Les droits linguistiques au Nouveau-Brunswick: pour une égalité réelle entre les langues officielles et les communautés de langues officielles

AutorMichel Doucet
Páginas81-110

    Faisant anciennement partie d’un territoire français connu sous le nom d’Acadie, le Nouveau-Brunswick est l’une des quatre provinces fondatrices du Canada (avec l’Ontario, le Québec et la Nouvelle-Écosse). Située sur la côte Atlantique, elle est composée d’une population à 66 % anglophone et à 33 % francophone. Sa population francophone est fortement concentrée dans la région nord de la province, ce qui lui confère un poids politique non négligeable.

Michel Doucet. C.r., LL. B. (Ottawa), LL. M. (Cambridge), professeur titulaire à la Faculté de droit de l’Université de Moncton (Canada).

Mots-clés: Canada ; Nouveau-Brunswick ; bilinguisme ; double officialité linguistique ; principe d’égalité.

Page 82

Introduction

Dans de nombreux États, la loi assure une certaine protection à des groupes linguistiques1. La diversité des régimes mis en place démontre bien que ces droits ne font pas l’objet de normes juridiques universellement applicables ou acceptées. Dans certains cas, l’intervention de l’État dans ce domaine aura pour justification une question de paix ou de sécurité nationale; dans d’autres cas, l’intervention visera une question d’unité nationale. Certains États n’accepteront que de protéger des langues nationales ou régionales, alors que d’autres voudront aller plus loin et reconnaîtront des langues officielles.

Mais pourquoi un État voudrait-il protéger une ou plusieurs langues? La réponse à cette question n’est pas évidente. Personne ne contestera le fait que la langue et la culture jouent un rôle important dans l’identité de l’individu. Le langage en soi est un élément fondamental de l’activité propre à une personne. C’est par la langue que l’individu satisfait son besoin de s’exprimer et c’est par le langage qu’il communique avec l’autre. La langue, par ses structures, donne une forme cohérente à la pensée et rend possible l’organisation sociale. Une langue commune est l’expression d’une communauté d’intérêts au sein d’une collectivité. Il n’est donc pas étonnant que les collectivités gouvernées dans une langue qui n’est pas la leur se sentent, en général, lésées dans leurs droits2.

Page 83

L’État qui désire intervenir dans le domaine linguistique voudra, règle générale, trouver une solution qui lui permettra d’assurer la cohabitation paisible des différents groupes linguistiques sur son territoire. Deux approches s’offriront à lui: l’une fondée sur la notion de « territoire » et l’autre sur un concept que nous qualifierons de « personnalité ».

L’approche fondée sur la notion de « territoire » veut que l’usage d’une langue soit intimement lié à la concentration des utilisateurs de cette langue sur un territoire géographique donné. Ainsi, selon cette approche, les services dans la langue du citoyen seront uniquement fournis dans une région ou dans quelques régions qui seront définies géographiquement et nulle part ailleurs. Le modèle territorial favorise donc l’unilinguisme à l’intérieur d’un territoire précis. Cette approche tire son origine du phénomène humain selon lequel les locuteurs d’une même langue ont tendance à se regrouper géographiquement, ce qui devrait normalement faire en sorte que les frontières étatiques idéales coïncideront avec les frontières « linguistiques ». Ainsi, les personnes vivant sur un territoire devraient normalement parler la même langue et les nouveaux arrivants seraient tenus de s’assimiler à la langue dominante du territoire.

L’approche fondée sur la « personnalité » s’intéresse plutôt à la possibilité d’employer une langue minoritaire dans un territoire où une autre langue est majoritaire. L’individu n’est donc plus limité dans l’utilisation de sa langue par un territoire géographique, mais peut, en théorie, exercer son droit partout, sans restriction territoriale.

Cependant, les choses ne sont pas toujours aussi simples, car la notion de « territorialité » n’entraîne pas nécessairement l’unilinguisme et force souvent l’État à prendre en compte les intérêts des minorités. Par ailleurs, le principe de la « personnalité » est souvent également circonscrit par des considérations d’ordre régional, c’est-à-dire que dans des certaines régions l’absence de locuteurs de la langue de la minorité rend son utilisation impossible.

Quelle que soit l’approche adoptée, une chose demeure certaine : l’État qui se trouve dans une situation de multilinguisme peut rarement demeurer impartial en matière linguistique. De nombreuses activités sont exécutées au moyen de la langue, notamment le processus législatif, le fonctionnement des institutions nationales, la prestation des services gouvernementaux, l’administration de la justice, le fonctionnement d’un réseau d’écoles publiques3. Or, afinPage 84 de permettre aux citoyens locuteurs d’une langue minoritaire d’utiliser dans ces situations une langue autre que celle de la majorité, l’État doit adopter des mesures positives soit par l’adoption de lois ou par une reconnaissance constitutionnelle, car sans mesures positives les droits linguistiques ne peuvent exister.

Tout en tenant compte de ces commentaires d’ordre général, nous allons dans les pages qui suivent aborder la situation unique de la province du Nouveau-Brunswick dans le contexte canadien.

1. Un peu d’histoire

L’Acadie, colonie française composée des actuelles provinces maritimes du Canada4, a été la première colonie européenne en Amérique du Nord5. Le français était la langue parlée par les citoyens de ce territoire. En 1713, à la suite des nombreuses guerres entre l’Angleterre et la France, la France a cédé définitivement l’Acadie à l’Angleterre. L’Angleterre considérait l’Acadie comme une région inhabitée (malgré le fait qu’une population française importante y résidait depuis de nombreuses années) et y a introduit dès 1719 des lois anglaises6. Le droit français y a donc été définitivement écarté. L’événement marquant de l’histoire de l’Acadie a eu lieu en 1755. Cette année-là, le gouverneur anglais du territoire a pris la décision de déporter la population acadienne tout entière. Dans les années qui ont suivi, un lent, long et pénible retour de la population acadienne a eu lieu. Celle-ci s’est établie entre autres sur le territoire de la province du Nouveau-Brunswick, où elle forme aujourd’hui à peu près le tiers de la population.

En 1867, le Québec, l’Ontario, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick se sont unis pour former le Canada. La Loi constitutionnelle de 18677 a reconnu à son article 133 un bilinguisme restreint en matière législative et judiciaire, mais seulement en ce qui concerne le Québec et le Parlement fédéral. LesPage 85 Acadiens du Nouveau-Brunswick n’ont reçu à ce moment aucune reconnaissance officielle.

Ce n’est qu’en 1969 que le Nouveau-Brunswick a adopté une première loi dans le domaine de la langue8. En 1981, la province a pris un pas de plus vers la reconnaissance de la communauté francophone de la province en adoptant une nouvelle loi qui reconnaissait cette fois l’égalité des communautés linguistiques de langue officielle9. Toutefois, la date charnière en matière de droits linguistiques est l’année 1982, date où a été proclamée la Charte canadienne des droits et libertés10 (la « Charte »). Les articles 16 à 23 de la Charte offrent d’importantes garanties linguistiques à la population francophone de la province. En 1993, les gouvernements du Nouveau-Brunswick et du Canada ont modifié la constitution canadienne pour inscrire dans la Charte l’article 16.1, lequel reconnaît l’égalité des deux communautés linguistiques officielles de la province. Finalement, en 2002, le gouvernement provincial a adopté une nouvelle Loi sur les langues officielles11 (la « Loi ») afin de rendre celle-ci compatible avec les obligations constitutionnelles de la province en la matière.

Dans les prochaines parties, nous aborderons de manière plus détaillée les protections linguistiques qui s’appliquent spécifiquement au NouveauBrunswick et que nous retrouvons dans la Charte et dans la Loi sur les langues officielles de 2002.

2. Le concept de l’égalité et les droits linguistiques

Une lecture de la jurisprudence canadienne fera rapidement prendre conscience au lecteur de la place centrale qu’occupe la notion d’égalité en matière linguistique. La manière dont ce concept est défini, sa portée et son application revêtiront une importance capitale dans notre compréhension de l’objectif des droits linguistiques.

