Le Règne de Joseph Bonaparte: Une expérience décisive dans la transition de la ilustración au libéralisme modéré

AutorJean-Baptiste Busaall
CargoAntiguo miembro de la Casa de Velázquez (Madrid)
Páginas124-157

    Jean-Baptiste Busaall Antiguo miembro de la Casa de Velázquez (Madrid); es profesor ayudante en Historia del Derecho en la Université de Paris Nord-Paris 13. Defendió su tesis preparada en cotutela en la Université Paul Cézanne-Aix-Marseille III y la Universidad Pública de Navarra sobre «La réception du constitutionnalisme français dans la formation du premier libéralisme espagnol (1808-1820)». Ha publicado varios trabajos sobre el Derecho Constitucional y las ideas políticas durante el debate de la revolución española.


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I Introduction
  1. « Les États que l'on conquiert -affirmait Montesquieu- ne sont pas ordinairement dans la force de leurs institutions : la corruption s'y est introduite ; les lois y ont cessé d'être exécutées ; le gouvernement est devenu oppresseur. Qui peut douter qu'un État pareil ne gagnât, et ne tirât quelques avantages de la conquête même, si elle n'est pas destructrice?1 »

  2. La première phrase aurait sans doute pu être souscrite en 1808 par tous ceux qui attribuèrent aux dysfonctionnements de la Monarchie espagnole et à Godoy qui vint à les symboliser, la responsabilité de la Guerre d'Indépendance. Mais ces biens évoqués par la seconde proposition pouvaient ne pas être aussi clairs dès lors que les révolutions de la fin du XVIIIe siècle, celle de France en particulier, avaient introduit un élément qui pouvait s'opposer à sa logique : la nation souveraine ne pouvait s'accommoder d'aucun pouvoir qui n'était pas issu d'elle, qu'il soit traditionnel ou étranger. Le seul bénéfice qui pouvait alors découler de la conquête était la disparition du gouvernement ancien, mais le conquérant ne pouvait pas organiser une nouvelle administration satisfaisante. Ainsi Agustín de Argüelles affirmait encore au lendemain du triennat constitutionnel que « las reformas que se ofrecían a los españoles no podían compensar la perdida de la independencia nacional, que era el precio a que se las vendía aquel usurpador2 ».

  3. 1808 n'était pas le début de la crise de la Monarchie ou de l'Ancien Régime en Espagne, mais le moment auquel, larvée, elle s'ouvrit. Ses premières manifestations étaient apparues dans les années 1780 à travers l'émergence d'une réflexion sur la situation économique et politique de l'Espagne perçue le plus souvent comme déplorable3.

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    L'évolution d'un León de Arroyal qui pouvait observer les choses depuis son poste au sein de l'administration des finances, est très révélatrice du désenchantement progressif vis-à-vis de la capacité du despotisme éclairé à prendre les dispositions nécessaires pour accomplir les réformes indispensables au relèvement d'une Espagne déclinante4. La censure de ses Sátiras en 1785, oeuvre poétique dans laquelle il vitupérait les fondements de la société d'Ancien Régime, lui démontra l'incapacité du pouvoir à assimiler la critique. Il tenta alors de livrer ses réflexions réformatrices directement à des hommes au pouvoir, le Comte de Lerena puis Francisco de Saavedra5. Son insuccès le fit entrer dans l'anonymat pour rédiger ses virulentes critiques sous la forme d'un pamphlet qui dut résonner en 1793, lorsque sa diffusion clandestine débuta, comme un appel à la révolution dans « una España niña y débil, sin población, sin industria, sin riqueza, sin espíritu patriótico, y aún sin gobierno conocido6 ».

  4. La Révolution française accentua les antagonismes entre les tenants du despotisme éclairé, ses adversaires qui y voyaient à travers le renforcement nominal et effectif du pouvoir royal une remise en cause de leurs intérêts et ceux, encore peu nombreux, qui avaient perçu les insuffisances de cette méthode de gouvernement pour impulser une prise de conscience d'une identité espagnole en accord avec les nouvelles exigences sociales et économiques en Occident. Floridablanca, homme nouveau qui depuis son poste de premier secrétaire d'État avait mené une politique de modernisation administrative et avait encouragé le développement des Sociétés économiques des amis du pays pendant le règne de Charles III7, tenta d'établir un « cordon sanitaire » pour éviter la contamination révolutionnaire en interdisant la diffusion de tout ce qui pouvait se référer aux événements d'outre-Pyrénées8. Figure de la Ilustración, il devint lePage 126 symbole du basculement de la Monarchie dans l'immobilisme. Nonobstant, les difficultés engendrées par la nouvelle situation internationale fragilisèrent sa position à la cour face notamment au 'parti aragonais', de nature aristocratique, regroupé autour du Comte d'Aranda9. Non seulement Floridablanca perdit le pouvoir en février 1792 au profit de ce dernier, mais il fut enfermé dans la citadelle de Pampelune jusqu'en 1794.

