait aux indépendantistes guadeloupéens soupçonnés d'être responsables de certains attentats récents,40 étant donné que certaines des organisations impliquées utilisent le créole comme langue de communication interne.

4.2. Administration: la situation est comparable dans l'administration. L'emploi informel, oral du créole est assez fréquent, tout au moins dans certaines administrations, tandis que l'emploi écrit semble être inexistant. Il va de soi que le créole se rencontre particulièrement souvent dans des administrations locales qui l'occupent de l'aide sociale à la population pauvre. Les offres de postes pour des psychologues ou des assistantes sociales mentionnent parfois explicitement que la connaissance du créole est nécessaire ou souhaitée.41 Il y a dix où quinze ans, une pareille formule aurait paru impossible (bien que de fait la connaissance du créole ne fût pas moins nécessaire).

Il est clair que le choix de la langue est en très grande mesure déterminé par les personnes qui se rencontrent. Il y a des tendances et des interdits qui jouent (le créole est presque impossible face à un blanc, à un supérieur hiérarchique ou à une femme, peu probable dans des parties très formelles d'un entretien, par contre facilement imaginable pour créer un climat d'entente entre deux Antillais d'un niveau comparable ...). On peut être tenté de faire les schémas qui sont si souvent présentés en sociolinguistique, mais il faut alors tenir en compte qu'ils ne peuvent indiquer que des tendances qui dans chaque cas précis peuvent être désavouées par tel ou tel détail.42

4.3. Ecole et université: c'est sans doute le cas le plus complexe et le plus âprement discuté, étant donné qu'il y va de l'avenir des enfants et des jeunes. C'est pourquoi un nombre considérable de parents qui ont bien assimilé les préjugés linguistiques français et considèrent le créole comme une forme linguistique mineure sont formellement opposés à l'emploi voire à l'enseignement de cette langue. D'autre part, de nombreux enfants, surtout ceux qui viennent de la campagne, ne savent pas s'exprimer avec une facilité suffisante lorsqu'ils entrent à l'école, même s'ils comprennent (plus ou moins) ce que le maître dit. On peut espérer qu'ils acquièrent peu à peu une connaissance suffisante du français pour s'exprimer dans cette langue; mais le silence fait autour du créole dans certaines écoles semble plutôt provoquer de nombreux faits d'interférence. Les enfants, n'ayant jamais appris à faire clairement la distinction entre les deux langues, les mélangent sans cesse.

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Si l'on corrige trop souvent leurs «fautes», on les incite implicitement à se taire.

Beaucoup d'enseignants sont bien conscients de ce dilemme et essayent de suivre à la fois les normes officielles («le français seul») et de satisfaire les besoins réels des enfants en introduisant le créole de façon informelle et orale quand cela leur paraît nécessaire. Cela peut parfois produire des situations curieuses; ainsi, un enseignant nous a décrit un jour un cas sans doute assez typique:

En calcul p.ex. nous posons le problème d'abord en français. Ensuite nous le traduisons en créole et faisons toutes les opérations nécessaires avec les élèves en créole. Quand nous avons obtenu le résultat, nous le traduisons à la fin en français

(communication privée à l'auteur).

Il est vrai que cet instituteur enseignait dans une commune rurale. De cette façon le rôle du créole est encore agrandi. Mais les résultats de notre enquête43 montrent assez clairement qu'il ne s'agit pas d'un cas isolé ou extrême, mais que s'est un procédé qui se rencontre assez couramment. Même si cette méthode est, vu les capacités linguistiques de beaucoup d'enfants et les réglementations officielles, peut-être la seule qui permette aux enfants (surtout aux plus petits) de participer effectivement aux cours, elle doit créer ufle conscience contradictoire.

Le nombre des enseignants qui donnent des cours entiers en créole, de temps en temps, est insignifiant (2 % selon notre enquête). Cela s'explique, la vocation du système scolaire français est, entre autres, la propagation de la langue nationale.44

Certains enseignants exigent une pédagogie, pour les enfants de langue créole, qui partirait du créole et introduirait peu à peu le français, plus ou moins en tant que langue seconde.45 Mais leurs suggestions n'ont pas encore eu beaucoup de succès.

Le problème est naturellement le plus aigu dans les classes du primaire, peu à les facultés d'expression en français augmentent. Mais le prix en est élevé: les retards scolaires sont considérables. Ainsi, en 1978/79, à la cinquième année scolaire (Cours Moyen II), seulement 31,8 % des enfants an-

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tillais avaient l'âge considéré comme normal (contre 57,9 % en France métropolitaine), 27,8 % avaient un an de retard (contre 31,4 %), mais 35,0 % (contre 6,7 %) avaient deux ans de retard.46 Certainement, la question de la langue n'est pas le seul problème supplémentaire qui se pose aux enfants antillais, mais il a un poids considérable.