Bien que les droits fondamentaux soient généralement associés à certaines normes universellement acceptées, la Cour suprême du Canada n’a pas hésitéPage 86 à qualifier les droits linguistiques de droits fondamentaux12. D’ailleurs, la Cour reconnaît que la protection des droits linguistiques vise un objectif qui n’est pas différent de celui que visent les autres droits fondamentaux. Dans R. c. Mercure, elle précise :

« On peut difficilement nier que la langue est profondément ancrée dans la condition humaine. Les droits linguistiques, cela n’a rien d’étonnant, constituent un genre bien connu de droits de la personne et devraient être abordés en conséquence; voir le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, A.G. Rés. 2200A (XXI), 21 N.U. GAOR, Supp. (no 16) 52, Doc. A/6316 N.U. (1966), art. 27; M. Tabory, « Language Rights as Human Rights » (1980), 10 Israel Y.B. on Human Rights 167. »13

Dans la mesure où ils s’exercent en commun avec les autres membres de la société, les droits linguistiques ont, en plus de leur dimension individuelle, une dimension collective. Puisque les droits linguistiques affirment non seulement l’égalité des locuteurs, mais également celle des langues et, dans le cas du Nouveau-Brunswick, celle des communautés linguistiques officielles, le bénéficiaire ultime de ces droits est la collectivité des locuteurs de cette langue. Les droits linguistiques, bien que conçus dans l’intérêt des individus membres d’une collectivité linguistique, ont également pour objectif ultime l’égalité des communautés linguistiques officielles.

D’ailleurs, dans l’arrêt R. c. Beaulac14, la majorité de la Cour suprême du Canada a pris soin de préciser que l’égalité n’a pas en matière linguistique un sens plus restreint que dans d’autres domaines. En ce qui concerne les droits existants, l’égalité doit se voir reconnaître son sens véritable. Elle précise que l’égalité réelle est la norme applicable en droit canadien. Les droits linguistiques doivent dans tous les cas être interprétés en fonction de leur objet, de façon compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle15.

Mais qu’entend-on par le principe de l’égalité en matière linguistique? Pour répondre à cette question, nous nous attarderons essentiellement au paragraphe 16(2) et à l’article 16.1 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Page 87

Le paragraphe 16(2) de la Charte est libellé en ces termes :

16. (2) Le français et l’anglais sont les langues officielles du Nouveau-Brunswick; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions de la Législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick.

Cette disposition soulève dans le contexte canadien un débat quant à sa portée : énonce-t-elle un principe carrément symbolique ou confère-t-elle des droits effectifs? Suivant la première théorie, l’article 16 aurait un caractère purement déclaratoire. Il s’agirait d’une disposition purement symbolique qui n’est pas susceptible d’exécution. L’article 16 serait, en d’autres mots, un préambule annonçant la règle qui devrait régir l’interprétation des articles 17 à 22 de la Charte. Il renfermerait un idéal plus qu’il ne décrirait une réalité. Il nous rappelle un idéal que nous souhaiterions atteindre, mais ne constitue aucunement une prescription constitutionnelle fixant une obligation d’y parvenir.

Or, depuis la décision dans R. c. Beaulac, une telle approche restrictive quant à la portée de l’article 16 ne peut plus, à notre avis, être acceptée. Nous rejoignons donc ceux qui avancent la théorie que l’article 16 crée des obligations spécifiques pour l’État16. Cette disposition déclare l’égalité de statut des deux langues officielles au sein des institutions publiques des gouvernements fédéral et du Nouveau-Brunswick et interdit aussi d’avantager ou de favoriser une langue par rapport à l’autre. Pour reprendre les propos du professeur Magnet :

Section 16 commands the courts to assume an aroused sense of respect for duality: to apply that respect with vigorous, and inexorable, unyielding logic throughout the range of affirma tive rights that the courts will be called upon to implement.

17

L’article 16.1 est, pour sa part, unique au Nouveau-Brunswick et prévoit :

16.1(1) La communauté linguistique française et la communauté linguistique anglaise du Nouveau-Brunswick ont un statut et des droits et privilèges égaux, notamment le droit à des institutions d’enseignement distinctes et aux institutions culturelles distinctes nécessaires à leur protection et à leur promotion.

(2) Le rôle de la législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick de protéger et de promouvoir le statut, les droits et les privilèges visés au paragraphe (1) est confirmé.

Page 88

Cet article reprend essentiellement certaines dispositions de la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick18. Il nous porte à nous interroger sur ce qu’on entend au juste par l’égalité entre les groupes. Or, force nous est de reconnaître que l’égalité entre les groupes est plus difficile à cerner ou à mesurer que l’égalité d’accès des individus à une institution ou à un service, comme le prévoit le paragraphe 20(2) de la Charte. Cependant, les difficultés inhérentes à ce concept ne doivent pas nous empêcher de chercher à donner plein effet à l’intention du constituant qui a jugé bon d’insérer cette notion dans la constitution canadienne.

Dans l’arrêt Moncton (Ville) c. Charlebois19, la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick s’est penchée pour la première fois sur l’interprétation de cette disposition. Dans cette affaire, elle était notamment appelée à déterminer siPage 89 les municipalités du Nouveau-Brunswick sont soumises aux dispositions de la Charte garantissant les droits linguistiques. Avant de conclure en ce sens, la Cour a retracé l’évolution récente des droits linguistiques dans la province20. La Cour est ensuite passée à l’interprétation de l’article 16.1 de la Charte. Selon elle, le principe d’égalité des communautés linguistiques officielles reconnu à cet article permet de mieux cerner l’objet des garanties linguistiques. L’article témoigne de l’engagement du législateur envers l’égalité des commu nautés de langue officielle. L’interprétation de l’article 16.1 est donc liée à l’interprétation du paragraphe 16(2) ainsi qu’aux conclusions retenues par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Beaulac quant à la nature et à la portée du principe d’égalité. La Cour d’appel s’est exprimée comme suit au sujet de l’article 16.1 :

Cette disposition vise à maintenir les deux langues officielles, ainsi que les cultures qu’elles représentent, et à favoriser l’épanouissement et le développement des deux communautés linguistiques officielles. Elle est de nature réparatrice et en traîne des conséquences concrètes. Elle impose au gouvernement provincial l’obligation de prendre des mesures positives destinées à assurer que la communauté de langue officielle minoritaire ait un statut et des droits et privilèges égaux à ceux de la communauté de langue officielle majoritaire... Le principe de l’égalité des deux communautés linguistiques est une notion dynamique.

21

Cette décision impose aux tribunaux du Nouveau-Brunswick qui auront à trancher des affaires portant sur les droits linguistiques l’obligation de tenir compte du contexte législatif et constitutionnel particulier de cette province. Comme le souligne Nicole Vaz, « [c]e jugement correspond à une conception de l’égalité beaucoup moins abstraite et davantage fondée sur les réalités sociopolitiques.»22.

Page 90

C’est dans ce contexte que nous allons maintenant aborder les autres dispositions linguistiques particulières au Nouveau-Brunswick.

3. Le bilinguisme dans le domaine législatif

Nous nous livrerons dans la présente partie à une analyse juridique des dispositions qui, en raison de leur caractère constitutionnel, prescrivent dans le domaine législatif des normes minimales inviolables. Puis nous examinerons les exigences en matière de bilinguisme législatif imposées par la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick, qui viennent compléter et enrichir les protections constitutionnelles.

Le paragraphe 17(2) de la Charte prévoit :

17. (2) Chacun a le droit d’employer le français ou l’anglais dans les débats et travaux de la Législature du Nouveau-Brunswick.

Ce paragraphe étend le droit d’employer l’une ou l’autre des deux langues officielles aux activités de l’Assemblée législative de la province. Ainsi, un député de l’Assemblée législative provinciale a le droit d’utiliser la langue officielle de son choix lors des travaux et débats parlementaires. Ce droit est en pratique reconnu par l’utilisation de l’interprétation simultanée. Dans l’arrêt Re Forest and Registrar of Court of Appeal of Manitoba, la Cour d’appel du Manitoba, en interprétant une disposition similaire dans cette province, a conclu que cette obligation exige la mise en place d’un système d’interprétation simultanée23. Toutefois, dans l’arrêt MacDonald c. Ville de Montréal, la Cour suprême a marqué son désaccord avec la Cour d’appel du Manitoba sur cette question24. Il est cependant important de noter que cette question n’a jamais été déterminée directement par un tribunal et qu’il conviendrait probablement, si la question était soulevée, d’adopter une approche positive davantage axée sur l’objet de la disposition. En effet, cette disposition, comme tous les autres droits linguistiques, doit être interprétée libéralement25. De plus, il nous apparaît important de noter que la dualité linguistique du Canada et, dans le cas qui nous intéresse, auPage 91 Nouveau-Brunswick se doit d’être reflétée dans ses institutions parlementaires26.