  5. Les changements ministériels10 durant le règne de Charles IV furent à la fois le reflet de luttes personnelles pour le pouvoir et d'oppositions idéologiques. Les gouvernements devaient gérer de surcroît des relations difficiles avec la France, même après la paix de Bâle (1795) qui mit fin à la guerre de la Convention. Dans ce contexte, Manuel Godoy devint l'homme fort de la Monarchie en tant qu'homme du roi qui devait toute sa fortune et son pouvoir à la volonté de Charles IV11. L'insolence de son ascension sociale vertigineuse facilita la convergence contre lui des oppositions de natures différentes de la part de ceux qui se trouvaient écartés du pouvoir. Le parti aristocratique se regroupa autour de Ferdinand, Prince des Asturies, espérant pouvoir manoeuvrer un jeune roi qui lui devrait son ascension au trône. Avant l'ouverture de la crise en 1808, la tension avait culminé avec l'affaire de l'Escorial qui mettait à jour les divisions politiques dans les plus hautes sphères de la société, jusqu'au sein de la famille royale12. La politique réformiste menée par le Prince de la Paix ne suffisait pas non plus à surpasser les insuffisances du despotisme éclairé déjà soulignées à la fin du règne précédent.

  6. Ainsi, lorsque Napoléon décida de prendre en main la Monarchie espagnole pour assurer une alliance qui lui paraissait fragile13, celle-là était minée par un conflit politique interne profond. La présence desPage 127 troupes impériales dans la péninsule et leur attitude plus qu'ambiguë14furent l'élément extérieur qui en déstabilisa le fragile équilibre gouvernemental permirent la révolution de palais d'Aranjuez. Quoique qu'il ait été dit sur la « révolution » qui fit abdiquer Charles IV au profit de Ferdinand VII en mars 1808, l'émeute populaire avait été fomentée par l'opposition aristocratique à Godoy et rien ne permet d'affirmer que les Français furent plus qu'indirectement à l'origine du changement de roi15. Napoléon sut par contre en tirer parti pour s'ériger en arbitre des querelles de la famille royale, manipuler Ferdinand pour qu'il vienne à Bayonne et obtenir d'un coup la renonciation de tous les Bourbon d'Espagne à leurs droits dynastiques en mai 1808.

  7. Si Napoléon était l'héritier de la Révolution française, l'époque des républiques soeurs était terminée. L'idée girondine qu'avait réalisée la Convention thermidorienne puis la République directoriale s'était éteinte définitivement avec la transformation progressive du pays de référence en une nouvelle 'monarchie' héréditaire16. L'objectif de Napoléon était bel et bien d'établir un membre de sa famille sur le trône d'Espagne. Afin d'y parvenir sans heurt, il adopta un discours déjà éprouvé dans lequel il promettait la régénération de la Monarchie espagnole par le moyen de cet instrument 'miraculeux' que devait être une constitution17. Mais comme Robespierre avait prévenu les girondins, « personne n'aime les missionnaires armés18 ». En passant à l'idée d'Europe française, Napoléon ne fit qu'accentuer le malentendu entre la 'Grande Nation' déçue que les peuples ne veuillent pas à être libres à sa façon et les progressistes et réformateurs européens confrontés à une libération manu militari et au service de la France19. Le discours impérial ne parvintPage 128 pas à éviter le soulèvement des 'patriotes' espagnols contre l'envahisseur français20.

  8. Ainsi, s'il n'est pas question de se laisser abuser par la version que Napoléon exposa à Las Cases à Sainte-Hélène, selon laquelle il ne se serait trompé que sur les moyens employés pour délivrer « les Espagnols de leurs hideuses institutions » et leur donner une « Constitution libérale »21, ce n'est pas pour autant que le discours régénérateur accompagné d'une constitution n'était pas de nature à représenter pour un certain nombre d'Espagnols une option effective dans le cadre de la crise de la Monarchie. L'effervescence publiciste de l'été 1808 dans la camp patriotique, consécutif à la retraite française après Baylen, témoigne manifestement de l'existence d'une aspiration au changement22 qui n'attendait que la déstabilisation de l'appareil censorial pour s'exprimer23. Aussi face à l'incertitude que représentait une résistance à...

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