La notion d'aide d'etat: Les contours de la nature étatique des ressources aux termes de l'article 87.1 du Traité CE

AutorMarie Debieuvre
Cargo del AutorAvocat-stagiaire. Bonelli Erede Pappalardo. Bruxelles
Páginas317-355

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1. Introduction

La notion d’aide d’Etat n’est pas définie par le Traité et voilà près de cinquante ans que la jurisprudence ne cesse de s’y employer. L’article 87.1 CE précise simplement que «sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d’Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions».

Parmi les quatre critères posés par l’article 87.1 CE, celui de l’emploi de ressources étatiques a progressivement pris de l’ampleur dans la jurisprudence pour devenir le critère central de la qualification d’une mesure comme aide d’Etat. Il est alors pour le moins perturbant pour le novice de constater que l’obscurité du concept n’a d’égal que le nombre de décisions qui tentent de l’éclairer.

Sans même se pencher sur le contenu des décisions, cette évolution apparaît comme la conséquence logique des changements économiques majeurs intervenus dans les Etats membres ces dernières années. En effet, le mouvement de libéralisation de pans entiers de l’économie ainsi que la variété des rôles joués par l’Etat rendent l’intervention de ce dernier sur le marché très complexe. Les modes de soutien aux entreprises se sont diversifiés, les relations de l’Etat avec ses anciens monopoles et les entreprises publiques ou privées sous son contrôle se sont compliquées.

Conformément au plan d’action dans le domaine des aides d’Etat de la Commission1, en vue d’une rationalisation du contrôle des aides et d’une

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plus grande efficacité, et en faveur d’une plus grande sécurité juridique pour les opérateurs, la Cour semble être déterminée depuis quelques années à affiner le concept des ressources publiques, de manière à éviter que n’importe quelle intervention de l’Etat, quel que soit son caractère, ne soit susceptible de constituer une aide prima facie.

Etant donné le caractère hautement politique que revêt l’intervention de l’Etat dans l’économie, il est tentant à première vue de voir dans la jurisprudence de la Cour une enfilade de décisions adoptées en fonction des conséquences politiques de la mesure, sans grande cohérence. Toutefois, l’objet de cette étude est bien de démontrer que malgré des contingences politiques évidentes, la Cour cherche surtout à s’éloigner d’une approche formaliste de la notion de ressources publiques pour s’adapter aux réalités nouvelles du rôle de l’Etat dans l’économie, tout en systématisant des critères afin de garantir une sécurité juridique qui pour l’instant fait encore défaut.

Les deux critères cumulatifs dégagés par la jurisprudence - l’emploi de ressources publiques et l’imputabilité de la mesure à l’Etat - revêtent des significations différentes en fonction du caractère de la mesure et de son mode de financement. Bien qu’il soit de jurisprudence constante que la notion d’aide d’Etat doit être définie uniquement eu égard à ses effets et que la distinction entre le transfert direct ou indirect de ressources n’a pas lieu d’être, il ne fait aucun doute qu’en amont, la nature de la mesure et le circuit de financement sont pris en compte pour déterminer la nature étatique des ressources, qui doit être mieux distinguée de l’avantage. En somme, le juge n’a de cesse de découvrir l’ampleur du lien entre la mesure en cause et l’Etat.

Mais la définition même des ressources d’Etat reste obscure : le critère du coût pour l’Etat, régulièrement invoqué pour démontrer que les ressources déployées sont publiques, se justifie-t-il dans le cadre de toutes les formes d’aide et de tous les modes de financement ? Jusqu’à quel point le critère du contrôle public des fonds peut-il appréhender les situations dans lesquelles le critère du coût n’est pas opérationnel ? Le large spectre du critère de l’imputabilité, qui par nature prend tout son sens dans le seul cadre des mesures accordées au moyen de ressources d’Etat, introduit-il un déséquilibre en fonction de la catégorie d’aide envisagée ?

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Il convient de mettre en exergue le rôle ambivalent de la notion de coût en tant que révélateur supposé de l’emploi de ressources étatiques (Paragraphe 2), pour saisir en quel sens le critère d’imputabilité peut constituer une variable d’ajustement appropriée (Paragraphe 3) et comment la jurisprudence pourrait évoluer afin de conférer la cohérence qui fait encore défaut à l’ensemble du système (Paragraphe 4).