Il est évident que le droit à l’interprétation simultanée serait superflu dans le contexte d’une assemblée où tous les membres sont bilingues. Toutefois, la réalité canadienne fait en sorte que l’assemblée idéale sur le plan linguistique n’existe pas, surtout au Nouveau-Brunswick, où la très grande majorité des législateurs anglophones sont unilingues alors que les francophones sont bilingues.

Le paragraphe 18(2), pour sa part, impose l’impératif du bilinguisme dans le domaine législatif. Ce paragraphe énonce :

18. (2) Les lois, les archives, les comptes rendus et les procès-verbaux de la Législature du Nouveau-Brunswick sont imprimés et publiés en français et en anglais, les deux versions des lois ayant également force de loi et celles des autres documents ayant même valeur.

Selon le paragraphe 18(2), les deux versions des lois, archives, comptes rendus et procès-verbaux ont égale force de loi. La jurisprudence concernant ce paragraphe est sensiblement la même que celle qui a interprété l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 186727. Dans l’arrêt Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick, la Cour suprême a estimé, à la majorité que « [s]ous réserve de variantes stylistiques mineures, les termes des art. 17, 18 et 19 de la Charte ont été empruntés clairement et délibérément à la version anglaise de l’art. 133. »28

Toutefois, notons que malgré les similitudes entre l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et l’article 18 de la Charte, la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a estimé, dans l’arrêt Charlebois c. Moncton (Ville)29, que le paragraphe 18(2) opère différemment au Nouveau-Brunswick et que la jurisprudence portant sur l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 doit êtrePage 92 considérée avec une certaine réserve, car elle n’épuise pas les obligations provinciales.

Dans Charlebois, le plaignant a plaidé l’invalidité d’un règlement d’une municipalité de la province, reprochant à la municipalité une violation de ses droits linguistiques constitutionnels. Plus spécifiquement, il a argué que, sous le régime du paragraphe 18(2), les municipalités de la province avaient l’obligation d’édicter et d’adopter les règlements et arrêtés municipaux dans les deux langues officielles. La Cour suprême avait pourtant déjà déclaré dans l’arrêt Blaikie (n° 2)30 que l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 n’englobait pas les règlements et arrêtés municipaux. On demandait donc à la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick de donner au paragraphe 18(2) une interprétation plus large que celle de la Cour suprême dans Blaikie (n° 2).

La Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a estimé qu’une interprétation libérale des droits linguistiques exigeait que l’on tienne compte de l’évolution historique des droits de la minorité au Nouveau-Brunswick31. Selon la Cour, les lois linguistiques et les dispositions constitutionnelles linguistiques particulières de la province ont eu pour effet d’y instaurer, en matière linguistique, un régime constitutionnel qui lui est propre et qui est unique dans le contexte canadien32. Il serait donc inexact de tenir pour acquis que tout tribunal appelé à se prononcer sur l’interprétation des articles 17, 18 et 19 de la Charte doit s’en tenir à l’interprétation que les tribunaux ont déjà donnée à l’article 133. Selon la Cour d’appel, « il saute aux yeux que le contexte historique et législatif de l’adoption en 1982 du par. 18(2) de la Charte est différent de celui qui prévalait à l’époque de la Confédération lors de l’adoption de l’art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 »33. La Cour conclut donc que les règlements et arrêtés municipaux adoptés par les municipalité de la province sont couverts par les obligations prévues au paragraphe 18(2) de la Charte, contrairement à ce qui avait été conclu dans le cas des provinces du Québec et du Manitoba.

Ajoutons également que le paragraphe 18(2) de la Charte régit à la fois le contenu et la forme et exige l’emploi simultané des deux langues lors de la publication des lois, mais aussi lors de leur adoption et de leur promulgation. Le non-respect de cette règle aurait pour effet d’invalider un texte. Dans l’ar-Page 93rêt Blaikie (n° 1), la Cour suprême du Canada a jugé que l’obligation de bilinguisme dans les textes de loi s’étend aussi aux actes réglementaires et à la législation déléguée34.

Au Nouveau-Brunswick, la Loi sur les langues officielles35 (la « Loi ») met en œuvre et amplifie les règles constitutionnelles inscrites aux paragraphes 17(2) et 18(2) de la Charte. Aux termes de l’article 6 de la Loi. « [l]e français et l’anglais sont les langues officielles de la Législature et chacun a le droit d’employer la langue officielle de son choix dans les débats et les travaux de l’Assemblée législative et de ses comités». L’article 7 prévoit que « [l]’Assemblée législative doit pourvoir à l’interprétation simultanée de ses débats et autres travaux ». Ainsi, les députés provinciaux ont droit à l’interprétation simultanée non seulement lors des travaux de l’Assemblée, mais également lors des délibérations de ses différents comités. Pour sa part, l’article 8 énonce que « [l]es archives, les comptes-rendus, les procès-verbaux et les rapports de l’Assemblée législative et de ses comités sont imprimés et publiés dans les deux langues officielles, les deux versions ayant même valeur ».

Selon l’article 9, « [l]e français et l’anglais sont les langues officielles de la législation ». L’article 10 précise que « [l]a version française et la version anglaise des lois du Nouveau-Brunswick ont également force de loi ». L’article 11 prévoit que « [l]es projets de lois sont déposé à l’Assemblée législative simultanément dans les deux langues officielles et ils sont aussi adoptés et sanctionnés dans les deux langues officielles ». L’article 12 prévoit que « [l]es lois de la Législature sont imprimées et publiées dans les deux langues officielles », alors que l’article 13 prévoit la même chose pour ce qui est des règles, ordonnances, décrets en conseil et proclamations. Finalement, les articles 14 et 15 imposent au gouvernement l’obligation de publier dans les deux langues les avis officiels.

4. Le bilinguisme dans le domaine judiciaire

Le système judiciaire devrait, règle générale, traduire les valeurs et la culture de la société qu’il est appelé à servir. Pour se faire, il faudra donc que les institutions qui contribuent à la justice reflètent à la fois les valeurs de la majorité et celles des minorités officielles. Si, pour toutes personnes ne parlant pasPage 94 la langue de la majorité, soit l’anglais, le droit d’être compris par l’appareil judiciaire relève du droit à l’équité procédurale et de la justice naturelle, pour la minorité de langue officielle, ceux qui parlent le français, ce droit implique également le droit de comparaître devant des juges qui parlent leur langue et qui comprennent leur culture et leurs valeurs36.

Par bilinguisme judiciaire, nous entendons la possibilité pour chacun d’employer, devant les tribunaux, l’une ou l’autre langue officielle. Ce droit s’applique tout autant aux tribunaux judiciaires qu’aux tribunaux administratifs.

Au Nouveau-Brunswick, le droit au bilinguisme judiciaire est inscrit dans la Constitution et énoncé dans diverses dispositions législatives. Toutefois, ces droits, contrairement aux autres droits linguistiques, ont été jusqu’ici interprétés de manière restrictive par les tribunaux.

Abordons tout d’abord le paragraphe 19 (2) de la Charte :

19. (2) Chacun a le droit d’employer le français ou l’anglais dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux du Nouveau-Brunswick et dans tous les actes de procédures qui en découlent.

Le libellé de l’article 19 est similaire à celui de l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867. L’approche interprétative retenue par la Cour suprême dans l’affaire R. c. Beaulac et les observations formulées par la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick dans l’arrêt Charlebois c. Moncton (Ville) nous portent cependant à penser qu’il y aurait lieu d’interpréter cet article de manière différente.

