La justiciabilité du droit à l'environnement consacré par la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples de 1981 en République Démocratique du Congo

AutorKennedy Kihangi Bindu
CargoProfesseur associé à l'Université Libre des Pays des Grands Lacs en RD du Congo
Páginas1-34

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I Introduction

Plus de deux décennies après l’entrée en vigueur, et la ratification par la République Démocratique du Congo,1de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) en 1986,2la juridicité des droits de la solidarité ou droits de la troisième génération3mais aussi de ceux de la deuxième génération qu’elle organise, ne rencontre pas encore l’unanimité. Les controverses sont fréquentes dans différents milieux notamment académiques, diplomatiques, politiques ainsi que judiciaires à la fois sur les plans national, régional et international. De la même façon que les droits sociaux, économiques et culturels sont apparus nécessaires pour rendre effectifs les droits civils et politiques, les droits de la solidarité ou droits collectifs seraient la condition d’existence des droits de la première et de la deuxième générations.4Les droits de la solidarité sont non seulement consacrés par la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples5mais aussi par un nombre impressionnant des constitutions africaines notamment celle de la République Démocratique du Congo (RDC).6Il est cependant étonnant de constater que les énergies déployées pour la constitutionnalisation de ces droits ne sont pas mises à profit dans la phase de leurs mises en

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oeuvre. Une simple observation révèle des attitudes inquiétantes de la part des juges congolais ayant le mandat constitutionnel de garantir les droits et libertés fondamentaux en RDC.7Le droit à l’environnement est particulièrement au centre des controverses et misunderstandings liés à son contenu, ses caractères individuel et collectif : Peut-il bénéficier de la même protection que les autres droits fondamentaux et faire l’objet d’un examen devant les instances judiciaires en RDC ? Il est, certes, peu probable que les particuliers réclament ce droit avec succès, par voie judiciaire, malgré la tendance moniste adoptée par le constituant congolais. Ce monisme ainsi que la constitutionnalisation du droit à l’environnement annonce une obligation constitutionnelle qui pèse sur les cours et tribunaux congolais d’appliquer directement la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. Contre cet environnement, et pour éclairer la lanterne des uns et des autres, il est judicieux de poser la question de savoir : Sur quelle base les victimes d’une violation du droit à l’environnement en RDC peuvent-elles agir en justice ? Quelles sont les prestations justiciables ? Cela est d’autant plus indispensable en vue de relever l’incidence de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) sur les décisions judiciaires en RDC ? En effet, la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples reste un outil qui révolutionne et nourrit la connaissance ainsi que la culture du respect, de la protection et de la promotion des droits de l’homme notamment ceux des deuxième et troisième générations en RDC. Il reste néanmoins à faire une analyse rétrospective et prospective pour un avenir garantissant un bien être pour tous. Les peuples doivent être informés de leurs droits, des engagements internationaux ratifiés par la RDC ainsi que des mécanismes de revendication mis en place sur les plans à la fois national, régional et international. La justice doit être reconnue aux peuples non pas comme un acte de charité mais comme un droit.8Dans le cas contraire, la Charte Africaine des Droits et des Peuples ainsi que la Constitution de la RDC seront considérées comme des menus réservés aux seuls acteurs politiques sans impact réel auprès des populations.

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II Reconnaissance du droit à l’environnement sur les plans universel et régional

Un nombre d’instruments juridiques sur les plans universel et régional font mention directement ou indirectement du droit de l’homme à l’environnement exprimant ipso facto son originalité et ses spécificités.

