Colloque international sur la coofficialité: synthèse de l'atelier glottopolitique

AutorFrancesca Albertini
CargoVanucci i Olivier Jehasse
Páginas235-241

    Université de Corte, Corse, 2-4 avril 1992.

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1. Synthèse de la première journée (Francesca Albertini-Vanucci)

L'après-midi de la première journée de notre colloque avait pour thème «Didactiques et cultures». La répartition des travaux a été réalisée de la manière suivante:

- Trois interventions extérieures:

Mr. Maitia: «Quelle école pour une communauté plurilingue: expérience basque des tkastolas.» Mr. Arenas: «L'expérience catalane.» Mr. Ropars: «Les écoles Diwan.»

- Trois interventions corses:

Mr. Stromboni: «Des maternelles de langue corse au statut évolutif... et au nouveau système éducatif pour notre île.»

Mr. Jehasse: «Pedacugia bislingua?»

Mr. Thiers: «Un point de vue sur une expérience personnelle de créateur.»

Mr. Maitia a développé la problématique de l'enseignement de la langue basque en particulier dans les tkastolas. Le territoire de la langue basque est le théâtre de trois législations relatives à la langue basque à l'éco-

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le. Les ikastolas scolarisent environ 75.000 élèves dont 1070 au Pays Basque Nord depuis l'âge de trois ans jusqu'au baccalauréat. Le système pédagogique et linguistique de ces écoles est une pédagogie active s'appunyant sur l'utilisation de la langue basque comme langue véhiculaire principale partant d'une maternelle unilingue en langue basque suivie d'une introduction progressive du français dans le primaire puis dans le secondaire. Les ikastolas sont gérées dans un état d'esprit autogestionnaire, fédérées dans chaque province basque puis regroupées dans une confédération pour la totalité du territori basque avec des moyens mis en commun sur le plan de la formation, du matériel pédagogique et du développement. L'expérience de ces 25 dernières années montre que l'officialisation de la langue basque comme au Pays Basque Sud ne suffit pas pour voir la langue utilisée dans la vie quotidienne. Pour atteindre cet objectif l'école doit travailler en dehors de ses murs dans d'autres secteurs de la société pour donner à la langue basque la fonction qui lui revient: celle d'una langue attrayante et utilisée.

Mr. Stromboni pour la situation corse a présenté une expérience de deux classes maternelles de langue corse à Morta di Fium'Orbu. Ce travail a pu être réalisé grâce à une convention triennale avec le Ministère de l'Education nationale. L'intervenant s'est ensuite prononcé pour un statut évolutif de la langue et de la culture corses dans l'enseignement mais aussi à la Radio et à la Télévision en soulignant les limites du système actuel.

Un statut d'officialité du Corse dans un système pluraliste semble nécessaire à la mise en place d'un processus devant aboutir à «l'indépendance culturelle économique et politique de notre île».

Mr. Arenas pour la Catalogne souligne la double officialité catalan/castillan, différente de la coofficialité. Le catalan est la langue particulière de l'éducation, il y a en Catalogne 95 % d'écoles en langue catalanne. La Catalogne s'est dotée pour cela d'une législation claire. Le catalan est obligatoire depuis 1978 à l'école, il devient une langue d'enseignement en 1982. Une normalisation linguistique intervient en 1983. La Générali-tat assure véritablement une politique linguistique depuis de nombreuses années. La Catalogne est un pays riche économiquement, qui a su se donner les moyens de sa politique linguistique.

Mr. Ropars pour la Bretagne nous a exposé la situation des écoles Di-wan à partir de 1977, date de création des premières écoles primaires.

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Il y a actuellement 22 écoles maternelles, 19 écoles primaires, 1 collège de 64 élèves. Diwan travaille en prospective, création d'un Lycée très rapidement. Un enseignement universitaire est également envisagé avec la création dans un avenir que l'on souhaite proche, d'une Université Diwan. Diwan est soutenu par les élus bretons et le collège est entièrement financé par le Département du Finistère. Les locaux sont également mis à disposition par les mairies. Diwan malgré les difficultés et les problèmes de son histoire est avant tout une dynamique prometteuse dont l'efficacité n'est plus à prouver (formation des instituteurs, réalisation de matériel pédagogique, etc.)

Les trois premières intervencions donnent lieu à un débat riche et animé. La question corse est toujours au centre des débats par le jeu d'un mécanisme de comparaison, explicite ou implicite, où les choix stratégiques en matière éducative s'avèrent très différents selon les situations. Le corse ayant l'air de vouloir rester dans une problématique d'un enseignement «officiel» c'est-à-dire à l'intérieur des structures pédagogiques françaises, alors que les situacions qui nous ont été présentées relèvent d'une toute autre problématique. Le modèle catalan se distingue par l'implication et la prise en main par les institutions autonomes du système éducatif. La question d'un enseignement du corse qui va au-delà d'un simple enseignement linguistique est également posée par Mme. Verdoni.