C’est toutefois dans l’affaire Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick c. Assn. of Parents for Fairness in Education37 que la Cour suprême a été appelée à interpréter pour la première fois l’article 19 de la Charte. Dans cette décision, la Cour suprême a essentiellement considéré l’article 19 comme un droit négatif. Dans cette affaire, il s’agissait pour la Cour suprême de déterminer si le droit d’employer le français ou l’anglais dans le cadre d’une affaire devant un tribunal du Nouveau-Brunswick exigeait que le membre du tribunal soit capable de comprendre les débats et témoignages dans la langue utilisée par les parties sans l’intermédiaire d’un traducteur. La Cour suprême a conclu que le droit conféré par cet article, bien qu’il accorde aux parties le droit d’utiliser la langue officielle de leur choix devant les tribunaux, ne leur accordait pas lePage 95 droit d’être compris directement dans cette langue par le ou les juges présidant le tribunal.

La majorité de la Cour suprême a fait remarquer que si les rédacteurs de la Charte avaient voulu accorder aux parties un tel droit, ils se seraient exprimés différemment. Ils auraient pu par exemple utiliser le mot « communiquer » pour confirmer que le paragraphe 19(2) donnait le droit d’être compris dans la langue que la partie avait choisie. Selon la Cour, « [c]e droit de communiquer dans l’une ou l’autre langue suppose aussi le droit d’être entendu ou compris dans ces langues »38. Or, l’article 19 prévoit uniquement le droit « d’employer » l’une ou l’autre des langues officielles, ce qui n’inclut pas le droit d’être compris dans celle-ci.

Dans cette décision, la Cour a insisté sur la distinction entre les droits linguistiques et les droits garantissant un procès équitable, estimant que « le droit [des parties] d’être entendues et comprises par un tribunal et leur droit de comprendre ce qui se passe dans le prétoire est non pas un droit linguistique, mais plutôt un aspect du droit à un procès équitable »39. Or, les droits linguistiques et les principes de justice naturelle qui sont à la base du droit à un procès équitable ont des origines et des objets différents. Faire des droits linguistiques une question d’équité procédurale, c’est se fonder sur une fiction qui consiste à considérer le choix d’une langue officielle comme un aveu de son ignorance de l’autre. Ce raisonnement semble avoir mené la Cour à donner aux droits linguistiques prévus à l’article 19 une interprétation étroite qui ne protège les droits que dans les limites du nécessaire. De plus, en établissant une équivalence entre les droits linguistiques et les principes de justice naturelle, la Cour ne considère la langue que comme un outil de communication, la dépouillant de son contenu culturel. Elle fait ainsi fi de l’importance de la sécurité linguistique des minorités et de l’importance de favoriser l’épanouissement des communautés de langue officielle. Il ne faut pas oublier que les droits linguistiques ont une origine et un rôle complètement distincts des principes de justice naturelle. Ils visent à protéger les minorités de langue officielle et à assurer l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais40.

Page 96

La décision de la Cour suprême du Canada dans Société des Acadiens a été qualifiée par certains commentateurs de désastreuse pour les minorités linguistiques en raison de l’interprétation restrictive que la Cour suprême y a donnée aux droits linguistiques41. Selon la Cour, les droits linguistiques appellent une interprétation moins large que les autres droits, étant donné que, contrairement aux garanties judiciaires, elles sont le fruit d’un compromis politique. La Cour en tire donc la conclusion que les tribunaux devraient exercer une grande retenue dans l’interprétation de ces droits et que les justiciables devraient se tourner vers la législature pour obtenir leur élargissement.

Dans l’arrêt R. c. Beaulac42, la Cour suprême a remis les pendules à l’heure en ce qui concerne les principes qui doivent être appliqués dans l’interprétation des droits linguistiques. La Cour y écarte la base d’interprétation restrictive qu’elle avait retenue dans les arrêts Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick, MacDonald et Bilodeau. Elle y affirme que « [l]es droits linguistiques ne sont pas des droits négatifs, ni des droits passifs; ils ne peuvent être exercés que si les moyens en sont fournis »43. Ensuite, elle poursuit en précisant que la doctrine du compromis politique qui était à la base de l’approche retenue par la Cour dans Société des Acadiens, entre autres, « n’a aucune incidence sur l’étendue des droits linguistiques »44 et que « [d]ans la mesure où l’arrêt Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick [...] préconise une interprétation restrictive des droits linguistiques, il doit être écarté »45. La Cour estime que l’objet des droits linguistiques est de servir « au maintien et à la protection des collectivités de langue officielle »46.

L’arrêt Beaulac marque donc un moment important dans l’histoire des droits linguistiques au Canada, puisqu’il vient réhabiliter ces droits comme des droits fondamentaux qui doivent être traités de la même manière que les autres droits protégés par la Charte canadienne des droits et libertés. Il n’existePage 97 donc plus, selon cette interprétation, d’hiérarchie des droits au Canada et au Nouveau-Brunswick, et les droits linguistiques ne doivent plus être considérés comme les parents pauvres des droits fondamentaux.

Or, malgré l’approche généreuse adoptée par la Cour suprême dans l’arrêt Beaulac quant à l’interprétation des droits linguistiques, la décision de la Cour suprême dans Société des Acadiens à l’égard de la portée du par. 19(2) n’a toujours pas été écartée et cet aspect de la décision demeure donc toujours pertinent aujourd’hui. Nous pouvons en tirer la conclusion que les garanties constitutionnelles de l’article 19 qui se rattachent au bilinguisme judiciaire sont, jusqu’à preuve du contraire, plutôt minces.

Heureusement, la législature du Nouveau-Brunswick a adopté des mesures supplémentaires prévoyant l’emploi de l’anglais et du français devant les tribunaux. Certes, ces dispositions n’offrent pas aux droits linguistiques une protection à l’épreuve de tout puisqu’elles peuvent, à certaines conditions, être modifiées et abrogées unilatéralement, mais les droits qu’elles confèrent constituent l’essentiel du bilinguisme judiciaire.

Ainsi, la Loi du Nouveau-Brunswick de 2002 sur les langues officielles garantit, l’égalité d’accès aux tribunaux aussi bien en français qu’en anglais pour ce qui est des procédures, décisions, services offerts au public et communications avec le public.

L’article 16 de la Loi prévoit que le français et l’anglais sont les langues officielles des tribunaux de la province. Le terme « tribunaux » comprend également les tribunaux administratifs. L’article 17 reconnaît le droit constitutionnel d’employer devant ces tribunaux la langue officielle de son choix pour les plaidoiries et les actes de procédure. L’article 18 précise que « [n]ul ne peut être défavorisé en raison du choix fait en vertu de l’article 17 ». En application de l’article 19, la cour est tenue de comprendre, sans le recours à l’interprétation, la langue officielle choisie par une partie à l’instance, voire les deux langues officielles si elles ont toutes deux été choisies par les parties. L’article 20 étend aux personnes à qui l’on reproche une infraction à une loi, ou à un règlement provincial ou municipal, le droit de choisir la langue des procédures. Selon l’article 21, le tribunal doit veiller à ce que tout témoin comparaissant devant lui puisse être entendu dans la langue officielle de son choix. L’article 22 prévoit que dans une affaire civile à laquelle la province ou une de ses institutions est partie, celle-ci doit procéder dans la langue officielle choisie par l’autre partie.

Page 98

La Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick n’exige pas que toute décision définitive, ordonnance ou jugement rendu par un tribunal soit rédigé dans les deux langues officielles. Le paragraphe 24(1) prévoit, à cet effet, que les décisions ou ordonnances définitives des tribunaux, exposés des motifs et sommaires compris, sont publiées dans les deux langues officielles : 1) si le point de droit en litige présente de l’intérêt ou de l’importance pour le public ou 2) lorsque les procédures se sont déroulées, en tout ou en partie, dans les deux langues officielles. Le paragraphe 24(2) prévoit une exception lorsque la publication d’une version bilingue entraînerait un retard préjudiciable à l’intérêt public ou causerait une injustice ou un inconvénient grave à l’une des parties47.

Aux termes de l’article 25, les décisions de la Cour d’appel de la province sont réputées répondre en tout temps aux critères de l’article 24. Finalement, l’article 26 précise qu’un jugement ne saurait être invalidé simplement parce qu’il a été prononcé dans une seule langue officielle.

