L'émissaire de charbonnerie française au service du trienio liberal

AutorLaurent Nagy
CargoÉducation Nationale
Páginas223-254
Historia Constitucional, n. 15, 2014. http://www.historiaconstitucional.com, págs. 223-254
L’EMISSAIRE DE CHARBONNERIE FRANÇAISE
AU SERVICE DU TRIENIO LIBERAL
THE EMISSARY OF THE FRENCH CARBONARY IN SPAIN
DURING EL TRIENIO LIBERAL
Laurent Nagy
Éducation Nationale
SUMARIO : I. L’APPRENTISSAGE DE LA VIOLENCE. - II. L’IMPOSSIBILITE DE LA
VIE CIVILE. – III. L’INSTRUMENTALISATION POLITIQUE DES MILITAIRES. IV.
DANS LE TOURBILLON DES INTRIGUES.- V. AU SERVICE DES EXALTADOS. –
VI. L’ULTIME TENTATIVE DE LA CHARBONNERIE EUROPEENNE. -. VII. LA FIN
DU COLONEL FRANÇOIS HUSSON.
Resumen: Après vingt-cinq ans de bouleversements, en 1815, certains Européens
n’entendent pas accepter la paix et l’ordre monarchique imposé par le congrès de
Vienne. Par des moyens extra-légaux (conspirations) et clandestins (sociétés
secrètes), ces hommes d’action vont combattre violemment les systèmes restaurés.
Héritiers de la Révolution, ils risquent leur vie pour imposer leurs vues politiques.
Cette passion les mène à travers toute l’Europe, notamment en Italie et en Espagne.
François Husson, ancien officier de Napoléon, se lance dès 1820 dans une
activité subversive intense qui le place pendant plusieurs mois au centre de toutes
les manœuvres projetées en France comme en Espagne. Cet homme, envoyé par le
Comité directeur parisien de la Charbonnerie auprès des élites libérales de la
Péninsule, va s’engager sans réserve pour la victoire de la « Sainte-Alliance des
peuples ». Son itinéraire exceptionnel, mis en lumière par l’exploration des archives,
permet de mieux appréhender les motivations et les contradictions de cet homme qui
fut, bien malgré lui, à l’origine d’un acte fondateur du républicanisme espagnol :
l’épisode dramatique de Los mártires de la Libertad Española (Tarifa, 1824).
Abstract : After twenty-five years of political unrest, in 1814 some Europeans were
not willing to accept the peace and order Louis XVIII imposed on them. Instead,
these men of action turned to extra-legal (conspiracies) and clandestine (secret
societies) activities, fighting violently against the restored political system. Faithful to
the legacies of the Revolution and the Counter-revolution, they also fought among
themselves, adapting to changing political practices to impose their ideas. This
passion led them across Europe, particularly into Italy and Spain.
François Husson, a former officer in Napoleon, launched in 1820 a subversive
activity places in for several months at the center of all planned maneuvers in France
and Spain. This man sent by Parisian director of the Carbonari Committee to liberal
elites of the Peninsula, will commit himself unreservedly to the victory of the "Sainte-
Alliance des Peuples." His exceptional life, highlighted when you explore the
archives, allows to understand the motivations and contradictions of this character
224
who was, despite himself, originally a founding act of the Spanish republicanism :
The dramatic episode of mártires de la Libertad Española (Tarifa, 1824).
Mots-clés: Romantisme politique, Communeros, trienio liberal, Campagne
d’Espagne (1823), Légions libérales.
Keywords : Political romanticism, Communeros, trienio liberal, Campaign of Spain
(1823), Liberal legion.
I. L’APPRENTISSAGE DE LA VIOLENCE
La violence occupe une place essentielle dans la vie de François Husson. Il
s’agit d’une brutalité quotidienne légitimée par la situation de guerre que connaît la
France depuis sa naissance (printemps 1791). François Husson écrit lui-même pour
justifier ses engagements postérieurs « Il ne vous paraîtra pas surprenant, mon
général, que né sous les auspices d’une révolution fameuse dans les annales de
l’histoire, élevé dans les camps et au milieu des combats, né avec un caractère vif, et
une ardeur excessive pour la cause que j’ai eu le malheur de suivre je me suis
abandonné à la terrible lutte des régénérations»1. Cet homme a toujours connu l’état
de guerre, ce climat de tensions que seul le sort des armes aux frontières apaise ou
attise parmi la population.
À dix-huit ans, François Husson, fils d’un charpentier du faubourg Saint-
Nicolas à Nancy, quitte l’atelier paternel, pour se lancer dans une aventure déjà riche
d’images de gloire, largement véhiculées par la propagande impériale. Il devance en
1809 la conscription pour rejoindre les rangs de l’armée. Son engagement lui permet
de choisir son régiment. Husson opte pour le Royal-Etranger au service de Joseph
Bonaparte, depuis peu roi d’Espagne, qui est en formation dans la péninsule
ibérique. Le Royal-Etranger est un corps particulier. C’est à l’origine un régiment de
réprouvés. En effet, il est constitué lors de sa création en décembre 1808 de soldats
de tous les horizons, de toutes les nationalités :
« Au mélange apporté par les Suisses dans le régiment, il fallait ajouter celui
causé par les autres corps, wallons et irlandais, ainsi que par les prisonniers anglais,
à peu près composés comme les Suisses. On trouvait donc dans Royal-Etranger, des
Hongrois, des Bohémiens, des Polonais, quelques Russes, quelques Danois, deux
ou trois Egyptiens, et autant d’hommes nés en Angleterre »2.
L’absence de cohésion patriotique du régiment est un élément dissuasif pour
tout jeune soldat désirant « parvenir » au sein de la Grande Armée. L’explication
donnant sens à cette décision du jeune homme est l’influence du chef du Royal-
Etranger. En effet, le régiment est commandé par Léopold Hugo (le père du poète),
originaire de Nancy lui aussi. Le colonel Hugo a beaucoup de difficultés à organiser