1. Sur le plan universel

Depuis plusieurs décennies, les doctrinaires ne s’accordent pas sur la reconnaissance et le lien existant entre les droits humains et l’environnement. Miller considère que les droits humains ne peuvent pas être invoqués pour la protection de l’environnement.9Cependant, une évolution récente révèle des acquis significatifs quant à la reconnaissance du droit à l’environnement et le lien existant entre les droits humains et l’environnement.10L’idée de la prise en compte de l’environnement a fait son apparition avec force au travers de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme11qui vise le droit à la vie dans son article 312et le droit à la santé dans son article 25.13À cela, il faut ajouter le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques qui proclame le droit à la sécurité14ainsi que le Pacte International relatif aux Droits Économiques, Sociaux et Culturels qui consacre aussi le droit à la santé.15Certains auteurs associent également le droit à l’environnement au droit à la vie.16

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La Déclaration de Stockholm de 1972 est le document fondateur en droit de l’environnement dont le principe 1 proclame que « l’homme a un droit fondamental à la liberté, à l’égalité et à des conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité lui permette de vivre dans la dignité et le bien-être. Il a le devoir solennel de protéger et d’améliorer l’environnement pour les générations présentes et futures ».

En 1990, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté une résolution selon laquelle l’Assemblée : 17

Reconnaît que toutes les personnes ont droit à vivre dans un environnement propre à assurer leur santé et leur bien-être

.

Cette résolution confirme l’existence du droit à l’environnement au plan mondial. Elle est proche du texte du Pacte et elle précise que le droit à l’environnement est très lié à la santé de l’homme. Au cours des années 90, la Commission des droits de l’homme a affirmé l’existence de relations inextricables entre droits de l’homme et environnement.18En 1991, elle a adopté une résolution reconnaissant que « tout individu a droit de vivre dans un environnement propre à assurer sa santé et son bien-être ».19

La Déclaration de Rio de 1992, quant à elle fait, mention de ce droit au travers de son principe 1 en ces termes : « Les êtres humains sont au centre des préoccupations relatives au développement durable. Ils ont droit à une vie saine et productive en harmonie avec la nature ». Bien que non obligatoires, ces textes ont joué un rôle culminant pour la promotion du droit à l’environnement. Les travaux de la commission des droits de l’homme des Nations Unies, après le rapport de Mme Ksentini du 26 juillet 1994 consacré au droit de l’homme à l’environnement dans le monde, a préparé un projet de déclaration sur les droits de l’homme et de l’environnement qui consacre pour tous un droit à un environnement sain, sûr et

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écologiquement rationnel ainsi qu’un droit à une eau et à des aliments sains.20D’autres instruments internationaux ont accordé aussi une importance particulière au droit à l’environnement, notamment : la convention sur les droits de l’enfant du 20 novembre 1989 qui impose aux États de protéger la santé des enfants en prenant spécialement en considération les risques causés par la pollution de l’environnement. La Convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) relative aux peuples indigènes dans des pays indépendants du 27 juin 1989 invite les États à prendre des mesures spéciales pour sauvegarder l’environnement de ces peuples (art. 4.1).

2. Sur le plan régional

Le droit de l’homme à l’environnement a connu un progrès juridique impressionnant sur le plan régional. La Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples de 1981 est le premier traité international reconnaissant le droit de l’homme à l’environnement. Son article 24 proclame que : « Tous les peuples ont un droit à un environnement satisfaisant et global, propice à leur développement ».21

À la lecture de cette disposition, sans nul doute, la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples reconnaît le droit à l’environnement au titre d’un droit de l’homme. Cependant, lorsqu’on cherche à savoir à quoi renvoie ce droit et qui en est le titulaire, des controverses surgissent. En effet, pour qualifier l’environnement, selon Hervé Jiatsa,22les rédacteurs de la Charte ont choisi des mots « suffisamment imprécis pour se prêter à toutes sortes d’interprétations » comme satisfaisant, global etc. Mohamed Ali Mekouar23estime qu’on

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aurait pu utiliser des mots plus précis comme « sain, salubre, propre, équilibré, décent, convenable, de qualité, dignité, bien-être, intérêt des générations futures etc. » pour donner plus de sens. La difficulté de cerner le droit à l’environnement dans la Charte Africaine n’est pas spécifique à ce texte. Cela parce que même en France, au sujet de la consécration législative, Michel Prieur reconnait qu’ « il était difficile de formuler concrètement ce droit fondamental nouveau ».24Mohamed Ali Mekouar explique ce flou par le fait que les rédacteurs de la Charte ne s’étaient basés...

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