5. Le droit à la prestation des services publics dans les langues officielles

Le paragraphe 20(2) de la Charte prévoit :

20. (2) Le public a, au Nouveau-Brunswick, droit à l’emploi du français ou de l’anglais pour communiquer avec tout bureau des institutions de la législature ou de gouvernement ou pour en recevoir les services.

Les droits reconnus à ce paragraphe sont ceux du « public ». Comme l’ont fait remarquer certains commentateurs, la notion de « public » n’est pas un terme de droit et « le public n’a pas cette personnalité juridique lui permettant d’invoquer de manière efficace les droits qui lui sont garantis »48. Il convient donc de donner à ce mot son sens ordinaire. À notre avis, il englobe les individus et les associations et groupes qu’ils soient ou non dotés de la personnalité juridique et qui sont susceptibles d’avoir recours aux services gouvernementaux.

Page 99

L’article 20 consacre deux droits distincts : le droit de communiquer et le droit de recevoir des services des bureaux des institutions de la législature et du gouvernement de la province. Le droit de « communiquer » confère le droit de s’adresser à l’organisme, verbalement ou par écrit, dans la langue officielle de son choix et le droit de recevoir une réponse dans cette langue. Ce droit comprend également le droit d’être entendu et compris par le bureau dans l’une ou l’autre langue officielle, contrairement à ce que nous avons vu pour l’article 1949.

Quant à savoir ce qu’il faut entendre par « services », les tribunaux ne se sont pas encore prononcés définitivement sur ce point. Toutefois, nous pouvons affirmer sans risquer de nous tromper que l’on entend par « services » beaucoup plus que le recours à la traduction ou à l’interprétation qui, à notre avis, ne pourra être envisagé que lorsque cela ne diminue en rien la qualité des services50.

Quelles sont les institutions que le constituant désirait assujettir à l’article 20? Dans l’affaire R. c. Gautreau51, la Cour du Banc de la Reine a confirmé que les critères suivants seraient déterminants pour dire si un organisme donné est effectivement une institution au sens du paragraphe 20(2) de la Charte :

Il nous apparaît d’abord nécessaire que l’organisme que nous cherchons à qualifier comme une institution de la législature ou du gouvernement soit une créature de l’État et doive son existence même à une loi publique ou à une division fonctionnelle intégrée d’un ministère [...].

La nomination de ses administrateurs, son financement, le degré de contrôle exercé par l’État sur ses activités, la nature de ses activités, peuvent être des facteurs pertinents dans la qualification d’un organisme mais le facteur prépondérant demeure la source juridique de ses pouvoirs.

52

En appliquant ces critères, la Cour a conclu que les services de police sont des institutions gouvernementales au sens de l’article 20. Tout membre du publicPage 100 a par conséquent le droit de communiquer avec la police dans la langue officielle de son choix et peut s’attendre à ce qu’on lui réponde dans cette langue. Toutefois, d’autres tribunaux ont refusé de retenir cette interprétation53.

Dans une décision récente, Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau-Brunswick Inc. et Paulin c. Canada54, le problème s’est présenté sous un angle nouveau. Selon une entente entre le gouvernement du Canada et celui du Nouveau-Brunswick, la Gendarmerie royale du Canada (la « GRC ») fournit les services de police provincaux au Nouveau-Brunswick. La GRC, en tant que police nationale, est une institution fédérale. La question portée devant la Cour visait à déterminer si les membres de la GRC sont tenus de respecter les obligations linguistiques imposées aux institutions du Nouveau-Brunswick par le par. 20(2) de la Charte lorsqu’ils exercent leurs fonctions en tant qu’agents de police provinciaux ou les obligations moins contraignante prévues à la législation fédérale.

La Cour suprême a répondu par l’affirmative à cette question. Selon elle, bien que la GRC conserve le statut d’institution fédérale lorsqu’elle agit en vertu d’un contrat avec une province, ses membres se voient conférer, en vertu de la loi provinciale, toutes les attributions d’un agent de la paix dans la province et ils sont habilités à y administrer la justice. Ils exercent donc le rôle d’une « institution de la législature ou du gouvernement » du Nouveau-Brunswick et sont tenus de respecter les obligations prévues au par. 20(2) de la Charte.

Comme nous venons de le voir, dans l’arrêt Charlebois c. Moncton (Ville)55, la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a conclu également que les municipalités de la province sont elles aussi soumises aux obligations découlant de la Charte. Selon la Cour, les municipalités sont des émanations de la province. Elles exercent des pouvoirs gouvernementaux qui leur sont conférés par la législature ou le gouvernement et tirent leurs pouvoirs d’une loi.

Page 101

Les mesures législatives qui se sont succédé dans le domaine de la prestation des services publics dans les deux langues officielles au Nouveau-Brunswick ont doté les résidents de cette province d’un régime linguistique unique au Canada. Dans les paragraphes qui suivent, nous allons nous pencher sur les dispositions de la Loi sur les langues officielles qui garantissent la prestation de services bilingues par les autorités administratives, y compris au plan municipal, ainsi que sur le droit d’obtenir des services de santé dans les deux langues officielles.

En ce qui concerne la définition du mot « communiquer », la Loi sur les langues officielles précise que l’expression vise toute forme de communication orale, écrite ou électronique. De plus, la Loi définit le terme « institution » comme les institutions de l’Assemblée législative et du gouvernement du Nouveau-Brunswick, les tribunaux, tout organisme, bureau, commission, conseil, office ou autre créés afin d’exercer des fonctions de l’État sous le régime d’une loi provinciale ou en vertu des attributions du lieutenant-gouverneur en conseil, les ministères et les sociétés de la Couronne créées par le gouvernement.

Les dispositions concernant le bilinguisme des services offerts au public sont les articles 27 à 30 de la Loi. Selon l’article 27, chacun a le droit de communiquer avec toute institution et d’en recevoir les services dans la langue officielle de son choix. L’article 28 exige des institutions qu’elles veillent à ce que les personnes faisant partie du public puissent communiquer avec elles et en recevoir les services dans la langue officielle de leur choix.

L’article 28.1 incorpore le concept d’« offre active », qui prévoit que les institutions doivent prendre les mesures nécessaires pour informer le public que leurs services lui sont offerts dans la langue officielle de son choix.

Aux termes des articles 29 et 30, la communication et l’affichage destinés au grand public doivent être dans les deux langues officielles. Les institutions doivent également veiller à ce que les services offerts au public par des tiers pour le compte de la province ou de ses institutions soient offerts dans la langue officielle choisie par le membre du public. Notons que dans le cadre législatif adopté par la province, comme dans le cadre constitutionnel d’ailleurs, aucune considération d’ordre géographique ne vient limiter ou qualifier la portée des dispositions. Ainsi, le public a droit de recevoir des services dans la langue officielle de son choix de la part des institutions de la province sur l’ensemble du territoire provincial.

Page 102

Les articles 31 et 32 visent particulièrement les services de police. Selon le paragraphe 31(1), tout membre du public a le droit lorsqu’il communique avec un agent de la paix de se faire servir dans la langue officielle de son choix, et il doit être informé de ce choix par l’agent de la paix. Aux termes du paragraphe 31(2), si un agent de la paix n’est pas en mesure d’assurer la prestation des services dans la langue officielle choisie en vertu du paragraphe (1), il doit, dans un délai raisonnable, prendre les mesures permettant de communiquer dans la langue choisie par le public.

Malheureusement, un tribunal inférieur a donné une interprétation très restrictive au paragraphe 31(2). En effet, la décision dans l’affaire R. c. LeBlanc56 est préoccupante, pour ne pas dire injustifiable, en raison de l’interprétation que le juge a donnée à ce paragraphe de la Loi sur les langues officielles. Dans cette affaire, Mme LeBlanc avait été interceptée par un agent de la GRC pour excès de vitesse. Mme LeBlanc soutenait que l’attente de 20 minutes que l’agent de la GRC lui avait imposée pour recevoir des services en langue française était inacceptable.