1 Archives Nationales, Pierrefitte-sur-Seine (Arch. nat.) F7 6664A (dossier 1.265c). Mémoire remis
par le colonel Husson, de Tours, au lieutenant-général José O’Donnell. Algéciras, au corps de garde
du régiment, le 8 juillet 1824. Traduction.
2 Joseph-Léopold Hugo, Mémoires du général Hugo, aide-major général des armées en
Espagne. Paris, Ladvocat, 1823, 3 vol., op. cit., t. 2 p. 159.
225
et unifier son régiment manquant cruellement de Français. Il sait qu’il ne peut guère
se fier sur ces mercenaires, renégats d’autres armées et qui ont porté peu de temps
auparavant les armes contre ces mêmes Français. Hugo désire donc s’entourer
d’hommes de confiance. Tout en plaçant son frère Louis comme officier, il recrute
pour son compte des compatriotes leur promettant une gloire assurée, mais surtout
une promotion plus rapide que dans les régiments de la Grande Armée.
Le Royal-Etranger est dépendant du ministère de la guerre à Madrid3. C’est
une administration séparée de celle de France, c’est-à-dire que les soldats sont
considérés comme Espagnols. Ils ne sont donc pas inscrits sur les rôles de la
Grande Armée. Husson en devenant soldat espagnol dépend totalement du sort du
roi Joseph dans la péninsule. Ainsi, au sein de cette unité cosmopolite, il va prendre
par à tous les combats, à ce que les Espagnols nomment « la guerra de la
Independencia».
Cette guerre est marginale par rapport à celles de l’Empire. Le roi Joseph n’a
guère à livrer de combats contre une armée en règle, contre des soldats en
uniformes et rangés en ordre de bataille, il se bat contre une grande partie de la
nation espagnole. Husson s’adapte à cette école de la guérilla. À la tête de sa
compagnie, il sillonne la Vieille-Castille au gréé des soulèvements et mate par la
violence les tentatives insurrectionnelles. Comme tous les officiers français en
Espagne, il est souvent livré à lui-même. La cruauté des combats, si bien illustrée par
les esquisses Los desastres de la guerra, de Francisco de Goya, attise cette
habitude de la violence chez les soldats du roi Joseph. Le code d’honneur, base des
relations entre soldats ennemis, n’est guère appliqué dans cette guerre de libération.
L’engagement pour un militaire comme François Husson est total, il soumet son
corps comme son esprit. Le doute n’occupe aucune place dans ses pensées, l’action
brutale est la seule solution à la précarité que connaissent les Français dans la
péninsule. Cette violence n’est pas l’aboutissement d’une idéologie, mais seulement
un acte de survie.
Léopold Hugo veille à l’élévation de son protégé. Reconnaissant la bravoure
de son compatriote, le colonel lui fait profiter de ses appuis à la cour, le plaçant
idéalement pour faire une belle carrière militaire. En effet, le fils du charpentier de
Nancy grâce à la guerre est devenu officier du roi Joseph4. À la cour de Joseph, il est
entré aussi en relation avec la nouvelle élite du royaume. Il a même contracté un
mariage prometteur avec une parente d’Agustín Argüelles, alors réfugié à Cadix
comme député des Asturies (et membre du comité chargé de rédiger la constitution
de 1812). La famille d’Argüelles est noble, mais peu fortunée. Il n’en demeure pas
moins que ce lien matrimonial représente pour le Français une marche
supplémentaire vers son élévation sociale.
Cependant la lutte contre les Espagnols et les Anglais dans la Péninsule est
devenue inégale. Les Français reculent, jusqu’au désastre de la bataille des Arapiles
(13 novembre 1812), où la débâcle des armées impériales est générale. Napoléon, à
la suite du traité de Valencay (11 décembre 1813), restitue à Ferdinand VII sa

3 Jean-François Brun, Les unités étrangères dans les armées napoléoniennes : un élément de la
stratégie globale du Grand Empire, Revue historique des Armées, 2009, pp. 22-49.
4 Aristide Martinien, Tableaux par corps et par bataille des officiers tués et blessés (1805-1815).
Paris, Editions militaires européennes, [ss date]. Alors qu’il est lieutenant, François Husson est blessé
le 14 mars 1812 dans une reconnaissance en Vieille Castille.

Para continuar leyendo

Solicita tu prueba

VLEX utiliza cookies de inicio de sesión para aportarte una mejor experiencia de navegación. Si haces click en 'Aceptar' o continúas navegando por esta web consideramos que aceptas nuestra política de cookies. ACEPTAR