Etant donné que la loi Deixonne ne s'applique pas au créole, cette langue n'existe pratiquement pas dans l'enseignement secondaire. Là encore, les enseignants qui font exception sont rares (on parle pourtant de tel ou tel professeur agrégé à qui il arrive de faire des cours en créole, prouvant ainsi que c'est possible), et parfois ils risquent des ennuis non seulement administratifs.47

La situation à l'université est plus favorable au créole; il y est matière de recherche et d'enseignement, mais il ne fonctionne pas non plus comme moyen de communication scientifique ordinaire, en dehors de certains domaines bien délimités. Il y a toutefois depuis une dizaine d'années un Groupe d'etudes et de Recherche en Espace Créolophone (GEREC) qui a fait et qui fait beaucoup pour le créole, sur le plan scientifique aussi bien que sur le plan practique.48

Il faut répéter que le rôle dans l'enseignement est vivement débattu dans la vie politique. Tandis que les ministres des gouvernements de droite se sont en général montré peu favorables au créole, il a semblé pendant un moment que le nouveau recteur voulait régler le problème: il y a eu, en mai 1983, lors d'un congrès de créolistes en Louisiane, une déclaration où la ferme intention se faisait voir d'introduire le créole à l'école, en tant que matière. A ce que nous sachions, en dehors d'une grande controverse publique il n'y a pas eu de conséquences dans la pratique scolaire jusqu'à ce moment.49

4.4. Les mass-media: c'est peut-être à la radio et à la télévision que la situation a changé le plus lors des dernières dix années. Alors qu'autrefois la seule présence possible du créole était la récitation de certaines chansons,

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on peut aujourd-hui, lors du journal télévisé, voir et entendre des interviews sur beaucoup de questions qui se déroulent en créole, des émissions radiopho-niques «sérieuses» peuvent être faites dans cette langue. On a souvent l'impression d'un usage assez peu complexé des deux langues. Bien sûr, le créole est largement minoritaire: il ne peut intervenir que lors des émissions produites sur place (et la grande majorité des émissions télévisées surtout viennent de Paris). Mais les changements d'attitude sont facilement perceptibles. Le rôle du créole est encore plus accentué dans certaines stations de radio libres (surtout à la Guadeluope).

La situation est quelque peu semblable dans la presse écrite: à côté des périodiques utilisant uniquement le français il y en a un nombre croissant qui fait une place plus ou moins importante au créole. Ce sont souvent de feuilles politiques ou syndicales, ainsi le créole sert à formuler le débat public. Là encore, il nous semble que les progrès qu'il a fait depuis une quinzaine d'années sont considérables. Une étude de détail de la presse écrite et parlée aux Antilles serait à souhaiter.

4.5. Usage «culturel» du créole: le créole est souvent utilisé dans la chanson, dans le théâtre, surtout populaire, dans les manifestations folkloriques. Il va de soi que cette utilisation ne va pas sans ambiguïtés, d'autant plus qu'elle réproduit et approfondit parfois les préjugés en place. Mais il y a également un emploi libérateur du créole dans certaines pièces.

Il convient peut-être de mentionner que récemment quelques films ont été tournés qui utilisent le créole et le français, le plus souvent en reproduisant assez fidèlement la diglossie existante. Un de ces films, La rue Cases-Nègres, d'après le roman du Martiniquais Joseph Zobel connaît actuellement un succès international. Les séquences en créole sont soustitrées en français en français. Quelques autres pellicules, sans atteindre le succès de celui-là, ont également trouvé un accueil favorable.

La littérature en créole commence juste à se développer vraiment (si l'on fait abstraction d'une très riche littérature orale). Il y a eu des précurseurs, non seulement en Haïti; il suffit de citer le nom du Martiniquais Gilbert Gratiant qui a acquis une popularité considérable.50 Si Gratiant reste traditionaliste, il semble qu'une prose moderne commence a voir le jour avec le roman (si on peut l'appeler ainsi) que le Haïtien Frankétienne a publié en 1975.51 Il a recontré un intérêt considérable dans toute l'Amérique créolo-phone et suscité les premières tentatives d'imitation et/ou amélioration.

5. Conclusion

Nous sommes bien conscient que nos remarques fragmentaires laissent plus de questions ouvertes qu'elles ne donnent de réponses. Nous aimerions

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cependant que le lecteur puisse partager notre impression que le créole aux Antilles françaises a pu améliorer sa situation de fait durant les deux dernières décennies. Bien sûr, nous sommes très loin d'une normalisation véritable, mais une assez forte pression normalisatrice52 se manifeste et a pu obtenir certains résultats. Il faudra voir si ce mouvement se poursuit ou s'il sera entravé par des forces opposées.