Bien que la cour ait tranché en faveur de Mme LeBlanc et ait ordonné que le billet de contravention soit rejeté, l’interprétation par le juge de l’article 31 de la Loi sur les langues officielles soulève bien des questions. Le juge a conclu que l’agent de la GRC, même s’il avait parlé avec Mme LeBlanc en anglais seulement, avait fait une offre active tout simplement en étant courtois et en répondant à sa demande de service en français en offrant de faire venir un agent capable de communiquer avec elle dans cette langue. Pour justifier son raisonnement, le juge a souligné que le terme « immédiatement » n’était pas inclus dans le paragraphe 31(1). Le juge a également observé : « Pour leur permettre de communiquer en français avec des unilingues français, les policiers unilingues anglais [...] ont des cartes spéciales avec eux en tout temps pour traduire des mots clés. De toute façon, la carte n’a pas été utilisée le soir en question puisque les parties ont réussi à se comprendre. »

Le juge semble ramener les obligations imposées aux agents de police à une simple obligation d’accommodement pour les personnes unilingues, ce qui n’est pas conforme avec les instructions de la jurisprudence, notamment celles de la Cour suprême dans l’arrêt de principe Beaulac. La cour semble laisser croire que les droits linguistiques sont fondés sur la capacité linguistique d’une personne et non pas sur le droit de cette personne de communiquer dansPage 103 la langue officielle de son choix. Cette interprétation est contraire à l’objet de la Loi sur les langues officielles et à celui des droits linguistiques57.

Pourtant, la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick en est arrivée à une conclusion différente dans une autre affaire portant sur l’article 31. Dans l’arrêt R. c. McGraw58, M. McGraw avait été arrêté par un agent de la GRC pour une infraction au Code de la route. L’agent s’est adressé à M. McGraw en français et tous les échanges qui ont suivi se sont déroulés dans cette langue. M. McGraw a invoqué une violation de son droit de se faire servir dans la langue officielle de son choix. Bien que M. McGraw, qui est parfaitement bilingue, n’ait pas exprimé d’objection à l’emploi de la langue française contrairement au cas de Mme LeBlanc, la cour a conclu qu’il n’avait jamais choisi cette langue officielle comme langue de communication avec l’agent de la paix. Lorsqu’il a été appelé à répondre aux accusations devant la Cour provinciale, M. McGraw a demandé leur rejet en faisant valoir que ses droits linguistiques avaient été violés. Le juge du procès s’est dit en désaccord, car, selon lui, comme M. McGraw était parfaitement bilingue, ses droits linguistiques ne pouvaient avoir été violés.

La Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a accueilli l’appel de M. McGraw, le juge en chef Drapeau déclarant, entre autres, ce qui suit :

Je mettrais fin aux procédures en insistant à mon tour [...] sur l’importance des droits linguistiques au Nouveau-Brunswick seule province ayant deux langues officielles. Ce sont en effet les droits linguistiques, qu’ils tirent leur source de la Charte, de la Loi sur les langues officielles ou de la Loi sur la procédure applicable aux infractions provinciales, qui nous différencient au sein de la fédération canadienne; avec le temps, nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à voir fièrement dans ces droits ce qui les définit comme Néo-Brunswickois. Il faut espérer que l’issue de la présente instance fera bien comprendre aux agents de la paix chargés de l’application des lois provinciales que les droits linguistiques sont inviolables.

59

Page 104

Les articles 33 et 34 portent sur les services de santé. Aux termes du paragraphe 33(1), malgré la définition du mot « institution » à l’article premier de la Loi, on entend par « institution en matière de santé » le réseau des établissements, installations et programmes de santé relevant du ministère de la Santé ou les régies régionales de la santé établies en vertu de la Loi sur les régies régionales de la santé60. Le paragraphe 33(2) prévoit que lorsque le ministre de la Santé établit un plan provincial de la santé en vertu de la Loi sur les régies régionales de la santé, il veille à ce que les services soient assurés dans les deux langues officielles. L’article 34 confirme le droit qu’ont les hôpitaux de fonctionner au quotidien dans une seule des langues officielles, à condition de respecter l’obligation de servir le public dans la langue officielle de son choix.

Les municipalités61 sont couvertes de manière précise aux articles 35 à 38 de la Loi. Selon le paragraphe 35(1), les cités ou les municipalités où les personnes de langue officielle minoritaire atteignent au moins 20 pour cent de la population totale sont tenues d’adopter et de publier leurs arrêtés et règlements dans les deux langues officielles62. Aux termes de l’article 36, les municipalités et les villes visées au paragraphe 35(1) ou à l’article 37 sont tenues d’offrir, dans les deux langues officielles, les communications et les services prescrits par règlement.

6. Les droits linguistiques en matière scolaire

L’article 23 de la Charte prévoit :

23. (1) Les citoyens canadiens :

a) dont la première langue apprise et encore comprise est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province où ils résident,

b) qui ont reçu leur instruction, au niveau primaire, en français ou en anglais au Canada et qui résident dans une province où la langue dans laquelle ils ont reçu cette instruction est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province,Page 105 ont, dans l’un ou l’autre cas, le droit d’y faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans cette langue.

2) Les citoyens canadiens dont un enfant a reçu ou reçoit son instruction, au niveau primaire ou secondaire, en français ou en anglais au Canada ont le droit de faire instruire tous leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de cette instruction.

(3) Le droit reconnu aux citoyens canadiens par les paragraphes (1) et (2) de faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de la minorité francophone ou anglophone d’une province :

a) s’exerce partout dans la province où le nombre des enfants des citoyens qui ont ce droit est suffisant pour justifier à leur endroit la prestation, sur les fonds publics, de l’instruction dans la langue de la minorité;

b) comprend, lorsque le nombre de ces enfants le justifie, le droit de les faire instruire dans des établissements d’enseignement de la minorité linguistique financés sur les fonds publics.

L’article 23 a été qualifié par la Cour suprême de « clef de voûte de l’engagement du Canada envers le bilinguisme et le biculturalisme »63, ce qui confirme l’importance qu’il investit dans la recherche de l’égalité linguistique au pays. Cet article a donné lieu à de nombreuses contestations judiciaires. La Cour suprême du Canada a été appelée à se prononcer sur l’article 23 à cinq reprises depuis son adoption64.

L’article 23 confère aux parents de la minorité linguistique d’une province, soit la communauté francophone au Nouveau-Brunswick, le droit de faire instruire leurs enfants dans leur langue. Dans l’arrêt Mahé, la Cour a indiqué que l’article 23 renferme « une notion d’égalité entre les groupes linguistiques des deux langues officielles du Canada. »65 Elle a ajouté que cet article « vise à maintenir les deux langues officielles du Canada ainsi que les cultures qu’elles représentent et à favoriser l’épanouissement de chacune de ces langues, dans la mesure du possible, dans les provinces où elle n’est pas parlée par la majorité »66.

Page 106

Puisqu’il vise un objectif particulier, à savoir l’épanouissement des minorités de langue officielle, l’article 23 définit les catégories de personnes auxquelles il confère des droits. Ainsi, le droit de faire instruire ses enfants dans la langue de la minorité francophone ou anglophone d’une province appartient aux citoyens canadiens (critère général) :

1. dont la première langue apprise et encore comprise est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province où ils résident (alinéa 23 (1)a));

2. aux parents qui ont reçu leur instruction, au niveau primaire, en français ou en anglais au Canada et qui résident dans une province où la langue dans laquelle ils ont reçu cette instruction est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province (alinéa 23(1)b)); et,

3. dont un enfant a reçu ou reçoit son instruction, au niveau primaire ou secondaire, en français ou en anglais au Canada (par. 23.[2]).

Le droit général des parents appartenant à la minorité linguistique de faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans leur langue officielle existe dans une province lorsque le nombre d’enfants dont les parents ont ce droit est suffisant pour justifier à leur endroit la prestation de l’instruction dans la langue de la minorité (23[3]a). Ce droit comprend également, lorsque le nombre de ces enfants le justifie, celui de les faire instruire dans des établissements d’enseignement de la minorité linguistique financés sur les fonds publics (23[3]b).

La province du Nouveau-Brunswick, qui est également régie par l’article 23 de la Charte, a également été une pionnière en ce qui concerne l’enseignement dans la langue de la minorité. C’est en 1977, soit cinq années avant l’adoption de la Charte, que la loi de cette province a reconnu aux parents le droit de faire instruire leurs enfants dans la langue officielle de leur choix. Il n’est donc pas surprenant que la mise en œuvre de l’article 23 soit particulièrement bien assurée au Nouveau-Brunswick, du moins en ce qui concerne la langue d’enseignement.