2. Le cout pour l’etat : une notion ambiguë au cœur du critere de l’emploi de ressources publiques

Il s’agit d’étudier ici à travers un passage en revue de la jurisprudence dans quelle mesure la notion de coût sous-tend la nature étatique des ressources, selon qu’elles transitent ou non par un organisme intermédiaire.

2. 1 L’exigence d’une charge supplementaire pour le budget de l’etat

2.1.1 Le principe posé par l’arrêt Sloman.

Dans l’affaire Sloman2, la loi allemande en question permettait de soustraire au droit du travail national les marins ressortissants des Etats tiers travaillant sur des navires de commerce battant pavillon allemand. Selon les propres dires du gouvernement, l’objectif de cette loi était d’«assurer la compétitivité des navires de commerce allemands sur le plan international»3, dans un contexte de crise due à l’immatriculation exponentielle de navires communautaires sous des pavillons de complaisance4. La question posée à la Cour était celle de savoir si un tel régime constituait une aide au sens de l’article 87.1 CE.

Après avoir posé pour principe que la condition des ressources d’Etat est constitutive de la notion d’aide, la Cour s’attache à examiner si les avantages procurés par le régime en cause sont des ressources étatiques ou

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non. Selon la Commission, l’allègement des charges sociales induit par la loi allemande «entraînerait la diminution des ressources fiscales»5de l’Etat, la mesure serait donc une aide. La Cour estime au contraire que:

le régime en cause ne tend pas, de par sa finalité et son économie générale, à créer un avantage qui constituerait une charge supplémentaire pour l’Etat ou pour les organismes susmentionnés, mais seulement à modifier, en faveur des entreprises de navigation maritime, le cadre dans lequel s’établissent les relations contractuelles et leurs salariés. Les conséquences qui en résultent [...] sont inhérentes à ce régime et ne constituent pas un moyen d’accorder aux entreprises concernées un avantage déterminé.

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Quelles conclusions immédiates pouvons-nous tirer de cet attendu ? Tout d’abord, la notion constitutive de ressources d’Etat doit être entendue comme faisant peser une charge supplémentaire sur l’Etat. Ensuite, dans le cas d’une perte de ressources ou de manque à gagner pour l’Etat, ceci doit être le résultat direct de la mesure en cause et non une conséquence inévitable du régime. Enfin, pour arriver à une telle conclusion, il faut noter qu’en ayant recours à la «finalité et à l’économie générale» de la mesure, la Cour n’hésite pas à introduire une certaine confusion entre l’appréciation de l’avantage et celle des ressources publiques. Il paraît primordial de mettre en perspective l’arrêt Sloman avec les conclusions de l’avocat général Darmon puis avec d’autres décisions impliquant des aides accordées par l’Etat.

Avant toute chose, il nous paraît important de noter que l’avocat général fait référence en préambule de ses conclusions à la « toile de fond politique et sociale »7 de l’affaire, qui selon nous joue un rôle non négligeable dans la décision de la Cour. Au principal, l’avocat général considère que les avantages concédés aux armateurs proviennent en réalité des marins qui acceptent des conditions salariales plus basses. L’éventuelle perte de ressources pour l’Etat est subsidiaire dans l’octroi de l’avantage. Il estime donc que cet avantage est fourni par des fonds privés, et se pose alors la

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question de savoir si l’article 87.1 CE est applicable. Il tente de démontrer la stérilité de l’approche cumulative pour favoriser le seul critère de l’imputabilité, et surtout recentrer le contrôle des aides sur un affinement de la notion de sélectivité8. Schématiquement, une mesure ainsi financée directement par des personnes privées pourrait constituer une aide à condition que le critère de sélectivité soit rigoureusement appliqué, afin d’éviter que n’importe quelle mesure législative favorisant un secteur ne tombe sous le coup de l’article 87.1 CE9. Mais la Cour ne le suit pas, sauf quant au caractère subsidiaire de la perte de ressources, et pose donc l’exigence d’une charge supplémentaire pour l’Etat, inexistante selon elle en l’espèce.

S’il faut ainsi mesurer le critère des ressources publiques à l’aune du coût pour l’Etat, cela signifie a priori que toute mesure financée par des fonds exclusivement privés ne peut constituer une aide, et qu’en outre en cas de pertes de ressources...

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