Après le premier débat Mr. Jehasse nous fait part, en langue corse, de son expérience personnelle d'enseignant universitaire. Il développe son vécu d'enseignant en matière de pédagogie bilingue, sa propre planification linguistique s'appuie sur une expérience particulièrement pragmatique de l'enseignement de PArcliéologie depuis de nombreuses années. L'intervenant montre l'aspect progressif d'une pédagogie interactive qui évite les écueils de l'exclusion par la finesse d'une approche psycholinguistique des apprenants. Sa démarche reste néanmoins limitée pour lui car elle relève d'un engagement militant sur la question didactique et la place du corse dans la société insulaire d'aujourd'hui.

Mr. Thiers développe son expérience personnelle de créateur. II nous fait part d'un parcours individuel dont la construction débouche sur l'ouverture par la prise de conscience et l'implication en faveur de la langue et de la culture corses. L'histoire d'un itinéraire personnel, manifesté par une démarche d'écriture reposant sur l'idée de choix, fondement de la liberté du créateur, les citoyens corses se trouvant dans une situation favorable à l'expression, une situation de plurilinguisme. Cet itinéraire per-

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sonnel est aussi un témoignage que beaucoup d'entre nous peuvent partager pour le déroulement de leur prise de conscience identitaire.

Le second débat commence tard, les participants semblent partager une certaine «chaleur communicative».

Per Denez nous montre avec moult exemples l'existence d'un substrat riche en matière linguistique et culturelle qui précède la création de Diwan.

Mr. Stromboni souligne la réaction en chaîne des avancées et leurs aspects bénéfiques pour tous.

Mr. Rochhi intervient pour apporter des clarifications sur la situation corse tant au niveau du bilan que des perspectives.

Mr. Maitia répond aux nombreuses questions des étudiants sur l'éducation et la place de la langue basque aux examens.

Per Denez apporte des précisions relatives à la Bretagne et à la place du Breton dans l'enseignement public tant au niveau du 2e Degré que de l'Université.

Les étudiants présents démontrent le particularisme de la situation corse à partir de leur vécu personnel en le liant à la situation politique et en partkuler à la responsabilité de l'État.

Mr. Balbi, Président de l'Université, nous montre, avec finesse les responsabilités individuelles locales et en particulier l'attitude discursive des élus corses, attitudes qui reposent sur leurs choix idéologiques: refus ou acceptation de la langue en tant que problème politique.

  1. Thiers souligne la différence entre une conscience dialectale et une conscience linguistique. Ce choix ou cette attitude détermine fortement les comportements.

  2. Albertini-Vanucci intervient pour souligner qu'une stratégie d'émancipation nécessite la mise en place d'un modèle propre où les expériences des autres sont bien sûr utiles, mais ne doivent pas être simplement imitées.

Les étudiants réaffirment que la langue corse est bien vivante et toujours parlée ici.

Une étudiante souligne avec passion l'inadéquation entre le dire et le faire à partir de sa propre expérience théâtrale qui n'est pas assez soutenue alors qu'elle repose sur une recherche collective et approfondie sur la question.

Le débat se termine relativement tard. L'échange a été fructueux et les participants particulièrement motivés. Cela nous laisse espérer aujourd'hui une journée de travail intéressante dans un état d'esprit tolérant, dynamique et toujours courtois.

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2. Synhthèse de la seconde journée (Oliver Jehasse)

Cette seconde journée fut une journée particulièrement riche et animée. Il n'est donc pas simple de résumer pour nos invités d'aujourd'hui la teneur foisonnante des différentes communications et les grandes orientations du débat qui a suivi chacune d'entre elles.

Pour ma part je crois voir trois niveaux dans cet ensemble, trois niveaux que je dénommerais un niveau d'inquiétude, un niveau de sérénité, un niveau de passion.

L'inquiétude je la perçois dans l'interrogation de G. Moracchini lor-qu'il souligne la présence forte d'un conflit dans la société corse, conflit né de l'adoption par une partie de celle-ci du mot coofficialité. Face à cette situation neuve, il pose la question clé «De quoi la langue corse a-t-elle réellement besoin ?» craignant une ossification des discours partisans, s'apparentant à la répétitivité du culte des morts. Sans engagement de la société au quotidien, ce qui soulève par ailleurs un problème financier, mais qui doit être un préalable, un déclenchement institutionnel risque d'être décalé et donc menacé.

Inquiétude aussi chez M. Tusceri, journaliste à la Nuova Sardegna, qui appelle à l'aide les corses face aux tentations unificatrices qui se font jour chez lui. Il souligne la possibilité d'exclusion des langues de la Gallu-ra et de la Maddalena, ces langues corses de l'au-delà des mers, qui ont besoin de l'attention soutenue des corses face à la complexité langagière de l'île voisine, une complexité qui risque d'être plus appauvrie qu'enrichie par une démarche d'officialisation fondée sur une seule des langues pratiquée dans l'île.