La Loi sur l’éducation crée deux secteurs pédagogiques distincts, c’est-à-dire deux réseaux de districts scolaires qui se chevauchent et qui couvrent l’ensemble du territoire de la province : l’un pour les anglophones et l’autre pour les francophones67. Au niveau du ministère de l’Éducation, des services adminis-Page 107tratifs parallèles ont été instaurés, sauf en matière financière. Dans les écoles d’un district scolaire donné, la langue d’instruction est celle du district, sauf en ce qui concerne, bien sûr, l’enseignement de la langue seconde68. Les programmes et services d’enseignement dans un district scolaire doivent, sauf en ce qui concerne l’enseignement de la langue seconde, être conçus et assurés par des personnes parlant la langue officielle du district scolaire69.

En matière d’inscription dans les écoles de la minorité linguistique, outre les trois catégories admissibles au titre de l’article 23 auxquelles nous avons fait référence plus haut, la loi permet aux enfants dans n’importe quelle région de la province d’être instruits dans la langue qu’ils connaissent « suffisamment ». Toutefois, les enfants francophones ne peuvent pas être inscrits à des cours d’immersion dans leur langue. Cependant, les élèves qui connaissent suffisamment bien l’une des langues officielles, ou les deux, ont une entière liberté de choix70. En cas de doute, une épreuve permettra d’évaluer les aptitudes linguistiques de l’enfant71.

Conclusion

Le paysage linguistique néo-brunswickois présente des signes encourageants quant aux droits reconnus à la communauté minoritaire de la province, du moins sur le plan théorique, sinon pratique. Les principes de l’égalité des langues et des communautés de langue officielle contribuent puissamment à l’interprétation des garanties linguistiques inscrites dans la Constitution. Cette conclusion se fonde sur l’approche généreuse et libérale retenue par la Cour suprême du Canada et la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick en matière d’interprétation des droits linguistiques. De plus, la reconnaissance récente et explicite du principe constitutionnel non écrit du respect et de la protection des minorités72 montre que les tribunaux sont, sur la question des conséquences de l’égalité linguistique, prêts à prendre en compte l’existence d’une culture dominante et la crainte de la minorité de perdre sa langue et sa culture.

Page 108

Il n’y a plus qu’à souhaiter que cette reconnaissance juridique des droits se matérialise également sur le plan politique, ce qui malheureusement ne semble pas encore être le cas. Il est encore trop commun pour les autorités politiques de reconnaître des droits, mais de refuser d’adopter des mesures positives pour les mettre en œuvre. Ce constat nous porte à conclure que le Nouveau-Brunswick demeure un modèle de reconnaissance de droits, mais essentiellement au niveau symbolique, la réalité restant encore très loin de l’idéal.

--------

[1] M. BASTARACHE, « Introduction », dans Les droits linguistiques au Canada, 2e édition, sous la direction de M. Bastarache, Les éditions Yvon Blais, à la p. 3; R. Dunbar, « Minority Language Rights in International Law », (2001) 50 I.C.L.Q. 90, p. 90, note 1.

[2] R. L. WATS, « Multicultural Societies and Federalism » dans CANADA, Rapport de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, livre 1, Les langues officielles, Ottawa, Imprimeur de la Reine, 1967, p. xix.

[3] R. GOREHAM, Les principes du libre choix et de la territorialité dans l’application des droits linguistiques, Rapport présenté au Commissaire aux langues officielles (mars 1994), p. 3.

[4] Le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse et l’Île-du-Prince-Édouard.

[5] L’établissement de Port-Royal, en Acadie, a été fondé en 1604, alors que la ville de Québec a été fondée quatre ans plus tard, en 1608.

[6] M. BASTARACHE et A. BOUDREAU OUELLET, « Droits linguistiques et culturels des Acadiens et Acadiennes de 1713 à nos jours », dans J. DAIGLE (dir.), L’Acadie des Maritimes, Moncton, Chaire d’études acadiennes, 1993, 385, aux pages 386 et 387.

[7] Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 32 Vict., ch. 3 (R.-U.), reproduite dans L.R.C. (1985), app. II, n° 5.

[8] Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick, S.N.B. 1969, ch. 14.

[9] Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au N.-B., L.N.-B. 1981, ch. O - 1.1.

[10] Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.)

[11] L.N.-B. 2002, ch. O-0.5

[12] Renvoi : Droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721; R. c. Mercure, [1988] 1 R.C.S 234.

[13] R. c. Mercure, précité, par. 45.

[14] [1999] 1 R.C.S. 768.

[15] Beaulac, précité, aux par. 22 à 25.

[16] N. VAZ et P. FOUCHER, « Le droit à la prestation des services publics dans les langues officielles », dans Les droits linguistiques au Canada, précité, à la p. 318 ; Charles N. WEBER, « The Promise of Canada’s Official Language Declaration », dans J. E. MANGET (éd.), Official Languages of Canada, LexisNexis 2008, aux pp. 131-170.

[17] J. MAGNET, « The Charter’s Official Languages Provision : the Implementation of Entrenched Bilingualism », (1982) 2 Sup. Ct. L. Rev. 163, à la p. 182.

[18] L.N.-B. 1981, ch. O-1.1. C’est en 1981 que le gouvernement provincial a adopté cette loi qui reconnaît officiellement l’existence et l’égalité des deux communautés de langue officielle de la province. Les trois articles de la Loi prévoient :

CONSIDÉRANT que l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick reconnaît l’existence de deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick dont les valeurs et les héritages culturels émanent des deux langues officielles du Nouveau-Brunswick et s’expriment par elles; et

CONSIDÉRANT que l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick désire reconnaître l’égalité de ces communautés linguistiques officielles; et

CONSIDÉRANT que l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick cherche à accroître les possibilités de chaque communauté linguistique officielle de profiter de son héritage culturel et de le sauvegarder pour les générations à venir; et

CONSIDÉRANT que l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick désire affirmer et protéger dans ses lois l’égalité de statut et l’égalité des droits et privilèges des communautés linguistiques officielles;

ET CONSIDÉRANT que l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick désire enchâsser dans ses lois une déclaration de principes relative à cette égalité de statut et à cette égalité des droits et privilèges qui doit fournir un cadre d’action aux institutions publiques et un exemple aux institutions privées.

À CES CAUSES, Sa Majesté, sur l’avis et du consentement de l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick, décrète:

Reconnaissant le caractère unique du Nouveau-Brunswick, la communauté linguistique française et la communauté linguistique anglaise sont officiellement reconnues dans le contexte d’une seule province à toutes fins auxquelles s’étend l’autorité de la Législature du Nouveau-Brunswick; l’égalité de statut et l’égalité des droits et privilèges de ces deux communautés sont affirmées.

Le gouvernement du Nouveau-Brunswick assure la protection de l’égalité de statut et de l’égalité des droits et privilèges des communautés linguistiques officielles et en particulier de leurs droits à des institutions distinctes où peuvent se dérouler des activités culturelles, éducationnelles et sociales.

Le gouvernement du Nouveau-Brunswick, dans les mesures législatives qu’il propose, dans la répartition des ressources publiques et dans ses politiques et programmes, encourage, par des mesures positives, le développement culturel, économique, éducationnel et social des communautés linguistiques officielles.

[19] (2001), 242 R.N.-B. (2e) 259 (C.A.)

[20] Faisant figure de pionnière, la province a d’abord adopté en 1969 la Loi sur les langues officielles, qui reconnaît à l’anglais et au français un statut égal de droits et de privilèges dans tout le champ de compétence provincial et prévoit l’exercice de certains droits linguistiques spécifiques. En 1981, le gouvernement provincial a adopté la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick. L’année suivante, la province a fait inscrire dans la Charte certains droits linguistiques qui s’appliquent spécifiquement aux institutions de la Législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick. Ces droits sont garantis aux paragraphes 16(2) à 20(2) de la Charte. En 1993, le gouvernement provincial a constitutionnalisé les principes de la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick à l’article 16.1 de la Charte et, en 2002, il a adopté une nouvelle loi sur les langues officielles.