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[1] On emploie parfois des termes comme lingua franca, sabir, langue de contact, etc. pour désigner la même réalité; il est malaisé d'introduire des différenciations internes utiles entre ces dénominations. Nous garderons donc le terme de pidgin. Cf. Hall 1966, Samarin 1968, Perego 1968, 1968 a, Todd 1974, Adler 1977, Valdman 1977, 1978.

[2] Un des cas les plus intéressants d'un pidgin disparu est le russenorsk, la langue de contact qui s'est établie entre marins russes et norvégiens à Spitzbergen; cette langue a disparu (avec les contacts) après la révolution d'octubre, Cf. Broch 1928. Cf. en général les travaux introductifs et bibliographiques de Hall 1968, Wurm 1971, De Camp 1971, ainsi que la bibliographie fondamentale de Reinecke 1975 et sa continuation récente par Valdman/Chaudenson/Hazaël-Massieux 1983.

[3] Cf. le volume collectif édité par Hymes 1971 et Klein 1975, Heidelberger Fors-chungsprojekt «Pidgin-Deutsch» 1977, Cherubim/ Muller 1978.

[4] Cf. les deux inventaires de Hancock 1971 et 1977.

[5] Hall 1962.

[6] Cf. p. ex. Valdman 1977a, Bollée 1977.

[7] Sur la lingua franca cf. Schuchardt 1909, Kahane/Kahane/Tietze 1958 et Whinnom 1977.

[8] Il nous importe ici de ne pas limiter la naissance des créoles au seules «sociétés de plantations» esclavagistes, bien que ce soit à peu près le seul cas sur lequel nous soyons informés avec une précision relative. Dans In mesure cependant où l'on veut voir dans le terme de créole un terme typologique il faut se libérer des conditions historiques précises. Il nous paraît un peu problématique d'appeler créoles des langues dont nous connaissons à peu près le contexte de naissance, sans penser à d'autres candidats possibles, désavantagés par nos ignorances. Il se pourra d'ailleurs qu'à la fin il faudra se limiter aux descriptions historiques sans pouvoir établir des définitions typologiques suffisantes. Cf., pour le cas des langues romanes, Schlieben-Lange 1977.

[9] Cf. Stewart 1962.

[10] Quelques-uns des points omis ici sont traités dans Kremnitz 1983.

[11] Pour l'histoire cf. essentiellement Williams 1975, Chauleau 1973, Blet 1946-50.

[12] Gaston-Martin 1948, Gisler 1981.

[13] Cf. David 1973, Kremnitz, 1983, 15.

[14] Cf. Singaravélou 1975. Pour la population martiniquaise en général: Benoist 1963, 1975.

[15] Beaudoux-Kovats/Benoist 1972.

[16] Pour l'économie cf. Crusol 1980, Economie Antillaise 1973, Kremnitz 1983.

[17] Cf. Darsières 1974.

[18] Pour comprendre la démarche de Fanon, il faut faire la liaison entre son premier texte Peau noire, masques blancs (1952) et Les damnés de la terre (1961). Fanon n'a d'ailleurs pas été le seul Antillais à lutter du côté algérien contre le colonialisme français.

[19] L'invasion américaine à Grenade (1983) aura sans doute des conséquences sur la conscience collective des Antillais comme pour la stratégie des mouvements indépendantistes; il faudra voir lesquelles.

[20] Nous sommes bien conscient que ces remarques sont très fragmentaires, pour plus ample information cf. entre autres la bibliographie dans Kremnitz 1983, 323-340.

[21] Nous avons déjà mentionné les communautés supplémentaires qui vivent sur le sol de la Guyane.

[22] Le problème a trouvé un premier traitement chez De Camp 1961; Prudent 1981 en parle en ce qui concerne la Martinique.

[23] Le nombre d'analphabètes n'est pas connu partout; en Guyane, pays d'immigration récente, il oscillerait autour de 25 %. Cf. Kremnitz 1983, 56-57. La relation devient évidente en Haïti où l'analphabétisme et l'ignorance du français atteignent des chiffres très proches (et très élevés).

[24] De nombreux exemples des attitudes divergentes se trouvent chez Kremnitz 1983, 180-240.

[25] Cf. les remarques et hypothèses intéressantes sur l'histoire sociale du créole chez Fleischmann 1979.

[26] Bastide 1967 évoque ce fait souvent pour expliquer les pratiques culturelles des Noirs en Amérique.

[27] Les premiers travaux, après la petite grammaire de l'Abbé Goux (1842), voient le jour aux alentours de 1870; ils sont très descriptifs. Pour les détails cf. Goodman 1964, Vintila-Raudulescu 1976, Prudent 1980.

[28] Cf. Corzani 1978.

[29] Cf. pour la négritude essentiellement Kestloot 1963, Corzani 1978 tome 3 et 4), Antoine 1979, Jardel 1979.