La sérénité nous l'avons croisée chez Père Denez qui, à propos du Pays de Galles, nous a démontré l'efficience d'une coofficialité au quotidien, présente dans tous les secteurs de la vie administrative et sociale, sans besoin d'un lutte affirmée, mais par des actes permanents créateurs d'espace de liberté sur lesquels il n'est plus possible de revenir. Sérénité encore avec Gruning explicitant la situation au Sud-Tyrol, qu'il s'est proposé de résumer par une formule qui nous touche fortement, lorsqu'il a défini toute l'organisation langagière comme une «polyphonie linguistique». Sérénité enfin, chez F, Albertin-Vanucci, qui, à travers une présentation critique de l'évolution de la revendication, a souligné l'importance qu'a eue depuis 1896 jusqu'à nos jours la pression populaire, ainsi que

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l'effet contrastif du mot bilinguisme dans la société corse, difficulté que les débats d'aujourd'hui répètent encore. Elle propose la mise en marche d'une glottophilosophie, fille d'une pensée libre et productrice, capable de dépasser ses limites internes et externes, et espère voir naître une évolution glottopolitique réelle où les mots bilinguisme, coofficialité, langue territoriale ou autre, perdent de leur puissance exclusive pour conserver la volonté commune de construire bien au delà de la simple rhétorique administrative.

Quant à la passion, une passion comprise non comme une excessive exhubérance, mais bien comme un raisonnement appuyé sur un vécu trop fort pour s'inscrire dans un discours neutre, je l'ai recontrée dans l'intervention des étudiants de la Cunsulta di Studenti Corsi. Rappelant le décalage entre leur façon de penser la revendication d'avec la vision par trop formelle à leurs yeux des instances universitaires coorganisatrices de notre rencontre, ils axèrent leur réflexion en partant d'une réunion tenue en plein coeur du Mois de Décembre au Palazzu Naziunale, reprenant à leur compte l'affirmation «Ufficializazione, punta e basta!» afin d'affirmer l'indépendance de la pensée corse sur la langue, et la nécessité de l'officialité, et non plus de la coofficialité, clôturant leur intervention par «Simu!», -nous sommes, manière de dire que pour eux le temps de la revendication, de la demande à l'État, était désormais dépassé, et qu'était donc venu le temps de l'action.

Il convient de dire que ces trois niveaux n'ont jamais été exclusifs l'un de l'autre mais qu'ils se sont toujours interpénétrés à l'occasion de chacune des interventions, et cette situation se retrouva à l'identique dans le débat qui a suivi.

Avec passion Stromboni s'inquiète auprès des étudiants du changement de mot d'ordre qui a eu tant de mal à être accepté, G. Thiers explicite l'inquiétude par la nécessaire évolution des mentalités sociales, tandis que S. .Medori souligne une part d'incompréhension par rapport à la teneur du discours étudiant. Per Denez et F. Albertini-Vanucci interviennent sur l'aspect positif de tout conflit, chacun d'eux portant en lui un dépassement et une redéfinition des objectifs.

Sur une question de G. Thiers à Gruning sur la réalisation pratique des déterminations des families linguistiques au Sud-Tyrol, G. Chiorboli manifeste un retour de l'inquiétude, soulignant la difficulté sociale de poser les champs langagiers en termes de choix trop contraignant, situation créatrice à ses yeux de nouveaux blocages. G. Thiers répond avec sérénité

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en rappelant les termes de son intervention où il plaidait pour un plurilin-guisme de fait, du moins dans la Corse d'aujourd'hui, qui atténue les risques soulignés, et offre une part nouvelle de liberté aux individus. Avec passion M. P. Taddei revient sur la communication des étudiants et rappelle que les organisations nationalistes se battent pour un processus par étapes, et qu'il est prématuré voire aventureux de proposer déjà d'autres stades de lutte. Dans ce décalage G. Thiers voit au contraire un atout supplémentaire pour l'avenir. M. Arenas intervient pour souligner que la langue du peuple est nécessairement différente, bien qu'en rapport avec la langue de l'État, rejoint par O. Jehasse qui souligne qu'il ne faut pas oublier les données économiques et sociales qui conditionnent les parlers, et rappelle que depuis plusieurs instants le mot Nation souveraine rôde dans un non-dit qu'il convient maintenant d'exprimer. F. Guerrini pour les syndicats enseignants, rappelle la dualité libératrice de la revendication bilingue et insiste sur la question de la pensée des communautés qu'on ne peut séparer de la pensée propre aux groupes sociaux.

Il est impossible de présenter une conclusion, sinon une conclusion voulant porter sur l'interférence entre les troix niveaux, une interférence significative des enjeux, mais il est possible d'exprimer une certitude, ce sont les hommes, les individus ou les peuples qui portent en eux la solution, par une action répétée, symbole de l'affirmation d'un pouvoir au quotidien.

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