[21] Charlebois, précité, par. 80.

[22] N. VAZ, « Le principe d’égalité des langues officielles » dans Les droits linguistiques, 2 éd., précité, à la page 701.

[23] (1997), 77 D.L.R. (3d) 445 à la page 454 (C.A. Man.). Cette décision portait sur l’interprétation de l’article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba, disposition similaire à l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et à l’article 17 de la Charte.

[24] MacDonald c. Ville de Montréal, [1986] 1 R.C.S. 460, à la p. 488

[25] Voir R. c. Beaulac, précité.

[26] Toutefois, dans le cas du Nouveau-Brunswick, le droit à l’interprétation simultanée lors des débats parlementaires est garanti par l’article 7 de la Loi sur les langues officielles de 2002.

[27] Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 32 Vict., ch. 3 (R.-U.). Reproduite dans L.R.C. (1985), app. II, n° 5. Voir notamment : Blaikie c. Québec (P.G.) (n° 1), [1979] 2 R.C.S. 1016; Blaikie c. Québec (P.G.) (n° 2), [1981] 1 R.C.S. 312; Renvoi : Droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721; Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1992] 1 R.C.S. 212.

[28] Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick Inc. c. Association of Parents for Fairness in Education, Grand Falls District 50 Branch, [1986] 1 R.C.S. 549, à la page 573.

[29] Voir Charlebois c. Moncton (Ville) (2001), 242 R.N.-B. (2e) 259.

[30] Blaikie c. Québec (P.G.) (n° 2), [1981] 1 R.C.S. 312.

[31] Charlebois, précité, par. 11.

[32] Charlebois, précité, par. 8.

[33] Charlebois, précité, par. 48.

[34] Blaikie N° 1, précité, à la p. 1027.

[35] L.N.-B. 2002, ch. O-0.5.

[36] M. BASTARACHE, « Language Rights in the Supreme Court of Canada : the Perspective of Chief Justice Dickson » (1991), 20 Man. L. J. 392, à la page 400.

[37] [1986] 1 R.C.S. 549.

[38] [1986] 1 R.C.S. 549, à la page 575.

[39] [1986] 1 R.C.S. 549, à la page 577.

[40] M. DOUCET et M. POWER, « Charlebois c. Saint John (Ville) : Phare d’une régression en matière de droits linguistiques? » (2006), 8 R.C.L.F. 384.

[41] La décision dans l’affaire Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick a été rendue la même journée que deux autres décisions où la Cour adoptait également cette approche restrictive pour interpréter l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et l’article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba. Voir : MacDonald c. Montréal (Ville), [1986] 1 R.C.S. 460 et Bilodeau c. Manitoba (P.G.), [1986] 1 R.C.S. 449.

[42] [1999] 1 R.C.S. 768.

[43] Beaulac, précité, au par. 20.

[44] Beaulac, précité, au par. 24.

[45] Beaulac, précité, au par. 25.

[46] Beaulac, précité, au par. 25.

[47] L’interprétation des obligations qui découlent de cet article soulève actuellement un désaccord entre le ministère de la Justice provincial, d’une part, et l’Association des juristes d’expression française du Nouveau-Brunswick et le Commissaire aux langues officielles, d’autre part. Voir Bureau du Commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick, Rapport annuel 2007-2008, à la page 55.

[48] N. VAZ et P. FOUCHER, « Le droit à la prestation des services publics dans les langues officielles », dans Les droits linguistiques au Canada, précité, à la p. 288.

[49] Voir Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick, supra, à la p. 575 : Selon la Cour « ce droit de communiquer dans l’une ou l’autre langue suppose aussi le droit d’être entendu ou compris dans ces langues ». Or, l’article 19 prévoit uniquement le droit « d’employer » l’une ou l’autre des langues officielles ce qui, selon la Cour suprême, n’implique pas le droit d’être compris.

[50] Voir Doucet c. Canada, 2004 CF 1444. Voir également : Desrochers c. Canada (Industrie), 2009 CSC 8.

[51] (1989), 101 R.N.-B. (2e) 1 (B.R.), portée en appel sur la question de l’interprétation du par. 24(1), voir (1990), 109 R.N.-B. (2e) 54 (C.A.), autorisation de pourvoi à la C.S.C. rejetée, [1991] 3 R.C.S. viii.

[52] Gautreau, précité, pages 9 et 10.

[53] Voir R. c. Robinson (1992), 127 R.N.-B. (2e) 271 (C.B.R.); R. c. Bastarache (1992), 128 R.N.-B. (2e) 217 (C.B.R.); R. c. Haché (1993), 139 R.N.-B. (2e) 81 (C.A.). Dans cette dernière affaire, le juge Rice, de la Cour d’appel, avait conclu que les forces policières ne pouvaient pas être assimilées à des institutions gouvernementales au sens de l’article 20. En dissidence, le juge Angers estimait pour sa part que la police assure un service qui relève du paragraphe 20(2) de la Charte. Dans ses motifs, bien qu’il ait en définitive souscrit à la décision du juge Rice, en raison des faits de la cause, le juge Ayles a convenu avec le juge Angers que les services de police sont des services gouvernementaux au sens de l’article 20(2) de la Charte. L’analyse des juges Angers et Ayles était donc majoritaire sur ce point.

[54] [2008] 1 R.C.S. 383.

[55] Précité.

[56] 2007 NBCP 30.

[57] A contrario, voir Doucet c. Canada, 2004 CF 1444, où la Cour fédérale, dans une affaire similaire en Nouvelle-Écosse portant sur l’interprétation de la Loi sur les langues officielles du Canada a déclaré, au par. 79 : « Il m’apparaît clair également qu’un accès égal aux services dans les deux langues officielles signifie justement un traitement égal... Un automobiliste ne devrait pas avoir à se déplacer ni à communiquer par téléphone ou par radio lorsqu’il souhaite s’adresser en français à un membre de la GRC. Un service qui laisse à désirer ne répond absolument pas aux objectifs de la LLO énoncés à son article 2, et va à l’encontre de l’article 16 de la Charte qui reconnaît l’égalité des deux langues officielles. »

[58] 2007 NBCA 11.

[59] R. c. McGraw, précité, au para. 35.

[60] L.N.-B. 2002, ch. R - 5.05.

[61] Selon la Loi sur les municipalités, L.N.-B. 1973, ch. M-22, une « municipalité » désigne une cité, une ville et un village. Un village compte moins de 1 500 habitants, une ville entre 1 500 et 10 000 habitants et une cité plus de 10 000 habitants (voir les articles 15 et 16 de la Loi sur les municipalités).

[62] Actuellement, 15 cités et municipalités du Nouveau-Brunswick sont assujetties à l’art. 36 en raison de la règle prévue au par. 35(1).

[63] Mahé c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, à la page 342.

[64] P.G. (Québec) c. Quebec Protestant School Board, [1984] 2 R.C.S. 67; Mahé c. Alberta, précité, Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), [1993] 1 R.C.S. 839, Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard, [2000] 1 R.C.S. 3; Doucet-Boudreau c. Attorney General of Nova Scotia, [2003] 3 R.C.S. 3.

[65] Mahé, précité, à la page 369.

[66] Mahé, précité, à la page 362; Renvoi manitobain de 1993, précité, à la page 849.

[67] Loi sur l’éducation, L.N.-B. 1997, ch. E-1.12, par. 4(1) et 4(4).

[68] Loi sur l’éducation, L.N.-B. 1997, ch. E-1.12, par. 4(2), 4(3) et 4(6).

[69] Loi sur l’éducation, L.N.-B. 1997, ch. E-1.12, par. 4(5).

[70] Loi sur l’éducation, L.N.-B. 1997, ch. E-1.12, par. 5(1).

[71] Loi sur l’éducation, L.N.-B. 1997, ch. E-1.12, par. 5(2).

[72] Renvoi relatif à la sécession du Québec [1998] 2 R.C.S. 217.

VLEX utiliza cookies de inicio de sesión para aportarte una mejor experiencia de navegación. Si haces click en 'Aceptar' o continúas navegando por esta web consideramos que aceptas nuestra política de cookies. ACEPTAR