[30] Leiner 1980.

[31] Cf. Hall 1953, 1966, Valdman 1968, 1975, 1979, Pompilus 1979, Fleischmann 1980, 1981, Bentolila/Gani 1981, 1982. Les positions des différents gouvernements haïtiens dans cette question ont été assez floues.

[32] Cf. Bollée/D'Offay 1978, D'Offay/Lionnet 1982.

[33] Peut-être le terme parfois employé d'«albocentrisme» convient-il mieux; il a été créé, à ce que nous sachions, par le regretté Marius F. Valkhoff.

[34] Cf. Leiris 1955, Bouckson/Edouard 1972, Lirus 1979.

[35] Lafont 1967.

[36] Glissant 1981, 281.

[37] La perception de ces tendances se reflète dans les réponses à notre enquête, Kremnitz 1983, 215-223.

[38] Cf. les réponses aux questions à ce sujet dans Kremnitz 1983, 172-177, 203-210.

[39] Cf. entre autres Goodman 1964, Vintila-Radulescu 1976, Chaudenson 1979.

[40] Vers la fin de 1983, un certain nombre d'arrestations ont eu lieu, entre autres à Radio lutté (Pointe-à-Pitre); les arrêtés sont soupçonnés d'appartenir à l'ARC (Action Révolutionnaire Caribéenne) qui a signé certains attentats.

[41] Offres de postes à la télévision locale en 1980 et 1982 que nous avons vues; elles semblent être relativament fréquentes. D'autre part ces exigences explicites pourraient être indicatrices d'un certain recul du créole dans certaines couches sociales. Il est difficile de trancher.

[42] Cf. les travaux sociolinguistiques de Saint-Pierre 1969, 1972, Valdman 1970, 1971, 1973, Lefebvre 1971, Jardel 1977, 1979, 1980.

[43] Kremnitz 1983, 240-278.

[44] Jusqu'en 1981 au moins il y a eu des enseignants qui ont eu des problèmes avec l'administration parce qu'ils employaient le créole de façon trop visible, même si l'administration rectorale n'a pas toujours avoué ce motif («méthodes pédagogiques inadaptées»). Nous ne connaissons plus de cas de ce type depuis 1981.

[45] Il faut rappeler dans ce contexte quelques précurseurs comme G. Lauriette qui emploient de méthodes semblables depuis longtemps, cf. Bébel-Gisler 1976. Cf. également: «De plus en plus les enfants parlent mal le français et également le créole. On arrive donc à une 'langue' qui n'est ni le français, ni le créole. Il me paraît URGENT que le français soit étudié comme une langue étrangère et que le créole retrouve sa vraie place dans notre société antillaise.» Réponse à notre enquêtre, Kremnitz 1983, 277.

[46] ICAR, no. 247, 31.12.1978, 1, Kremnitz 1983, 55-56.

[47] Nous nous souvenons d'un Antillais connu, membre de la bourgeoisie locale, qui, quand on a parlé de l'enseignement en créole, s'est écrié: «si un enseignant de mes enfants faisait cela, j'irais le gifler en public». Nous avions toute raison de croire qu'il ne s'agissait pas d'une simple boutade.

[48] Entre autres il édite deux revues, Espace Créole et Mofwaz, et des Textes, Etudes, Documents et a proposé, en 1982, une Charte Culturelle Créole. Cette charte ne semble pas avoir rencontré un écho officiel particulier, bien qu'elle misât très ouvertement sur les changements politiques intervenus en 1981.

[49] Cf. ICAR, no. 462, 29.5.1983, 1-2, no. 463, 5.6.1983, 2-3. Il faut rappeler que l'introduction du créole en tant que matière (à option), surtout dans l'enseignement secondaire, ne résoud pas les problèmes (c'est plutôt un luxe pour littéraires), puisqu'à ce niveau-là les enfants sont plus ou moins acculturés. Ce qui serait urgent ce serait l'introduction (partielle) du créole comme véhicule d'enseignement dans beacoup de classes primaires. C'est pourquoi le recteur a été attaqué non seulement par la droite qui refuse le créole en tant qu'élément de désintégration nationale, mais encore par une partie des indépendantistes qui craignent ce «luxe» et en même temps la «récupération» du créole par le système établi. - Vers le début de 1984, le RPR (de droite) semble pour la première fois prendre en compte le fait du créole, cf. ICAR, no. 494, 5.2.1984, 1.

[50] Cf. la thèse monumentale de Corzani 1978. Pour Haïti: Fleischmann 1970 et les travaux récents de Dash 1981 et Laroche 1981.

[51] Frankétienne 1975. Une traduction française vient de paraître.

[52] Nous employons le terme de normalisation ici en accord avec les sociolinguistes catalans, cf. Aracil 1965.

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